355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Catherine des grands chemins » Текст книги (страница 7)
Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 7 (всего у книги 29 страниц)

Catherine se contenta d'ôter sa robe et ses chaussures puis se glissa auprès d'elle.

Les coups légers frappés à sa porte la tirèrent du profond sommeil dans lequel elle avait sombré elle aussi. Des grattements plutôt, qu'elle hésita un instant à attribuer à une souris. Mais non, il y avait bien, derrière la porte, quelqu'un qui frappait.

La nuit était noire dans la chambre. La chandelle avait brûlé jusqu'au bout et Catherine tâtonna jusqu'à l'huis où le grattement avait repris, tremblant de renverser quelque meuble et d'éveiller toute la maison.

Pour s'annoncer aussi discrètement, la personne qui frappait ne devait pas souhaiter attirer l'attention... La porte enfin s'ouvra et Catherine vit que Jacques Cœur, armé d'une chandelle, se tenait sure le seuil ; il était tout habillé, chaperon en tête et manteau sur le dos. D'un doigt appuyé vivement sur ses lèvres, il invita Catherine au silence puis, la repoussant doucement, entra d'autorité dans sa chambre et referma la porte derrière lui. Son visage avait une gravité inquiétante.

– Pardonnez-moi cette intrusion, Catherine, mais si vous ne tenez pas à connaître, dès l'aube, les prisons de la vicomté, je vous conseille de vous habiller, d'éveiller Sara et de me suivre. Frère Étienne doit être déjà à l'écurie.

– Mais... pourquoi si tôt ? Quelle heure est-il ?

– Une heure après minuit et je vous accorde que c'est un peu tôt, mais le temps presse.

– Pourquoi ?

– Parce que la vue de certain diamant a troublé l'entendement d'un homme jusqu'ici honnête. Je veux dire que, tout à l'heure, maître Amable, après avoir fermé son auberge, a couru jusque chez le prévôt pour nous signaler comme de dangereux malfaiteurs recherchés par monseigneur le Grand Chambellan. L'aspect exotique de Sara et le fait que j'aie mentionné le Juif Abrabanel ont ajouté à sa dénonciation un vague parfum de sorcellerie. Bref, pour toucher une part du fabuleux joyau, maître Amable est prêt à nous envoyer au bûcher.

– Comment savez-vous tout cela ? fit Catherine trop interloquée pour être vraiment effrayée.

D'abord parce que j'ai suivi notre digne hôte quand il est sorti. Son attitude, durant le souper, m'avait paru suspecte. Il rougissait et pâlissait tour à tour, ses mains tremblaient comme feuilles au vent et son regard se fixait obstinément à mon escarcelle. Je le connais depuis pas mal de temps, mais j'ai appris à me méfier des hommes quand il y a de l'or en jeu. La chambre que je partage avec Frère Étienne donne heureusement au-dessus de la porte. J'ai guetté parce qu'un pressentiment m'y poussait et j'ai vu, en effet, notre aubergiste sortir mystérieusement quand il put supposer que tout le monde dormait.

Ma foi, je n'ai pas eu la patience de prendre l'escalier. En me servant des colombages de la maison, j'ai pu me laisser glisser jusqu'à terre et je me suis lancé sur la trace d'Amable. Quand je l'ai vu grimper la rampe du château, j'ai compris que j'avais eu raison de le surveiller.

– Ensuite ? fit Catherine qui, tremblant de^ froid, se hâtait de repasser sa robe. Que s'est-il passé ? Êtes-vous sûr qu'il nous ait dénoncés ?

– Voilà une question que vous ne poseriez pas si vous l'aviez vu sortir en se frottant les mains. De plus, j'ai pu m'assurer que je ne me trompais pas. A l'aube, un détachement du prévôt doit nous arrêter dès avant l'ouverture des portes de la ville.

– Qui vous l'a dit ?

Jacques Cœur sourit et Catherine se dit qu'il semblait bien calme et bien détendu pour un homme menacé de prison.

