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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Des ladres, fit Mac Laren avec dégoût.

Non, rectifia Frère Étienne, tout sauf des ladres... Il y a là des galeux, des érysipélateux, des Ardents victimes des racines pourries, des farines avariées qu'ils ont mangées par misère et qui les font brûler et charbonner tout vivants Voilà les lépreux !

En effet, d'une grossière enceinte entourant quelques cabanes dressées fort à l'écart du village, une autre procession sortait : des hommes vêtus uniformément d'une tunique grise frappée d'un cœur écarlate, un camail rouge enserrant le" visage sous un large chapeau qui l'ombrageait. Tous agitaient une crécelle, qui résonnait lugubrement dans l'air pur de ces hauteurs, en s'avançant vers le village. Et voilà que, devant eux, même l'abominable foule des malades s'écartait avec horreur. Ces déchets humains se mettaient à courir comme ils pouvaient vers le monastère ou bien se tassaient contre les maisons pour se garder du contact impur, eux qui n'étaient qu'impureté. Catherine, les yeux brouillés de larmes, regardait de toute son âme. Cette vue réveillait sa douleur, lui restituait l'acuité affolante des premiers jours. Ces misérables, c'était désormais le monde de l'homme qu'elle ne pouvait cesser d'aimer, qu'elle adorerait tant qu'il lui resterait un souffle de vie.

Sara, inquiète, suivait sur le visage de la jeune femme la trace de la douleur qui montait. Les larmes roulaient maintenant, pressées, sur les joues pâles, soudant sans arrêt des larges yeux sombres. Elle vit que ceux-ci venaient de se fixer sur un grand religieux, drapé dans un froc brun, avec une insistance suspecte. Et brusquement, la zingara comprit pourquoi. C'était le moine gardien de la léproserie de Calves.

Sans doute avait-il amené ici quelques malades pour tenter d'obtenir de saint Méen leur guérison.

Mais le cheminement de la pensée de Sara fut interrompu brutalement par ce qu'elle attendait inconsciemment depuis un instant

: le cri angoissé, désespéré de Catherine

– Arnaud !

1. Le mal des Ardents, dû à l'ergot de seigle, noircissait les membres qui finissaient par tomber.

Les lépreux avaient contourné l'éminence sur laquelle se tenaient les cavaliers et s'éloignaient, mais l'homme qui marchait auprès du moine brun, cet homme grand et mince dont les larges épaules portaient la livrée de misère avec tant d'élégance naturelle, c'était, ce ne pouvait être qu'Arnaud de Montsalvy.

L'amour de Catherine plus que son regard l'avait reconnu. Déjà, avant que Mac Laren pétrifié eût seulement songé à la retenir, elle avait glissé à terre et, relevant à deux mains sa longue jupe, s'était mise à courir dans la neige. D'un même mouvement, né de leur tendresse commune, Sara, Gauthier et Frère Étienne avaient fait de même. Les longues jambes du Normand lui eurent bientôt permis de devancer les autres. Mais, portée par sa passion, Catherine courait si vite qu'il ne parvenait pas à la rejoindre. Ni la neige, ni le chemin inégal ne pouvaient la ralentir. Elle volait littéralement, le voile noir claquant derrière elle comme un étendard au combat. Une seule pensée, folle, exaltante, elle allait « le » revoir, lui parler. Un bonheur immense avait envahi son âme comme un torrent qui brise ses digues.

Ses yeux, secs maintenant et scintillants, étaient rivés à cet homme qui marchait auprès du moine...

Cette joie que Gauthier devinait en Catherine l'épouvantait car elle ne pouvait durer. Qu'allait-elle trouver quand l'homme se tournerait vers elle ? Depuis des mois qu'il était en léproserie, Arnaud de Montsalvy n'avait-il pas changé ? N'était-ce pas un visage déjà rongé que la jeune femme allait contempler ? Il força sa course, cria :

– Dame Catherine... par grâce, attendez ! Attendez– moi !

Sa voix puissante porta si loin qu'elle dépassa Catherine, atteignit le cortège des lépreux. Le moine se retourna et son compagnon avec lui.

