355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Catherine des grands chemins » Текст книги (страница 20)
Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 20 (всего у книги 29 страниц)

Pierre avait disparu... Lentement, Catherine repoussa la fenêtre et le volet, alluma la chandelle, reprit le bouquet posé un instant sur la table et le respira lentement, les yeux fermés, se laissant griser par le parfum des roses. La voix chaude qui avait vibré, tout à l'heure, dans la nuit, résonnait encore à son oreille...

Elle cherchait encore à en retrouver l'écho, le visage enfoui dans les fleurs quand, soudain...

– Étonnante cette auberge, fit la voix railleuse de Sara qui dormait et que la lumière avait dû réveiller. Je n'avais pas remarqué qu'il poussait des roses après les murs.

Arrachée brutalement de son rêve, Catherine lui dédia un regard courroucé, mais, au bout d'un instant, se mit à rire. Assise droite dans le lit, ses épaisses nattes grisonnantes tombant bien raides sur ses épaules, Sara avait une immense dignité démentie par la flamme moqueuse qui brillait dans ses yeux.

– Elles sont belles, non ? fit la jeune femme.

– Très belles. Je gage qu'elles viennent tout droit du château et qu'un certain seigneur les a apportées jusqu'ici.

– Ne gage pas. C'est vrai... C'est lui qui me les a lancées.

Le léger sourire s'effaça des lèvres de Sara. Elle hocha la tête avec un rien de tristesse.

– Tu en es déjà à l'appeler Lui ?

Catherine devint très rouge et se détourna pour cacher son trouble tout en commençant à se dévêtir. Elle ne répondit pas, mais, apparemment, Sara tenait à obtenir une réponse.

– Dis-moi la vérité, Catherine. Qu'éprouves-tu au juste pour ce beau chevalier blond ?

– Que veux-tu que je te dise ? répondit la jeune femme avec agacement. Il est jeune, il est beau comme tu le dis si bien, il m'a sauvée et il m'aime... Je le trouve charmant, et voilà tout !

– Voilà tout ? fit Sara en écho. C'est beaucoup déjà. Écoute, Catherine. Je sais mieux que personne ce que tu as souffert, et combien tu souffres encore de ta solitude, mais...

Sara hésita, baissa le nez, visiblement ennuyée de ce qu'elle voulait dire. Catherine sortit de sa robe qu'elle venait de laisser tomber à ses pieds et se baissa pour la ramasser.

– Mais ? fit-elle.

– Garde-toi de ne pas te laisser prendre le cœur. Je reconnais que ce beau seigneur a tout ce qui peut séduire une femme, je suis sûre que son amour est sincère et qu'il mettrait dans ta vie une grande douceur, je sais qu'il te semblerait bon d'être aimée, d'aimer peut-être.

Seulement, je te connais, je sais que tu ne seras pas longtemps heureuse avec un autre amour parce que l'homme dont tu portes le nom t'a trop profondément marquée pour que tu puisses l'oublier.

– Qui parle d'oublier ? murmura Catherine d'une voix altérée.

Comment pourrais-je oublier Arnaud, alors que je n'ai vécu que pour lui ?

– Justement, en laissant un autre te convaincre de vivre désormais pour lui-même. Je le répète, je te connais : si tu te laissais aller, un jour, tôt ou tard, l'ancien amour viendrait reprendre ses droits, l'image d'Arnaud détruirait l'autre et tu te retrouverais plus seule encore, plus désespérée, avec par surcroît le remords d'avoir trahi... et la honte de toi-même.

Très droite dans sa longue chemise blanche, les yeux au loin, Catherine semblait absente. Mais elle murmura, avec une profonde amertume :

Pourtant, c'est bien toi qui me conseillais de me laisser aller au plaisir sans remords, après la nuit avec Fero ? Est-ce parce qu'il s'agissait d'un homme de ta race que tu avais plus d'indulgence ?

Sara pâlit. Un pesant silence tomba entre les deux femmes. .Puis, lentement, la plus âgée se leva et vint vers l'autre.

– Non, ce n'était pas parce qu'il s'agissait de l'un des miens. C'est parce que je savais bien que Fero n'avait aucune chance de toucher ton cœur. Et le plaisir est bon, Catherine, lorsque l'on est jeune, saine.