– Il se trouve que j'ai deux ou trois amis dans cette cité, chose que maître Amable ignore. Le fds cadet de l'un des deux détenteurs du secret des tapisseries, apporté jadis par Marie de Hainaut, est sergent dans la garnison. Je suis allé hardiment jusqu'au château, je me suis présenté au corps de garde sans dire mon nom bien entendu et j'ai demandé à lui parler.

– Sans difficulté ?

– Une pièce d'or a de bien grandes vertus, Catherine, et il se trouve que le jeune Espérât possède le sens du commerce. Désireux de conserver à son père un bon client, il n'a fait aucune difficulté pour me mettre au courant des ordres qui lui ont été donnés pour le lever du jour.

Catherine avait fini de lacer sa robe et secouait Sara qui faisait des difficultés pour s'éveiller.

– C'est très joli d'être si bien renseignés, bougonna-t-elle, mais cela ne nous sauvera pas. A moins d'avoir des ailes d'oiseau, je ne vois pas comment sortir d'une ville cernée de hautes murailles et de lourdes portes bien fermées et gardées. Nous sommes pris dans une souricière car la cité me paraît trop petite pour que l'on puisse s'y cacher.

Aussi allons-nous en sortir... du moins, je l'espère. Hâtez-vous, Catherine. Frère Étienne doit déjà être à l'écurie.

Catherine ouvrit de grands yeux et regarda Jacques comme s.'il était devenu subitement fou.

– Parce que vous comptez partir à cheval ? Décidément, vous ne doutez de rien. Un cheval fait du bruit. À plus forte raison quatre !

Un bref sourire éclaira le visage sérieux du pelletier. Sa main se posa, un instant, sur l'épaule de Catherine, la serra.

– Si vous essayiez de me faire confiance, mon amie ? Je ne fais pas ici serment de vous tirer de ce mauvais pas. Je dis seulement que je vais faire de mon mieux. Mais assez parlé ! Venez !

En un clin d'œil les deux femmes furent prêtes. Sara, flairant le danger, s'était hâtée sans même poser de question. Maintenant, suivant prudemment Jacques Cœur, elles s'engageaient dans l'escalier vétusté, posant les pieds le plus près possible de la rampe pour éviter de faire crier les marches. Le silence était si profond que le seul bruit de leurs respirations leur semblait terrifiant. On atteignit sans encombre le bas de l'escalier. Jacques Cœur, qui tenait Catherine par la main, l'entraîna vivement à travers la salle vers la porte donnant sur les arrières de l'auberge. Là, il suffisait seulement de prendre garde à ne pas heurter de table ou de banc car les dalles de pierre du sol ne risquaient pas de gémir. Mais, comme le pelletier mettait la main sur le loquet, un claquement sec le retint et le rejeta contre le mur avec ses compagnes, le cœur fou.

Ce n'était qu'un tison qui, soulevant la couche de cendre dont la servante avait couvert le feu pour n'avoir pas le mal de le rallumer au matin, avait éclaté. Jacques prit une profonde respiration tandis que Catherine laissait échapper un soupir. Ils échangèrent un regard, un sourire assez tremblant. Lentement, pouce par pouce, le vantail de châtaignier s'ouvrit. Jacques souffla sa chandelle, la posa à terre, tira après lui Catherine et Sara, puis referma la porte. Sous l'auvent, en face d'eux, une lueur filtrait à la porte de l'écurie. Ils s'y dirigèrent.

– C'est nous, mon frère, souffla Jacques.

Dans l'écurie, en effet, Frère Étienne était au travail. À l'aide de chiffons qu'il avait dû prendre dans la cuisine de l'aubergiste, il enveloppait soigneusement les sabots des chevaux avec autant de sérénité que s'il eût dit son bréviaire. Jacques et Sara se mirent à l'aider. En quelques instants, tout fut prêt pour le départ et, tandis que Jacques courait ouvrir la porte charretière, les trois autres, pinçant les naseaux des chevaux, les menèrent l'un après l'autre, très doucement, jusqu'à la rue. Celle-ci donnait sur le chevet de l'église Sainte-Croix.

De là, une sorte de champ de foire montait vers le beffroi et vers le château dont la masse trapue se découpait sur le ciel sombre.

Catherine resserra son manteau autour de son cou. Le vent qui soufflait du plateau était rude, sec et coupant. Aucune lumière ne trouait la nuit hormis, au pont-levis du château, un pot à feu qui brillait dans son berceau de fer comme une étoile rouge. La coulée des maisons semblait sourdre de la rustique forteresse dont la couronne de pierre dominait les toits biscornus qui s'étayaient l'un l'autre. Plus bas, devant l'église, une sorte de tour aux murs aveugles se dressait.

– Les prisons ! dit seulement Jacques Cœur, comme s'il voulait fortifier le courage de Catherine. Suivez– moi. Il nous faut monter jusqu'au château.

– Au château ? fit Catherine en écho.

– Mais oui, Justin Espérât nous y attend près du mur d'enceinte.

Là-haut, vers le plateau, la muraille du castel et celle de la ville se confondent.

– Et alors ? Je ne vois toujours pas.

Vous allez voir. Le ciel, apparemment, est avec nous. Le gel, cet hiver, a mordu si fort que des pierres ont éclaté et qu'une brèche s'est ouverte dans la muraille. Cette brèche est gardée, bien entendu, en attendant que la fin des frimas permette de réparer. Mais, il se trouve qu'à partir de la première heure, c'est Espérât qui est de garde. Cette fois Catherine ne répondit pas. Il n'y avait plus rien à objecter. Et puis, la montée était rude et, à mesure que l'on montait, le froid rendait la respiration difficile. Enfin, il /allait maintenir fermement les bêtes pour les empêcher de glisser. Bientôt l'ombre se fit plus épaisse. On longeait les courtines du château. Le grand pont– levis était relevé, mais celui de la poterne était en place. Un homme d'armes y veillait, appuyé lourdement sur sa guisarme. C'était là que brûlait le pot à feu.

Jacques Cœur leva la main pour commander la halte, s'approcha de Catherine.

– Nous devons passer presque sous le nez du garde. Pour cela, il n'y a qu'un moyen : l'occuper, chuchota– t-il.

– Mais comment ?

– Je pense que cela regarde Frère Étienne. Incroyable ce que l'on peut faire avec une robe de cordelier !

Catherine allait sans doute demander plus d'explications, mais le moine remettait déjà dans les mains de Jacques Cœur la bride de son cheval.

– Laissez-moi faire ! Guettez seulement le moment propice et faites le moins de bruit possible.

Frère Étienne rabattit son capuchon sur sa tête, glissa ses mains dans ses manches, puis, hardiment, s'avança vers la tache de lumière où l'homme d'armes sommeillait sur son arme comme un héron mélancolique. Tapis derrière leur contrefort de lave, les autres retenaient leur souffle. Le bruit des pas du moine avait éveillé le soldat qui rectifiait la position.

– Qui va là ? fit-il d'une voix enrouée de fatigue. Que voulez-vous, mon Père ?

– Je suis le Frère Ambroise, du couvent de Saint– Jean, mentit le cordelier avec un aplomb superbe. Je viens apporter les secours de la religion à l'homme qui va mourir.

– Quelqu'un va mourir ? s'étonna le soldat. Qui donc ?

Est-ce que je sais ? Quelqu'un de chez vous est venu demander un prêtre pour entendre une confession. On n'a rien dit de plus !

L'archer repoussa son casque et se gratta la tête. Il ne savait, visiblement, à quoi se résoudre. Finalement, il mit sa guisarme sur l'épaule.

– Je n'ai point d'ordre, mon frère. Partant, je n'peux point prendre sur moi d'vous faire entrer. Patientez un instant.

– Dépêchez-vous, mon fils, fit Frère Etienne aigrement. La bise est coupante.

L'homme disparut sous l'ogive basse de la poterne. Il allait au corps de garde chercher des instructions.

– Maintenant ! souffla Jacques Cœur.

Ils quittèrent leur abri, traversèrent rapidement la zone lumineuse.

Les sabots enveloppés de chiffons des chevaux ne faisaient aucun bruit. Le temps de trois battements de cœur effrayés et l'obscurité les avait engloutis de nouveau, mais la respiration de Catherine était aussi forte que si elle avait fourni une longue course. L'angle d'une tour à bec offrit aux fugitifs un nouveau refuge. Cependant, le soldat revenait.

– Faites excuse, mon Frère, mais on vous a mal informé.

Personne, cette nuit, n'est au mouroir.

– Cependant, je suis certain...

L'homme hocha la tête d'un air sincèrement désolé.

– Faut croire qu'il y a eu erreur. Ou bien qu'un mauvais plaisant...

– Un mauvais plaisant ? S'attaquer à un serviteur de Dieu ? Oh, mon fils ! s'offusqua le moine avec un naturel parfait.

– Dame ! Dans ces malheureux temps qu'nous vivons, mon frère, faut plus s'étonner de rien. Si j'étais vous, j'irais bien vite me remettre au chaud.

Frère Étienne haussa les épaules et tira davantage son capuchon sur son visage.

Puisque je suis dehors, je vais aller jusqu'à la porte de Clermont voir la vieille Marie qui est bien mal ! Les nuits sont longues quand la mort approche et c'est dans les petites heures que l'angoisse est la plus forte. Dieu vous garde, mon fils !

Frère Étienne esquissa une bénédiction puis quitta à son tour le cercle de lumière tandis que le soldat s'appuyait de nouveau sur son arme et reprenait sa faction morose.

Quelques instants plus tard, il avait rejoint les trois autres. A mesure que la nuit s'écoulait, le froid se faisait plus âpre et, derrière l'épaisse et rude muraille de la cité où s'appuyaient quelques masures croulantes, on entendait le vent siffler, balayant librement le haut plateau. Sans un mot, Jacques Cœur avait repris la tête de la petite troupe. On cheminait maintenant dans un étroit boyau qui se creusait entre le mur de ville et celui du château menant à un cul-de-sac. Là, d'intolérables odeurs s'élevaient, si lourdes que le froid ne les atténuait pas. Catherine, luttant courageusement contre la nausée, avait la sensation de s'enfoncer au cœur d'un univers gluant et humide où l'air devenait puanteur. Les sabots enveloppés des chevaux glissaient sur d'innommables détritus. La rivière était loin, les gens du quartier avaient trouvé là un dépotoir commode.

Soudain, la muraille parut se fendre, le ciel réapparut et une silhouette sombre se détacha de l'ombre.

– Est-ce vous, maître Cœur ?

– C'est nous, Justin ! Sommes-nous en retard ?

– Très en retard. Il faut que vous ayez le temps de gagner largement du terrain avant le jour. Faites vite !

Les yeux de Catherine s'habituaient à l'obscurité. Elle put distinguer la silhouette mince d'un jeune archer, devina la tache plus claire d'un visage sous le chapeau de fer. Un cor pendait à un baudrier au flanc du jeune homme. Un court instant, elle vit briller deux yeux vifs.

– Tu es certain de n'avoir point d'ennuis, Justin ?

Soyez sans crainte. Le prévôt pensera que maître Amable avait trop bu et nul n'aura idée de chercher par ici. D'ailleurs, les sabots enveloppés de vos chevaux n'auront pas laissé de traces reconnaissables dans toute cette boue.

– Tu es un brave garçon, Justin. Je te revaudrai cela.

Le rire léger du jeune homme tinta dans la nuit, insouciant, réconfortant.

– Rendez-le à mon père, maître Jacques, en lui commandant quelque belle pièce quand vous serez riche et puissant. Il rêve de tisser la plus belle tapisserie du monde et il ne cesse de dessiner belles dames et animaux fantastiques.

– Ton père est un grand artiste, Justin, je le sais depuis longtemps.

Je n'aurai garde de l'oublier. Jusqu’au revoir, mon enfant, et encore merci ! Car je sais que tu risques quelque chose malgré ce que tu en dis !

– S'il n'y avait pas risque, messire, où serait l'amitié ? Allez avec Dieu et ne vous souciez pas de moi, mais faites vite par pitié !

Sans ajouter un mot, Jacques serra la main du jeune homme puis aida Catherine à franchir les pierres écroulées de la courtine. Au-delà s'ouvrait l'air libre. On était sur un petit plateau où le vent soufflait avec violence, mais, plus loin, la colline montait encore. Pendant quelques instants, les voyageurs marchèrent sans parler, menant toujours les chevaux par la bride. La nuit semblait se faire moins noire ou bien les yeux s'habituaient. Catherine pouvait distinguer des formes d'arbres dont les branches nues se tordaient sous les brusques bourrades.

À une croisée des chemins marquée d'un calvaire de pierre, Jacques s'arrêta.

– C'est ici que nous nous séparons, Catherine. Cette route, dit-il, désignant celle de droite qui escaladait la colline, est la mienne. Elle conduit à Clermont d'où je descendrai sur la Provence. La vôtre est celle de gauche. À peu de distance, vous trouverez le prieuré de Saint-Alpinien où, si le cœur vous en dit, vous pourrez attendre le jour et prendre un peu de repos.

Il n'en est pas question, Jacques ! Je désire mettre autant de chemin que possible entre les prisons d'Aubusson et notre groupe. Mais je regrette de vous quitter.

Instinctivement, pour avoir encore un instant de solitude, le pelletier et la jeune femme s'étaient éloignés au-delà de la croix hosannière, laissant Sara et Frère Étienne démailloter les pieds des chevaux. Catherine éprouvait un regret profond en voyant Jacques s'éloigner. Il représentait cette solidité, cette force masculine rassurante dont la fuite de Gauthier l'avait privée et qui lui manquait si cruellement. Les heures noires précédant le matin pesaient sur elle de toute leur désespérance et une angoisse lui venait de ces routes inconnues où il lui fallait s'enfoncer. Jamais peut-être, autant qu'au pied de cette croix de lave, le regret d'un vrai foyer, d'une vie normale ne lui était venu d'une manière aussi poignante. Instinctivement, elle saisit la main de Jacques, s'y agrippa tandis que des larmes montaient à ses yeux.

– Jacques, murmura-t-elle, suis-je donc condamnée à l'errance éternelle, à la solitude sans fin ?

Quelque chose s'émut dans le visage tendu du pelletier. Celui de Catherine s'était levé vers lui et telle était la magie que dégageait sa beauté, même au cœur d'une nuit sombre, qu'un nuage passa devant ses yeux tandis qu'une pensée folle se glissait dans son cerveau si sage. Il ne comprit pas que Catherine subissait là une dépression passagère, née de la nuit, du froid et de sa fatigue plus que de sa raison. A son tour, il étreignit les mains menues, les appuya contre sa poitrine.

– Catherine, s'écria-t-il, et sa voix, sans qu'il en eût conscience, s'était chargée de passion, ne nous quittons pas ! Venez avec moi !

Nous irons en Orient, à Damas, où Je vous ferai Reine, où je saurai faire couler à vos pieds tous les trésors arrachés au cœur de l'Asie par les caravanes. Avec vous, pour vous, rien ne me sera impossible !

Une telle ardeur s'était levée en lui que son souffle brûla le front de Catherine. D'ailleurs, la minute de faiblesse était passée. Elle avait été heureuse de retrouver Jacques et elle avait peine à s'en séparer de nouveau, mais qu'avait-il donc compris ? Doucement, elle retira ses mains, sourit.

– Nous sommes si las et nous avons eu si peur que nous sommes aussi un peu fous, n'est-ce pas, Jacques ? Que feriez-vous de moi dans vos voyages aventureux ? Et que deviendrait votre plan grandiose qui doit donner au royaume richesse et prospérité ?

– Qu'importe tout cela ! Vous valez mieux qu'un royaume ! Dès le premier instant où je vous ai vue, parmi les dames de parage de la reine Marie, j'ai su que, pour vous, je pourrais tout renoncer, tout abandonner...

– Même Macée et les enfants ?

Un silence suivit. Jacques s'était raidi contre l'image si doucement évoquée par Catherine. Elle pouvait l'entendre respirer plus fort. Puis sa voix lui parvint, lointaine, assourdie mais ferme.

– Même eux... oui, Catherine !

Elle ne lui laissa pas le temps d'en dire davantage, le danger était trop pressant. Depuis longtemps, elle avait deviné que Jacques éprouvait pour elle de tendres sentiments, mais elle n'avait jamais imaginé pareil amour. Il n'était pas homme à s'engager ainsi. Qu'elle le prît au mot et il abandonnerait tout pour elle, avenir, famille, fortune. Lentement, elle secoua la tête.

– Non, Jacques, nous ne ferons pas cette folie que nous regretterions. J'ai parlé par lassitude, par lâcheté peut-être, et vous par trop grande spontanéité. L'un comme l'autre, nous avons une tâche à accomplir dans ce pays. D'autre part, vous aimez trop Macée, même si pour l'instant vous ne le croyez pas, pour lui faire cette peine. Quant à moi... oh moi, mon cœur est mort en même temps que mon époux.

– Allons donc ! Vous êtes trop jeune, trop belle pour qu'il n'en soit autrement.

Et pourtant il en est ainsi, mon ami, fit Catherine fermement, appuyant intentionnellement sur le mot ami. Je n'ai jamais vécu, respiré, souffert que pour et par Arnaud de Montsalvy. La vie, l'amour, la seule raison d'être n'ont jamais résidé qu'en lui. Depuis qu'il n'est plus là, je suis un corps sans âme et c'est, sans doute, heureux car cela me permettra d'accomplir sans faiblir la tâche que je me suis donnée.

– Quelle est cette tâche ?

– Qu'importe ! Mais elle peut me coûter la vie. En ce cas, souvenez-vous, Jacques Cœur, que vous avez en charge la fortune de Michel de Montsalvy, mon fils, et priez pour moi. Adieu, mon ami !

Rassemblant les plis de son manteau que le vent soulevait, Catherine se détourna pour rejoindre Sara et Frère Étienne. La protestation douloureuse de Jacques lui parvint comme un souffle.

– Non, Catherine, pas adieu... au revoir !

Sous l'ombre de son capuchon, elle cacha une grimace. C'étaient les mêmes mots, ou presque les mêmes qu'elle avait criés dans le chemin vide de Carlat, à demi folle de souffrance, mais acharnée à un espoir qui ne voulait pas mourir. Les mêmes mots, oui... mais le tourment n'y était pas. Le cours de sa vie tumultueuse allait reprendre Jacques dès que le tournant de la route les aurait séparés. Et c'était très bien ainsi !

Elle se pencha vers Sara qui s'était assise sur une pierre, pelotonnée sur elle-même pour avoir moins froid, et lui tendit la main pour l'aider à se relever en souriant à Frère Étienne.

– Je vous ai fait attendre, pardonnez-moi ! Maître Cœur m'a chargée de vous dire adieu. Maintenant, voici notre route.

Sans un mot, ils se remirent en marche. Le chemin obliquait vers la gauche et, d'abord, descendait pour longer un étang. Le croissant de lune apparu au ciel noir y traçait des moirures légères et en dessinait le contour. Remontée sur son cheval, Catherine se détourna. La faible lumière lui permit encore d'apercevoir la silhouette de Jacques dont le manteau claquait au vent. Sans se retourner, il escaladait la colline.

La jeune femme poussa un soupir et se redressa sur sa selle. Cette faiblesse sentimentale qui l'avait abattue un instant serait la dernière avant la chute de La Trémoille. Dans le dangereux pays de la Cour où elle allait évoluer, il n'y avait pas de place pour ce genre de choses.

Debout dans l'embrasure profonde d'une des fenêtres du château d'Angers, Catherine regardait distraitement au-dehors. Elle était si lasse après tous ces jours de voyage qu'elle n'était plus guère capable de s'intéresser à ce qui l'entourait. Tout à l'heure, quand, avec Sara et Frère Étienne, elle avait atteint la Loire, elle avait failli s'évanouir à la fois de fatigue et d'horreur. Depuis douze jours, à travers le Limousin ravagé de misère et de famine, les Marches et le Poitou, où les marques sanglantes de l'oppression anglaise se relevaient partout, fraîches et sinistres, les trois voyageurs avaient lutté pour leur vie, contre le froid, contre les hommes, voire contre les loups qui venaient hurler jusqu'aux portes des granges qui étaient bien souvent leur seul refuge. Manger était devenu un problème et chaque repas était une aventure difficile qui se faisait de plus en plus rare. Sans les abbayes que leur ouvrait le costume du cordelier ou le sauf-conduit de la reine Yolande, Catherine et ses compagnons fussent sans doute morts de faim et de misère avant d'atteindre le fleuve royal. Puérilement, la jeune femme s'était imaginé qu'en atteignant le duché d'Anjou, terre préférée de Yolande, tout ce cauchemar s'évanouirait. Mais cela avait été pis encore !

Sous la pluie diluvienne qui les avait accueillis aux limites du duché, Catherine et ses amis avaient parcouru les campagnes dévastées l'automne précédent par les soudards de Villa-Andrado. Ils avaient vu des villages tellement ravagés qu'il n'était resté âme qui vive pour enterrer les cadavres dont, seul, l'hiver s'était fait le fossoyeur ; des vignes arrachées, des champs où l'herbe même ne pousserait pas ce printemps, des églises éventrées, des abbayes et des châteaux brûlés, des déserts noircis, piqués çà et là de pieux tordus qui avaient été des arbres marquant la place des forêts incendiées, et les squelettes d'animaux abandonnés au bord des chemins, tels que les loups les avaient laissés.

Us avaient vu, réfugiés dans des cavernes où la peur et le dénuement les avaient poussés, des hommes, des femmes, des enfants qui avaient plus l'air de bêtes sauvages que d'êtres humains et devant lesquels il leur avait fallu fuir. Pour ces misérables, tout voyageur était devenu une proie. Un soir, même, ils furent sauvés de justesse des griffes d'une de ces hordes par les sergents de la duchesse-reine qui, escortant un chariot chargé de vivres, venaient porter secours aux populations si cruellement éprouvées.

Quand, enfin, les Ponts-de-Cé, fortifiés comme des redoutes avec leurs quatre arches enjambant trois îles et leur fort château, s'étaient dressés devant eux, Frère Étienne, malgré son courage et son empire sur lui– même, n'avait pu s'empêcher de murmurer :

– Enfin, nous voici au but !

Son sauf-conduit leur avait permis de passer sans la moindre difficulté et, bientôt, les puissantes murailles d'Angers s'étaient refermées sur eux à leur grand soulagement. Mais si la cité ducale n'avait pas souffert des ravages du Castillan, si la misère des campagnes n'avait pas été aussi cruellement ressentie dans cette ville riche et bien défendue, leur reflet se lisait sur les visages sombres et dans l'attitude méfiante des citadins. On ne voyait que figures fermées, vêtements de deuil et l'agitation normale d'une ville puissante ne se manifestait pas dans ces rues silencieuses où l'on parlait bas, comme dans une église.

Tout donnait cependant une impression d'énergie et d'ordre. Pas de mendiants, pas de soldats ivres, pas de filles folles ! Cette ville, créée pour la douceur de vivre, avec ses jardins, ses toits bleus et ses maisons blanches s'était muée en une forteresse toujours en alerte. Il n'était jusqu'aux réfugiés, dont elle s'était gonflée comme une poule qui a rassemblé sa couvée sous ses plumes, qui n'eussent été répartis de manière à ne pas gêner l'ordre de la cité ni sa défense. Tout ici proclamait que Yolande d'Anjou savait régner, secourir et se battre !

Le château dont la Maine reflétait les tours noires et grises, de granit et de schiste, groupées autour du donjon colossal renforçait cette impression. Une forêt de poivrières bleues, luisantes comme de l'acier, un hérissement de clochetons, de chemins de ronde et de girouettes dorées le couronnaient. Partout, aux créneaux, se montraient des hommes d'armes portant vouges, guisarmes ou fauchards de guerre et, au plus haut du donjon, un immense étendard claquait dans le vent chargé de pluie venu de la mer. Bleu, pourpre, blanc et or, cette bannière portait les croix de Jérusalem, le lambel de Sicile, les lys d'Anjou et les pals d'Aragon : les armes de la duchesse-reine que l'on retrouvait, couronnées d'or et aux mains d'un ange au-dessus de la porte de Ville.

À Angers, Frère Étienne pouvait circuler dans la ville et le château comme bon lui semblait et c'est tout juste si le corps de garde ne lui rendit pas les honneurs. Mais, franchis les profonds fossés, Catherine ne vit l'immense cour qu'à travers un rideau de pluie. Et puis, sous le capuchon alourdi d'eau, ses yeux se brouillaient de fatigue. Elle ne souhaitait, pour le moment, rien de plus qu'un lit, un vrai lit avec des draps pour y étendre son corps brisé par des nuits sur la pierre ou la terre nue. Mais il fallait, d'abord, se présenter à Madame Yolande.

Frère Étienne laissa ses deux compagnes dans une

grande salle du logis ducal dont les hautes fenêtres dominaient la Maine barrée de lourdes chaînes et la ville basse. Sara se laissa tomber aussitôt sur une bancelle, devant la cheminée, et s'endormit comme une masse. Catherine resta debout. Tous ses muscles étaient si douloureux qu'elle avait peur, en s'asseyant, de ne plus pouvoir se relever.

Elle n'attendit pas longtemps. Au bout de quelques minutes, le moine reparut.

– Venez, mon enfant, la Reine vous attend !

Jetant un dernier regard à Sara qui n'avait pas bronché, Catherine suivit Frère Etienne. Il lui fit passer une porte basse où veillaient deux gardes armés de vouges, jambes écartées, immobiles comme des statues. Au-delà s'ouvrait une grande chambre toute tendue de tapisseries à personnages. Une immense cheminée sculptée où brûlait un tronc d'arbre entier l'éclairait avec un bouquet de grands cierges jaunes plantés sur un trépied de bronze. Un lit gigantesque, dont les rideaux de velours pourpre, relevés, étaient frappés des lys de France, occupait un bon quart de cette pièce aux dimensions cependant respectables. Dans le coin opposé, une dame d'honneur brodait, si discrète qu'en ne releva pas la tête à l'entrée de Catherine. D'ailleurs, celle-ci n'eut pas un regard pour elle. Dès l'entrée, elle ne vit que la Reine !

Assise dans une vaste chaise d'ébène frileusement garnie de coussins, ses pieds étroits posés sur une chaufferette, Yolande la regardait venir et le cœur de Catherine se serra à constater les ravages dont ces trois dernières années avaient marqué le fin et fier visage de la duchesse-reine. Les cheveux d'ébène qui paraissaient sous la sévère coiffe de veuve blanchissaient, les traits se marquaient en creux profonds, le teint mat jaunissait comme jaunissent les parchemins. Ces mois de lutte incessante contre le mauvais génie de la France et contre les ennemis, Anglais et Bourguignons, pesaient lourdement sur les épaules de Yolande. La captivité de son fils, le duc René de Bar1

tombé aux mains de Philippe de Bourgogne depuis la bataille de Bugnéville avait été un coup d'autant plus terrible que la mère se refusait à l'accuser. A cinquante-quatre ans, la reine des Quatre Royaumes était une vieille femme. Seuls ses magnifiques yeux noirs, impérieux et vifs, gardaient la flamme de la jeunesse. Le corps, qui s'émaciait, se perdait dans les flots des vêtements noirs et des coussins où il se blottissait.

Mais comme Catherine s'agenouillait à ses pieds, Yolande lui sourit et reconquit d'un seul coup tout son charme. Elle tendit à la jeune femme une main blanche, demeurée parfaite.

– Mon enfant, dit-elle doucement, vous voici enfin ! Il y a si longtemps que je désire vous voir.

Une profonde émotion s'empara de Catherine. Elle avait tant souhaité se retrouver là, à cette place de suppliante aux pieds de la seule femme en qui elle eût confiance dans l'entourage du Roi, de tendre vers la reine de Sicile ses mains désarmées et implorantes, d'attendre d'elle aide et secours, qu'elle fut incapable de répondre.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю