Текст книги "Catherine des grands chemins"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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Un pli se forma sur le front du Roi, mais il s'effaça aussitôt sous un sourire :
Et vous vous sentez une âme de bâtisseuse ? A merveille, dame Catherine ! J'aime qu'une femme allie la décision, l'énergie à tant de beauté. Mais... que devient dans tout cela mon ami Pierre de Brézé ?
Comptez-vous l'emmener avec vous ? Je vous préviens que j'en ai grand besoin...
Catherine se raidit mais baissa les yeux pour tenter de dérober l'émotion qui venait. Elle était mal guérie encore du rêve un instant caressé. Le nom de Pierre était toujours un peu douloureux.
– Je ne l'emmène pas, Sire. Le seigneur de Brézé s'est montré pour moi un fidèle ami, un vrai chevalier. Mais il a sa vie comme j'ai la mienne. Le combat le rappelle et moi je dois relever ma maison.
Charles VII ne manquait pas de finesse. Au léger tremblement qui fit vibrer la voix de la jeune femme, il comprit qu'il s'était passé quelque chose et, du coup, n'insista pas pour la retenir davantage.
– Le temps arrange bien des choses, belle dame... J'ai cru, un moment, que nous aurions avant peu une fête d'accordailles, mais, à ce qu'il paraît, je me suis trompé. Pourtant, dame Catherine, voulez-vous permettre à votre roi de vous donner un conseil ? Ne précipitez rien... Ne brisez rien. Je vous l'ai dit, le temps fait changer les hommes et les femmes. Il ne faut pas qu'un jour vous ayez du regret.
Ce serait injuste.
Émue plus qu'elle ne voulait l'avouer par cette royale sollicitude, Catherine s'agenouilla pour baiser la main que lui tendait Charles.
Elle lui sourit vaillamment.
– Je n'aurai pas de regrets. Mais je sais un gré profond à Votre Majesté de sa bonté. Je ne l'oublierai pas.
Il lui rendit son sourire, avec cette timidité qu'il éprouvait toujours en face d'une femme trop belle.
– Il se peut qu'un jour prochain j'aille moi aussi en Auvergne..., fit-il d'un air songeur. Allez, maintenant, comtesse de Montsalvy.
Allez vers ce devoir que vous savez si bien accepter. Sachez seulement que votre roi vous regrettera, qu'il espère vous revoir un jour point trop éloigné... et que vous emportez son estime.
Ce fut lui qui se retira, laissant Catherine agenouillée au milieu de la grande salle où, seuls, maintenant, veillaient les gardes immobiles.
Elle entendit décroître son pas, et doucement se releva. Elle se sentait moins triste. Une sorte de fierté l'habitait, Charles lui avait parlé non pas comme à une femme, mais comme à l'un de ses capitaines, comme il eût parlé sans doute à Arnaud lui– même.
Restait à dire adieu à la reine Yolande. Catherine se rendit chez elle aussitôt, s'apprêtant à fournir, une troisième fois, la même explication.
Mais elle n'en eut pas besoin. La reine des Quatre Royaumes se contenta de l'embrasser.
– Vous faites bien, lui dit-elle. Je n'en attendais pas moins de vous. Le jeune Brézé ne saurait vous convenir... justement parce qu'il est jeune.
– Si vous pensiez ainsi, Madame et ma Reine, pourquoi ne m'avoir rien dit ?
– Parce qu'il s'agissait de votre vie à vous, ma belle. Et que nul n'a le droit de diriger le destin des autres. Pas même... que dis-je ? surtout pas une vieille reine. Retournez à votre Auvergne. Le travail ne manque pas car il nous faut recoudre maintenant ce beau royaume déchiré. Nous aurons besoin dans les provinces de gens comme les Montsalvy. Ceux de votre race, ma chère, sont comme les montagnes de leur pays : on les use, on ne les détruit pas ! Pourtant... je ne veux pas vous perdre tout à fait.
D'un geste, Yolande appela auprès d'elle Anne de Bueil qui, comme de coutume, faisait de la broderie dans un coin.
– Donnez-moi ma cassette d'ivoire, ordonna la Reine.
Quand la jeune femme la lui eut apportée, elle y plongea ses longs doigts minces, en tira une admirable émeraude, gravée à ses armes, qu'elle glissa au doigt de Catherine confuse.
L'émir Saladin, jadis, a donné cette émeraude à l'un de mes ancêtres qui l'avait sauvé de la mort, sans d'ailleurs savoir qui il était. Je l'ai fait graver... Gardez-la, Catherine, en souvenir de moi, de mon amitié et de la reconnaissance que je vous garde. Grâce à vous, nous allons enfin gouverner, le Roi et moi.
Catherine referma une main tremblante sur le magnifique joyau. Là, encore, elle s'agenouilla pour baiser la main de sa souveraine.
– Madame... Un pareil cadeau ! Comment dire...
– Ne dites rien. Vous êtes comme moi : quand vous êtes profondément émue, vous ne savez pas trouver de mots et c'est bien mieux ainsi. Cette bague vous portera bonheur et vous aidera peut-
être. Tous ceux qui dépendent de moi, en France, en Espagne, comme en Sicile, comme à Chypre ou à Jérusalem vous aideront au vu de ce bijou. C'est un peu une sauvegarde que je vous donne car j'ai le pressentiment que vous pourriez en avoir besoin. Et je tiens à vous revoir un jour, bien vivante.
L'audience était terminée. Une dernière fois Catherine s'inclina.
– Adieu, Madame...
– Non, Catherine, sourit la Reine. Pas adieu, au revoir. Et que Dieu vous garde !
Si Catherine pensait en avoir terminé avec les adieux, elle se trompait. Comme elle débouchait dans la grande cour pour se rendre à la Chancellerie où l'on devait lui remettre les papiers de réhabilitation qu'elle n'avait pas encore fait chercher, elle tomba sur Bernard d'Armagnac qui faisait les cent pas, comme s'il attendait quelqu'un.
Elle ne l'avait pas revu depuis la scène du verger et la rencontre ne lui causait aucun plaisir. Elle essaya de passer en faisant mine de ne pas le voir, mais il se précipita vers elle.
– Je vous attendais, dit-il. On ne parle dans ce château que de votre départ et quand j'ai su que vous étiez chez la reine Yolande, j'ai pensé que vous ne tarderiez pas à sortir. Vous n'êtes pas femme à éterniser les adieux et elle non plus.
– Vous avez raison. Adieu, seigneur comte ! fit Catherine froidement.
Un sourire contrit plissa le visage intelligent du gentilhomme gascon.
– Hum ! Vous m'en voulez rudement à ce qu'il paraît ! Vous devez avoir raison. Mais c'est mon pardon que je viens demander, Catherine. L'autre nuit, j'ai vu rouge. J'aurais pu vous tuer tous les deux.
– Mais vous n'en avez rien fait. Croyez que je vous en suis bien reconnaissante.
Elle pensait que la dignité de son attitude allait confondre Cadet Bernard. A sa grande surprise, il n'en fut rien. Le Gascon éclata de rire.
– Sang du Christ ! Catherine, quittez cet air pincé. Cela ne vous va pas, croyez-moi !
– Qu'il m'aille ou non je n'en ai pas d'autre pour vous à ma disposition. Pensiez-vous que j'allais vous sauter au cou ?
– Vous devriez ! Après tout, je vous ai évité une rude sottise. Si vous aviez succombé aux entreprises de ce damoiseau, vous le regretteriez maintenant de tout votre cœur.
– Qu'en savez-vous ?
– Allons donc ! Brézé n'est pas mort de mon coup d'épée, loin de là. Si vous aviez tenu vraiment à lui, vous l'auriez rejoint la nuit même dans sa chambre. Or, vous n'en avez rien fait.
– J'y suis allée le lendemain.
– Et vous en êtes sortie les yeux rouges avec la mine décidée de quelqu'un qui a pris une grave décision. Vous voyez que je suis bien renseigné.
– Quelque chose me dit que vos espions vous volent. Ils ne vous ont pas tout dit, fit Catherine du bout des lèvres.
Mais, subitement, Cadet Bernard était redevenu grave.
Si, Catherine ! Vous avez rompu et le souvenir de votre époux vous a reprise. Sinon, pourquoi partez– vous ? Pourquoi Brézé a-t-il franchi, voici une heure, le pont-levis de ce château à la tête de ses lances ? Il s'en va aider Loré dont les Anglais ont attaqué la forteresse de Saint-Ceneri.
– Ah ! fit la jeune femme d'une toute petite voix, il est parti ?
– Oui. Il est parti. Parce que vous l'avez repoussé ! Je ne me suis pas trompé sur vous, Catherine, vous êtes bien telle qu'il vous avait choisie, le grand Montsalvy. C'est l'autre nuit que je me leurrais.
Voulez-vous que nous fassions la paix ? J'ai grand désir de redevenir votre ami.
Sa contrition, ses regrets étaient authentiques. Et Catherine ne savait pas garder rancune à qui reconnaissait ses fautes loyalement ; elle sourit brusquement, tendit ses deux mains au jeune homme.
– Je me trompais aussi. Oublions tout cela, Bernard... et venez à Montsalvy, quand vous retournerez à Lectoure. Vous y serez toujours le bienvenu. Plus tard, je vous confierai Michel quand il sera temps pour lui d'être page. Je crois que vous saurez en faire ce qu'Arnaud aurait voulu qu'il fût. Maintenant, dites-moi au revoir.
– Comptez sur moi ! Au revoir, belle Catherine.
Avant qu'elle ait pu s'en rendre compte, il l'empoignait par les épaules et lui planta sur les deux joues deux baisers retentissants, puis la lâchait.
– Je vais dire à Xaintrailles et à La Hire quel vaillant compagnon vous faites. Je voulais vous donner une escorte pour vous ramener chez vous. Mais il paraît que le Roi y a pourvu.
– Grand merci à lui, fit Catherine en riant. Et j'aime autant quelque chose de plus paisible que vos diables de Gascons. Pour les tenir il faut un chef et je ne suis pas Arnaud de Montsalvy, moi !
Cadet Bernard, qui déjà s'éloignait, s'arrêta, se retourna et, un instant, considéra Catherine. Puis, gravement :
– Je crois que si, dit-il.
L'aurore embrasait les toits de Chinon et l'eau calme de la Vienne quand, au matin suivant, Catherine franchit la herse de la tour de l'Horloge. Toutes les cloches de la ville .sonnaient l'Angélus et leur son montait dans l'air pur jusqu'au petit groupe de cavaliers qui sortait du château. L'escorte que le Roi avait mise à la disposition de Catherine était composée de Bretons, ainsi que l'attestaient les tabards mouchetés de queues d'hermine des soldats. C'était Tristan l'Hermite qui les commandait et quand, la veille, il était venu dire à Catherine qu'il l'accompagnerait jusqu'à Montsalvy avant de rejoindre le connétable de Richemont à Parthenay, elle en avait éprouvé une grande joie. Le Roi ne pouvait mieux choisir, pour la garder, que ce Flamand taciturne dont elle avait appris à apprécier la valeur. Il avait pour lui le sang-froid, l'astuce, le courage tranquille et le sens du gouvernement. Elle le lui avait dit.
– Vous irez loin, ami Tristan. Vous avez toutes les qualités d'un homme d'État.
Il s'était alors mis à rire.
– On me l'a déjà dit... et pas plus tard qu'hier. Savez-vous, dame Catherine, que notre Dauphin de dix ans veut bien s'intéresser à ma personne ? Il m'a promis de faire ma fortune lorsqu'il sera roi.
Apparemment, nos exploits contre La Trémoille l'ont impressionné.
Bien entendu, je n'accorderai pas trop de crédit à ce genre de promesses. Les princes, surtout si jeunes, n'ont guère de mémoire...
Mais Catherine avait secoué la tête. Elle se souvenait du regard investigateur, aigu jusqu'à en être insoutenable, du dauphin Louis. Un regard qui ne devait pas savoir oublier.
– Je crois, moi, qu'il se souviendra, dit-elle seulement.
Tristan, lui, s'était contenté de hocher la tête d'un air de doute. Et maintenant, il chevauchait tranquillement auprès d'elle, un peu tassé sur sa selle, en homme qui sait la longueur et la monotonie des chevauchées et qui a l'habitude de dormir à cheval. Son chaperon enfoncé sur ses yeux pour les garder des rayons du soleil levant, il se laissait aller au pas balancé du cheval.
Catherine avait repris le costume de garçon qu'elle portait en quittant Angers. Elle aimait s'habiller en homme car elle trouvait dans ces vêtements une plus grande liberté de mouvements en même temps qu'une sorte d'audace. Bien campée sur ses étriers, elle regardait la ville comme si elle la voyait pour la première fois. Elle y avait remporté la victoire qu'elle souhaitait et même une autre, inattendue celle-là, sur elle-même. Au moment de la quitter, Chinon lui devenait subitement chère.
Les bonnes gens commençaient leur journée. Les volets claquaient un peu partout, les boutiques s'ouvraient et les éventaires s'organisaient. Une grosse pluie, la veille, avait lavé de frais les petits pavés ronds. En arrivant au Grand Carroi, Catherine vit, près du puits, une fillette d'une quinzaine d'années qui, assise sur la margelle, arrangeait des bouquets de roses. Elles étaient si fraîches, ces roses...
et elles rappelaient à Catherine un autre bouquet, celui qu'on lui avait jeté, un soir, par la fenêtre de maître Agnelet. Elle arrêta son cheval près de la bouquetière.
– Tes roses sont belles, dit-elle. Vends-moi un bouquet.
La petite tendit aussitôt la plus belle de ses touffes embaumées.
– C'est un sol, gentil seigneur, fit-elle avec un sourire et une révérence.
Mais, aussitôt, elle devint rouge comme une cerise et s'écria, joyeuse : « Oh ! merci, gentil seigneur ! » en recevant la pièce d'or que lui offrait Catherine en échange du bouquet.
Catherine remit son cheval en route, se dirigeant vers le pont fortifié qui enjambait la Vienne. Elle avait enfoui son visage dans les fleurs et, les yeux clos, en respirait le délicieux parfum. Tristan se mit à rire.
Ce sont sans doute les dernières roses que nous verrons avant longtemps. Elles ne poussent guère dans votre pauvre Auvergne. Ici, elles sont chez elles... La Touraine est leur domaine.
– Voilà pourquoi j'ai acheté celles-ci... Elles représentent pour moi ce doux pays de Loire, et quelques souvenirs... des souvenirs qui s'envoleront peut-être quand elles seront fanées.
La troupe armée franchit le pont, saluée par les soldats de garde qui reconnaissaient les armes du Connétable. La rivière passée, on mit les chevaux au galop. Catherine et son escorte disparurent dans un nuage de poussière.
Il était plus de dix heures du soir et il faisait nuit lorsque Catherine, Tristan l'Hermite et leur escorte arrivèrent en vue de Montsalvy à la fin d'un exténuant voyage. Le doux temps d'été avait séché la boue des chemins, mais l'avait transformée en autant de poussière.
Heureusement, il avait aussi rendu possible les nuits à la belle étoile et les longues chevauchées. On avait emporté des vivres en suffisance et les arrêts dans les auberges avaient été rares. La plupart d'ailleurs n'avaient plus grand-chose à offrir.
A mesure que l'on avançait, l'impatience de Catherine semblait grandir en même temps que son humeur s'assombrissait. Elle parlait de moins en moins et chevauchait, des heures entières, les yeux rivés au chemin, droit devant elle, sans prononcer une parole, possédée d'une hâte fébrile. Tristan l'observait à la dérobée sans oser, il est vrai, poser de questions. Elle pressait l'allure autant qu'il était possible, soupirant avec une sorte de rage quand il fallait s'arrêter. Mais les chevaux avaient besoin de répit.
Pourtant, lorsque l'on eut passé Aurillac, cette grande hâte tomba d'un seul coup. Catherine fit ralentir l'allure de plus en plus, comme si elle craignait l'approche de ces montagnes au cœur desquelles respirait toujours Arnaud. Et quand les remparts et les tours de Montsalvy surgirent du haut plateau comme une couronne sombre posée sur la nuit, la jeune femme arrêta son cheval et demeura là un moment contemplant, le cœur soudain serré, ce paysage qui n'avait pas eu le temps de lui devenir familier. Tristan, inquiet, poussa son cheval près d'elle.
– Dame Catherine, qu'avez-vous ?
– Je ne sais pas... Ami Tristan, il me semble que j'ai peur tout à coup...
– Peur de quoi ?
– Je ne sais pas, répéta-t-elle d'une voix blanche. C'est comme...
un pressentiment.
Jamais elle n'avait éprouvé quelque chose de semblable : cette crainte étouffante de ce qui l'attendait derrière ces murs muets. Elle essaya de se raisonner. Là– bas, il y avait Michel, Sara, Gauthier sans doute. Mais même l'image de son petit garçon ne parvint pas à desserrer sa gorge. Elle tourna vers Tristan un regard noyé.
– Allons, dit-elle enfin. Les hommes sont las.
– Et vous aussi, grogna le Flamand. En avant, vous autres !
Les portes de la cité étaient fermées, à cette heure tardive, mais Tristan, embouchant un cor qui pendait à sa ceinture, en tira trois appels prolongés. Au bout d'un instant, un homme portant une lanterne se pencha au créneau.
– Qui va là ?
– Ouvrez, cria Tristan. C'est la noble dame Catherine de Montsalvy qui s'en revient de la cour. Ouvrez ! De par le Roi !
Le guetteur poussa un cri inarticulé. La lumière disparut, mais, quelques instants plus tard, la lourde porte de la petite cité fortifiée s'ouvrait en grinçant. L'homme à la lanterne reparut, son bonnet à la main, et s'avança jusque sous la tête des chevaux, levant son luminaire.
C'est bien notre dame, fit-il joyeusement. Que Dieu la bénisse d'arriver si à propos ! On est allé quérir le bailli pour la recevoir dignement.
En effet, dans l'unique et étroite rue, une silhouette accourait en cahotant. Catherine, subitement allégée, reconnut le vieux Saturnin. II arrivait de toute la vitesse de ses vieilles jambes en criant :
– Dame Catherine ! C'est dame Catherine qui nous revient ! Dieu soit loué ! Bienvenue à notre maîtresse !
Il en perdait le souffle. Émue et un peu amusée, Catherine voulut descendre pour le recevoir, mais il se jeta littéralement contre le cheval.
– Restez en selle, notre dame. Le vieux Saturnin veut vous conduire vers l'abbaye comme naguère il vous avait conduite à sa métairie.
– Je suis si heureuse de vous revoir, Saturnin... et de revoir Montsalvy.
– Pas tant que Montsalvy de vous revoir, gracieuse dame.
Regardez !
En effet, comme par miracle, toutes les fenêtres, toutes les portes s'ouvraient, laissant jaillir des têtes qui criaient, des bras armés de torches. En un instant, la ruelle fut illuminée tandis qu'un concert de voix joyeuses clamaient :
– Noël ! Noël pour notre dame qui nous revient !
– Je vous envie, marmotta Tristan. Un accueil pareil doit réconforter singulièrement.
– C'est vrai. Je ne m'y attendais pas, mais, ami Tristan, j'en suis tellement heureuse... si heureuse !
Elle avait les larmes aux yeux. Saturnin, raide d'orgueil, avait pris la bride de son cheval et la menait lentement le long de la rue. Elle défila entre deux rangées de visages dont la lumière des torches accusait la rougeur joyeuse. On ne voyait partout que des yeux brillants, des bouches ouvertes sur des hurlements de joie.
– Que craigniez-vous donc ? chuchota Tristan. Tout le monde vous adore ici.
– Peut-être. Et je ne sais toujours pas ce que je craignais. C'est merveilleux ! C'est...
Les mots moururent sur ses lèvres. On arrivait en vue du portail de l'abbaye, large ouvert lui aussi. Mais au seuil se tenait la gigantesque silhouette de Gauthier. Catherine s'attendait à le voir courir vers elle, comme l'avait fait Saturnin. Il ne bougea pas. Bien plus, il croisa les bras, comme pour interdire le passage. Son visage avait l'immobilité du granit. Aucun sourire ne l'éclairait. Et, en croisant le regard glacial de ses yeux gris, Catherine ne put s'empêcher de frissonner.
Aidée par Saturnin, elle descendit de cheval, s'avança vers le Normand. Il la regardait approcher sans faire un geste, sans faire un pas vers elle. Elle tenta de sourire.
– Gauthier ! s'écria-t-elle. Quelle joie de te retrouver !
Mais aucune parole de bienvenue ne sortit de cette bouche serrée.
Rien qu'un sec :
– Est-ce que vous êtes seule ?
– Comment ? fit-elle abasourdie.
– J'ai demandé si vous étiez seule ? répéta le Normand sans s'émouvoir. Il n'est pas avec vous, ce beau dameret blond que vous devez épouser ? Sans doute est-il demeuré un peu en arrière pour vous laisser faire seule votre entrée.
Catherine rougit brusquement, autant de mortification que de colère. L'insolence de Gauthier la confondait. Il osait l'attaquer brutalement, devant tous, lui demander des comptes... Si elle ne voulait pas perdre la face aux yeux de ses paysans, il lui fallait réagir..
Redressant son petit menton, elle s'avança résolument vers le portail.
– Place ! dit-elle sèchement. Qui t'a permis de me poser des questions ?
Gauthier ne broncha pas. Il continuait de boucher le passage de son immense stature. Tristan fronça les sourcils, porta la main à son épée.
Mais Catherine retint son geste.
– Laissez, ami Tristan. Ceci me regarde. Allons, ordonna-t-elle durement, laisse-moi passer ! Est-ce ainsi que l'on accueille la maîtresse d'un lieu qui rentre au logis ?
– Ce n'est pas votre logis, c'est celui de l'abbé. Quant à être maîtresse ici, dame Catherine, en êtes-vous encore digne ?
– Quelle outrecuidance ! s'écria Catherine hors d'elle. Ai-je des comptes à te rendre ! C'est ma belle– mère que je veux voir.
Comme à regret, Gauthier s'écarta. Catherine s'avança, très droite, passa devant lui et pénétra dans la cour de l'abbaye. Alors, froidement, il jeta :
– Dépêchez-vous alors ! Car elle ne vivra plus longtemps.
Catherine s'arrêta net, frappée de plein fouet. Un instant, elle se figea puis, lentement, tourna vers le Normand un regard épouvanté.
– Comment ? balbutia-t-elle. Qu'as-tu dit ?
– Qu'elle est en train de mourir. Mais, au fond, cela ne doit pas vous tourmenter beaucoup. C'est encore un lien gênant qui va tomber.
– Je ne sais pas qui tu es, l'ami, jeta Tristan furieux, mais tu as de singulières façons. Pourquoi cette brutalité envers ta maîtresse ?
– Qui êtes-vous ? demanda Gauthier dédaigneusement.
– Tristan l'Hermite, écuyer de Monseigneur le Connétable, chargé par le Roi de ramener la comtesse de Montsalvy chez elle et de veiller à ce que nul mal ne lui advienne. Tu es satisfait ?
Gauthier fit signe que oui. Il arracha une torche qui brûlait près de la voûte de son crampon de fer et, silencieusement, précéda les voyageurs vers la maison des hôtes de l'abbaye. Après l'agitation du village le silence du couvent était saisissant. Les moines étaient déjà retirés dans leurs dortoirs, l'abbé était invisible. Seules quelques chandelles brûlaient derrière les petites fenêtres de l'hôtellerie. Sur le seuil, il n'y avait personne et Catherine, soudain, arrêta Gauthier en le prenant par le bras.
– Et Sara ? Est-elle ici ?
Il la regarda avec des yeux surpris.
– Pourquoi serait-elle ici ? Elle ne vous quittait jamais...
– Elle m'a quittée cependant, fit Catherine sombrement. Elle m'a dit qu'elle revenait à Montsalvy. Je ne sais rien de plus, sinon que je ne l'ai point rencontrée sur la route.
Gauthier ne répondit pas tout de suite. Ses yeux gris s'attachèrent un instant à ceux de Catherine, scrutateurs. Il haussa ses larges épaules, marmotta avec une ironie amère :
– Elle aussi, dame Catherine ! Comment avez-vous pu nous faire tout ce mal ?
Exaspérée, elle cria presque :
– Mais quel mal ? Qu'ai-je fait pour mériter votre réprobation à tous ? De quoi m'accusez-vous ?
– De nous avoir envoyé cet homme ! fit Gauthier durement. Vous pouviez vous donner à lui, si bon vous semblait, sans l'envoyer parader ici, clamer partout le grand amour qu'il avait pour vous ! De quoi croyez– vous que meurt la dame de Montsalvy... la vraie ? Des confidences de votre amant !
– Il n'est pas mon amant, protesta furieusement Catherine.
– De votre futur époux, alors. C'est la même chose.
Des deux mains, Catherine s'accrocha à la lourde
patte du Normand. Un besoin impérieux de se justifier lui montait aux lèvres. Elle ne pouvait pas endurer de demeurer plus longtemps sous le coup de cette accusation.
– Écoute-moi, Gauthier. Me croiras-tu si je t'affirme que non seulement il ne le sera pas, mais que, selon toute vraisemblance, je ne le reverrai jamais ?
Le géant ne répondit pas tout de suite, il semblait chercher une réponse dans les yeux de Catherine. Mais peu à peu quelque chose s'amollit dans son visage. Spontanément, il emprisonna entre les siennes les deux mains de la jeune femme.
Oui, fit-il avec une chaleur nouvelle, je vous croirai. Et avec quel bonheur ! Venez, maintenant, venez vite lui dire que ce n'est pas vrai, que vous n'avez jamais songé à remplacer messire Arnaud. Elle en a tant souffert !
Tristan l'Hermite, les yeux ronds, regardait. Visiblement il ne comprenait rien à ce qui se passait devant lui. Que Catherine, une grande dame, condescendît à se justifier aux yeux de ce rustre, voilà qui dépassait son entendement. Catherine s'en aperçut, lui adressa l'ombre d'un sourire puis brièvement :
– Vous ne pouvez pas comprendre, ami Tristan. Je vous expliquerai.
Il salua, sans répondre, et, devinant qu'il serait sans doute de trop dans ce qui allait suivre, demanda que l'on voulût bien le conduire à un endroit où il pourrait faire reposer ses hommes et se reposer lui-même. Gauthier montra un gros moine ensommeillé, qui bâillait à se décrocher la mâchoire à quelques pas derrière eux.
– Voilà le Frère Eusèbe, le portier, qui va s'occuper de vous. Les bêtes iront à l'écurie, les hommes trouveront de la paille dans une grange et vous aurez une cellule.
De nouveau Tristan s'inclina devant Catherine puis suivit le frère Eusèbe, ses hommes sur les talons. La jeune femme franchit, non sans émotion, le seuil de cette maison des hôtes qu'elle avait quittée, tant de mois auparavant, avec Arnaud et Cadet Bernard, pour gagner Carlat et ce qu'elle pensait être le bonheur. Mais elle chassa, de toutes ses forces, les images déprimantes. Pour ce qui l'attendait ici, elle avait besoin de tout son courage.
Dans le petit vestibule aux voûtes basses, elle regarda Gauthier.
– Mon fils ?
– Il dort, à cette heure.
– Laisse-moi le voir. II y a si longtemps...
Gauthier eut un bref sourire, et prit Catherine par la main.
– Venez. Cela vous donnera du courage.
Il la conduisit dans une petite pièce obscure dont une porte ouverte donnait sur une autre chambre, faiblement éclairée celle-là, dans laquelle Catherine aperçut Donatienne, la femme de Saturnin, endormie sur une bancelle. Le reflet de la chandelle accusait la fatigue sur les traits usés de la vieille femme. Gauthier la désigna d'un geste, murmura :
– Voilà trois nuits qu'elle veille notre dame. D'habitude elle dort auprès du petit seigneur. Elle s'est endormie.
Tout en parlant, il prenait une chandelle sur un coffre et, doucement, allait l'allumer à la torche qui brûlait au-dehors près de la porte. Puis il revint se placer à la tête du lit où dormait le petit Michel, levant la flamme tremblante au-dessus de la tête de l'enfant. Catherine, émerveillée, se laissa tomber à genoux, joignit les mains comme devant le tabernacle.
– Mon Dieu ! balbutia-t-elle... Comme il est beau ! Et... comme il lui ressemble déjà, ajouta-t-elle d'une voix enrouée.
C'était vrai. Sous la forêt drue de ses boucles dorées en désordre, le petit Michel avait déjà le profil net de son père. Ses joues, rondes et roses, où de grands cils courbes mettaient une ombre tendre, étaient toute douceur enfantine, mais le petit nez avait de la fierté et un pli volontaire marquait la bouche bien close.
Le cœur de Catherine fondait de tendresse, mais elle n'osait pas se pencher sur le petit. Il avait l'air d'un angelot endormi et elle craignait que le moindre mouvement ne l'éveillât.
Gauthier, qui regardait lui aussi l'enfant avec une sorte d'orgueil, s'en aperçut.
– Vous pouvez l'embrasser, dit-il en souriant. Quand il dort la foudre peut tomber, il ne bronche même pas.
Alors, elle se pencha et, avec adoration, colla ses lèvres au petit front un peu moite. En effet, Michel ne s'éveilla pas, mais un sourire détendit sa petite bouche serrée.
– Mon petit, chuchota Catherine étranglée d'amour... mon tout petit !
Elle serait bien restée là toute la nuit, agenouillée auprès de son fils, à le regarder dormir, mais, dans la chambre voisine, un râle s'éleva. Donatienne, réveillée en sursaut, se précipita vers le fond de la pièce et ne fut plus visible.
– Dame Isabelle a dû s'éveiller, souffla Gauthier.
– J'y vais, dit Catherine.
Maintenant, un tragique bruit de respiration parvenait jusqu'à elle, entrecoupée d'une toux sèche et de rauques sifflements.
Elle courut vivement dans la chambre, à peine plus grande qu'une cellule monacale, à peine moins nue. Sur le lit étroit qui occupait un coin, Isabelle de Montsalvy était étendue très amaigrie. Donatienne se penchait sur elle essayant de lui faire boire un peu de tisane fumante contenue dans une écuelle qu'elle venait de prendre sur un petit réchaud à huile.
Mais la vieille femme étouffait, incapable d'avaler même une goutte. Catherine, le cœur serré, se pencha sur le visage empourpré.
Comme elle avait vieilli, comme elle s'était amenuisée depuis son départ et comme, maintenant, elle semblait frêle ! Son corps paraissait vidé de toute substance et, dans le visage où tout le sang avait reflué, on ne voyait plus que la bouche desséchée qui cherchait l'air et les yeux devenus trop grands.
Donatienne, avec un soupir découragé, se détournait pour reposer l'écuelle. Elle se trouva en face de Catherine. Ses yeux fatigués se mirent à briller, de joie et de larmes à la fois.
– Dame Catherine, balbutia-t-elle. Dieu soit loué ! Vous arrivez à temps.
Vivement, Catherine posa un doigt sur ses lèvres pour recommander le silence à la vieille femme, mais celle-ci secoua la tête tristement.
Oh ! nous pouvons parler. Elle n'entend pas. La fièvre est si forte que lorsqu'elle parle, c'est pour délirer.
En effet, quelques mots sans suite s'échappèrent des lèvres parcheminées de la malade, mais, parmi eux, Catherine, bouleversée, distingua son nom et celui d'Arnaud... La quinte de toux qui avait secoué si brutalement le vieux corps exténué se calmait peu à peu. Le visage d'Isabelle reprenait graduellement une couleur moins violente, mais la respiration demeurait forte et rauque. L'expression des yeux était celle de la supplication. Dans son délire, Isabelle semblait souffrir affreusement et Catherine sentit qu'elle était la cause de cette souffrance.
Doucement, elle prit la main brûlante qui se crispait sur le drap rude, y posa ses lèvres puis l'appuya contre sa joue comme, si souvent, elle l'avait fait naguère.
– Mère, pria-t-elle doucement. Mère, écoutez-moi. Regardez-moi. Je suis là... près de vous. C'est moi, votre fille. C'est Catherine...
Catherine.
Quelque chose parut s'animer dans le regard vague et douloureux.
La bouche se ferma puis se rouvrit, souffla :
– Ca... therine.
– Oui, insista la jeune femme. C'est moi... Je suis là.
Les yeux tournèrent dans leur orbite, leur regard parut se fixer, glissa vers la jeune femme qui se penchait en étreignant les doigts desséchés.