Il libère l'esprit, allège le corps, fait couler le sang plus rapide et plus chaud. Tandis que l'amour asservit et, parfois, détruit... Si je savais que ton cœur ne risquait rien auprès de ce chevalier, je te pousserais vers lui. Quelques nuits de volupté te seraient bonnes, mais tu n'es pas de celles qui se donnent sans tendresse. Et cela, il en souffrirait trop, lui, le reclus de Calves, ton époux ! Il a besoin de te savoir à lui pour endurer son martyre. Chacun te croit veuve et tes voiles noirs te trompent toi-même. Pour tous et même pour la loi, pour l'église, tu es veuve puisqu'en entrant en ladrerie il a été rayé du nombre des vivants. Mais il vit, Catherine, il vit encore, et c'est dans ton cœur qu'il vit le mieux. Si tu l'en chasses... alors, oui, il sera vraiment mort.

Mais, toi, tu sauras toujours qu'il n'en est rien.

Debout derrière Catherine, Sara ne distinguait pas son visage.

Mais, à mesure qu'elle parlait, elle pouvait voir s'incliner la tête blonde aux cheveux trop courts, ployer les minces épaules. L'écho de ses paroles résonnait au fond du cœur de la jeune femme, martelant la plaie mal fermée. Douloureusement, Catherine murmura :

– Tu es cruelle, Sara. Je n'ai fait que respirer des roses...

– Non, mon cœur. Tu as toujours été franche envers toi-même et envers les autres. Sois-le cette fois encore. Tu as laissé la reconnaissance t'entraîner dans un chemin dangereux et qui n'est pas le tien. Le tien te ramènera vers les monts d'Auvergne, vers Michel et vers Montsalvy.

Tout doucement, elle attira la jeune femme contre elle, nicha sa tête au creux de son épaule et caressa doucement la joue où glissait une larme.

– N'en veuille pas à ta vieille Sara, Catherine. Elle donnerait sa vie et sa part de Paradis pour te voir heureuse. Elle t'aime comme la chair de sa chair. Mais, ajouta-t-elle avec un tremblement dans la voix, il faut que tu saches qu'elle a donné une part de son cœur à ton époux, à cet Arnaud pétri d'orgueil, de passion et de souffrance qu'elle a vu, une nuit, pleurer comme un enfant sur sa vie détruite, son amour condamné... Tu te souviens ?

– Tais-toi ! sanglota Catherine. Tais-toi !... Tu sais bien qu'aucun homme ne prendra jamais sa place... que je ne pourrai jamais aimer personne comme je l'ai aimé... comme je l'aime encore.

Certes, elle était sincère. Pourtant, elle ne pouvait chasser du fond de sa mémoire le reflet d'un sourire, l'éclat d'un regard bleu... Là-haut, dans sa tour, Marie Javelle sonna minuit. Doucement mais fermement, Sara conduisit Catherine jusqu'au lit. Le bouquet de roses, abandonné, demeura sur la table.

Ce n'était plus d'amour qu'il devait être question, le lendemain soir, et Catherine n'y songeait même plus car l'heure d'agir approchait.

Vers la fin de la journée, maître Agnelet était monté chez Catherine et, avec beaucoup de respect mais sans périphrases inutiles, lui avait appris qu'il viendrait la chercher sur le coup de minuit.

– Où irons-nous ? demanda la jeune femme.

– Pas loin d'ici, gracieuse dame. Au fond de ma cour exactement, mais je vous demanderai de faire le moins de bruit possible. Tous les habitants de cette auberge ne sont pas d'intelligence...

– Je sais, maître Agnelet. Puis-je cependant vous demander si ceux que vous attendiez sont arrivés ?

Tous, Madame. Messeigneurs de Loré et de Coétivy jouent aux échecs depuis hier matin et le seigneur de Bueil vient d'arriver en ville. Mais lui est monté au château...

– Pourquoi donc ?

– IL est le neveu du Grand Chambellan et, bien qu'il serve la reine Yolande, il est encore accepté. N'oubliez pas, noble dame, à minuit !...

