355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Catherine des grands chemins » Текст книги (страница 17)
Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 17 (всего у книги 29 страниц)

– Mon noble époux tient à ta peau plus qu'il ne conviendrait à ce qu'il semble. Ma parole, il se conduit comme une bête en chaleur !

– S'il tient à ma peau, dit Catherine froidement, ce n'est pourtant pas pour y avoir goûté. Votre appel, noble dame, m'en a sauvée...

– Sauvée ? Quel est ce mot ? Qu'est-ce qu'une fille comme toi peut espérer de mieux qu'un grand seigneur ? Oublies-tu que je suis sa femme ?

– Je suis votre servante. Et les ordres que vous m'avez donnés me laissaient supposer que je pouvais l'oublier.

La colère de la dame tomba net, touchée par la froideur de son interlocutrice. Sur le moment, au paroxysme de la colère, elle avait cherché à tirer du sang du premier être qui lui était tombé sous la griffe. Mais cette femme qui se tenait devant elle, si fièrement, n'avait pas peur et, à cet instant, elle se souvint du besoin qu'elle avait de ses services. D'une voix fiévreuse elle demanda :

– As-tu ce que je t'ai demandé ?

Catherine hocha la tête affirmativement, mais croisa les bras sur sa poitrine comme pour défendre ce qu'elle avait glissé dans son corsage.

– Je l'ai, mais j'ai aussi quelque chose à dire.

La main de la comtesse se tendait déjà tandis que ses yeux avides luisaient entre leurs lourdes paupières bistrées.

– Dis vite... et donne ! J'ai hâte !

– Hier, contre ce philtre, vous m'avez offert de l'or. Je l'ai refusé, je le refuse encore... mais je veux autre chose.

Un mince sourire étira les lèvres de la dame, mais une lueur inquiétante s'alluma dans ses yeux.

– Tu l'as déjà dit, tu veux me servir. Donne !

– En effet, je l'ai dit et je le répète, mais, ce matin, les choses ont changé. Le chef de notre tribu est prisonnier en ce château. Il risque la mort. Je veux sa vie.

– Que m'importe la vie d'un sauvage ? Donne ce flacon si tu ne veux pas que je te le fasse arracher par mes femmes.

Catherine, lentement, sortit la petite fiole de sa guimpe et la tint dans sa main. Ses yeux bravèrent la colère de la comtesse tandis que ses lèvres rouges esquissaient un sourire.

– La voilà ! Mais si l'on m'approche, je la jette à terre où elle se brisera. Nous n'avons pas de flacons d'or ou d'argent, nous autres gens d'Egypte... rien que de la terre et la terre est fragile. Vos femmes n'auront pas le temps de me la prendre. Je la détruirai... comme je la briserai si Fero n'est pas rendu aux siens.

Sur le visage convulsé de son adversaire elle put voir la bataille qui s'y livrait : la fureur, la passion et l'avidité. Ce fut cette dernière qui l'emporta.

– Attends-moi ici un instant. Je vais voir ce que l'on peut faire.

Sans même prendre la peine de relever ses cheveux, la comtesse enveloppa sa tête et ses épaules d'une pièce de soie verte et sortit.

Demeurée seule, Catherine se laissa glisser sur les coussins entassés près de la cheminée. L'atmosphère de cette pièce l'étouffait et l'angoissait tout à la fois. Tous ces parfums trop lourds lui semblaient l'émanation même de la femme vénéneuse qui habitait ces lieux. Ses doigts fiévreux cherchèrent sous l'étoffe de sa robe la forme dure de la dague, caressèrent le contour de l'épervier ciselé sur la garde comme pour lui demander secours. Si souvent, la main ferme d'Arnaud s'était serrée autour de cette arme qu'elle avait dû y laisser un peu de son énergie. Mais, en évoquant la fière figure de son époux, des larmes lui montèrent aux yeux, brûlantes et lourdes de regrets... Que restait-il à cette heure de ce corps vigoureux, de ce beau visage ? De quels ravages la lèpre les avait-elle marqués ?...

