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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Le profil barbu de La Trémoille s'étira jusqu'à la voûte du cachot.

Mais le gros homme s'arrêta court devant le visage défait de Catherine et les traces de sang.

– Qu'y a-t-il ? Es-tu blessée ? Que s'est-il passé ? J'avais pourtant ordonné...

Aycelin, déjà épouvanté, rentrait autant qu'il pouvait sa tête dans ses épaules. Catherine vint à son secours aussitôt.

– On a tenté de m'assassiner, Monseigneur. Cet homme m'a entendue crier... il m'a sauvée.

– Il a bien fait. Tiens... attrape ! Et laisse-nous.

Du bout des doigts, il lança au geôlier une pièce d'or que l'autre attrapa avec l'adresse d'un chat avant de se retirer avec force courbettes et actions de grâce. La Trémoille regarda autour de lui, cherchant où s'asseoir, mais il n'y avait rien, et il prit le parti de rester debout. Mais il tira de sous sa houppelande un sac et le tendit à la prisonnière.

– Tiens ! Tu dois avoir faim. Mange et bois. Après, nous causerons. Mais fais vite.

Catherine mourait de faim. Elle n'avait rien mangé depuis l'avant-veille et ne se le fit pas dire deux fois. Elle dévora le pain et la volaille que contenait le sac, but le vin et adressa au gros chambellan un regard brillant de gratitude.

– Merci, seigneur, vous êtes bon.

Un espoir fou remontait dans son cœur. C'était la première fois qu'elle était seule avec lui, sans risque. Est-ce que le temps était venu de mettre son plan à exécution ? La Trémoille eut un sourire qui plissa son visage en mille petits bourrelets graisseux. Sa main épaisse se posa sur la tête de Catherine, et il murmura d'une voix pateline :

– Tu vois bien que, moi, je ne te veux aucun mal, petite. Tu n'es guère coupable dans tout ceci. Ce n'est pas de ton plein gré, n'est-ce pas, que tu es partie de chez moi ?

– Non. Une jeune fille est venue me chercher, fit Catherine jouant la naïveté, une belle jeune fille blonde.

– Violaine de Champchevrier, je ne la connais que trop ! Elle est la confidente de ma femme, mais, toi, je pense que tu es mon amie, à moi. Souviens-toi, j'ai toujours été bon pour toi, n'est-ce pas ?

– Très bon, seigneur, très secourable.

– Alors, c'est le moment de t'en souvenir. Qu'est– ce que le flacon que tu as brisé, ce tantôt, et dont tu as jeté les débris au visage de la comtesse ?

Catherine baissa la tête comme si elle luttait contre elle-même et ne répondit pas tout de suite. La Trémoille s'impatienta.

– Allons, parle ! Tu n'as aucun intérêt à te taire, bien au contraire.

Elle releva la tête, le regarda bien en face avec un grand air de franchise.

– Vous avez raison. Vous ne m'avez jamais fait de mal, vous. Ce flacon... il contenait un philtre d'amour que la dame m'avait demandé.

Un pli cruel marqua les grosses lèvres de La Trémoille tandis que ses yeux semblaient se rétrécir.

– Un philtre d'amour, hé ? Sais-tu pour qui ?

Cette fois, Catherine n'hésita pas. Il n'était pas question de faire courir le moindre danger au jeune comte du Maine. Elle secoua énergiquement la tête.

– Non, seigneur, je ne sais pas.

Le front du Grand Chambellan s'était rembruni. Il jouait nerveusement avec les pans de la large ceinture dorée qu'il portait, et, un moment, il garda le silence.

– Un philtre d'amour, murmura-t-il enfin. Pour quoi faire ? Ma femme ne cherche pas l'amour, elle ne cherche que le plaisir...

Catherine prit une profonde respiration et noua ensemble ses mains enchaînées, les serrant très fort pour lutter contre l'émotion qui s'emparait d'elle. Le moment était venu de jouer le tout pour le tout, de dire les mots qu'elle était venue dire à cet homme depuis Angers pour le décider à quitter son repaire trop sûr.

– C'est un breuvage très puissant, monseigneur. Il rend celui qui le boit aussi faible qu'un enfant entre les mains de celui qui le fait boire. Et la dame le voulait pour arracher à un homme un grand secret... le secret d'un trésor.

Si prévenue qu'elle fût, elle demeura stupéfaite de l'effet magique du mot. Le gras visage s'empourpra tandis que les yeux du Chambellan lançaient des éclairs. Il saisit Catherine à l'épaule, la secoua brutalement.

– Un trésor ? Que sais-tu de tout cela ? Parle, mais parle donc !

Quel secret, quel trésor ?

Elle joua la terreur à la perfection, se recroquevilla sur elle-même en jetant sur le gros homme des regards apeurés.

– Je ne suis qu'une pauvre fille, seigneur, comment saurais-je de pareils secrets ? Mais j'écoute et je comprends bien des choses. Dans mon lointain pays d'Orient, on parle encore de moines-soldats venus jadis pour défendre le tombeau du Sauveur et qui sont repartis avec de grandes richesses. Quand ils sont revenus au pays des Francs, le Roi d'alors les a tous exterminés...

Du revers de sa manche, La Trémoille essuya la sueur qui coulait sur son visage. Ses yeux luisaient comme braises.

– Les chevaliers du Temple..., balbutia-t-il, la bouche sèche.

Continue !

Elle écarta ses mains enchaînées dans un geste d'impuissance.

– On dit encore qu'avant de mourir ils ont eu le temps de cacher la plus grande partie de leurs richesses et que leurs cachettes sont marquées de signes incompréhensibles. L'homme qui intéresse la noble dame saurait déchiffrer ces signes.

Un désappointement se peignit sur la figure luisante du gros homme. Visiblement il était déçu et ne tarda pas à le marquer.

Haussant les épaules, il bougonna :

– Encore faudrait-il savoir où ils se trouvent, ces signes.

Un sourire angélique s'étendit sur le visage de Catherine. Son regard posé sur le gros homme n'était que douceur candide.

– Je ne devrais peut-être pas le dire, seigneur, mais vous avez été si bon avec moi... et la dame si cruelle. Elle m'avait promis la grâce de Fero et elle l'a laissé mourir sous le fouet... Je crois qu'elle sait où se trouvent ces signes... Je l'ai entendue l'autre nuit. Elle croyait que je dormais. Elle parlait d'un château où les chefs des moines-soldats avaient été emprisonnés, avant de mourir sur le bûcher... mais je ne me souviens pas du nom.

Ce fut si artistement dit que La Trémoille perdit toute méfiance, si même il en avait jamais eu. De nouveau, il empoigna Catherine.

– Souviens-toi, je te l'ordonne... il faut que tu te souviennes ! Est-ce à Paris... dans la grande tour du Temple ? Est-ce là ?... Dis ?

Elle secoua doucement la tête.

– Non... ce n'est pas Paris. Un nom comme... oh, c'est difficile...

un nom comme Ninon...

– Chinon ? C'est ça ? C'est bien Chinon, n'est-ce pas ?

– Je crois que c'est ça, dit Catherine, mais je ne suis pas sûre. Est-ce qu'il y a une très grosse tour ?

– Énorme ! Le donjon du Coudray. Le Grand Maître du Temple, Jacques de Molay, y a été enfermé avec d'autres dignitaires durant le procès.

– Alors, fit Catherine tranquillement, c'est dans la tour que sont les inscriptions.

Le gros homme s'était levé, au comble de la surexcitation, allait et venait dans le cachot. Elle le regardait avec une joie sauvage. C'était Arnaud qui, jadis, lui avait raconté cette histoire. Un soir, après la ruine de Montsalvy, il avait soupiré sur leur misère et lui avait raconté comment un ancien Montsalvy, chevalier du Temple, avait été chargé par le Grand Maître, avec deux autres Frères, de sauvegarder le fabuleux trésor. Il était mort, peu après, la bouche murée sur le secret dont seul le Grand Maître avait la clef.

– On raconte que, dans sa prison, avait dit Arnaud, dans la grosse tour de Chinon, le Grand Maître a tracé des signes-clefs...

malheureusement indéchiffrables. Je les ai vus quand j'étais là-bas, mais, alors, je n'y ai pas tellement prêté attention. J'étais riche, insouciant... Maintenant, j'aimerais retrouver le fabuleux trésor, pour reconstruire Montsalvy.

Cette conversation, elle s'en était souvenue à Angers, quand il s'était agi de trouver un appât pour attirer La Trémoille à Chinon.

Maintenant l'appât était lancé, le poisson avait mordu... Un profond soulagement s'empara de Catherine. Même si elle ne sortait pas vivante de ce cachot, elle était à peu près certaine que La Trémoille irait à Chinon, que le piège se refermerait sur lui... Et qu'elle serait vengée.

Le cœur allégé, elle le regardait tourner dans sa prison comme un ours en cage et croyait voir cheminer dans ses veines la fièvre de l'or, comme un poison. Elle l'entendit murmurer :

– Cet homme... il faut le trouver. Il faut que je sache ! Son nom !..

Ensuite, je saurai bien le faire parler...

– Seigneur, interrompit-elle doucement, me permettez-vous de vous donner un conseil ?

Il la regarda comme s'il était étonné de la voir encore là. Tout à sa passion, il l'avait oubliée.

– Dis toujours. Tu m'as rendu un grand service.

– Si j'étais vous, seigneur, je ne dirais rien pour ne pas donner l'éveil. J'irais à Chinon, avec la cour... et même le Roi s'il le faut, et je surveillerais la noble dame. Il est impossible que vous ne découvriez pas là-bas l'homme qui l'intéresse.

Cette fois, le gros visage s'éclaira. Un sourire matois et cruel s'y répandit, effaçant les rides comme de l'huile sur l'eau. Il ramassa son sac vide, prit sa lanterne, frappa du poing à la porte.

– Geôlier. Eh ! geôlier !

Il allait sortir, elle poussa un cri.

– Seigneur ! Ayez pitié de moi ! Vous ne m'oublierez pas, n'est-ce pas ?

Mais, déjà, il ne l'entendait plus qu'à peine. Il lui jeta un regard distrait.

– Oui, oui... sois tranquille. J'y penserai. Mais veille à te taire ; sinon...

Elle avait compris. Elle avait tout à coup perdu toute valeur à ses yeux. Devant la fabuleuse perspective dorée ouverte devant lui, il en avait oublié jusqu'au goût violent qu'il avait eu pour elle. Qu'elle vive ou qu'elle meure, peu lui importait. Seul comptait le trésor... Demain, cette nuit peut-être, il ferait partir la cour pour Chinon. Catherine avait accompli sa mission, mais elle était plus en danger que jamais car, elle en était certaine, avant de partir, la dame de La Trémoille veillerait à la faire passer de vie à trépas. Et qui pouvait dire si Pierre de Brézé et Tristan l'Hermite auraient le temps de venir à son secours

? De nouveau, elle tira la dague de sa robe tachée, pressa l'épervier de la garde contre ses lèvres tremblantes.

– Arnaud, murmura-t-elle, tu seras vengé. J'ai fait tout ce que je devais faire... Maintenant, que Dieu aie pitié de moi!

Mais les dernières heures de la nuit coulèrent, silencieuses, sans amener d'autres visites dans le cachot.

Quand Aycelin pénétra dans la prison de Catherine, vers le milieu du jour, portant une écuelle pleine d'un liquide de couleur incertaine où nageaient quelques trognons de chou, une cruche et un morceau de pain noir, il semblait tout à fait abattu. Son grossier visage aux traits indécis, aux cheveux ras portait le reflet d'une grande tristesse. Il posa l'écuelle aux pieds de Catherine avec le pain et l'eau.

– Voilà ton dîner, fit-il avec un énorme soupir. J'aurais bien aimé te donner quelque chose de mieux

parce que tu vas avoir besoin de forces. Mange quand même.

Du pied, Catherine repoussa l'affreuse soupe dont elle n'avait nul besoin après la volaille de La Trémoille.

– Je n'ai pas faim, dit-elle. Mais pourquoi dis-tu que je vais avoir besoin de forces ?

– Parce que c'est pour cette nuit. Après le couvre– feu on viendra te chercher et moi je devrai... Mais tu me pardonneras, dis ?

Ce n'est pas de ma faute, tu sais. Je dois faire mon métier...

La gorge de Catherine se serra. Elle avait compris ce que le bourreau voulait dire. Cette nuit, sous les yeux de la dame de La Trémoille, elle serait torturée à mort... Une panique s'éleva en elle, comme un vent de tempête. Elle pouvait, grâce à sa dague, éviter la torture, mais non la mort et, justement, elle ne voulait pas mourir.

Elle ne voulait plus ! Cette nuit, dans sa joie de voir réussir son plan, de savoir La Trémoille prêt à partir pour Chinon, elle avait pensé que plus rien n'avait d'importance, que la mort, désormais, lui serait facile puisqu'elle serait vengée... Mais maintenant, face à cet homme de sang qui se faisait le héraut tragique de sa : dernière heure, elle repoussait le destin de toute sa force. : Elle était jeune, elle était belle ; elle voulait vivre. Elle voulait sortir de ce trou, revoir le ciel bleu, le grand soleil et toutes les plantes que la volonté de Dieu sème sur la terre. Elle voulait revoir son fils, son petit Michel, les monts d'Auvergne et jusqu'à ce lieu sinistre où son amour se mourait lentement... Arnaud ! Elle ne voulait pas mourir si loin de lui. Toucher sa main encore une fois, rien qu'une seule fois... et puis mourir, oui. Mais pas avant !

Brusquement, elle releva sa tête qu'elle avait penchée pour qu'il ne vît pas son émotion.

– Écoute, fit-elle d'une voix pressante. Il faut que tu cherches l'homme qui est venu ici cette nuit, celui à qui tu as dit que tu devais beaucoup.

– Le valet de Monseigneur le Grand Chambellan ?

Lui-même... Je ne sais pas son nom, mais tu le reconnaîtras sans peine. Va le trouver. Dis-lui ce que tu viens de me dire...

– Et si je ne le trouve pas ? Il a beaucoup de valets ce Monseigneur.

– Il faut que tu le trouves ! Il le faut ! Puisque cela te fait tant de peine de me faire du mal... Je t'en supplie, cherche-le.

Elle s'était levée. De ses mains tremblantes, elle étreignait les énormes pattes du bourreau ; de ses grands yeux pleins de larmes, elle le suppliait. Il lui avait montré de la compassion. Elle devinait dans cet esprit obscur une sorte de sympathie. Il fallait, à tout prix, qu'il prévienne Tristan ; sinon, cette nuit, le Flamand arriverait sans doute trop tard. Elle serait déjà morte. Le bourreau n'avait-il pas dit « après le couvre-feu » ? Le couvre-feu était sonné depuis longtemps la nuit dernière, quand Tristan était venu.

– Par pitié, Aycelin... si tu as un peu d'amitié pour moi, cherche-le

!

Le bourreau hocha sa grosse tête à laquelle de larges oreilles donnaient assez l'apparence d'une marmite. Ses yeux clignèrent sous leurs paupières sans cils.

– Je veux bien essayer... Mais ça ne sera pas facile. Il y a grand remue-ménage au château aujourd'hui... Le Roi a décidé de partir pour Chinon demain. On prépare les coffres de voyage ! Enfin... Je ferai ce que je pourrai.

Jambes brisées, Catherine se laissa retomber sur la paille.

L'information qu'Aycelin venait de lui donner était précieuse car elle était la preuve formelle de sa victoire. Le Roi, c'était La Trémoille. Et il s'en allait vers Chinon où l'attendaient les hommes du connétable de Richemont, où commandait Raoul de Gaucourt gagné aux conjurés.

Le sanglier dévastateur qui, trop longtemps, avait galopé sur la terre de France s'en allait vers sa dernière bauge. Mais, si Aycelin ne trouvait pas Tristan, Catherine ne verrait pas se lever le jour de la victoire...

Elle demeura de longues heures prostrée, les yeux fixes, assise sur son grabat, les bras noués autour de ses genoux, écoutant battre son cœur, luttant de toutes ses forces contre le désespoir. De l'autre côté de ce mur, en face d'elle, il y avait Sara, sa vieille Sara, le cher refuge des heures cruelles et, cependant, elle ne pouvait pas la rejoindre. Il fallait crier pour être entendue. Elle n'en avait même pas la force... Mais l'angoisse l'assaillit plus cruellement encore lorsque le jour déclina...