Le reste de la journée parut moins long à Catherine. Avant qu'il soit longtemps, elle serait fixée sur son sort définitif. Ou bien le complot réussissait et ce serait sans doute un jeu pour le jeune Charles d'Anjou de remplacer La Trémoille auprès du Roi. Ce serait alors le retour en grâce, le droit de vivre enfin à visage découvert et au grand jour. Ou bien le complot échouerait... Ce serait la mort pour tous, sans distinction de sexe ou de rang...

Machinalement, dès que le couvre-feu eut sonné, Catherine s'approcha de la fenêtre mais ne l'ouvrit pas. D'ailleurs, Pierre de Brézé, cette nuit, ne jouerait pas les amoureux sous la fenêtre de sa belle. Il avait mieux à faire et c'est au milieu des autres chevaliers qu'elle le retrouverait. Catherine, d'ailleurs, se sentait trop tendue pour s'en préoccuper.

Minuit venait de sonner quand un léger grattement à sa porte fit lever vivement la jeune femme qui, tout habillée, s'était assise au pied du lit où elle avait obligé Sara à se coucher. Elle alla ouvrir la porte, distingua une forme sombre sur le seuil. Tout était éteint dans la maison, les feux de cuisines avaient dû, comme chaque soir, être couverts de cendres, mais, dans la cour, la lune jetait une grande flaque laiteuse qui dessinait en noir les piliers de bois de la galerie et la silhouette de l'aubergiste qui, pour la circonstance, avait troqué ses atours immaculés pour un pourpoint de laine sombre. On n'entendait aucun bruit.

Sans un mot, Agnelet prit Catherine par la main, la conduisit dans la cour et là, longeant les bâtiments pour ne pas traverser la zone éclairée, gagna le fond qui était constitué directement par le rocher d'où s'élevait la forteresse. Des bouquets de végétation en jaillissaient un peu partout, mais des trous sombres apparaissaient de loin en loin.

– D'anciennes habitations troglodytes, chuchota Agnelet en voyant Catherine s'arrêter un instant pour regarder. Certaines sont encore habitées ; d'autres servent de caves, comme chez moi... ou de refuge.

– Tout en parlant, il poussait une porte ronde, faite de grosses lattes de bois grossièrement équarries et qui fermait une entrée de grotte. La porte franchie, Agnelet prit une lampe à huile dans une anfractuosité de rocher, battit le briquet et alluma. Une grande cave taillée dans la craie, garnie de fûts et de tonneaux de toutes tailles, apparut. Une forte odeur de vin s'en dégageait. Des outils de tonnelier étaient rangés dans un coin, sur un établi, auprès d'une cuve où trempaient des bouteilles vides. L'ensemble avait un air si débonnaire que Catherine regarda son hôte d'un air interrogateur. Était-ce là le décor d'une conspiration ?

Pour toute réponse, Agnelet sourit, alla au fond de la cave et déplaça un tonneau qui n'avait pas l'air de peser bien lourd. Une ouverture oblongue parut. Elle s'enfonçait dans le mur.

– Passez, noble dame, fit l'aubergiste, je remettrai le tonneau derrière nous. Cette entrée doit demeurée cachée. Nous sommes sous le château du Milieu. Le Roi dort au-dessus de nos têtes.

Sans hésiter, Catherine s'engagea dans une petite galerie éclairée par une torche, au bout de laquelle une pièce devait s'ouvrir. Ce boyau n'avait que quelques pas qui, une fois parcourus, conduisirent Catherine et son guide à l'entrée d'une grotte beaucoup plus grande au fond de laquelle un escalier rudimentaire, creusé à même le rocher crayeux, s'élevait et se perdait dans l'ombre des voûtes. Là aussi il y avait quelques tonneaux, mais ils étaient renversés et quatre hommes étaient assis dessus.

Ils ne disaient pas un mot. Immobiles comme des statues, ils semblaient attendre autour d'une lampe à huile. Mais tous, d'un même mouvement, se tournèrent vers les arrivants.

Outre Pierre de Brézé, Catherine reconnut les cheveux roux, le visage sans sourire d'Ambroise de Loré, l'élégante et mince silhouette de Jean de Bueil, la carrure et les traits volontaires du Breton Prégent de Coétivy et leur fit à tous, quand ils se levèrent, une belle révérence.

Pierre prit sa main pour la mener vers le cercle de tonneaux. Ce fut Jean de Bueil qui l'accueillit après avoir recommandé à maître Agnelet de veiller au– dehors.

– Nous sommes heureux, Madame, de vous revoir, et plus heureux encore de vous féliciter. La présence de La Trémoille à Chinon est la preuve formelle de votre réussite. Nous vous sommes très reconnaissants...

– Ne me remerciez pas trop, seigneur de Bueil. J'ai travaillé pour vous, certes, et pour le bien du royaume, mais j'ai aussi travaillé pour moi, et pour que soit vengé mon époux bien-aimé. Aidez-moi dans cette vengeance, nous serons quittes.

Tout en parlant, elle retirait doucement sa main que Pierre avait gardée, s'avançait vers les trois autres hommes et ajoutait :

– Songez qu'il y va de l'honneur... et de la vie des Montsalvy, messires. Pour que vive le nom que je porte, il faut que meure La Trémoille.

– Il en sera fait selon votre désir, coupa rudement Coétivy. Mais comment diable avez-vous fait pour amener ici ce pourceau ? J'admets qu'il soit difficile de refuser quelque chose à une femme aussi belle que vous, mais, apparemment, vous possédez encore plus d'armes que nous ne le pensions.

Le ton employé par le gentilhomme breton était à peine flatteur et sous-entendait bien des choses. Catherine ne s'y trompa pas.

Sèchement, elle rétorqua :

Je crois, en effet, ne pas être complètement stupide, messire, mais ce ne sont pas les armes auxquelles vous faites allusion dont je me suis servie, simplement d'un souvenir... d'une chose que m'avait, jadis, racontée mon époux, Arnaud de Montsalvy.

Le nom du disparu fit son effet habituel. La personnalité d'Arnaud était trop puissante pour que son image ne s'évoquât pas aussitôt dans l'esprit de ces hommes qui avaient été ses camarades de combat, forçant la déférence envers celle qui le portait et qui venait de donner une si grande preuve de son courage. Coétivy rougit, honteux de ce qu'il avait pensé, et, sans détour, il admit :

– Pardonnez-moi. Vous ne méritez pas de telles allusions.

Elle lui sourit sans répondre. Puis, acceptant le tonneau qu'on lui avançait, elle fit, pour ces hommes attentifs, le récit de sa dernière conversation avec La Trémoille. Ils l'écoutèrent avec cette expression émerveillée d'enfants auxquels on raconte une belle histoire. Le mot trésor produisait son effet habituel. S'y ajoutaient les ombres chargées de mystères des chevaliers du Temple, leurs silhouettes fantastiques, inquiétantes, mais traînant après elles la couleur et les secrets magiques de l'Orient. Avec un peu d'amusement, Catherine voyait leurs yeux se charger de rêve, briller plus fort...

– Des inscriptions, murmura enfin Ambroise de Loré. Savoir si elles existent vraiment...

– Mon époux les avait vues, seigneur, dit Catherine doucement.

Une voix, qui avait l'air de venir de la voûte crayeuse, s'éleva

– Moi aussi, je les connais. Mais du Diable si je savais ce que c'était.

Deux hommes en armures descendaient le grossier escalier qui se perdait dans les hauteurs de la grotte. Celui qui venait le premier, tête nue, était un homme déjà âgé, mais qu'une constitution particulièrement vigoureuse sauvait de la vieillesse. Catherine reconnut la couronne de cheveux gris, le visage épais, les traits lourds et les yeux inquisiteurs de Raoul de Gaucourt présentement gouverneur de Chinon et qu'elle avait connu gouverneur d'Orléans.