Un frisson d'horreur la secoua au souvenir des lépreux qu'elle avait déjà rencontrés sur son chemin, affreuses j ruines de chair grise qui n'avaient plus rien d'humain et qui, parfois, s'en venaient aux tombeaux des saints implorer une impossible guérison... Cette femme qui venait de sortir, c'était elle la cause de tout le mal qui accablait Arnaud et qui brisait son propre cœur. Avec quelle joie elle lui eût plongé dans le cœur la lame qui se chauffait au contact de sa chair ! Mais il fallait attendre... encore attendre ! Avec lassitude, Catherine laissa tomber sa tête dans ses mains, cherchant à effacer les images douloureuses qui brisaient son courage. Une autre figure, soudain, se présenta au fond de son esprit : celle d'un homme blond dont les yeux clairs la regardait tendrement et qui portait au bras une écharpe noire et blanche. Cette image était belle, rassurante et douce. Pourtant Catherine la repoussa aussi, comme une profanation, comme si Pierre de Brézé avait tenté de forcer son cœur pour en chasser l'image d'Arnaud.

Le retour de la dame de La Trémoille l'arracha à ses pensées. La comtesse toisa un instant la jeune femme accroupie, puis sourit, mais, dans ce sourire, Catherine décela une cruauté qui la mit en garde.

– Viens, dit-elle. Tu vas être satisfaite.

Comme la nuit précédente, elles sortirent, l'une derrière l'autre, mais, cette fois, il n'y eut pas de porte dans le mur. On descendit jusqu'à la cour que l'on traversa, contournant le donjon pour gagner la tour des prisons. Chemin faisant, Catherine reconnut Tristan l'Hermite auprès d'un groupe de palefreniers qui jouaient aux dés sur une grosse pierre.

Il se détourna à son passage et la suivit des yeux. Son regard était aussi indifférent, aussi immobile que de coutume, mais, à son insistance, la jeune femme comprit qu'il se demandait ce qu'elle allait faire aux prisons en pareille compagnie.

Une porte au cintre rongé, si basse qu'il fallait se courber pour la franchir, ouvrait au pied de la tour. À peine le seuil passé, Catherine sentit un froid subit envelopper ses épaules. Le soleil, la chaleur s'arrêtaient aux abords de cet univers de ténèbres et de souffrance. Au fond d'une salle de gardes voûtée bas, où quelques hommes d'armes jouaient au jeu de l'oie sous la lumière fumeuse d'un quinquet, un escalier plongeait dans la terre... Sur un sec claquement de doigts de la comtesse, l'un des soldats se leva et, prenant une torche qu'il alluma au quinquet, s'engagea le premier dans l'escalier. Mais, ces détails, Catherine n'y prêtait guère attention car, depuis qu'elle était entrée dans la salle, un bruit affreux avait frappé ses oreilles, glaçant son sang dans ses veines : l'écho de gémissements humains qui, chose étrange, devenaient à la fois plus nets et plus faibles à mesure que l'on descendait. Quand les deux femmes atteignirent le premier palier, ces gémissements étaient devenus des râles. Catherine, la gorge serrée, regarda avec horreur l'épaisse porte qui s'ouvrait sur ce palier. Faite de fer plein et armée d'énormes verrous, elle laissait passer, par un judas grillé, une sinistre lumière rougeoyante. C'est de là que venaient les plaintes, en même temps qu'un claquement régulier et mou qui semblait rythmer ces râles.

Sans un mot, le soldat à la torche poussa cette porte qui n'était pas fermée. Catherine ne put retenir une exclamation faite de frayeur et de dégoût.

Devant elle, deux tourmenteurs vêtus de cuir, leurs têtes rases suant sous l'effort, se relayaient pour fouetter un homme attaché par les poignets au chapiteau d'un pilier... La jeune femme ne vit pas tout de suite La Trémoille qui, assis sur un fauteuil de bois grossier, regardait, son triple menton posé dans sa main, les yeux rivés sur le supplicié qui gémissait faiblement. Ses jambes fléchies ne le supportaient plus et tout le poids de son corps portait sur les poignets enchaînés. La tête aux longs cheveux noirs ballottait, inerte, et le dos n'était plus qu'une abominable bouillie dans laquelle les fouets claquaient avec un bruit affreux. Le sol était couvert de , sang... Malade d'horreur, Catherine recula jusqu'au mur, mais n'évita pas une éclaboussure sanglante qui vint la frapper à la joue.

Son regard défaillant chercha celui de sa compagne, mais la dame de La Trémoille ne la regardait pas. Les , narines palpitantes, les yeux écarquillés, elle jouissait si visiblement du spectacle qu'une nausée souleva le cœur de Catherine. L'homme ne gémissait plus. Les bourreaux cessaient de frapper, mais, même avant que l'un d'eux n'écartât d'un geste brutal les longues mèches noires pendant sur le visage de la victime, la jeune femme avait reconnu Fero... Et, soudain, une vision abominable s'imposa à elle. À la place du Tzigane, elle vit Arnaud, attaché à une colonne comme lui, gémissant et sanglant sous le fouet d'un bourreau avec, derrière lui, cette femme immonde qui passait sur ses lèvres sèches sa langue pointue. Ce supplice, Arnaud l'avait subi dans les caves de Sully avant que Xaintrailles ne l'en arrache... Et la vision fut d'une si effrayante netteté qu'une vague de haine furieuse souleva Catherine.

Aveuglée par une rage qu'elle ne pouvait plus contrôler elle chercha dans son corsage la dague d'Arnaud. Mais sa main tremblante rencontra d'abord la fiole de terre et s'y arrêta. D'ailleurs, la voix morne d'un bourreau annonçait :

– L'homme est mort, monseigneur.

La Trémoille eut un soupir ennuyé, parvint, au prix d'un effort, à extraire du fauteuil son énorme personne.

– Il était moins solide qu'il n'en avait l'air. Jetez-le au fleuve.

– Que non pas, intervint sa femme. J'ai promis à cette fille qu'il serait rendu aux siens. Qu'on le leur rende... et puis qu'on les chasse !

Son regard trouble, chargé d'une joie mauvaise, revenait trouver maintenant Catherine, collée au mur, blême et les dents serrées.

– Tu vois, dit-elle avec une dangereuse douceur, je fais tout ce que tu veux.

Les yeux sombres de Catherine tournèrent vers elle, se plantèrent dans le regard insolent qui l'insultait, brûlants de tant de haine et de mépris que l'autre, impressionnée malgré elle, recula d'un pas. La main de Catherine, toujours crispée sur la petite fiole, sortit lentement.

Ses doigts serraient, serraient, doués d'une force née tout entière de sa colère jusqu'à ce que le fragile flacon s'écrasât entre ces doigts.

Alors, d'un geste violent, elle en jeta les débris à la face de son ennemie.

– Et moi, je donne ce que j'ai promis, dit-elle d'une voix blanche.

Une effrayante colère convulsa le visage pâle de la comtesse. L'un des éclats l'avait blessée légèrement à la lèvre qui, ainsi teintée de rouge, lui donnait l'apparence terrible d'une goule. Elle tendit vers Catherine un doigt tremblant de rage.

– Saisissez-vous de cette femme, enchaînez-la à la place de son compagnon et frappez... frappez jusqu'à ce qu'elle en crève, elle aussi

!

Catherine comprit qu'elle était perdue, qu'en une seconde de fureur aveugle elle avait tout gâché, tout ruiné de sa vengeance et des plans de la reine Yolande. Elle comprit aussi qu'elle ne sortirait pas vivante de ce caveau, mais, curieusement, elle n'eut pas une pensée de regret pour ce qu'elle avait fait. Il lui faudrait sans doute se contenter, pour prix de la souffrance d'Arnaud et de celle qui l'attendait, de ce mince filet de sang qui coulait d'une lèvre blessée et de la fureur de cette femme, mais, du moins, le jeune comte du Maine ne risquerait plus d'être conduit, même pour une seule nuit, dans les griffes de cette affreuse créature.

Déjà les deux bourreaux empoignaient Catherine, mais La Trémoille, qui allait sortir, s'était arrêté quand la fausse Tzigane avait frappé sa femme. Avec une curiosité qui n'était pas exempte de plaisir, il avait suivi leur affrontement et, même, s'était baissé pour tremper son doigt dans le liquide répandu à terre et l'avait flairé... Il s'interposa.