C'était bien Arnaud ! La joie gonfla d'espérance la poitrine de Catherine qui commençait à perdre haleine. Si un miracle allait avoir lieu ? S'ils allaient, de nouveau, être réunis... Dieu avait-il eu, enfin, pitié d'elle ? Avait-il exaucé les prières éperdues de ses nuits sans sommeil ? Elle pouvait maintenant distinguer le cher visage, étroitement encastré dans le camail rouge, mais toujours aussi beau, toujours aussi fier. Le mal terrible ne l'avait pas encore défiguré.

Encore un petit effort, encore un court instant et elle allait l'atteindre.

Les bras tendus, elle s'obligea à courir toujours plus vite, sourde, aux cris de Gauthier qui continuait de l'appeler.

Mais Arnaud, lui aussi, l'avait reconnue. Catherine le vit pâlir, l'entendit crier : « Non ! Non ! » en la repoussant à l'avance d'un geste de ses deux mains gantées.

Il murmura quelque chose à l'adresse du religieux et celui-ci se jeta au-devant de la jeune femme, les bras en croix, barrant le passage.

Elle se lança contre lui, en aveugle, se heurta durement à un torse épais vêtu de bure brune, s'accrocha aux bras étendus comme la Madeleine à la Croix.

– Laissez-moi passer ! gémit-elle les dents serrées. Laissez-moi passer... C'est mon époux... je veux le voir !

– Non, ma fille, n'approchez pas ! Vous n'en avez pas le droit... et il ne le désire pas.

– Vous mentez ! hurla. Catherine hors d'elle. Arnaud ! Arnaud !

Dis-lui qu'il me laisse passer !

A quelques pas, Arnaud était debout, figé. Mais son visage, convulsé de douleur, était le masque même de la souffrance. Pourtant, sa voix ne trembla pas :

– Non, Catherine, non, mon amour... Va-t'en ! Tu ne dois pas approcher. Songe à notre fils.

– Je t'aime, gémit Catherine désespérée. Je ne peux pas ne plus t'aimer. Laisse-moi approcher !

– Non ! Dieu m'est témoin que, moi aussi, je t'aime et que je voudrais m'arracher cet amour du cœur parce qu'il m'étouffe. Mais il faut t'éloigner !

– Saint Méen peut faire un miracle !

– Je n'y crois pas !

– Mon fils, reprocha le moine qui maintenait toujours Catherine, vous blasphémez.

Non. Si j'ai accepté de venir ici, c'est davantage pour mes compagnons que pour moi. Qui donc se sou vient d'une guérison miraculeuse en ce lieu ? Il n'y a pas d'espoir !

Il se détournait et, le pas soudain alourdi, se dirigeait vers ses compagnons de misère qui, là-bas, s'éloignaient en chantant un cantique, inconscients du drame qui se jouait. Catherine éclata en sanglots.

– Arnaud ! hoqueta-t-elle, Arnaud... Je t'en supplie... Attends-moi... Écoute-moi !

Mais il ne voulait pas entendre. Appuyé sur son long bâton de route, il poursuivait son chemin sans se retourner. Gauthier, cependant, avait rejoint Catherine, la détachait doucement du moine, l'appuyait, secouée de sanglots désespérés, sur sa propre poitrine.

– Partez, mon frère, partez vite !... Et dites à messire Arnaud qu'il ne soit pas en peine...

Le moine, à son tour, s'éloigna tandis que Sara et Frère Étienne, hors d'haleine, rejoignaient leurs amis. Derrière eux, les Écossais arrivaient eux aussi au trot. Un dernier réflexe arracha Catherine à l'étreinte de Gauthier, mais les larmes l'aveuglaient tellement qu'elle n'aperçut plus qu'une ligne grise et rouge oscillant encore dans la neige. Le Normand n'eut aucune peine à la ramener contre lui.

La voix froide de Ian Mac Laren tomba sur eux, du haut du cheval de l'Écossais.

– Passez-la-moi et partons ! Cette scène a suffisamment duré.

Mais, avec un haussement d'épaules, Gauthier souleva Catherine et la déposa sur son propre cheval qu'un des soldats tenait en bride.

– Que cela vous plaise ou non, et même si cette bête doit en crever, c'est moi qui me chargerai de Dame Catherine ! Vous ne me semblez guère comprendre grand-chose à une douleur comme la sienne. Avec vous, elle est en exil.

Mac Laren porta la main à la poignée de son épée, la tira à demi et gronda

– Manant, j'ai bonne envie de te faire rentrer tes insolences dans la gorge !

– À votre place, messire, je ne m'y essaierais pas, répliqua le Normand avec un sourire menaçant.

En même temps, sa main à lui s'en allait se poser comme par hasard sur la hache de sa ceinture. Mac Laren n'insista pas et fit volter son cheval.

L'auberge où l'on s'arrêta le soir, nichée dans une courbe de la Dordogne, Catherine n'en vit rien. Elle avait tant pleuré qu'une sorte d'insensibilité lui était venue. Ses yeux rouges, gonflés, ne s'ouvraient plus qu'avec peine et sur des choses trop brouillées pour ramener son attention. D'ailleurs, rien ne l'intéressait plus. Elle avait mal comme elle n'avait jamais eu mal, même le jour abominable où Arnaud avait été retranché des vivants. L'espoir un instant revenu, cette rencontre fortuite lui avait semblé un signe du destin, une réponse du Seigneur à ses incessantes interrogations. Tous ces mois de souffrance avaient été abolis d'un seul coup et la blessure d'amour, qui peut-être se refermait un peu, s'était rouverte et saignait plus que jamais.

Toute la journée, blottie contre la poitrine de Gauthier comme un enfant malade, elle s'était laissé cahoter par le trot dur du cheval sans même ouvrir les yeux. Puis on l'avait transportée par un escalier branlant jusqu'à cette chambre d'auberge. Une chambre ? A peine ! Un réduit où l'on avait installé un brasero et où un étroit lit de bois tenait presque tout l'espace. Mais qu'importait à Catherine ! Sara l'avait couchée comme elle aurait couché Michel et elle s'était pelotonnée en boule au creux de la paillasse, dans les draps si usés qu'ils en étaient devenus transparents. Se faire la plus petite possible, se fondre dans cet univers hostile et misérable, disparaître...

Le sursaut d'énergie qui l'avait arrachée à sa vie végétative de Carlat s'évanouissait. Elle en avait assez de lutter, de vivre... Michel lui-même n'avait pas tellement besoin d'elle. Il avait sa grand-mère et Frère Étienne saurait plaider auprès du Roi la cause des Montsalvy avec l'aide de la reine Yolande. Ce que Catherine voulait, désespérément, c'était retrouver Arnaud ! Elle ne pouvait plus endurer ce vide affreux qu'il avait laissé dans son cœur, dans sa vie, cette déchirure qui, aujourd'hui, s'était agrandie encore.

Elle souleva péniblement ses paupières. La chambre était presque obscure et silencieuse comme un tombeau. Catherine avait supplié Sara de la laisser seule. Elle était comme une écorchée vive qui ne peut supporter le moindre effleurement. Mais, dans l'ombre rouge des charbons presque éteints, elle distingua le tas que formaient ses vêtements. La dague d'Arnaud était posée dessus. Catherine fit un effort pour se lever, pour tendre la main vers l'arme. Il suffisait d'un geste et tout serait fini : la douleur, le désespoir, les regrets infinis. Un geste, un simple geste...

Mais les larmes incessantes qu'elle avait versées, la violence du choc subi par ses nerfs l'avaient menée aux limites de l'épuisement.

Elle retomba lourdement sur sa couche, secouée de frissons... Au-dessous d'elle, des bruits s'élevaient. Le vacarme d'une salle d'auberge à l'heure du souper. Les hommes d'armes devaient se mettre à table.

Mais" ces manifestations de la vie étaient aussi étrangères à Catherine que si elle eût été murée au cœur de la plus épaisse montagne. Elle referma les yeux, poussa un soupir douloureux...

Les raclements de pieds et les éclats de voix du dessous l'empêchèrent d'entendre la porte s'ouvrir doucement, doucement. Elle ne vit pas une longue silhouette se glisser vers le lit, mais frissonna quand une main se posa sur son épaule tandis que le bois du lit gémissait sous la pression d'un genou. Entrouvrant les yeux, elle vit qu'un homme se penchait sur elle et que cet homme n'était autre que Ian Mac Laren. Mais elle n'en fut pas autrement surprise. Au fond, dans l'état d'anéantissement où elle se trouvait, plus rien ne pouvait la surprendre, plus rien ne pouvait l'atteindre.

– Vous ne dormez pas, n'est-ce pas ? demanda l'Écossais. Vous êtes en train de souffrir, de vous torturer stupidement...

Il y avait, dans la voix du jeune homme, une colère latente.

Catherine perçut son exaspération, mais ne chercha même pas à l'expliquer.

– Qu'est-ce que cela peut bien vous faire ? fit-elle.

– Ce que cela me fait ? Voilà des mois et des mois que je vous regarde vivre. Oh ! de fort loin ! Avez-vous jamais porté la moindre attention à l'un d'entre nous, hormis peut-être à notre chef Kennedy parce que vous aviez besoin de lui ? Nous savons tous que vous avez souffert, mais, dans nos pays du Nord, on ne s'attarde pas aux regrets stériles. La vie est trop rude, chez nous, pour qu'on la gaspille en larmes et en soupirs.

– À quoi bon tout cela ? Dites ce que vous avez à dire, mais dites-le clairement. Je suis si lasse...

– Lasse ? Qui ne l'est en ces temps où nous vivons ? Pourquoi donc le seriez-vous plus que n'importe quelle autre femme ? Pensez-vous être la seule à souffrir sur cette terre ou bien est-ce vraiment tout ce que vous êtes capable de faire : vous terrer dans un coin comme une bête apeurée et pleurer, pleurer jusqu'à l'abrutissement, jusqu'à ce que vous oubliiez qui vous êtes et jusqu'au fait que vous êtes un être vivant ?

Cette voix dure, méprisante et cependant chaleureuse, perçait la brume douloureuse mais protectrice dont Catherine s'enveloppait. Elle ne pouvait ignorer ce qu'il disait parce qu'au fond d'elle-même elle sentait obscurément qu'il avait raison.

– Chez nous aussi des hommes meurent, vite ou lentement, des femmes souffrent dans leur cœur et dans leur chair, mais aucune n'a le temps de s'appesantir sur elle-même. Le pays est trop rude, la vie, la simple vie est un combat trop quotidien pour s'offrir le luxe des larmes et des soupirs.

Une brusque révolte galvanisa Catherine. Elle se retrouva assise, retenant contre sa poitrine draps et couvertures.

Et alors ? Où voulez-vous en venir à la fin ? Pour quoi venez-vous me tourmenter ? Ne pouvez-vous me laisser en paix ?

Le visage aigu de Mac Laren eut son bref sourire narquois.

– Enfin, vous réagissez ! C'est là que je voulais en venir... et aussi à autre chose.

– Quoi donc ?

– Ceci...

Avant qu'elle ait pu prévoir son geste, il l'avait enveloppée de ses bras. Elle se retrouva totalement immobilisée tandis qu'une main glissait doucement dans ses cheveux, tirait sa tête en arrière. Quand Ian se mit à l'embrasser, elle eut un sursaut instinctif, voulut le repousser. Vaine tentative : il la tenait bien. Et puis, elle n'avait plus aucune force. Enfin, malgré elle, une sensation sournoise de plaisir se glissait en elle, identique à celle déjà éprouvée quand il l'avait soignée. Les lèvres du jeune homme étaient douces, chaudes et l'étreinte de ses bras avait quelque chose de rassurant. Catherine cessa soudain de penser pour s'abandonner à l'instinct féminin, vieux comme le monde, qui lui faisait trouver agréable le contact de ce garçon. Certains boivent pour oublier, mais les caresses d'un homme, l'amour d'un homme pouvaient dispenser une ivresse autrement puissante et c'était cette expérience que Catherine était en train de faire...

En la recouchant sur les coussins usés, il releva la tête un instant, dardant sur la jeune femme un regard qui brûlait de passion et d'orgueil.

– Laisse-moi t'aimer, je saurai te faire oublier jusqu'à tes larmes.

Je te donnerai tant d'amour que...

Il n'acheva pas. Cette fois, c'était Catherine qui, prise d'une soudaine frénésie, avait collé ses lèvres à celles du jeune homme et l'attirait à elle. Il était devenu d'un seul coup l'unique réalité de son univers en pleine convulsion, une chaude réalité à laquelle elle voulait s'accrocher de toutes ses forces. Tous deux roulèrent, enchevêtrés, au creux du vieux matelas usé, oubliant le décor misérable, attentifs seulement à l'approche du plaisir. Les nerfs brisés de Catherine lui faisaient désirer un anéantissement total, absolu, un asservissement à une volonté plus forte. Elle ferma les yeux avec un petit gémissement.

Ce qui suivit la replongea brutalement dans le monde cauchemardesque, démentiel dont Mac Laren, un instant, l'avait arrachée. Il y eut ce cri terrible, énorme, qui parut à Catherine éclater dans sa propre tête, puis la convulsion de tout le corps qui étreignait le sien, les yeux exorbités de l'Écossais et le sang qui jaillit de sa bouche. Avec une exclamation d'horreur, la jeune femme se rejeta de côté, entraînant avec elle la couverture dont, instinctivement, elle s'enveloppa. Alors seulement elle vit que Gauthier était debout près du lit et qu'il la regardait avec les yeux d'un fou. Ses mains pendaient le long de son corps, inertes. Sa hache était plantée entre les deux épaules de Mac Laren.

Un moment, Catherine et le Normand se dévisagèrent en silence, comme s'ils se voyaient pour la première fois. Une terreur folle paralysait totalement la jeune femme. Elle n'avait jamais vu à Gauthier ce masque de violence et d'implacable cruauté. Il était hors de lui et, voyant se lever lentement les énormes poings du géant elle crut qu'il allait la tuer, mais ne fit aucun geste parce qu'elle en était absolument incapable. Son esprit travaillait mais ses membres, de pierre comme tout son corps, lui refusaient tout service. Pour la première fois de sa vie, Catherine vivait au naturel cette effrayante expression que l'on éprouve dans les cauchemars lorsque, poursuivi par un danger pressant, on essaie en vain de fuir sans pouvoir arracher ses pieds du sol, on tente de crier sans que la voix franchisse le seuil des lèvres... Mais les mains de Gauthier retombèrent, sans forces, le long de son corps et le sortilège qui tenait Catherine prisonnière se dissipa. Elle détourna même les yeux, les posa sur le cadavre de Mac Laren avec une crainte qui se nuançait d'étonnement. Comme c'était rapide et facile, la mort ! Le temps d'un cri et il n'y avait plus d'esprit, plus de passion, plus rien que la matière inerte. Cet homme, dans les bras duquel, l'instant précédent, elle défaillait, voilà qu'il avait soudain disparu ! Il avait dit : « Je te ferai oublier », mais il n'avait même pas eu le temps de la soumettre à sa volonté ! Elle avala péniblement sa salive puis demanda d'une voix blanche :

– Pourquoi as-tu fait ça ?

– Vous osez le demander ? riposta-t-il brutalement. Est-ce là tout ce qui reste de votre amour pour messire Arnaud ? Vous faut-il un amant le soir même du jour où vous l'avez revu ? Je vous mettais si haut dans mon esprit ! Plus qu'une femme en vérité ! Et, tout à l'heure, je vous ai vue, je vous ai entendue ronronner comme une chatte en folie.

Une brusque bouffée de colère balaya ce qui restait de peur en Catherine. Cet homme avait tué et s'arrogeait, en plus, le droit de se dresser devant elle comme juge.

– Comment oses-tu te mêler de ma vie privée ? T'ai-je jamais donné le droit de t'immiscer dans mes affaires ?

Il fit un pas vers elle, les poings serrés, l'œil mauvais, la bouche amère.

– Vous vous êtes remise à moi, confiée à moi et, par Odin, j'aurais donné tout mon sang et jusqu'à mon dernier souffle pour vous.

J'ai fait taire l'amour, le désir insensé que vous m'inspiriez parce que la passion qui vous unissait à votre époux me semblait une chose trop belle, trop pure. Les autres n'avaient pas le droit d'y toucher, pas le droit d'intervenir. Tout devait être sacrifié à la protection d'un amour comme celui-là...

– Et que m'en reste-t-il ? cria Catherine soudain hors d'elle. Je suis seule, seule à jamais, je n'ai plus d'amour, plus de mari... Tout à l'heure encore, il m'a repoussée.

Alors qu'il crevait d'envie de vous tendre les bras ! Seulement il vous aime, lui, assez pour refuser de vous voir pourrir toute vivante comme il le fait. Vous, dans votre pauvre petite tête de femme, vous n'avez vu que le geste : il vous a repoussée ! Alors qu'avez-vous fait ? Vous vous êtes jetée dans les bras du premier venu et pour une seule raison

: le printemps va venir où les bêtes sont en chaleur et vous êtes comme elles. Mais s'il vous fallait un homme, rien qu'un homme, pourquoi avez-vous choisi cet étranger aux yeux glacés, pourquoi pas moi ?

Sous le poing du Normand qui la martelait, sa poitrine résonnait comme un tambour et sa voix grondait pareille aux roulements du tonnerre. Catherine était maintenant dégrisée et, son sang-froid revenu, il lui fallait bien s'avouer qu'elle ne comprenait pas ce qui, tout à l'heure, l'avait jetée dans les bras de l'Écossais. Tout au fond d'elle-même, elle donnait raison à Gauthier. Elle avait honte comme jamais encore elle n'avait eu honte, mais elle ne comprenait que trop clairement la lueur trouble qui s'était allumée dans les yeux gris du Normand. Dans un instant, sans souci de l'homme qu'il venait de tuer, il allait se jeter sur elle. Après ce qu'il avait vu, rien ne le retiendrait plus. Dans son « pourquoi pas moi ?» il y avait un monde de colère, de rancune, d'amour frustré et de mépris. Catherine n'était plus sacrée pour lui. Elle n'était plus qu'une femme trop longtemps convoitée.

Réprimant le tremblement convulsif qui s'emparait d'elle, la jeune femme planta son regard violet dans celui du géant.

– Va-t'en, dit-elle froidement. Je te chasse !

Gauthier eut un éclat de rire féroce qui découvrit ses fortes dents blanches.

– Vous me chassez ? Peut-être ! C'est votre droit, après tout !

Mais auparavant...

Catherine recula jusqu'au mur pour mieux résister à l'assaut qui allait venir, mais, à cet instant précis, la porte s'ouvrit, livrant passage à Sara. D'un rapide coup d'œil, elle embrassa toute la scène, vit Catherine plaquée contre la muraille, Gauthier prêt à bondir et, entre eux, le cadavre sanglant de Mac Laren, barrant le lit d'une tragique croix humaine.

– Miséricorde ! fit-elle. Que s'est-il passé ici ?

– Fuis, supplia-t-elle. Je t'en conjure, fuis ! Sauve– toi avant qu'ils ne découvrent le cadavre.

Il laissa retomber ses mains, découvrant une figure ravagée, des yeux mornes.

– Qu'est-ce que cela peut me faire s'ils découvrent que je l'ai tué ?

Ils me tueront à leur tour ? Et après ?

– Je ne veux pas que tu meures ! s'insurgea Catherine avec passion.

– Vous m'avez chassé... La mort vous délivrera de moi bien plus sûrement !

– Je ne savais pas ce que je disais. J'étais folle ! Tu m'avais insultée, blessée au plus vif... mais tu avais raison. Tu vois, c'est moi qui te demande pardon.

– Que d'histoires ! grogna Sara dans son coin. Écoutez plutôt le vacarme qu'ils font, en bas !

En effet, les Écossais réclamaient maintenant leur chef à tous les échos, tapant sur le bois des tables avec les cuillères et les écuelles. Il y eut le vacarme d'un banc que l'on renversait puis, soudain, des pas dans l'escalier, des voix qui se rapprochaient. Terrifiée, Catherine secoua Gauthier.

– Par pitié pour moi, si jamais je t'ai inspiré un peu de tendresse, fuis, sauve-toi !

– Où irais-je ? Là où je ne pourrais plus jamais vous voir ?

– Retourne à Montsalvy auprès de Michel et attends que je revienne. Mais vite, vite... Je les entends !

Déjà Sara ouvrait l'étroite fenêtre qui, heureusement, donnait sur le toit de l'appentis. Le vent d'hiver s'engouffra dans la petite pièce, aigre, coupant, et Catherine resserra frileusement les couvertures autour de son corps frissonnant. Les pas se rapprochaient. Les hommes, avaient dû boire, déjà...

– Je vais leur parler, dit Sara, gagner du temps. Mais il faut qu'il se sauve vite... Les chevaux sont dans la grange. Si nous pouvons lui faire gagner une heure ou deux, il n'aura plus rien à craindre.

Dépêchez-vous, moi je vais les faire redescendre...

Elle se coula prestement par la porte entrebâillée. Il était temps. La lumière d'une chandelle brilla un court instant et la voix d'un des hommes éclata, toute proche, juste derrière la porte.

– Qu'est-ce que ce vacarme ? gronda Sara. Vous ne savez pas que Dame Catherine est affreusement lasse ? Elle a eu tant de peine à s'endormir et voilà que vous venez hurler à sa porte ! Que voulez-vous

?

– Excusez ! fit la voix penaude de l'Écossais. Mais nous cherchons le capitaine.

– Et c'est ici que vous le cherchez ? Singulière idée.

– C'est que... – l'homme s'interrompit brusquement puis éclata d'un gros rire et ajouta : Il nous avait dit qu'il voulait faire une petite visite à la gracieuse dame... histoire de voir comment elle allait !

– Eh bien, il n'est pas là ! cherchez ailleurs... Moi je l'ai vu sortir tout à l'heure. Il allait vers la bergerie qui est derrière... et je crois bien qu'il poursuivait une fille.

Catherine, le cœur battant, écoutait de toute son âme. Sa main se crispait sur celle de Gauthier. Elle le sentait trembler. Pourtant elle savait bien que ce n'était pas de peur. Là, derrière la porte, les hommes s'esclaffaient, mais les voix s'éloignaient déjà, accompagnées par celle de Sara. Sans doute la bohémienne allait-elle descendre avec eux pour s'assurer qu'ils chercheraient bien dans la direction qu'elle leur avait indiquée et ne risqueraient pas de voir Gauthier sortir par la fenêtre.

– Ils sont partis ! souffla enfin Catherine. Fuis, maintenant...

Cette fois il obéit, se dirigea vers la fenêtre, y glissa une jambe, mais, avant d'engager son torse, se retourna.

– Je vous reverrai ? Vous le jurez ?

– Si nous vivons assez pour cela, je le jure ! Vite...

– Et... vous me pardonnerez ?

– Si, dans une seconde, tu n'as pas disparu, je ne te pardonnerai de ma vie !

Un bref sourire fit briller ses dents puis, avec une souplesse de chat, surprenante chez un homme de cette taille, il se glissa au-dehors.

Catherine le vit dévaler le toit de l'appentis, sauter à terre. Il avait disparu de sa vue, mais, quelques instants plus tard, elle distingua vaguement la double silhouette d'un cheval et de son cavalier lancés au galop. La neige, heureusement, étouffait le claquement rapide des sabots. Catherine respira puis se hâta de refermer la fenêtre. Elle grelottait et se mit à tisonner le feu pour le ranimer. Sa lassitude, son accablement de tout à l'heure l'avaient quittée et, si elle évitait de regarder le grand corps immobile en travers de son lit, du moins son voisinage ne l'emplissait plus de terreur. Elle se sentait l'esprit extraordinairement clair et réfléchissait posément à ce qu'il convenait de faire. Tout d'abord, sortir le cadavre de cette chambre. Il ne fallait pas qu'il restât là. Avec l'aide de Sara, elle le ferait passer, lui aussi, par la fenêtre et l'abandonnerait à proximité de l'auberge, au bord de l'eau par exemple. Les Écossais ne le trouveraient ainsi qu'au matin et cela assurerait à Gauthier une nuit d'avance. Car elle n'avait guère d'illusion sur ce qui allait suivre ; les Ecossais se lanceraient sur les traces de l'assassin de leur chef... et le coup de hache signait le meurtrier. Les hommes des Hautes Terres ne se tromperaient pas sur l'identité de celui qui avait frappé.

Quand Sara revint, elle trouva Catherine tout habillée, assise près du brasero. La jeune femme leva la tête vers elle.

– Alors ?

– Ils sont persuadés que Mac Laren conte fleurette à une fille d'auberge dans la bergerie. Ils se sont mis à table. Et nous, que faisons-nous ?

Catherine lui expliqua son plan hâtif. Ce fut à Sara d'ouvrir de grands yeux.

– Tu veux faire passer ce grand corps par la fenêtre ? Mais nous n'y arriverons jamais... ou alors nous allons nous rompre le cou.

– Il suffit de vouloir. D'ailleurs, va chercher Frère Étienne. Il faut qu'il soit averti. Nous aurons besoin de lui.

Sara ne discuta pas. Quand Catherine employait un certain ton, c'était du temps perdu et elle le savait. Elle ressortit, revint au bout de quelques instants avec le cordelier qu'elle avait mis au courant en quelques mots. Frère Etienne en avait trop vu, dans sa vie d'aventures, pour s'étonner encore et il savait, en certains cas, se montrer remarquablement efficace. Il approuva entièrement le plan de Catherine et se mit aussitôt en devoir de l'aider à l'exécuter.

– Le temps d'une prière, fit-il, et je suis à vous.

Rapidement, il marmotta une oraison, à genoux

auprès du corps sans vie, traça au-dessus une hâtive bénédiction puis retrousser ses manches.

– Le mieux est que je sorte sur le toit, dit-il. Vous me passerez le corps et je me chargerai de le descendre.

– Mais il est grand et lourd malgré sa maigreur, objecta Catherine.

– J'ai plus de forces que vous ne le supposez, ma fille. Assez parlé, à l'ouvrage !

Il aida Catherine et Sara à porter le cadavre près de la fenêtre, se glissa au-dehors. Le froid semblait plus vif, mais la nuit était calme.

Dans la salle du bas, les Écossais, sans doute convenablement repus et abreuvés, devaient dormir car on n'entendait plus guère de bruit. Le corps du malheureux Mac Laren était déjà rigide et d'un maniement difficile. Catherine et Sara durent unir leurs efforts pour le hisser jusqu'à la fenêtre. Malgré le froid, toutes deux ruisselaient de sueur et serraient les dents sur leur angoisse. Si quelqu'un les surprenait, Dieu seul savait ce qui pourrait leur arriver ! Sans doute, dans leur fureur, les Ecossais les pendraient-ils au premier arbre venu sans autre forme de procès... Mais non, personne ne se montra, aucun bruit ne se fit entendre. Sur le toit de l'auvent, Frère Étienne empoigna fermement le cadavre, le fit glisser jusqu'au rebord.

– Que l'une de vous deux vienne jusqu'ici pour le retenir pendant que je descendrai, souffla-t-il.

Sans hésiter, Catherine franchit à son tour la fenêtre, descendit précautionneusement jusqu'au moine. Le toit de lauzes, rendu glissant par la neige, était d'un parcours malaisé, mais la jeune femme parvint sans encombre au bord de la pente et maintint le corps tandis que Frère Étienne, avec une souplesse inattendue, se laissait glisser à terre.

– J'y suis ! laissez-le aller maintenant, doucement..., tout doucement ! là, je le tiens ! Regagnez votre chambre, je suffirai pour le reste.

– Comment rentrerez-vous ?

– Par la porte, tout simplement. L'habit que je porte permet d'aller et venir comme on veut sans éveiller de soupçons. Ce n'est pas la première fois que j'en fais l'expérience. Il y a même des moments où je me demande si ce n'est pas uniquement pour cela que je suis entré au couvent.

Catherine devina son sourire mais n'y répondit pas. Maintenant que le corps avait disparu de sa vue, elle éprouvait le contrecoup de la tension nerveuse qu'elle venait de subir. Un instant, elle demeura là, au bord du toit, fermant les yeux pour lutter contre un brusque vertige, cherchant à retrouver un équilibre qui la fuyait. Le ciel et la terre s'étaient mis à danser autour d'elle une ronde échevelée...


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