Depuis tantôt soixante ans qu'il respirait sur cette terre, Gaucourt avait toujours combattu l'Anglais qui, après le siège d'Harfleur, par lui magnifiquement défendu en 1415, l'avait gardé dix ans dans ses geôles. C'était un Berrichon lent, pesant comme les bœufs de ses champs, obstiné et vaillant, mais non dépourvu de finesse. Fidèle au Roi jusqu'à l'aveuglement, il ne savait pas dissimuler. Jehanne d'Arc, dans les débuts, lui avait inspiré de la méfiance et il avait lutté contre elle, mais Gaucourt avait trop d'honnêteté foncière pour ne pas savoir reconnaître quand il se trompait. Sa présence, cette nuit, dans la cave d'Agnelet en était la meilleure preuve.

L'homme qui le suivait était infiniment plus jeune, plus sec aussi.

Sa physionomie n'avait rien de remarquable et fut passée facilement inaperçue sans le regard implacable de ses yeux gris. C'était le lieutenant du gouverneur. Il se nommait Olivier Frétard. À trois pas derrière son chef, il portait sous son bras le heaume que Gaucourt avait ôté et ne regardait pas l'assemblée. Mais Catherine eut l'impression que cet homme aux yeux glacés ne perdait ni un geste ni une expression de leurs visages.

Cependant, Raoul de Gaucourt achevait de descendre l'escalier. Il saluait du geste les conjurés, mais allait se planter devant Catherine.

L'ombre d'un sourire passa sur son visage fermé.

– J'ai infiniment plus de plaisir à accueillir à Chinon Madame de Montsalvy que je n'en eus jadis, à Orléans, à recevoir Madame de Brazey, lui décocha-t-il sans préambule. Du diable si j'aurais pensé alors que c'était par amour pour Montsalvy que vous vous étiez fourrée dans ce guêpier ! D'autant plus qu'il a tout fait pour vous faire prendre, votre noble époux.

Malgré elle, Catherine rougit. C'était vrai. Sans l'intervention de la Pucelle, qui l'avait sauvée sur le chemin de l'échafaud, Catherine aurait fini ses jours au bout d'une corde sur l'ordre d'un tribunal que présidaient Gaucourt et Arnaud. Aveuglé alors par la haine, il ne rêvait que de se débarrasser d'elle... Pourtant, de ces terribles souvenirs, elle ne conservait aucune amertume... Ce qu'il en restait, c'était... oui, c'était un peu de regret. Elle soutint sans faiblir le regard du vieux chef.

– Me croirez-vous, messire, si je vous dis que je regrette ce temps

? Celui qui est devenu mon époux bien-aimé était alors vivant, en pleine force, même s'il employait cette force contre moi. Comment ne regretterai s-je pas ?

Quelque chose s'adoucit dans le regard qui la dévisageait.

Brusquement, Gaucourt saisit sa main, la porta à ses lèvres et la laissa retomber sans plus de douceur.

– Allons, marmotta-t-il. Vous êtes sa digne femme. Et vous avez fait du bon travail, mais, trêve de galanteries. Maintenant, messieurs, il faut régler notre expédition. Le temps presse. La Trémoille n'aime pas ce château et il n'y restera pas longtemps. Si vous êtes d'accord, demain dans la nuit nous agirons.

– Ne devons-nous pas attendre les ordres du Connétable ? objecta Brézé.

– Les ordres ? Quels ordres ? grogna Gaucourt. Nous avons un travail à faire, il faut le faire vite. Au fait, où est passé maître Agnelet

? Il doit bien y avoir encore du vin dans sa cave. Je meurs de soif !

– Il est au-dehors, dit Jean de Bueil. Il veille.

Mais il eut à peine le temps de finir sa phrase. Agnelet en personne revenait, armé de sa lampe à huile et précédant deux hommes couverts de poussière et visiblement exténués, mais dont la vue arracha à Catherine une exclamation de plaisir car le premier de ces hommes n'était autre que Tristan l'Hermite. Mais ce fut Prégent de Coétivy qui les accueillit.

– Ah ! l'Hermite ! Rosnivinen ! Nous vous attendions. Je pense que vous nous apportez les ordres du Connétable ?

En effet, répondit Tristan. Voici messire Jean de Rosnivinen qui doit le représenter pour l'exécution. Car, bien entendu, il ne saurait être question qu'il vienne lui-même. Vous savez tous l'inimitié que lui voue le Roi. Il ne faut pas que notre sire croie à une vengeance, mais bien à une opération de salubrité publique.