– Un moment, voulez-vous ? Cette femme m'a été donnée, je pense que c'est à moi d'en disposer... Vous vous souvenez, ma chère, que je vous l'avais seulement... prêtée ?

Catherine retint avec peine un soupir de soulagement, mais la dame reporta sur son époux sa colère ; et les poings serrés marcha vers lui.

– Elle m'a insultée, frappée, cette chienne d'Egypte, cette graine de bûcher... Et vous hésitez à la punir ?

– Je n'hésite pas. Elle sera punie... mais en temps voulu. Pour le moment, contentez-vous de la faire jeter au cachot. Il y a certaines choses que j'aimerais éclaircir.

– Quoi encore ?

– Par exemple... Ce qu'il y avait dans ce flacon dont la perte semble vous causer une si grande peine.

– Cela ne vous regarde pas !

– Ce n'en est que plus intéressant. Allons, vous autres, mettez cette femme au cachot. Et souvenez-vous que nul ne doit y toucher sans mon ordre formel. Vous m'en répondez sur votre vie.

– Que de précautions, siffla la comtesse haineuse mais domptée, on dirait, Dieu me pardonne, que cette fille vous est infiniment précieuse.

– Dieu ne se soucie pas de vous, ma chère, pas plus que vous ne vous souciez de lui. Quant à cette femme, certes, elle m'est précieuse.

N'a-t-elle pas voulu vous nuire ? Pour expliquer sa haine il doit y avoir une raison

bien forte. Je vous aime trop pour ne pas chercher à la connaître... par tous les moyens. Venez-vous ?

Il lui offrit la main avec, dans sa barbe, un sourire à la fois moqueur et ironique. Catherine pensa que, peut– être, le gros chambellan avait tout à coup moins peur de sa femme que de coutume. Il venait de découvrir une arme contre elle et, apparemment, entendait bien s'en servir. Ils se dirigeaient vers la porte, étrange couple lié par les chaînes solides de la cupidité et de la haine mieux que par le plus tendre amour, fantômes maléfiques échappés d'un cauchemar. Et elle songea que le pire des châtiments serait peut-être de les enfermer ensemble dans une étroite pièce, le chacal avec la hyène, et de les y laisser s'entre-déchirer durant une éternité... Quelle damnation vaudrait ce tête-à-tête ?

Mais elle n'eut pas le temps de les voir disparaître. L'un des bourreaux avait abattu sur son épaule sa grosse patte velue, serrée dans un poignet de cuir, et l'entraînait vers le fond de la salle de tortures.

– C'est par ici, la belle !

Cependant, son compagnon détachait le corps inerte de Fero qui glissait à terre avec un bruit mat. Catherine sentit une larme piquer ses yeux. Cet homme l'avait aimée, cette chair suppliciée avait vibré, chaude et vivante, contre la sienne, ces lèvres exsangues que les dents avaient déchirées avaient murmuré des mots d'amour et l'avaient couverte de baisers fous... et, maintenant, Fero n'était plus qu'un peu de chair sanglante qui, tout à l'heure, redescendrait vers le campement.

En imaginant la douleur de Tereina, un sanglot monta de la poitrine de Catherine, creva sur ses lèvres. L'homme qui l'entraînait se méprit sur sa signification.

– Il est bien temps de pleurer maintenant que tu as signé ton arrêt de mort, pauvre idiote ! Quelle mouche t'a piquée de t'attaquer à cette femme terrible ?

Et, comme Catherine ne répondait pas, il hocha sa grosse tête, si dépourvue de cou qu'elle paraissait posée directement sur les massives épaules.

Ça me fera peine de te tourmenter parce que c'est dommage d'abîmer une belle fille comme toi. Mais il est probable qu'elle te fera payer cruellement ce que tu lui as fait.

– Que peut-elle faire d'autre que me tuer ? fit Catherine méprisante.

– Il y a tuer et tuer. J'aimerais bien n'avoir qu'à te pendre, mais elle ne se contentera pas de ça. Enfin... je tâcherai d'être maladroit pour que ça ne dure pas trop longtemps.

L'intention de l'homme était bonne, mais ce qu'évoquaient ses paroles était abominable et Catherine serra les dents pour ne pas frissonner.

– Merci, dit-elle seulement.

Au sortir de la salle basse, le tourmenteur et sa prisonnière avaient pris un étroit couloir sur lequel ouvraient trois portes bardées de fer.

L'une d'elles était ouverte. L'homme y poussa Catherine qui se trouva dans un cachot étroit et humide. Une cruche verdie et un tas de paille moisie composaient tout le mobilier avec une paire de bracelets de fer reliés au mur par deux chaînes rouillées. Un peu de jour pénétrait dans cette cave par un soupirail, à peine large comme la main et placé trop haut pour que l'on pût l'atteindre. Sans doute à ras du sol, car un peu d'eau boueuse en dégouttait.

– Te voilà chez toi, dit le bourreau. Donne tes mains.

Elle les tendit sans résistance. Les lourds bracelets de fer claquèrent autour des fragiles poignets que l'homme, un instant, garda dans les siennes.

– Tu as de jolies mains, dit-il, des mains de dame... Oui, c'est bien dommage. Il y a des jours où mon métier est bien triste.

– Pourquoi le faites-vous, alors ?

La face plate du bourreau prit un air de naïve surprise tandis qu'une sorte de sourire découvrait ses dents jaunes.

Mais... parce que je n'en connais point d'autre. Mon père l'a fait avant moi et son père avant lui. C'est un beau métier, tu sais, qui peut mener loin quand on est habile. Moi, je serai peut-être un jour tourmenteur-juré dans une grande ville. Il y a des raffinements qui vous font apprécier. Ah, si le Roi rentrait à Paris, c'est ça qui serait beau !

Avec une horreur dont elle ne fut pas maîtresse, Catherine fixait les taches de sang encore frais qui maculaient le torse épais de l'homme.

Il s'en aperçut, ébaucha un sourire gêné.

– Allons, je ne veux pas te faire peur. Tu me prendrais pour une brute. Tâche de dormir, si tu peux.

Craignant de l'avoir froissé et désireuse de ne pas s'en faire un ennemi, elle demanda :

– Comment vous appelez-vous ?

– C'est gentil de le demander. C'est pas souvent que ça m'arrive, tu sais. On m'appelle Aycelin le Rouge... oui, Aycelin. Ma mère disait que c'était un joli nom...

– Elle avait raison, dit Catherine gravement. C'est un joli nom.

Les yeux de Catherine s'accoutumèrent assez rapidement à l'obscurité de son cachot. Si mince que fût le soupirail, il permettait au moins de séparer le jour de la nuit et de distinguer les choses qui l'entouraient. La prisonnière remercia le ciel de n'avoir pas été jetée dans l'un de ces in-pace situés si profondément au-dessous du sol qu'aucune lumière n'y pénètre jamais, tel celui qu'elle avait connu à Rouen.

Assise sur la paille pourrie de sa prison, elle laissa les heures couler sur elle. Ses mains enchaînées lui permettaient tout de même tous les mouvements malgré le poids des bracelets et elle s'aperçut bientôt qu'elle pourrait peut-être, en forçant un peu, les faire glisser de ses poignets. Ses mains étaient si menues, si minces... Mieux valait pourtant, pour le moment, ne pas essayer car ce ne pourrait être qu'au prix d'une douleur qui ne permettrait sans doute pas de réintégrer les fers.

Autre sujet de satisfaction, elle n'avait pas été fouillée et la dague était toujours là, rassurante et solide au creux de sa gorge. Béni soit Dieu qui l'avait empêchée de la tirer tout à l'heure. On la lui aurait arrachée et elle ne l'aurait plus jamais retrouvée. Grâce à elle, Catherine était sûre d'échapper aux tourments que la comtesse devait méditer pour elle. Un coup rapide et tout serait dit. Elle ne hurlerait pas de souffrance sous l'œil moqueur de son ennemie... Pourtant, elle ne pouvait chasser l'angoisse qui lui étreignait la gorge ; qu'allait-il réellement advenir d'elle ? Les bruits du château lui parvenaient à peine, assourdis qu'ils étaient par la profondeur et l'épaisseur des murs

; pourtant il lui sembla entendre, à certain moment, une sorte de plainte lointaine, lugubre et déchirante. Elle devina que c'était la clameur de la tribu devant le corps torturé de son chef. Elle imagina les cris des femmes, leurs longs cheveux dénoués et couverts de poussières, les doigts griffant les visages en pleurs, les chants monotones, psalmodiés par la douleur d'un peuple, les malédictions, peut-être, qui montaient vers celle pour qui Fero était mort.

– Mon Dieu, pria-t-elle tout bas, faites qu'ils comprennent, qu'ils me pardonnent, surtout Tereina. Elle va avoir si mal... Ayez pitié d'elle

!...

Auraient-ils seulement le temps de confier le cadavre au fleuve avec le cérémonial qu'elle avait vu l'autre nuit ? La dame avait ordonné qu'on les chasse et La Trémoille n'avait rien objecté. Il lui sembla entendre les ordres rugis par les sergents du Roi, le claquement des fouets des hommes d'armes chargés d'expulser les errants... Une voix pourtant chantait, une voix de femme profonde et belle. Et Catherine avait déjà entendu ce chant mystérieux et déchiré...

Brusquement, elle se rendit compte que la voix ne chantait pas dans son imagination, mais bien dans la réalité... et si près d'elle. De l'autre côté du mur exactement. Alors, elle comprit et, emportée par une bouffée de joie, elle voulut s'élancer vers le mur d'où venait le chant.

Mais les chaînes qu'elle avait oubliées se tendirent brutalement et, freinant son élan, la rejetèrent sur le sol, les poignets meurtris, les larmes aux yeux. Les entraves, pourtant, ne purent retenir sa voix qui jaillit, instinctivement, de son corps prisonnier.

– Sara ! Sara ! Tu es là ? C'est moi...

Elle se mordit la langue. Dans sa joie, elle avait failli crier : « C'est moi, Catherine. » Elle eut assez de présence d'esprit pour se rattraper :

« Moi, Tchalaï... » Puis, de tout son cœur, elle écouta. On avait cessé de chanter dans la geôle voisine. Alors, elle cria encore : « Sara ? Je suis là ! »

Il y eut encore un instant de silence... Enfin, avec un soulagement inexprimable, elle entendit :

– Dieu soit loué !

La voix était plus faible que dans le chant et Catherine comprit qu'il ne serait pas facile de parler. Puisqu'il fallait hurler pour être entendue, ce serait dangereux, mais tant pis. C'était déjà une grande joie de savoir Sara si près d'elle. Et puis, Tristan n'avait-il pas dit qu'il veillait sur Sara ? Déjà, tout à l'heure, il avait suivi Catherine des yeux quand elle accompagnait la dame de La Trémoille à la prison. Il avait dû s'étonner de la voir ressortir sans Catherine et en tirer des conclusions.

Un peu rassérénée, Catherine se releva et retourna s'asseoir sur sa litière. Si la comtesse ne la faisait pas mettre à mort dans les heures qui allaient suivre, elle pouvait avoir des chances de survivre. C'est au cœur des cachots les plus sombres que l'espoir entre le plus aisément, et celui de Catherine renaissait.

Pourtant, elle ne put s'empêcher de suivre avec une certaine angoisse le déclin du jour dans le soupirail. Quand la nuit serait là, elle serait plongée dans les plus épaisses ténèbres. Peu à peu, en effet, le sinistre décor perdit ses contours. L'ombre engloutit les murs noirs et suintants et vint le moment où Catherine ne vit même plus la tache claire de sa main. Elle eut la désagréable sensation d'une eau profonde et pleine de dangers qui la submergeait tout entière...

Mais, comme si elle avait deviné, du fond de sa prison, l'angoisse de Catherine, la voix de Sara monta des profondeurs de la nuit.

– Dors. Les nuits sont brèves maintenant.

C'était vrai. L'été approchait et le jour était infiniment plus long que la nuit. A force de se tirer les yeux, Catherine parvint même à distinguer le petit rectangle plus pâle de son soupirail. Alors, un peu détendue, elle se laissa aller sur sa paille, ferma les yeux.

Dormait-elle déjà quand un bruit, pourtant léger, la fit sursauter.

Elle était tellement habituée à vivre avec le danger que son sommeil n'avait plus de poids... Elle demeura immobile, l'oreille tendue, retenant même sa respiration. C'était le grincement imperceptible de sa porte qui l'avait éveillée. Quelqu'un entrait ou était entré... Elle perçut le bruit infime que produit, dans le silence, le souffle retenu d'un être vivant... Il y eut un léger grincement contre la pierre du mur et le cœur de Catherine s'arrêta de battre... Qui était là ?

La pensée lui vint que c'étaient peut-être des rats, et, à cette idée, sa chair se hérissa, mais le bruit de tout à l'heure c'était bien sa porte, elle en était sûre. Et puis, l'instant suivant, elle entendit encore le même souffle léger, plus près... encore plus près. Inondée d'une sueur glacée, elle leva la main tout doucement, prenant bien garde à ne pas faire tinter ses chaînes, glissa deux doigts dans sa robe, tira la dague et la tint serrée dans sa main qu'elle rabaissa aussi doucement. Une peur atroce lui labourait les entrailles. Elle se retrouvait soudain, des années en arrière, dans le vieux donjon de Mâlain, où elle devait, chaque nuit, se défendre contre les attaques de la brute qu'on lui avait donnée pour geôlier. Tout recommençait... Mais, cette fois, qui pouvait venir... et dans quelle intention ?

Elle avait si peur qu'un hurlement gonfla sa poitrine, emplit sa gorge et qu'elle dut serrer les dents pour lui barrer le passage. Cette fois, l'homme était tout près... car c'était un homme, elle en était sûre à l'odeur.

Une masse s'abattit soudain sur son ventre, et elle poussa un hurlement qui dut retentir jusqu'au fond des cours. Le poids qui l'écrasait lui parut énorme, mais elle comprit bientôt qu'on cherchait à l'étrangler. Deux mains velues remontaient vers sa gorge, tâtaient son cou. Contre son visage elle sentait un souffle aigre, abominable. Elle se tordit sous l'homme pour dégager son cou, n'y parvint pas. Les mains allaient serrer, elles serraient déjà... Alors, poussée par l'instinct de conservation, par le désir farouche de vivre, elle leva son bras armé, le laissa retomber de toute sa force. La lame s'enfonça jusqu'à la garde dans un dos. Le corps qui écrasait le sien eut un soubresaut tandis qu'un cri bref échappait à l'homme. Mais les mains, privées de leurs forces, glissèrent lentement le long de son flanc, quelque chose de chaud et de poisseux coula lentement sur elle... La dague avait frappé juste. L'homme était mort d'un seul coup... Péniblement, claquant des dents tant elle avait eu peur, Catherine parvint à faire glisser le cadavre sur le côté. Au même moment, la porte du cachot s'ouvrit, deux hommes, dont l'un portait une torche, se précipitèrent et demeurèrent figés au spectacle de Catherine, couverte de sang et enchaînée, mais accroupie auprès d'un cadavre. Elle leva sur eux des yeux de somnambule, reconnut sans même s'en émouvoir Tristan l'Hermite et le bourreau Aycelin.

– Il a essayé de m'étrangler, fit-elle d'une voix sans timbre. Je l'ai tué.

– Grâces soient rendues à Dieu ! marmotta Tristan qui était pâle comme la mort. J'ai eu peur d'arriver trop tard.

Puis, plus haut et se tournant vers son compagnon qui, stupide, regardait Catherine avec une sorte d'effroi :

– Tu te souviens des ordres de Monseigneur ? Tu devais répondre de la vie de cette femme sur la tienne.

L'homme devint gris et leva sur Tristan des yeux qui s'affolaient.

– Oui, messire. Je... je me souviens.

Heureusement pour toi que je suis arrivé. Emporte cette charogne et arrange-toi pour t'en débarrasser discrètement. Ainsi, comme il n'y a que toi, moi... et elle à être au courant, personne ne saura rien. Tu n'as pas de mal, femme ?

Catherine fit signe que non. Aycelin s'était baissé et, à grand-peine malgré sa force, soulevait le corps inerte de l'assassin qu'il chargeait sur son épaule.

– Je vais le jeter dans l'oubliette, dit-il. C'est tout près.

– Dépêche-toi... Je t'attends

Il sortit avec son fardeau, jetant au Flamand un regard plein de reconnaissance, et ne prit pas la peine de refermer la porte. Aussitôt qu'il eut disparu Tristan se pencha vers Catherine.

– Vite, nous n'avons pas beaucoup de temps. Je venais parler avec Sara comme je le fais presque chaque soir par le soupirail quand j'ai vu cet homme, l'un des valets de la dame de La Trémoille, qui se glissait dans la prison. J'ai senti, d'instinct, ce qui allait se passer. Je l'ai suivi. Cette livrée est un sauf-conduit... Et puis, je vous ai entendue crier et j'ai couru...

– Venez-vous me chercher ?

Il hocha la tête tristement, navré de voir que des larmes emplissaient les grands yeux de la jeune femme.

– Pas encore. Je ne peux pas. D'ici une heure, le Grand Chambellan va descendre jusqu'ici pour vous voir.

– Comment le savez-vous ?

– Je l'ai entendu ordonner à l'une des muettes de mettre dans un sac, après minuit, un poulet et un flacon de vin. Apparemment, il garde encore des ménagements avec vous. Il faut savoir ce qu'il vous veut. Je ne pense pas qu'il ait des intentions charnelles dans un pareil trou. Et puis, il est malade... certainement incapable du moindre exploit.

– De toute façon, je ne le laisserai pas faire. Ma dague a frappé une fois, elle peut frapper encore.

– Ne brusquez rien. Il ne faut pas vous laisser emporter comme vous l'avez fait tout à l'heure dans la salle des tortures, vous pourriez perdre tout le monde.

Maintenant je m'en vais. Messire de Brézé m'attend dans le verger.

Il se relevait prêt à partir. Catherine le retint par le bras.

– Quand vous reverrai-je ?

– La nuit prochaine peut-être... Avant, si c'est nécessaire. N'ayez pas trop peur. Nous veillons et je crois bien que, pour vous, Brézé est prêt à égorger La Trémoille aux pieds mêmes du Roi. Courage !

Aycelin, d'ailleurs, revenait. Tristan l'attendait près de la porte, le dos tourné à Catherine qui, soudain, sursauta.

– Messire ? Tout ce sang qui me couvre... Comment expliquer ?

– Tu diras ce qui s'est passé et aussi qu'Aycelin t'a sauvée et a tué l'assassin. Il y gagnera de l'avancement et toi tu n'as rien à perdre à ce mensonge.

Le tourmenteur eut un large sourire.

– Vous êtes bien bon, messire. Si je peux quelque chose pour vous...

– On verra ça plus tard. Referme cette porte et fais bonne garde.

Sans un regard à Catherine, Tristan sortit du cachot. La lourde porte se referma. L'obscurité envahit de nouveau la prison, mais les nerfs de la jeune femme avaient été trop rudement secoués. Elle éclata en sanglots. Cela lui fit du bien. Elle pleura longtemps, violemment, et sortit de là épuisée mais apaisée... Dans le cachot voisin, on n'entendait aucun bruit. Sara devait avoir eu aussi peur qu'elle-même, mais Tristan sans doute l'avait rassurée... Catherine s'efforça de retrouver son calme. Il le fallait, elle en avait le plus grand besoin pour affronter La Trémoille tout à l'heure... bientôt sans doute.

Comme pour lui donner raison, un peu de lumière brilla sous la porte.

Des pas qui ne songeaient pas à se dissimuler résonnèrent dans le couloir. Les verrous claquèrent dans leurs gâches, la porte s'ouvrit, immédiatement obstruée par l'énorme silhouette du Grand Chambellan. Aycelin venait derrière, tenant une lanterne qu'il élevait.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю