Текст книги "Catherine des grands chemins"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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Tant qu'elle avait pu se garder pure, le combat était encore facile et la victoire pouvait avoir des charmes. Mais, maintenant ? Elle s'était donnée à un inconnu comme une simple fille et c'était comme si elle avait creusé, entre elle et le souvenir de son époux, un immense, un infranchissable fossé. Si Dieu voulait qu'elle le revît encore, ne fût-ce qu'une fois, oserait-elle seulement le regarder en face sans mourir de honte ? Un lourd sanglot gonfla sa gorge et deux larmes glissèrent sous ses paupières closes.
– Arnaud, murmura-t-elle, pourrais-tu me pardonner si tu savais...
si tu savais ?
Non, il ne le pourrait pas. Elle en était sûre. Elle connaissait trop sa jalousie ardente, sa passion exclusive pour avoir le moindre doute. Lui qui s'était laissé torturer pour ne pas lui être infidèle, comment pourrait-il comprendre, admettre, pardonner ?... Dès lors, à quoi bon lutter encore ? Même son petit Michel n'avait pas tellement besoin d'elle. Il avait l'amour de sa grand– mère et saurait bien, une fois devenu un homme, faire resurgir Montsalvy. Et pour Catherine, ce serait si bon de s'abandonner enfin à ce grand fleuve impérieux, de se fondre en lui pour toujours. Si bon... et si facile. Il suffisait de laisser glisser ses pieds qui... Oh oui, c'était facile... c'était...
Déjà les jambes de Catherine fléchissaient. Le courant allait emporter rapidement sa forme légère jusqu'au seuil mystérieux et noir derrière lequel il n'y a plus que l'oubli et la mort. Mais, sur la rive, une voix chargée d'angoisse appelait:
– Catherine? Catherine? Où es-tu... Catherine?
C'était, la voix de Sara, étouffée de terreur. Elle surgissait du brouillard, appel déchirant de cette vie que Catherine voulait abandonner, chargée de tant de souvenirs qu'instinctivement la jeune femme s'agrippa des orteils au.fond. L'espace d'un instant, elle eut la rapide vision de sa vieille Sara, agenouillée sur le sable mouillé, enveloppant d'un linceul le corps que le fleuve venait de lui rendre.
Elle crut l'entendre pleurer... et, brusquement, l'instinct de conservation la reprit. Elle retrouva, pour lutter contre le courant qui l'emportait, cette énergie qu'elle croyait perdue et, moitié nageant, moitié marchant, elle revint vers la berge. Peu à peu, à mesure qu'elle avançait vers la vie, elle distingua la silhouette de Sara qui se tenait au bord de l'eau, appelant toujours.
Pâle d'inquiétude, étroitement enveloppée dans sa couverture grise, la bohémienne serrait contre elle les vêtements de Catherine et de lourdes larmes roulaient sur ses joues. Quand la forme ruisselante de la jeune femme se dégagea de la brume, elle poussa un cri rauque et, la voyant chanceler, s'élança vers elle pour la soutenir, mais Catherine, d'un écart, évita ses mains.
– Ne me touche pas, dit-elle avec lassitude... Tu ne sais pas à quel point j'ai horreur de moi-même. Je suis sale... je me dégoûte !
Le large visage de Sara se chargea de compassion. Malgré les efforts de Catherine, ses bras se refermèrent sur les épaules frissonnantes et, après l'avoir essuyée vigoureusement avec sa propre couverture, elle la fit rhabiller et l'entraîna vers le campement.
– Et tu voulais mourir pour cela, pauvrette ? Parce qu'un homme a possédé, cette nuit, ton corps ? Te voilà toute bouleversée à cause d'une nuit passée avec Fero ? Dois-je te rappeler que ceci n'est qu'un début... que tu ignores ce que tu trouveras au château ? Enfin, que pour venir à bout de cette folle aventure, tu étais prête à tout ?
– Mais j'étais consentante, cette nuit... j'avais bu je ne sais quelle maudite potion que m'avait donnée Tereina, cria Catherine butée. Et j'ai eu du plaisir dans les bras de Fero. Tu entends ? Du plaisir ! hurla-t-elle.
– Et après ? coupa Sara froidement. Ce n'est pas de ta faute. Tu ne l'as pas voulu. Ce qui t'est arrivé cette nuit n'a pas plus d'importance qu'une crise de folie passagère... ou même qu'un simple rhume.
Mais Catherine ne voulait pas être consolée. Elle se jeta sur la dure couche qu'elle partageait avec Sara et sanglota jusqu'à épuisement.
Cela lui fut salutaire. Les larmes entraînèrent les dernières fumées que la drogue avait laissées dans son esprit en même temps que l'écœurante honte qui l'avait terrassée. A bout de fatigue, elle finit par s'endormir d'un sommeil paisible qui dura jusqu'au milieu du jour.
Elle en émergea l'esprit et le corps reposés. Hélas, ce fut pour apprendre de la vieille Orka que, le soir même, elle serait unie à Fero selon les rites bizarres des Tziganes.
Heureusement pour Catherine, la vieille Orka disparut aussitôt après avoir annoncé ce qu'elle appelait « la grande nouvelle » car la jeune femme s'abandonna à une véritable fureur. Que Fero, non content d'en avoir fait sa maîtresse, prétendît l'épouser, cela, elle s'y refusait avec violence et se répandit en injures si vigoureuses à l'adresse du chef que Sara dut la faire taire de force. Ses cris devenaient dangereux. Elle la maîtrisa et lui ferma la bouche de sa main.
– Ne sois pas stupide, Catherine. Que Fero veuille t'épouser n'a aucune importance pour toi. S'il ne te lie pas à lui, les autres auront le droit d'exiger que tu soies attribuée à l'un d'eux. Si tu refuses, il nous faut fuir, et fuir sur l'heure. Mais où ? Comment ?
A demi étouffée par la main rude de Sara, Catherine, cependant, se calmait peu à peu. Elle se dégagea et demanda :
– Pourquoi dis-tu que cela n'a pas d'importance pour moi ?
Parce qu'il ne s'agit pas d'un vrai mariage, du moins comme tu l'entends. Les errants ne mêlent pas Dieu à une chose aussi simple que l'accouplement de deux êtres. De plus, ce n'est pas Catherine de Montsalvy que Fero prendra pour femme, c'est une apparence, un fantôme gui disparaîtra un jour, une fille d'Egypte nommée Tchalaï.
Catherine secoua la tête et regarda Sara avec angoisse. Qu'elle restât si insensible lui semblait monstrueux. Elle paraissait trouver cela presque naturel. Chez Catherine, ce mariage soulevait l'horreur.
– C'est plus fort que moi, dit-elle. J'ai l'impression de commettre un abus de confiance... de tromper Arnaud encore une fois.
– En aucune manière... puisque tu n'es plus toi. D'autre part, ce mariage va t'assurer une position stable dans la tribu, plus personne ne se méfiera de toi.
Malgré ces exhortations, Catherine avait tout de même une impression de sacrilège en allant, ce soir-là, rejoindre Fero devant le grand feu où toute la tribu s'était réunie dans la joie. L'orage de la veille avait nettoyé le temps, laissant un grand ciel bleu sombre, doux comme un velours. Les hommes étaient revenus de la pêche avec des nasses pleines et tout le camp sentait le poisson que l'on grillait un peu partout. Les tambourins et les rebecs ronflaient aux mains des hommes. Les enfants dansaient de joie autour des chaudrons de cuisine et même les bébés piaillaient dans leurs paniers.
Tous ces préparatifs, toute cette joie qui se levait sur ses pas augmentaient encore la répugnance de Catherine. De tout son être elle refusait ce simulacre auquel on la traînait d'autant plus qu'elle craignait légitimement que le mariage fût suivi d'une vie commune, de nuits qui pouvaient être nombreuses. Elle se voyait mal dans le chariot de Fero, le servant comme faisaient les autres femmes, lui appartenant corps et âme... même si Dieu ne s'en mêlait pas. Elle avait une folle envie de fuir une bonne fois cette situation impossible, et d'autant plus qu'elle se méfiait maintenant de Fero. Il savait sa jqualité et elle l'avait cru son allié. Or, il semblait vouloir abuser de la situation. Qui pouvait dire s'il la laisserait partir lorsqu'on lui demanderait d'aller danser au château ?
Paradoxalement, si l'on considère ses craintes, ce fut le sentiment de sa mission qui retint Catherine. Pour le moment, elle n'était pas en danger de mort et elle devait tenter l'aventure jusqu'au bout. Mais cela ne l'empêchait nullement de chercher désespérément un moyen d'échapper à ce révoltant mariage. Les femmes avaient habillé Catherine des oripeaux les plus voyants que l'on avait pu trouver dans la tribu. Une pièce de soie verte, un peu déchirée mais frangée d'argent, s'enroulait plusieurs fois autour de son corps que, pour cette circonstance, on avait débarrassé de la rude chemise. À ses oreilles on avait fixé des anneaux d'argent tandis que des colliers faits de lourdes plaques ciselées, de même métal, et d'autres composés de menues piécettes enfilées pesaient sur ses épaules dont l'une demeurait nue.
D'autres chaînes de pièces lui formaient une sorte de couronne et les yeux des femmes lui avaient dit combien, dans cet accoutrement sauvage, elle était belle.
L'assurance de sa beauté, Catherine la lut encore sur le visage radieux de Fero, dans l'orgueil de son regard quand il vint à sa rencontre et lui prit la main pour la mener devant la phuri dai. C'était la plus vieille femme de la tribu et, parce qu'elle était la plus sage et la gardienne des antiques traditions, elle avait un pouvoir presque égal à celui du chef. Jamais Catherine n'avait vu une femme ressembler autant à une chouette, mais les petits yeux ronds de la phuri dai étaient verts comme l'herbe au printemps. Des tatouages noirs marquaient ses joues vides et se perdaient sous les longues mèches grises que laissait échapper un chiffon rouge drapé à la manière d'un turban. Catherine la regarda avec horreur parce que cette femme incarnait pour elle le mariage où le destin la contraignait.
La vieille se tenait debout au milieu des anciens de la tribu, éclairée par les flammes qui accentuaient les ombres de sa figure. Les peaux d'âne et les archets faisaient rage, doublant le cercle de feu d'une zone sonore où se mêlaient les cris des femmes et le chant des hommes.
Cela faisait un vacarme assourdissant. Quand le couple s'arrêta devant elle, la phuri dai sortit de ses loques deux mains fragiles comme des pattes d'oiseau et saisit un morceau de pain noir que lui tendait un grand tzigane barbu. Le silence se fit soudain et Catherine comprit que l'instant décisif était arrivé. Elle dut serrer les dents pour ne pas crier, pour ne pas hurler de panique. Est-ce que vraiment rien ne viendrait empêcher cette sinistre farce?
Les mains parcheminées rompirent le pain en deux morceaux. Puis la vieille prit un peu de sel, qu'on lui tendit dans une petite coupe d'argent car c'était une denrée rare et extrêmement précieuse. Elle en répandit un peu sur chacun des morceaux de pain, en tendit un à Catherine, l'autre à Fero.
– Lorsque vous serez las de ce pain et de ce sel, dit-elle, vous serez las l'un de l'autre. Maintenant, échangez vos morceaux de pain.
Impressionnée, malgré elle, par le ton solennel de la vieille, Catherine prit machinalement le pain que lui tendait Fero et lui offrit le sien. Tous deux mordirent ensemble dans la croûte dure. Les yeux du chef ne quittaient pas ceux de la jeune femme et elle dut fermer les siens un instant, incapable de soutenir la passion brutale, primitive, qu'ils révélaient... Tout à l'heure, elle allait encore lui appartenir, mais, cette fois, sans en avoir la moindre envie. Non seulement elle ne désirait pas Fero, mais son corps se révoltait à l'avance de ce qui allait suivre.
– La cruche, maintenant, dit la vieille.
On lui passa une cruche en terre qu'à l'aide d'une pierre elle brisa au-dessus de la tête des deux jeunes gens. Quelques grains de blé s'en échappèrent. Et, aussitôt, la vieille s'accroupit comptant les débris.
– Il y a sept morceaux, dit-elle en levant les yeux vers Catherine.
Pour sept années, Tchalaï, tu appartiens à Fero !
Avec un cri de triomphe, le chef tzigane prit Catherine par les épaules et l'attira pour l'embrasser. Etourdie, elle se laissa aller contre lui tandis qu'éclataient les hurlements de joie de la tribu. Mais les lèvres de Fero ne touchèrent pas celles de la jeune femme. Jaillie de l'ombre, une fille aux cheveux de nuit avait bondi entre eux et, d'une secousse brutale, avait arraché Catherine des bras qui la tenaient.
– Un instant, Fero ! Je suis encore là, moi, et tu m'avais juré que je serais ta rommi... ta seule femme.
Pour un peu, Catherine aurait crié de soulagement. Elle se retrouvait à quatre pas de Fero, séparée de lui par cette fille qu'elle regardait maintenant comme un miracle. La nouvelle venue avait un visage fier : teint cuivré, petit nez aquilin, prunelles en amandes et légèrement bridées, des nattes lisses et une robe de soie rouge qui semblait étrangement élégante au milieu de tous ces haillons. Une chaîne d'or brillait à son cou. Mais la stupeur de Fero n'était pas feinte.
– Dunicha ! Tu avais disparu depuis tant de jours ! Je te croyais morte.
– Et cela t'attristait profondément, n'est-ce pas ? Qui est celle-là ?
Elle désignait Catherine, d'un geste plein de rancune qui n'annonçait rien de bon, sans doute. Mais Catherine, heureuse de l'intrusion, examinait avec curiosité la nouvelle venue. C'était sans doute l'une des deux filles que La Trémoille avait fait monter au château quinze jours plus tôt. Pourquoi fallait-il que la Tzigane la regardât d'emblée comme une ennemie, alors que Catherine brûlait de lui poser une foule de questions sur les habitudes du château ?
Mais, tandis qu'elle réfléchissait, la dispute s'envenimait entre Dunicha et Fero. Le chef tzigane se défendait âprement d'avoir été infidèle. Puisque sa future épouse n'avait pas été tuée au château, elle aurait dû faire savoir qu'elle vivait. Quant à lui, il était maintenant régulièrement uni à Tchalaï et il n'en démordait pas.
Dis plutôt que cela t'arrangeait de me croire morte, cria la fille. Mais tu n'en es pas moins parjure et moi, Dunicha, je nie la valeur de ton mariage. Tu n'avais pas le droit de faire ça.
– Mais je l'ai fait, hurla le chef, et il n'y a plus rien à y changer.
– Crois-tu ?
Les yeux obliques de Dunicha allèrent de Catherine à Fero, revinrent à la jeune femme.
– Tu connais nos coutumes, je pense ? Quand deux femmes se disputent le même homme et si elles ont toutes deux le droit de le faire elles se battent jusqu'à la mort de l'une d'elles. Cette coutume, je la réclame. Demain, au coucher du soleil, nous nous battrons, toi et moi.
Et, sans rien ajouter d'autre, Dunicha tourna les talons. La tête haute, elle fendit le cercle des Tziganes, s'éloigna dans l'ombre suivie aussitôt par quatre femmes. La vieille phuri dai, qui avait uni Fero et Catherine, s'approcha de la jeune femme, la sépara de Fero qui avait saisi la main de sa nouvelle épouse.
– Il faut vous quitter jusqu'au combat. Tchalaï appartient au destin. Suivant nos lois, quatre femmes de la tribu la garderont tandis que quatre autres demeureront auprès de Dunicha. J'ai dit.
Il y eut un silence de mort. Comme par magie, Sara était apparue auprès de Catherine que Fero, maintenant, regardait avec désespoir. Il n'avait même plus le droit de lui adresser la parole... La fête tournait court. Les tambours s'étaient tus et l'on n'entendait plus que le crépitement des feux sous les chaudrons de cuisine. C'était comme si la mort avait soudain survolé le camp et, malgré son courage, Catherine retint mal un frisson. La main de Sara se posa sur son bras nu. – Tchalaï est ma nièce, dit la bohémienne d'un ton mesuré. Je la garderai avec Orka. Tu peux désigner deux autres femmes.
– N'en désigne qu'une ! s'écria Tereina en bondissant auprès de son amie. Si elle est la nièce de Sara la Noire, elle est ma sœur à moi.
La phuri dai acquiesça d'un signe de tête. Son doigt décharné appela impérieusement auprès d'elle une autre femme aux cheveux blancs qui était sa sœur. Et, ainsi encadrée, Catherine regagna dans le silence le chariot d'Orka où, avec ses gardiennes, elle demeurerait jusqu'à l'heure du combat sans sortir, comme une prisonnière.
Le soulagement qu'elle avait éprouvé, tout à l'heure, quand Dunicha l'avait arrachée des mains de Fero, s'était bien évanoui. À ce moment elle n'était menacée que d'un simulacre de mariage et maintenant elle était une sorte de morte en sursis. Une colère gonflait ses veines. C'en était trop aussi ! Et les coutumes de ces gens étaient bien les plus délirantes, les plus barbares qu'elle ait jamais connues.
On disposait d'elle sans même lui demander son avis. Les Tziganes avaient décidé qu'elle épouserait Fero, ensuite ils décidaient qu'elle devait se battre avec cette jeune tigresse, et cela pour un homme qu'elle n'aimait pas.
– Je te préviens, glissa-t-elle à voix basse dans l'oreille de Sara, je ne me battrai pas. Je ne sais même pas ce que c'est. Jamais de ma vie je n'ai livré le moindre combat et je n'essayerai pas même si...
Sara saisit sa main et la serra violemment.
– Tais-toi. Pour l'amour du ciel !
– Pourquoi me tairais-je ? À cause de ces femmes. Non, je vais leur dire, au contraire, je vais leur crier que...
– Tais-toi ! répéta Sara, mais si impérieusement que la jeune femme obéit malgré elle. Comprends donc que tu risques ta vie... si elles comprenaient que tu refuses de te battre.
– Et demain, gémit Catherine, est-ce que je ne vais pas la risquer
? Tu le sais bien, toi, que je ne suis pas capable de faire ce qu'on exige de moi. Elle va me tuer, j'en suis sûre.
– Je le sais aussi, mais, pour l'amour de Dieu, calme-toi ! Quand les autres dormiront je me glisserai hors du camp et je courrai jusqu'à l'auberge prévenir messire Tristan. Il saura bien, lui, te sortir de ce mauvais pas. Mais, je t'en conjure, ne montre pas que tu as peur.
Mes frères ne pardonnent pas la lâcheté. Tu serais chassée à coups de fouet, condamnée à mourir de faim.
Les yeux de Catherine s'agrandirent d'horreur. Elle avait l'impression qu'un piège terrible s'était refermé sur elle et qu'avec ses seules forces elle ne parviendrait jamais à s'en délivrer. Sara sentit sa terreur et la serra contre elle.
– Du courage, mon petit. Maître Tristan et moi nous allons te sortir de là.
– Il serait temps qu'il se montre, celui-là, fit Catherine avec rancune, lui qui devait veiller sur moi de si près.
– Il ne devait intervenir qu'en cas de danger, souviens-toi...
Elle regarda autour d'elle. Les deux vieilles dormaient. Seule Tereina veillait, assise près de la lampe à huile, enveloppée dans sa couverture rouge ; elle fixait la flamme avec les yeux égarés d'une somnambule et ne bougeait pas plus qu'une souche.
– C'est le moment, souffla encore Sara. J'y vais.
Elle se coula au-dehors sans faire plus de bruit qu'une couleuvre, et Catherine, le cœur lourd mais confiante en sa vieille amie, alla s'étendre pour essayer de dormir un peu. Mais le sommeil la fuyait. Ses yeux restaient grands ouverts sur les taches du feutre crasseux du chariot tandis qu'elle tentait de calmer les battements désordonnés de son cœur... Le silence l'écrasait et, n'y tenant plus, elle appela doucement:
– Tereina ?
La petite tzigane tourna la tête lentement vers elle puis se coula à son côté.
– Que veux-tu, ma sœur ?
– J'ai besoin de savoir. Dunicha, ma rivale, a-t-elle l'habitude de ce genre de combat ? Avec quoi devons– nous nous battre ?
– Au couteau. Et, malheureusement, ce n'est pas la première fois pour Dunicha. On dirait un chat-tigre quand elle se bat. Deux femmes qui plaisaient à Fero sont déjà tombées sous ses coups.
Cette révélation fit couler un désagréable filet glacé le long du dos de Catherine, furieuse de s'être jetée dans cette impasse. Si Tristan n'intervenait pas, elle serait proprement égorgée par la Tzigane sans que personne fît un geste pour la défendre. Fero lui-même, qui cependant paraissait si éperdument amoureux, n'avait pas levé le petit doigt pour interdire cette folie. Il s'était plié, respectueusement, à la loi des siens. Et, sans doute, songeait Catherine avec un sentiment de révolte, il se consolerait le soir même, avec la victorieuse Dunicha, de la mort de la malheureuse Tchalaï.
– Tout ce que je pourrai faire pour toi, continua Tereina d'un ton désolé, ce sera te donner une drogue qui décuplera ton courage et ta force. Maintenant, il faut te reposer.
Catherine, dans l'ombre, fit la grimace. Elle était un peu dégoûtée de la pharmacopée tzigane et, de plus, n'avait pas la moindre envie de dormir. La seule chose qu'elle eût envie de faire, c'était fuir, fuir au plus vite, fuir à toutes jambes ces gens sanguinaires auxquels elle s'était si imprudemment mêlée. Elle s'était enfoncée jusqu'au cou dans un panier de vipères et ne savait plus comment en sortir. Elle étouffait dans ce chariot et la respiration régulière des femmes qui dormaient lui donnait envie de hurler.
Elle songea alors que sa vie était trop précieuse aux conjurés d'Angers, donc à Tristan l'Hermite, pour que ce dernier la laissât égorger si bêtement.
Malgré les pensées rassurantes qu'elle s'efforçait de cultiver, Catherine ne ferma pas l'œil de la nuit. La gorge sèche, les tempes bourdonnantes, elle entendit passer chacune des heures de la nuit scandées par les cris des veilleurs sur les tours du château. Elle avait beau savoir que Sara s'occupait d'elle, son absence lui était pénible.
Elle se sentait affreusement seule et ne parvenait pas à se défaire de ce sentiment d'absurdité. Le lever du jour n'allégea pas son angoisse.
Pourquoi Sara ne revenait-elle pas ? Qu'est-ce qui pouvait la retenir aussi longtemps auprès de Tristan ? Avait-elle été surprise quittant le camp ou y rentrant ?
Quand un coq chanta quelque part dans la campagne, Catherine n'y tint plus. Les autres dormaient profondément. Elle se glissa vers l'ouverture du chariot, mais, juste à cet instant, Sara reparut.
Un énorme soupir dégonfla la poitrine oppressée de la jeune femme.
– Enfin, chuchota-t-elle. Je n'ai pas pu dormir tant je suis angoissée.