Tout en parlant, il s'approchait de Catherine, et, respectueusement, s'inclinait devant elle.

– Monseigneur le Connétable m'a chargé, Madame, de baiser pour lui la belle main qui nous a ouvert Chinon. Il vous est profondément reconnaissant et espère que vous voudrez bien, dans l'avenir, le compter au nombre de vos plus dévoués serviteurs.

Ce petit discours fit un effet extraordinaire. Catherine sentit, aussitôt, l'atmosphère changer. Jusque-là, malgré leurs paroles courtoises, elle n'avait pas été à son aise au milieu de ces hommes.

Elle devinait confusément que la déférence qu'on lui témoignait s'adressait surtout au nom et au souvenir d'Arnaud, non à la femme qu'elle était. Son comportement devait leur sembler trop étrange, trop éloigné des habitudes. Sans doute pensaient-ils qu'elle aurait dû, selon la coutume, remettre le soin de sa vengeance à quelque champion et attendre le résultat, dans la prière et la méditation, au fond d'un couvent. Mais elle était décidée à jouer jusqu'au bout le rôle qu'elle s'était assigné. Qu'importait ce que pensaient les hommes !

Sans rien dire, Raoul de Gaucourt vint prendre sa main et la mena au centre des tonneaux, la fit asseoir et s'installa près d'elle.

– Prenez place, messeigneurs, et mettons-nous d'accord une bonne fois. Il en est temps. Agnelet, apportez-nous à boire et disparaissez.

L'aubergiste se hâta d'obéir, disposant gobelets et pichets sur une planche posée entre deux tonneaux avant de s'éclipser. Le silence avait régné dans la grotte durant tout le temps de ce travail. Quand il eut disparu seulement, Gaucourt fit du regard le tour de l'assemblée.

Vous savez déjà le principal. La Trémoille habite la tour du Coudray, gardé par quinze arbalétriers. C'est dire que, sans moi, vous ne pourriez même pas approcher. Sous ma juridiction immédiate, j'ai les trente hommes qui composent la garnison normale du château. Avec le Roi sont arrivés quelque trois cents hommes d'armes, tous aux ordres du Chambellan bien entendu, Français et Écossais. Première question, avez-vous des soldats ?

– J'ai cinquante hommes cantonnés dans la forêt, répondit Jean de Bueil.

– Ce sera suffisant, fit Gaucourt. Nous bénéficierons de la surprise, de l'importance du château qui oblige à disséminer les troupes sur tout le plateau entre le fort Saint-Georges et le Coudray et du fait que je serai à votre tête, moi le gouverneur. Mais, d'autre part, la poterne que je vous ouvrirai, demain à minuit, si nous sommes d'accord, et qui est la plus proche du donjon, se trouve entre la tour du Moulin et la tour polygonale où loge le plus solide soutien de La Trémoille, autrement dit le maréchal de Rais...

À l'évocation de Gilles, Catherine frissonna et devint pâle. Elle dut serrer les dents, mordre ses lèvres pour lutter contre la peur que ce simple nom faisait lever en elle. Toute à la joie d'approcher du but, elle avait oublié l'effrayant seigneur à la barbe bleue... Mais Jean de Bueil répondit :

– Je loge, moi aussi, à la tour polygonale, je ferai entrer les hommes dans le château, puis je regagnerai la tour avec Ambroise de Loré, par exemple. A nous deux, nous immobiliserons Gilles de Rais.

Il ne pourra pas sortir de ses appartements.

Ce fut dit si calmement que sa peur s'atténua. Gilles de Rais, pour ces chevaliers, n'avait rien d'effrayant.

Le gouverneur fit un signe d'approbation.

– Fort bien. Vous aurez donc à vous occuper de Rais. Moi-même et Olivier Frétard, mon lieutenant que voici, nous veillerons à neutraliser autant que possible les gardes en les écartant du Coudray.

Les cinquante hommes de Bueil, conduits par Brézé et Coétivy, avec Rosnivinen et l'Hermite, attaqueront le Grand Chambellan qui loge seul dans le donjon.

– Où loge le Roi ? demanda Catherine.

Dans le château du Milieu, le logis qui fait suite à la Grand Salle. La Reine lui demandera de passer la nuit auprès d'elle, chose qu'il ne refuse jamais car, à sa manière, il aime sa femme pour sa douceur et pour le calme qu'il trouve auprès d'elle. La Reine fera tout pour l'apaiser en cas d'alerte... Le plus difficile sera l'approche du château.

Les nuits sont claires et les sentinelles qui veillent aux remparts pourraient fort bien donner l'alarme... auquel cas tout serait perdu.

Vous veillerez donc, messieurs, à ce que vos hommes ne portent aucune pièce d'armure, aucun vêtement d'acier dont le bruit serait dangereux. Rien que du cuir ou de la laine...

– Les armes ? demanda brièvement Jean de Bueil.

– La dague et l'épée pour les gentilshommes, la hache et la dague pour les soldats. C'est donc bien compris : à minuit, nous ouvrons la poterne. Vous entrez. Puis Bueil et Loré se dirigent vers la tour de Boisy tandis que les autres s'occupent du donjon. Coétivy et Tristan l'Hermite, avec une dizaine d'hommes, l'entoureront tandis que Brézé et Rosnivinen monteront à l'étage exécuter La Trémoille.

De la tête, les conjurés approuvèrent. Alors, s'éleva la voix claire de Catherine.

– Et moi ? demanda-t-elle froidement.

À mesure que parlait Gaucourt, l'indignation s'enflait dans son cœur en constatant qu'aucun rôle ne lui était réservé. Elle ne pouvait plus se taire. Il y eut un silence. Tous les regards se portèrent sur elle, et, dans tous, elle lut la même réprobation, jusque dans celui de Pierre de Brézé. Mais ce fut encore Gaucourt qui traduisit le sentiment général.

– Madame, dit-il courtoisement mais fermement, nous vous avons demandé de venir cette nuit pour que vous sachiez ce qui va être fait. C'était normal, et nous vous le devions. Mais ce qui nous reste à faire nous regarde, nous les hommes. Vous avez grandement mérité notre gratitude, certes, pourtant...

Un moment, sire gouverneur, coupa la jeune femme en se levant brusquement. Je ne suis pas venue à Chinon uniquement pour recevoir des compliments, entendre de belles paroles, et ensuite demeurer tranquillement dans mon lit tandis que vous attaquerez votre gibier. Je veux y être !

– Ce n'est pas la place d'une femme, s'écria Loré. Foin de jupons pour un combat !

– Oubliez que je suis une femme. Ne voyez en moi que l'émanation, le représentant d'Arnaud de Montsalvy.

– Les soldats ne comprendront rien à votre présence.

– Je m'habillerai en homme. Mais, encore une fois, messeigneurs, je veux y être. C'est mon droit absolu. Je le revendique.

Il y eut un silence. Catherine les vit se consulter tous du regard.

Même Brézé était hostile à sa présence ; elle le comprit fort bien à son attitude. Seul, Tristan osa plaider pour elle.

– Vous ne pouvez pas lui refuser cela, dit-il gravement. Vous avez accepté le danger insensé qu'elle a couru pour vous rendre possible cette attaque, et maintenant vous la rejetez ? La priver de la victoire serait injuste.

Sans répondre, Raoul de Gaucourt se dirigea vers l'escalier taillé dans le roc, posa le pied sur la première marche et, là seulement, se retourna.

– Vous avez raison, Tristan. Ce serait injuste. À demain, vous tous. A minuit.

Le ton était sans réplique. Personne n'osa la moindre protestation.

Ignorant Pierre de Brézé qui lui offrait sa main pour la reconduire à sa chambre, Catherine alla prendre le bras de Tristan.

– Venez, mon ami. Il est temps pour vous de vous reposer, dit-elle affectueusement l'entraînant vers la sortie de la grotte.

Elle refusa même de voir l'air malheureux de Pierre. Il ne l'avait pas aidée, tout à l'heure. Elle lui en voulait comme d'une trahison.

Lorsqu'elle rentra dans sa chambre Sara se souleva sur un coude et la regarda.

– Alors ? fit-elle.

– C'est pour demain, à minuit.

– Ce n'est pas trop tôt. Nous allons enfin voir la fin de cette folle aventure.

Et, satisfaite de cette conclusion, Sara se tourna de l'autre côté et reprit son sommeil interrompu.

La nuit de juin était claire et tiède. Dans le pourpoint de drap sombre étroitement lacé qu'elle portait, Catherine avait trop chaud en montant au milieu des autres, vers le triple château. Auprès d'elle, au coude à coude, marchaient Bueil, Loré, Coétivy, Brézé et Rosnivinen.

Tristan était derrière, avec les hommes d'armes, fermant la marche.

Cette troupe de cinquante hommes se déplaçait sans faire plus de bruit qu'une armée de fantômes. Les ordres de Jean de Bueil étaient formels et stricts : pas d'armes, dont l'acier pouvait tinter. Les hommes ne portaient que du buffle, mais à toutes les ceintures pendaient les dagues et les haches. Il était impossible de rien lire sur tous ces visages fermés. Silencieux, disciplinés comme une machine de guerre bien huilée, ils montaient d'un même pas vers les murailles d'instant en instant plus proches. L'ombre d'une tour polygonale s'étendit sur eux, les protégea.

Catherine pensait que cette belle nuit claire et bleue était un étrange décor pour un meurtre. Elle l'eût préférée bien noire, bien opaque et un peu brumeuse, mais une joie orgueilleuse l'habitait malgré tout.

C'était elle qui avait mis en marche ces hommes. S'ils étaient là, lancés dans cette chasse mortelle où chacun jouait sa tête, c'était parce qu'elle l'avait voulu, avec acharnement. Dans quelques instants, elle serait victorieuse ou vaincue sans recours et, tout à l'heure, en quittant l'auberge, elle avait, avec ses dernières recommandations, fait ses adieux à Sara.

– Si je ne reviens pas, tu rentreras à Montsalvy et tu iras dire à mon époux que je suis morte pour lui. Et puis, tu veilleras sur Michel.

– Inutile, avait dit Sara calmement. Tu reviendras.

– Qu'en sais-tu ?

– Ton heure n'est pas venue. Je le sens.

Mais, à mesure qu'elle approchait du château, Catherine pensait que Sara pouvait avoir tort, pour une fois. La troupe qui lui avait paru formidable au départ semblait s'amenuiser à mesure que grandissaient les courtines neuves sous leurs hourds brillants d'ardoises bleues. Elle laissa échapper un soupir angoissé, et, aussitôt, la main de Pierre de Brézé, qui marchait auprès d'elle, voulut prendre la sienne. Mais elle la retira brusquement... L'heure n'était pas aux douceurs de l'amour et, à cet instant, elle ne voulait être pour ces hommes qu'un compagnon d'armes.

– Catherine, reprocha le jeune homme. Pourquoi me fuyez-vous ?

Elle n'eut pas à répondre. Ce fut Coétivy qui s'en chargea.

– Silence ! ordonna-t-il. Nous approchons.

Ils arrivaient en effet au sommet du coteau, au pied de la muraille sur laquelle on pouvait distinguer les gardes. Aucune lumière ne brillait dans le château. Dans le logis royal, le Roi dormait sans doute dans son large lit, auprès de la reine Marie qui, elle, devait avoir les yeux bien ouverts. Elle avait promis de veiller pour calmer son époux en cas d'alerte. Et puis comment aurait-elle pu dormir, sachant ce qui allait se passer ?

Sur un geste impérieux de Bueil, toute la troupe se plaqua contre la muraille et devint invisible des chemins de ronde tandis que le jeune capitaine s'avançait, seul, vers la poterne close. Malgré elle, Catherine retint sa respiration. À ses pieds, elle pouvait voir la ville et ses toits pointus, luisants sous la lune, serrés comme un grand fagot bleu dans la ceinture de pierre des remparts, soulignant la coulée brillante de la rivière. La voix profonde de Marie Javelle sonnant minuit la fit tressaillir.

Derrière cette haute porte close, Gaucourt et Frétard devaient être au rendez-vous.

– On ouvre ! chuchota quelqu'un.

En effet, une tremblante lumière jaune coula par l'entrebâillement.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю