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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Ces visites biquotidiennes du Grand Chambellan étaient pour la jeune femme autant d'épreuves. Il était, avec elle, d'une amabilité qui l'écœurait d'autant plus qu'elle était obligée d'y répondre par une amabilité égale, nuancée, au surplus, d'humilité comme il convient à une pauvre fille des quatre vents. Elle s'obligeait à demeurer au fond de son lit et à se faire infiniment plus faible et plus malade qu'elle n'était, tant elle avait peur qu'il n'en vînt à lui redemander d'être «

gentille » avec lui. La seule idée d'un contact intime avec ce monument de graisse jaune lui soulevait le cœur: Elle voulait sa perte, elle voulait, de toute la force de sa haine, venger Arnaud, les siens et elle-même de ce tyran sans grandeur qui les avait réduits à la misère et menait le royaume à sa ruine. L'effort qu'il lui fallait fournir, chaque jour, pour ne rien montrer de ses sentiments profonds et pour sourire, était surhumain. Elle avait besoin, pour y parvenir, d'évoquer ce moment, pour lequel elle avait vécu durant tant de mois, où elle tiendrait enfin son ennemi à sa merci. Alors, elle retrouvait en elle des ressources d'énergie nouvelle. Mais elle s'était juré une chose, à l'aube de cette nuit infernale avec Gilles de Rais : même pour mener à bien sa mission, même pour attirer La Trémoille à Chinon, elle n'accepterait de se donner à cet être si profondément corrompu que son aspect physique avait fini par s'en ressentir. Si vraiment elle ne parvenait à le tenir à distance avant de l'avoir persuadé de quitter Amboise pour Chinon, Catherine était décidée à tuer La Trémoille, purement et simplement, quitte à être exécutée ensuite. Du moins ne la tuerait-on point sans l'entendre.

Mais, pour tuer, il fallait une arme, et d'armes elle n'en avait point.

Elle comptait même sur Tristan pour lui en faire passer une. Encore eût-il fallu pouvoir communiquer avec lui...

Toutes ces idées hantaient la jeune femme durant les longues heures d'immobilité au fond de ses courtines rouges. Les bruits du château, appels des guetteurs, relèves des gardes, cris des servantes, ordres militaires, galop de chevaux, échos de musique étaient les seules distractions de Catherine qui mourait d'ennui. Tout le reste du temps, elle fixait une statue de l'archange saint Michel placée sur un petit autel en face de son lit, s'étonnant de trouver une statue pieuse dans la chambre que La Trémoille réservait à ses éphémères maîtresses. Cette vie végétative, pourtant, avait du bon. Elle permit à Catherine de récupérer pleinement ses forces. Soumise à un repos forcé, bien nourrie, bien soignée, elle recouvra vite toute sa vitalité.

Quand vint le sixième jour, elle décida qu'il était temps de passer à l'action. Un mince incident vint lui rappeler l'urgence qu'il y avait à brusquer les événements. Ce matin-là, comme elle avait coutume de le faire à l'heure où tout le château prenait son premier repas, c'est-à-dire, après la messe matinale, la vieille Chryssoula – à moins que ce ne fut Nitsa – apporta à Catherine de quoi se restaurer : un plat d'alouettes rôties, une cruche de vin et un pain... dans lequel la jeune femme trouva une mince bande de parchemin roulé.

Elle se hâta de le faire disparaître pour le sauver des yeux aigus de la vieille et ne le déroula que lorsque sa gardienne fut repartie avec les plats vides. Il ne contenait que .trois mots, mais si menaçants dans leur concision que Catherine se sentit galvanisée. « N'oublie pas Sara

», disait le billet, et elle comprit qu'il venait de Gilles de Rais, que le seigneur à la barbe bleue s'impatientait et que, dans sa hâte de posséder le fabuleux diamant, il pouvait être dangereux. Comment faire pour lui arracher Sara ? Voler le diamant ? Catherine l'eût fait volontiers s'il s'était agi seulement de sauver Sara, mais il fallait qu'elle demeurât au château et, de plus, elle n'avait aucune idée de l'endroit où La Trémoille rangeait le joyau.

Demander à La Trémoille la libération de Sara ? Certes, ce serait sans doute facile car le gros chambellan semblait très désireux de lui plaire. Ne lui avait-il pas, la veille même, apporté une lourde et belle chaîne d'or en laissant entendre que, de sa complaisance, dépendraient le nombre et la beauté des cadeaux qu'elle recevrait ? Mais, si l'on arrachait Sara par force à Gilles de Rais, ne se vengerait-il pas en dénonçant la véritable identité de Catherine que rien, dès lors, ne sauverait?

Sa claustration, soudain, lui parut insupportable. Elle ne pouvait pas rester plus longtemps au fond de son lit et, quand la vieille revint, elle la trouva debout.

– Habille-moi, ordonna Catherine. Je veux sortir.

La vieille la regarda d'un air incrédule puis hocha la tête négativement, en désignant du doigt la porte unique de la chambrette qui donnait directement sur l'immense pièce ronde où logeait La Trémoille. Catherine comprit que sa gardienne ne ferait rien sans ordre.

– Va chercher le maître, alors, fit-elle sèchement. Dis-lui que je veux le voir.

L'air affolé de la femme n'éveilla aucune compassion chez Catherine qui s'avança vers elle.

Je suis plus forte que toi, lui dit-elle d'un ton menaçant. Si tu ne vas pas chercher le maître, je te jure que je sortirai d'ici, que tu le veuilles ou non. Et en chemise s'il le faut !

L'air déterminé de Catherine décida la vieille qui, faisant à la jeune femme signe de l'attendre, sortit de la pièce dont, cependant, elle referma soigneusement la porte derrière elle. Pendant ce temps, Catherine alla jusqu'à la petite fenêtre et se hissa sur la pointe de ses pieds nus pour voir au-dehors. De son lit, sur lequel une longue flèche de soleil était venue se poser, elle avait aperçu un coin de ciel d'un magnifique bleu profond et l'air qui entrait par la mince ogive était doux et tiède.

De son étroit observatoire, elle aperçut un coin étincelant du fleuve, un peu d'herbe verte et quelques arbres de l'île Saint-Jean. Un oiseau raya le ciel de son vol rapide et une folle envie s'empara de Catherine d'échapper à cette noire forteresse, de courir se plonger au cœur même de ce printemps glorieux. Sa jeunesse, réveillée en sursaut, réclamait impérieusement sa part, balayant pour un seul instant le désir de vengeance, l'ambition, le souci des jours à venir. Oh

! n'avoir qu'une maisonnette au bord d'un grand fleuve, avec un jardin fleuri, et y vivre doucement entre son fds et l'homme aimé ! Pourquoi donc ce lot si simple, qui était celui de tant de femmes, lui était-il à jamais refusé ?

Le retour de la vieille coupa court aux tristes méditations de Catherine. Elle rapportait sur ses bras des vêtements. Un valet l'accompagnait et Catherine eut un tressaillement de joie en reconnaissant Tristan.

– Le maître ne peut venir, dit-il d'un ton neutre, sans même regarder la jeune femme. Il permet que tu t'habilles et que tu descendes faire quelques pas dans la cour. Mais Chryssoula devra t'accompagner. Toi, tu demeureras sous sa surveillance et tu rentreras dès qu'elle te l'ordonnera. – La voix lente du Flamand se chargea d'une menace – Prends bien garde à obéir, fille d'Egypte, car il ne fait pas bon désobéir au maître.

Catherine chargea son attitude de toute l'humilité désirable et répliqua modestement :

– J'obéirai, messire. Le maître est bon pour moi. N'a-t-il rien dit d'autre ?

Son regard violet, suppliant, croisa le regard gris, immobile, de Tristan, y vit passer un rapide éclair.

– Si. Il a montré une grande joie devant ton désir de reprendre une vie normale. Il te fait dire qu'il y a fête ce soir chez le Roi, mais que, sans doute, tu es encore trop faible pour danser devant la Cour. En revanche, le maître viendra cette nuit, après la fête... s'assurer par lui-même de cet heureux retour à la santé.

Un frisson désagréable parcourut la peau de Catherine. Elle avait compris. Ce soir, La Trémoille viendrait réclamer les droits qu'il se croyait sur elle. Et comme il viendrait après une longue soirée joyeuse, il serait ivre, plus que certainement, et donc au-delà de toute possibilité de raisonnement. La perspective n'avait rien de séduisant et Catherine sentit sa gorge se serrer. Cependant, Tristan, raide et hautain comme il se doit pour un valet de grande maison obligé de se commettre avec la racaille, se dirigeait vers la porte. Au moment de la franchir, il se retourna, la main sur le vantail, et, négligemment :

– Ah ! j'oubliais, on a mis tes objets personnels dans l'aumônière de la robe. Monseigneur est trop bon envers une fille de ta sorte. Il a tenu à ce qu'on te rende tout ce qui t'appartient.

La présence de Chryssoula retint Catherine de se jeter sur les vêtements pour fouiller l'aumônière. Tout ce qui lui appartenait ? Mais elle n'avait rien, qu'une chemise déchirée, quand elle était arrivée chez Gilles de Rais. Hormis, évidemment, les deux petites boîtes de Guillaume l'Enlumineur qu'elle gardait dans une poche sous ladite chemise, qu'elle avait transférées, après son bain, dans la dalmatique blanche et verte qu'on lui avait donnée et qu'elle avait encore avec elle. Alors de quoi parlait Tristan ?

Après quelques ablutions précautionneuses, car elle avait l'impression, depuis quelques jours, que son teint pâlissait légèrement et qu'une ligne plus claire se mon trait à la racine de ses cheveux, elle enfila les vêtements que lui tendait Chryssoula et qui étaient simples et propres mais sans luxe. Une robe de futaine grise, une chemise de toile fine, une guimpe plissée et une cornette de toile blanche, une ceinture et une aumônière de cuir assez vaste et qui parut à Catherine étrangement lourde. Apparemment, La Trémoille ne tenait pas à ce qu'elle se fît remarquer, elle devait se confondre avec les servantes et n'attirer en rien l'attention des habitants du château.

En accrochant l'aumônière à la ceinture bouclée autour de ses hanches les doigts de Catherine se firent un peu fébriles. Elle grillait de curiosité, encore que l'épaisseur du cuir lui rendît impossible de deviner ce qu'il y avait dedans. Mais elle s'empêcha de l'ouvrir au prix d'un petit effort de volonté. Pourtant, s'apercevant qu'une ample mante de fine laine noire avait été jointe au reste, elle la jeta sur ses épaules et fit signe à Chryssoula qu'elle était prête. La vieille ouvrit la porte et précéda Catherine à travers l'immense et somptueuse chambre du Grand Chambellan, véritable temple de l'or où même les rideaux du lit et les coussins des sièges avaient les reflets du métal magique, puis dans l'étroit escalier du donjon.

Là, il faisait sombre et, à l'abri de sa mante, Catherine explora hâtivement l'aumônière. Il y avait un mouchoir, un chapelet, quelques pièces de monnaie, puis ses doigts découvrirent un petit rouleau de parchemin et, enfin, un objet qui les fit trembler de joie et qu'ils parcoururent deux fois, trois fois pour mieux s'assurer de sa réalité : une dague ! La dague à l'épervier des Montsalvy, le poignard d'Arnaud qu'elle avait dû laisser dans ses vêtements de garçon. Une fervente action de grâce jaillit du cœur de Catherine à l'adresse de Tristan. Il avait pensé à tout ! Il veillait bien réellement sur elle et avait deviné qu'elle souhaiterait frapper plutôt que subir le Grand Chambellan !

Ce fut d'un pas léger qu'elle descendit les derniers degrés de l'escalier derrière Chryssoula qui trottait comme une souris. Elle était libre !

Libre de vivre ou de mourir, libre de tuer ou de faire grâce. En débouchant dans la cour, elle leva vers le grand ciel ensoleillé un regard triomphant, joyeux. Elle avait maintenant le moyen d'abattre son ennemi, d'assouvir sa vengeance ! Qu'importait ce qu'il adviendrait d'elle par la suite ?

Mais elle n'était pas encore assez détachée de la terre pour ne pas brûler de savoir ce qu'il y avait sur le rouleau de parchemin. Tristan, sans doute, y avait inscrit un message important. Comment s'y prendre pour le lire en paix ? Se déclarer fatiguée pour remonter ? Déjà ! Cela semblerait peut-être suspect. Mieux valait attendre un peu. Une demi-heure de plus ou de moins n'aurait sans doute guère d'importance.

Dans la vaste cour du château, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de mouvement. Une compagnie d'archers montait aux créneaux, sous les rayons du soleil qui faisaient étinceler leurs chapeaux de fer. Émergeant de la voûte profonde, en pente raide, où s'enchâssait la herse présentement relevée, des chariots chargés de bois remontaient péniblement jusqu'à cette haute cour en plate-forme.

En revanche, des lavandières descendaient vers le fleuve, des corbeilles de linge fièrement portées sur la tête. Près de l'imposant mais sévère logis royal, des chasseurs, déjà à cheval, portant sur leurs poings gantés de cuir épais des faucons encapuchonnés, attendaient un autre chasseur, sans doute de haut rang, tandis qu'un groupe de dames de la cour gagnaient le verger en caquetant comme des perruches, sous les flèches ennuagées de leurs hennins. Catherine, la vieille Chryssoula sur les talons, erra un moment au milieu de tout ce monde, goûtant le simple plaisir du soleil sur ses épaules. Le mois de mai étalait toute sa gloire naissante en fleurs fraîches, émaillant le verger que l'on apercevait au-delà d'une porte, basse et ajourée, et qui s'étalait sur la longue terrasse fermée de murailles dominant la Loire. C'était comme si la nature rejetait enfin le cauchemar de l'hiver et du tardif printemps, comme si la terre meurtrie du royaume cherchait à prendre sa revanche sur tant de ravages, tant de larmes et de sang. Et Catherine découvrait avec émerveillement qu'à l'ombre de cette forteresse poussaient encore des roses. Il y avait si longtemps qu'elle n'avait vu une rose !

Attirée par la fraîche verdure du verger, elle se dirigeait vers lui tout doucement lorsque quelques dames accompagnées de pages en sortirent, des jeunes filles surtout, portant des couronnes de fleurs sur leurs longs cheveux dénoués et habillées toutes de la même robe bleu pâle. Elles entouraient une grande femme hautaine et superbe dont l'orgueilleuse beauté se rehaussait d'une somptueuse robe de brocart orange et or qui semblait faite de même matière que son opulente chevelure rousse. Des émeraudes étincelaient à sa gorge largement décolletée et sur l'immense hennin, haut comme une flèche d'église, qui couronnait royalement la nouvelle venue. Sur son passage, chacun s'écartait respectueusement et saluait. Catherine, sans doute, eût pris cette femme pour la reine en personne si elle ne l'avait reconnue et n'eût senti aussitôt son cœur se gonfler de fiel. Les pieds soudain rivés dans la poussière de la cour, les yeux brûlant de haine, elle regardait s'avancer le gracieux escadron azuré des filles d'honneur entourant la dame de La Trémoille, la femme qui avait osé aimer Arnaud et le faire torturer parce qu'il l'avait repoussée, celle dont elle, Catherine, s'était juré la mort.

Elle sentit que Chryssoula, inquiète, la tirait par sa mante, mais elle était incapable de bouger. Jamais Catherine n'avait éprouvé à ce point, aussi cru, aussi brutal, le désir de tuer. Si rigide était son immobilité que la grande femme rousse la remarqua. Elle fronça ses épais sourcils, héla la jeune femme d'un geste autoritaire :

– Hé ! la fille ! Viens un peu ici !

Ni pour or ni pour argent Catherine n'aurait pu faire un pas. Elle était comme pétrifiée. Seuls ses yeux chargés de colère vivaient encore, mais, derrière son épaule, elle sentait trembler Chryssoula. L'une des jeunes suivantes dut reconnaître la vieille Grecque car elle mur mura quelques mots à l'oreille de sa maîtresse dont les belles lèvres s'arquèrent en un méprisant sourire en même temps qu'elle haussait les épaules.

– Oh ! Je vois ! Encore une de ces filles de joie dont mon époux fait ses délices ! Grand bien lui fasse s'il aime à ce point s'encanailler !

Et la troupe brillante s'engouffra dans le logis royal sans plus s'occuper de Catherine. La vieille se mit à la tirer si vigoureusement qu'enfin elle bougea, se laissant mener sans résistance vers le donjon, et songeant avec rage que le jour où elle abattrait La Trémoille, elle trouverait le temps de s'occuper de sa femme.

Elle allait franchir, avec sa gardienne, la porte basse quand elle se sentit soudain happée par deux mains vigoureuses qui la firent pivoter sur elle-même. Malgré les habits de paysan, couverts de terre et usagés qu'il portait, elle reconnut Fero et poussa un cri de frayeur instinctive tant le visage du chef tzigane était transfiguré.

– Voilà des jours que j'erre autour de ce château, que j'entre dans cette cour parce que j'espérais te revoir, avoir de tes nouvelles ! Et je te revois !

– Va-t'en, Fero, s'écria-t-elle. Tu ne dois pas rester ici ! Les Tziganes n'ont pas le droit d'entrer ici sans permission. Si tu étais pris...

– Cela m'est égal ! Je ne pouvais plus vivre sans te revoir ! Le poison d'amour est en moi, Tchalaï, il brûle mon âme et mon sang... et c'est toi qui l'y as mis !

Il n'était pas possible de se tromper sur la passion qui flambait dans le regard du jeune bohémien. Catherine s'en épouvanta d'autant plus que la vieille Chryssoula faisait de vains efforts pour l'arracher des mains de Fero et poussait des cris inarticulés.

– Par pitié, va-t'en ! Si les gardes...

Elle n'avait pas plus tôt prononcé le mot qu'attirés par les cris de la vieille un peloton d'archers accourait. Chryssoula devait être connue car ils obéirent sans discuter à l'ordre qu'elle donna en deux gestes, l'un désignant Fero, l'autre la porte du château. Empoigné par quatre gaillards solides, le chef tzigane fut entraîné de force vers la porte non sans crier pour Catherine :

– Je t'aime ! Tu es ma femme ! Je reviendrai.

En un instant, il avait disparu et Catherine, soulagée malgré tout, suivit docilement Chryssoula qui donnait tous les signes d'une grande agitation. La courte promenade permise par le maître avait été trop fertile en événements pour le goût de la vieille. Quelques minutes plus tard, Catherine se retrouvait dans sa chambre, enfermée à double tour... mais seule, bienheureusement seule ! Elle oublia aussitôt Fero, en profita pour vider sur le lit le contenu de son aumônière, s'empara du petit rouleau de parchemin sur lequel Tristan avait écrit : « N'ayez aucun souci de Sara. Je sais où elle est et je veille sur elle, comme je veille sur vous. »

La poitrine de Catherine se dégonfla d'un seul coup en un énorme soupir. Ces quelques lignes effaçaient péremptoirement la phrase menaçante de Gilles de Rais. Pas un instant, la jeune femme ne mit en doute l'affirmation de Tristan. Il y avait, dans l'étrange écuyer du connétable de Richemont, une puissance de volonté, une force tranquille qui la subjuguait. Elle croyait capable de tout l'homme qui, traqué par les gens de Gilles de Rais, avait trouvé moyen non seulement de leur échapper, mais encore de se faire engager comme valet par le Grand Chambellan. Si Tristan l’Hermite tenait Sara sous sa protection, Catherine ne devait plus se tourmenter.

L'esprit plus libre, elle laissa couler sur elle les mortelles heures du jour. Sa porte ne se rouvrit pas avant que les ombres du soir n'eussent envahi la pièce. Chryssoula vint alors allumer les chandelles et porter un nouveau plateau qui, cette fois, ne contenait aucun message. Mais, lorsque Catherine eut terminé son repas, la vieille esclave, au lieu de se retirer, fut rejointe par sa sœur. Toutes deux entreprirent la toilette de Catherine. Elle fut lavée, parfumée, parée d'une robe de nuit de fine mousseline blanche qui n'enveloppait son corps que d'un léger nuage, puis soigneusement installée dans le lit dont les draps de toile avaient été changés pour des draps de soie pourpre.

Tous ces préparatifs firent frémir la jeune femme. Ils n'étaient que trop significatifs. On l'accommodait de la sorte pour être plus agréable aux goûts orientaux de son nouveau maître. Tout à l'heure, cette porte, par laquelle sortaient maintenant les deux femmes, se rouvrirait sur l'énorme et somptueuse personne du Grand Chambellan. A l'évocation de ce gros corps flasque s'affalant sur le sien, Catherine retint un haut-le-cœur et ferma les yeux. Elle revit la bouche molle, les dents gâtées, la barbe trop parfumée. Vivement, elle sauta à bas du lit, courut à son aumônière, en tira sa dague et la glissa sous son chevet à portée de la main. Tout de suite, elle se sentit rassurée. Qu'avait-elle à craindre, désormais ? Quand La Trémoille se jetterait sur elle, la dague d'Arnaud frapperait et tout serait dit. Sans doute n'en sortirait-elle pas vivante... à moins que Tristan, qui lui avait remis l'arme dans une intention bien précise, n'eût arrangé sa fuite ? Si seulement elle avait pu lui parler, ne fût-ce qu'un instant ? Peut-être était-il tout près d'elle, attendant, lui aussi, que, dans cette chambre, il se passe quelque chose...

Des heures coulèrent sans que rien ne se produisit. Étendue sans bouger dans son grand lit, Catherine percevait vaguement les échos de la fête royale, des cris, des rires, des chansons à boire. La pieuse reine Marie, épouse de Charles VII, devait arriver prochainement de Bourges. Le Roi, apparemment, en profitait pour se distraire avant son arrivée avec ses compagnons de plaisir habituels... Catherine entendit crier la minuit, puis ce fut la relève des archers de garde.

Combien de temps lui faudrait-il attendre encore ? Les chandelles s'usaient déjà ; bientôt, elles s'éteindraient... La Trémoille, peut– être, était trop ivre pour avoir gardé le souvenir de son rendez-vous galant...

La jeune femme se berçait de cette agréable illusion quand elle sursauta, retenant un cri. La porte de sa chambre s'ouvrait doucement...

Une instinctive et muette prière monta de son cœur à ses lèvres, mais s'acheva bientôt. Ce n'était pas le Grand Chambellan, c'était une jeune fille couronnée de fleurs et vêtue de soie bleue, l'une des suivantes de la dame de La Trémoille. Elle tenait à la main un chandelier allumé qu'elle posa sur le coffre.

Un instant, elles se regardèrent, la belle adolescente debout au pied du lit, Catherine assise dans ce même lit, l'une avec une curiosité dédaigneuse, l'autre avec une surprise non déguisée. Enfin la jeune fille ouvrit la bouche :

– Lève-toi, ordonna-t-elle. Ma maîtresse veut te voir.

– Moi ? Mais je dois attendre ici...

– L'arrivée de Monseigneur ? Je sais. Mais sache, à ton tour, fille d'Egypte, que, lorsque ma maîtresse ordonne, le Grand Chambellan lui-même s'incline. Habille-toi et suis-moi. Je t'attends à côté. Mais fais vite si tu tiens à ton dos. La maîtresse n'est pas patiente, lança-t-elle avec insolence.

La jeune fille sortit, laissant Catherine interdite et assez indécise.

Que lui voulait la dame de La Trémoille ? Que signifiait cet ordre, venu en pleine nuit, et qui risquait de détruire tous ses plans ? Devait-elle obéir ? Mais, sinon, comment refuser ?

Catherine décida qu'elle n'avait pas le choix, et qu'elle ne risquait peut-être pas grand-chose à savoir ce qu'on lui voulait. Pour l'orgueilleuse comtesse, elle n'était, après tout, qu'une fille d'Égypte promise aux plaisirs de son époux, moins qu'un chien ou un objet, un être dont, certainement, elle n'était pas jalouse. Les nombreux amants de Catherine de La Trémoille devaient la mettre à l'abri de ce genre de sentiment. Est-on jalouse d'une montagne de graisse ? Le couple n'était uni que par des goûts communs pour l'or, la puissance et la débauche.

Mais c'était encore de l'or que préférait la dame. Catherine se souvenait avoir entendu raconter comment, lorsque l'on était venu arrêter en pleine nuit et dans son propre lit son second mari, le diabolique Pierre de Giac, les soucis de la belle comtesse s'étaient uniquement portés sur sa vaisselle précieuse sur laquelle faisaient main basse les hommes d'armes chargés de l'arrestation. Tandis que l'on emmenait son époux vers un destin tragique la dame de Giac avait sauté à bas de son lit, nue comme notre mère Eve, et poursuivi les voleurs, dans cet appareil sommaire, à travers les couloirs du château d'Issoudun.

En quelques instants Catherine fut prête. Elle accrocha l'aumônière à sa ceinture, mais glissa la dague dans son corsage. Il y avait beau temps que le billet de Tristan avait été brûlé dans la cheminée. Jetant la mante sur ses épaules, elle ouvrit sa porte avec décision.

– Je suis prête, dit-elle.

Sans un mot, la jeune fille qui attendait, nonchalamment étendue sur un banc garni de coussins, se leva, prit son chandelier et se dirigea vers l'escalier où veillaient des gardes. À sa suite, Catherine traversa la cour, illuminée par le reflet des fenêtres du logis royal vers lequel sa conductrice la dirigeait. En franchissant le seuil que gardaient deux statues de fer, Catherine eut la sensation d'entrer dans une immense coquille creuse tant cela résonnait des bruits de la fête. Malgré l'épaisseur des murs, violons, rebecs et luths faisaient rage, dominant le tumulte des voix, les rires bruyants, les cris de joie. Partout, des torches, des cierges énormes qui répandaient une intense lumière, chaude et dorée. Catherine s'inquiéta. Allait-on la jeter au milieu de la fête, comme un oiseau de nuit arraché soudain à son ombre et lancé dans le soleil ? Mais non... son guide dépassait l'étage noble où l'immense salle tenait à peu près toute la place et la faisait monter plus haut, vers les combles du château. Poussée par la main de la jeune fille, une porte basse s'ouvrit soudain, dans l'ombre d'un couloir, et Catherine se retrouva au milieu d'une chambre de dimensions assez réduites mais qui avait l'air d'un écrin, tellement les tentures de velours vert habillaient les murailles dont on ne voyait pas le moindre morceau.

D'épais et chatoyants tapis couvraient le sol. Malgré la très douce température extérieure, un immense feu brûlait dans la cheminée et semblait, curieusement, se propager aux tentures sur lesquelles de longues flammes d'or étaient brodées.

Au centre de cette chambre étrange et fastueuse, bourrée d'objets précieux, la dame de La Trémoille se tenait debout dans un cercle de suivantes dont certaines, paresseusement couchées à terre sur des coussins, jouaient du luth ou croquaient des confiseries. Cette fois, la belle comtesse n'était vêtue que de soieries bleues, très transparentes, sur lesquelles croulait la masse fauve de sa chevelure. Le tissu nuageux ne cachait que fort peu les formes opulentes de son corps, mais cela ne paraissait la gêner nullement. Catherine se rendit compte au premier coup d'œil de l'état d'agitation où elle se trouvait, mordant ses lèvres et tordant ses doigts en arpentant nerveusement sa chambre.

– Voici la fille, gracieuse dame, fit, du seuil, la conductrice de Catherine.

La dame de La Trémoille eut une exclamation satisfaite puis, d'un geste autoritaire, montra la porte à ses suivantes.

– Sortez toutes ! Allez vous coucher. Et qu'on ne me dérange sous aucun prétexte.

– Même moi ? fit, avec une moue mécontente, la jeune fille qui avait amené Catherine et qui devait être la favorite.

– Même toi, Violaine. Je veux être seule avec cette fille. Veille au-dehors afin que personne n'entre par surprise. Je t'appellerai quand j'aurai besoin de toi.

Violaine sortit de mauvaise grâce et referma la porte derrière elle. Les autres s'étaient déjà éclipsées. Les deux ennemies, la grande dame et la fausse bohémienne, demeurèrent face à face, s'examinant... Avec une joie féroce mais bien féminine, Catherine découvrait que la beauté de sa rivale se fanait déjà. De petites rides marquaient, au coin des yeux et de la belle bouche rouge, la peau très blanche et douce comme un velours, des cernes violets entouraient les prunelles gris vert. La graisse enrobait légèrement les hanches et les longues cuisses, alourdissait les seins gonflés qui fléchissaient un peu. La belle rousse vivait trop douillettement, trop somptueusement et avec trop d'excès. La débauche et la volupté la marquaient d'un stigmate indélébile... Mais Catherine se garda bien de montrer le plaisir qu'elle éprouvait. Elle avait trop conscience de ce regard qui la détaillait, la déshabillait même avec impudence. Elle rougit en entendant la voix sèche de la dame s'écrier :

– Qu'attends-tu pour t'agenouiller devant moi ? Ton échine est-elle si raide qu'elle t'interdise de saluer tes maîtres ?

Catherine se mordit les lèvres et se traita de sotte. Elle avait un instant oublié son personnage et, pour un peu, eût abordé la comtesse en égale. Elle se hâta d'obéir, baissant la tête et, masquant son embarras d'un mensonge, murmura :

– Pardonnez-moi, noble dame, mais j'ai oublié un instant où j'étais. Mes yeux étaient éblouis. Je me suis crue dans la demeure de la reine des keshalyi, les fées de notre peuple.

Un sourire d'orgueilleuse satisfaction éclaira le visage maussade de la dame. De si bas qu'il vînt, l'encens, même grossier, lui plaisait toujours.

– Relève-toi ! lui dit-elle. Ou plutôt, assieds-toi sur ce coussin.

Ce que j'ai à te dire peut être long.

Elle désignait un coussin posé sur les marches de son lit. Catherine s'y laissa glisser tandis que la comtesse s'asseyait sur le lit même. Son regard ne quittait pas le visage de Catherine, le détaillant avec une attention qui devenait gênante. Au bout d'un moment, que la jeune femme jugea long comme une éternité, la belle comtesse murmura :

– Tu es vraiment très belle... trop belle ! Tu ne retourneras pas auprès de monseigneur. Tu pourrais être dangereuse à la longue, car il est stupide avec les femmes. Et toi, tu as l'air intelligent.

– Que ferai-je donc ? osa demander Catherine. Si je ne retourne pas, je risque...

– Rien du tout. Si tu me sers à ma convenance je te garderai peut-

être et tu n'auras rien à craindre. Sinon...

La phrase demeurée en suspens était suffisamment menaçante pour que Catherine se gardât d'en demander la fin. Elle se contenta de baisser la tête humblement, attendant ce qui allait suivre.

– Je ferai de mon mieux, dit-elle seulement.

La dame de La Trémoille prit un temps. D'un air songeur, elle tendit son bras nu, prit une coupe de vin posée sur les marches du lit et la vida lentement jusqu'à la dernière goutte. Catherine vit se gonfler sa gorge opulente. Puis la dame rejeta la coupe vide, pencha vers Catherine son visage que le vin rougissait un peu, son regard qui devenait luisant.


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