Au– dehors, dans la cour du château, l'agitation était intense. Du fond de son caveau, elle pouvait entendre les ordres, les cris des servantes, les appels, tout le joyeux tintamarre d'un départ proche. Là, tout près, c'étaient les bruits de la vie qui s'en venaient, cruellement, narguer celle qui devait mourir. Et, un instant, elle se demanda si les morts, dans le tombeau, pouvaient encore entendre le vacarme des vivants...

Le bruit du judas de sa porte que l'on ouvrait la fit sursauter. A travers le grillage, elle aperçut la figure rouge d'Aycelin, éclairée par une chandelle. Et les mots qu'il prononça tombèrent, comme de lourdes pierres, sur son cœur :

– Je n'ai pas pu trouver l'homme... Pardonnez-moi.

– Cherche encore.

– Je ne peux pas. Je n'ai pas le temps. Il faut que je me prépare.

Le judas claqua. Catherine se retrouva rejetée dans l'ombre de la nuit qui venait. Une ombre dont elle ne sortirait que pour entrer dans une nuit encore plus épaisse. Désormais, tout était dit. L'espoir était mort, il ne fallait plus rien attendre des hommes. Il fallait aller vers Dieu... Lentement, Catherine se laissa tomber à genoux, cacha son visage dans ses mains.

– Mon Dieu ! murmura-t-elle. Puisque c'est votre volonté que ce soir je meure, accordez-moi la grâce de ne pas souffrir la torture.

Faites que j'aie le temps d'en finir moi-même.

Elle tira doucement la dague de son sein, la tint serrée contre elle saisie d'une soudaine tentation. Pourquoi ne pas en finir maintenant ?

Les bourreaux, en entrant dans sa prison, ne trouveraient qu'un corps sans vie... Ce serait tellement plus simple...

Au creux de sa paume, l'épervier était chaud comme un oiseau vivant, rassurant comme un ami fidèle. Elle savait exactement où frapper pour atteindre son cœur... Là, juste sous le sein gauche... De la pointe de l'arme, elle chercha la place, appuya... La pointe piqua la chair, sous le tissu, et réveilla Catherine de l'espèce de torpeur de mort qui l'emportait. Percer cette peau si fine serait facile. Il suffisait d'appuyer plus fort. Mais un instinct inexplicable arrêta la main de la jeune femme. Que du moins elle vécût les dernières minutes qui lui restaient. Et puis, elle ne voulait pas mourir au fond de ce trou. Elle voulait mourir face à son ennemie, jouir de sa déconvenue en la voyant lui échapper, lui crier peut-être sa haine avant d'expirer... Oui, il fallait attendre jusque– là... C'était mieux.

Les trompes du château, répondant aux cloches de la ville, sonnèrent le couvre-feu. Elles glacèrent le sang de Catherine. Etaient-ce déjà les trompettes du jugement répondant au glas des morts ? Les dernières minutes s'écoulaient au sablier de sa vie. Bientôt...

Dans le couloir, il y eut le bruit de pas chaussés de fer, le raclement de l'acier sur la pierre. Catherine ferma les yeux, priant de tout son cœur pour obtenir le courage dont elle allait avoir tellement besoin.

On s'arrêtait devant sa porte. Les verrous grinçaient...

– Adieu, murmura-t-elle. Adieu, mon petit enfant... Adieu, mon époux bien-aimé. C'est moi qui vais t'attendre au Paradis.

La porte ouverte, la prisonnière put voir un piquet de quatre soldats qui attendaient devant sa porte. Le bourreau entra seul et Catherine frissonna. Si repoussante que fût la physionomie d'Aycelin, elle la préférait encore à son aspect actuel. En effet, les traits grossiers du tourmenteur étaient dissimulés sous une cagoule rouge, percée seulement de deux trous pour les yeux, qui le recouvrait jusqu'aux épaules. Il était terrifiant ainsi...

Sans un mot, il fit tomber les bracelets de fer, saisit les poignets de Catherine pour les lier dans son dos. Elle supplia :

– Une-seule grâce, ami bourreau, la dernière... Lie– moi les mains par-devant.

Par les trous du masque, elle rencontra les yeux du tourmenteur. Ils lui parurent extraordinairement brillants. Mais il ne dit rien, se contenta de hocher la tête. Les mains de Catherine furent liées devant elle et elle constata avec joie qu'il ne serrait pas beaucoup les cordes.

Elle n'aurait aucune peine à saisir la dague, tout à l'heure...

Ce fut d'un pas ferme qu'elle marcha vers la porte, se plaça au milieu des soldats tête haute. Le bourreau fermait la marche. Elle ne se retourna pas en entendant claquer de nouveau les verrous. Que lui importait que l'on refermât soigneusement la porte du cachot ? Elle n'avait même pas le courage de regarder, au-delà, l'entrée du cachot de Sara... Mais enflant sa voix de toute sa force, elle cria :

– Adieu ! Adieu, ma bonne Sara ! Prie pour moi.

La réponse lui parvint, vibrante :

– J'ai prié. Courage !

Bientôt s'ouvrait devant la condamnée la porte basse de la chambre fatale et il lui fallut tout ce courage que lui recommandait Sara pour ne pas défaillir tant elle avait l'impression d'entrer là en enfer...

Debout, bras croisés auprès de braseros flambants où trempaient des tenailles, des griffes et des lames d'acier, deux tour– menteurs puissamment musclés attendaient. Torse nu, ils portaient tous deux une cagoule semblable à celle d'Aycelin et Catherine regarda avec horreur leurs bras que serraient les bracelets de cuir. Au milieu de la pièce un chevalet avait été disposé. Les chaînes pendantes attendaient la victime et, dans l'ombre rouge que laissaient les braseros, d'autres instruments de supplice montraient leurs formes terrifiantes...

Mais Catherine réprima bien vite le frisson de terreur qui avait hérissé sa chair et détourna les yeux de l'appareil de supplice. Assise sur le fauteuil qu'occupait la veille son époux, somptueusement vêtue de brocart vert et or, la dame de La Trémoille la regardait entrer, un sourire cruel sur ses lèvres rouges... Violaine de Champ– chevrier était assise gracieusement à ses pieds sur un coussin de velours noir et respirait nonchalamment une boule d'or emplie de parfum qu'elle tenait entre ses jolies mains. Le spectacle de ces deux femmes, parées comme pour une fête, assises dans cette chambre de supplice pour en voir torturer une autre avait quelque chose de révoltant, mais Catherine se contenta de les toiser avec dédain. La dame éclata de rire.

– Comme te voilà fière, ma fille ! Tu le seras moins, tout à l'heure, quand ce brave Aycelin exercera sur toi les raffinements de son art. Sais-tu ce qu'il va te faire ?

– Que m'importe !... La seule chose qui compte, c'est que je ne vois pas ici de prêtre.

– Un prêtre ? Pour une sorcière comme toi. Les suppôts de Satan n'ont que faire d'un prêtre pour aller rejoindre leur maître. À quoi te servirait une bénédiction sur le chemin de l'Enfer ? Ce qui m'intéresse, moi, c'est de savoir comment une sorcière supporte la torture. As-tu des charmes, fille d'Egypte, pour te garder de la douleur ? Sauras-tu demeurer ferme quand le bourreau t'arrachera les ongles, te coupera le nez, les oreilles, t'écorchera vive et te crèvera les yeux ?

Le regard de Catherine ne faiblit pas devant l'énoncé sadique de ce qu'on lui réservait. Encore un instant et elle ne serait plus qu'un peu de chair inerte.

– Je ne sais pas. Mais si vous êtes, vous, une vraie chrétienne, vous m'accorderez le temps d'une dernière prière. Ensuite...

La comtesse hésita. Visiblement, elle avait envie de refuser. Mais elle tourna les yeux vers les hommes d'armes, qui s'étaient massés au fond. Elle n'avait pas le droit de refuser la demande d'une condamnée, sous peine d'être elle-même taxée d'impiété. Et c'était toujours dangereux.

– Soit, accorda-t-elle de mauvaise grâce. Mais fais vite ! Déliez-lui les mains !

Le bourreau s'avança, dénoua les cordes. Catherine s'agenouilla au pied de l'un des piliers, tournant le dos à son ennemie. Elle croisa les mains sur sa poitrine, baissa la tête, plia le dos et, doucement, tira la dague. Son cœur battait à grands coups redoublés. Elle avait conscience du déplacement des autres bourreaux vers le fond de la pièce. Sans doute voulaient-ils jouir du spectacle de sa dernière prière.

Elle serra fermement l'arme, en tourna la pointe contre son cœur, voulut se pencher davantage pour enfoncer...

Un cri de désespoir lui échappa. Aycelin l'avait brusquement renversée et lui arrachait l'arme. Elle se crut perdue. Mais, dans la salle des tortures, il se passait quelque chose d'étrange. A son cri avaient répondu deux hurlements poussés par la comtesse et sa fille d'honneur... Comme dans un rêve, Catherine les vit, dressées l'une près de l'autre et glapissant tandis que les trois bourreaux se battaient avec les hommes d'armes.

Avec stupeur, la condamnée constata qu'ils faisaient du bon travail.

Aycelin avait déjà planté la dague prise à Catherine dans la gorge de l'un des soldats, et ses deux aides s'escrimaient avec des épées sorties on ne savait d'où. Le combat fut bref. Les bourreaux maniaient leurs armes avec une habileté diabolique. Bientôt, il y eut quatre cadavres sur les dalles usées et deux pointes d'épée dirigées sur les gorges découvertes des deux femmes par l'un des assaillants.

– Bandits ! hurlait la comtesse. Canailles ! Que voulez-vous ?

– Rien d'important pour vous, noble dame, fit la voix traînante de Tristan l'Hermite sous la cagoule d'Aycelin. Seulement vous empêcher de commettre un crime de plus.

– Qui êtes-vous ?

– Permettez-moi de vous dire que cela ne vous regarde pas. C'est prêt, vous autres ?

L'un des bourreaux avait relevé Catherine tandis qu'un autre, qui s'était éclipsé un instant, revenait avec Sara. Les deux femmes se jetèrent dans les bras l'une de l'autre sans un mot. Elles en étaient incapables tant l'émotion leur serrait la gorge.

Sans quitter des yeux ses prisonnières, Tristan ordonna :

– Bâillonnez-moi ces nobles dames, et solidement. Puis enfermez-les chacune dans un cachot.

Ce fut exécuté ponctuellement avec une rapidité digne d'éloge. La dame de La Trémoille et Violaine furent entraînées vers les cachots, écumantes de fureur.

– Je les égorgerais volontiers, commenta Tristan, mais elles ont encore leur rôle à jouer. Sans sa femme, La Trémoille n'irait sans doute pas à Chinon.

Tout en parlant, il ôtait la cagoule d'Aycelin qu'il avait empruntée et se dirigeait vers Catherine, un large sourire aux lèvres.

– Vous avez bien travaillé, dame Catherine. A nous maintenant de vous sortir de là.

– Qu'avez-vous fait du vrai Aycelin ?

– Il doit cuver, à l'heure qu'il est, le vin drogué qu'il a bu, en assez grande quantité pour se donner le courage de vous torturer.

– Mais... les autres bourreaux ? Qui sont-ils ?

– Vous allez voir.

En effet, les deux tourmenteurs revenaient et d'un même mouvement ôtaient leur cagoule. Catherine, subitement très rouge, reconnut Pierre de Brézé, mais l'autre, un homme brun, solide et de visage intelligent, lui était inconnu. Le jeune seigneur vint, comme si ce fût l'heure et le lieu les plus naturels du monde, s'agenouiller aux pieds de Catherine et baisa sa main.

– Si je n'avais pu vous sauver, je serais mort, Catherine...

D'un mouvement spontané, elle lui tendit ses deux mains dans lesquelles il enferma son visage dans un geste passionné.

– Que de mercis je vous dois, Pierre... Dire que tout à l'heure je désespérais de Dieu et des hommes.

– Je savais que vous vous tueriez avec la dague avant la torture, fit Tristan qui s'occupait à dépouiller les hommes d'armes de leur uniforme. Je vous surveillais et j'avais peur que vous ne tentiez trop tôt le geste mortel. Il fallait le temps d'éloigner les éventuels gêneurs.

Sara avait sangloté de joie en retrouvant Catherine, mais elle se calmait et retrouvait ses esprits. Elle essuya ses yeux à un pan de sa robe et demanda :

– Nous ne sommes pas encore sorties ? Que faisons-nous ?

– Vous et Catherine, ainsi que Tristan, allez revêtir les uniformes des soldats. Moi et Jean Armenga, que je vous présente en ajoutant qu'il est l'écuyer d'Ambroise de Loré, nous allons reprendre nos costumes habituels, dit Brézé. Ensuite, nous sortirons dans la cour.

Près de l'entrée, des chevaux sont sellés. Nous les prendrons et je me mettrai à la tête de la troupe pour sortir du château. J'ai un sauf-conduit...

– Qui vous l'a donné ? La Trémoille ? demanda Catherine souriant.

– Non. La reine Marie. Elle est des nôtres... et beaucoup moins endormie qu'on ne le croit. Je vous emmène jusqu'à la limite du territoire d'Amboise, puis nous rentrerons au château, Armenga et moi, pendant que vous continuerez votre route. La dame s'était assuré la tranquillité pour son divertissement, mais il faut faire vite. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Je dois vous demander de vous déshabiller, Catherine, et vous aussi, bonne dame.

Déjà Catherine délaçait sa robe, secouant Sara qui grognait à la pensée de s'habiller encore en homme, chose qu'elle détestait entre toutes.

D'un coffre, les trois hommes tiraient les vêtements que Brézé et son écuyer y avaient cachés tandis que Catherine et Sara se dissimulaient dans l'ombre pour changer de costume. Ce fut vite fait. Mais elles se contentèrent des justaucorps de cuir, laissant les lourdes cottes de mailles. Les tabards aux armes royales suffiraient pour créer l'illusion.

Les chapeaux de fer, les camails et les épais souliers, beaucoup trop grands, étaient suffisamment encombrants...

En les voyant reparaître ainsi accoutrées, Pierre de Brézé ne put s'empêcher de rire.

– Heureusement qu'il fait nuit... et, que d'autres vêtements vous attendent à deux lieues d'ici. Vous n'iriez pas loin sans attirer l'attention.

– Nous ferons de notre mieux, fit Sara. Ce n'est pas si facile.

Pierre, cependant, s'approchait de Catherine et prenait une de ses mains dans les siennes. Une émotion profonde passa dans son regard clair.

– Dire qu'il me faudra vous quitter tout à l'heure, Catherine ! Je voudrais tellement veiller sur vous moi– même !... Mais je dois rester au château. On s'étonnerait de mon absence...

– Nous nous retrouverons, Pierre... à Chinon !

– Vous ne vous retrouverez jamais si vous ne faites pas plus vite, protesta Tristan. Allons-y maintenant... Passez devant, messire.

Pierre de Brézé et l'écuyer prirent la tête de la petite troupe. On monta prudemment l'escalier glissant qui menait à la salle des gardes.

Catherine, malgré le poids des vêtements qui l'écrasait, croyait entendre son cœur chanter. Jamais elle ne s'était sentie aussi légère, aussi heureuse. Après avoir vu la mort de si près, elle allait vivre !...

Existait-il sensation plus merveilleuse, plus grisante ?... Ses souliers trop grands glissaient sur les marches humides et usées. Elle buta, se fit mal, mais n'y fit même pas attention... Elle ne lui venait pas à l'idée qu'elle pût avoir à se servir de cette longue et lourde pique qu'elle traînait avec elle. Il lui semblait qu'elle n'avait rien d'autre à faire que suivre Pierre de Brézé. L'épée à la main, il ouvrait la marche. Il y avait, en effet, dans la salle des gardes, deux soldats à neutraliser...

Ce fut vite fait et en silence. Bâillonnés, ligotés, les soldats furent déposés sur le sol.

– Dehors, maintenant, dit Pierre. Et, cette fois, pas trop de bruit.

Dans la cour, seuls de rares pots à feu brillaient qui ne servaient guère qu'à rendre la nuit plus noire. Mais, à peine hors de la tour, Catherine leva les yeux vers le ciel avec un profond sentiment de gratitude. Il avait l'air d'un velours sombre rayé par la traînée pâle de la Voie lactée. Jamais l'air ne lui avait paru plus doux, plus délicieux...


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