Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– C’est toi, Beaumôme ?
– C’est moi.
L’apache venait de refermer la porte, il la verrouilla, s’avança vers ses amis.
Beaumôme qui, jadis, avait été condamné à trente ans de hard labour en Angleterre, alors que Fantômas était emprisonné à Londres sous le nom de guerre de Tom Bob, avait réussi à s’enfuir et, naturellement, s’était empressé de regagner Paris. Depuis lors, il vivait dans une crainte perpétuelle. Il savait que la police anglaise, beaucoup mieux faite que la police française, le recherchait inlassablement. Il n’avait nulle envie de retourner faire l’écureuil sous les brumes de Londres.
Mais ce soir-là, précisément, Beaumôme revenait d’un cambriolage tenté avec l’assentiment des camarades.
– Allez, fermez, ordonnait le jeune apache, cependant que Fandor, profitant du tumulte causé par cette apparition, cherchait à s’éloigner, à se dissimuler dans l’ombre. Écoutez voir, les poteaux, c’est pas le moment de blaguer, figurez-vous que, juste au moment où je faisais sauter la porte de la taule, histoire d’arriver jusqu’auprès du tiroir-caisse, y a deux flics qui m’ont rappliqué dessus. L’affaire avait été donnée probablement et j’étais fait d’avance. Ah, là là, et comment que je me suis tiré des pattes ! Seulement, c’est pas fini ! Ah comment que je vais me tirer de là ? Je suis bien sûr que les flics se sont embusqués à la porte. Tout à l’heure, ils vont me faire sortir et je serai frit.
– C’est probable, constata simplement Bébé, qui n’aimait pas beaucoup Beaumôme.
La sinistre brute, cependant, qu’avait toujours été Œil-de-Bœuf, lui qui savait comme pas un noyer en douceur les chats et les chiens histoire de faire rire les camarades, éprouvait une certaine sympathie pour Beaumôme. Et Œil-de-Bœuf voulait le sauver.
– Fermez-la tous ! cria-t-il pour obtenir le silence. Qui c’est qui a spécialement crainte des flics, en ce moment ? Qui c’est qu’est recherché ?
Par hasard, il n’y avait personne. Tous les apaches qui se trouvaient réunis dans le bouge avaient à coup sûr bien des méfaits sur la conscience, mais c’étaient des méfaits inconnus. Nul, sauf Beaumôme, n’était « spécialement » recherché, cette nuit-là.
– Alors, constata Œil-de-Bœuf, mon pot’, faut pas te désespérer, on va encore être là pour un coup, et te tirer d’affaire.
Œil-de-Bœuf grommela quelque chose à l’oreille de Bébé et Bébé approuva :
– Les femmes, cria alors Œil-de-Bœuf, fichez-vous toutes au fond de la boutique. Coup-de-Bâton, va monter la garde devant la lourde. Si d’aventure on frappait, tu n’ouvrirais pas tout de suite, hein ?
Comme on s’empressait d’exécuter ces ordres, à l’improviste, Œil-de-Bœuf sauta sur Fandor, lui fit un croc-en-jambe qui l’étala brusquement sur le sol.
– À l’aide, les aminches, on va lui choper ses frusques, au roussin. Beaumôme va les prendre et nous, nous le crèverons.
Fandor n’eut pas même le temps de résister. L’attaque avait été menée si rapidement qu’il était dépouillé de son pantalon et de sa veste avant d’avoir pu se reconnaître.
– Allez, cavale, Beaumôme.
Beaumôme, de son côté, n’avait pas perdu son temps.
Au fur et à mesure qu’on les lui passait, il avait revêtu les vêtements du malheureux Jérôme Fandor.
– Cavale, recommandait Bébé, en te voyant sous d’autres frusques, les roussins ne te reconnaîtront pas. Vas-y, débine !
Coup-de-Bâton entrebâillant la porte, la referma derrière Beaumôme.
– Et maintenant, reprit Bébé, faisant signe pour qu’on lâche Fandor, on va zigouiller monsieur, histoire de lui apprendre que s’il est connu sur le boulevard de la Villette, il ferait bien de pas venir traîner à Grenelle.
À ce moment, Fandor pensa soudain qu’il était peut-être nécessaire de faire son acte de contrition.
– Fichu, se dit-il à lui-même, en voyant les couteaux briller au-dessus de sa tête. Je ne peux même pas me défendre.
En caleçon et en chemise, Fandor était, en effet, incapable d’opposer la moindre résistance à ses agresseurs. Il se croisa les bras et attendit.
– Venez donc, lâches, murmura-t-il en crachant à ses pieds. Pour traiter les autres de bourriques, faut-il que vous soyez vaches, tout de même. Et encore vous vous mettez à dix contre un.
Mais ces paroles se perdirent dans le tumulte. On ne l’écoutait pas. On allait le tuer pour en finir, lorsqu’un individu, qui jusqu’alors avait dormi sur le haut d’une futaille sauta au-devant des agresseurs de Fandor.
– Messieurs, déclarait-il très poliment, vous allez faire une sottise si vous tuez ce bonhomme. Il n’y a aucun doute que les agents, tout à l’heure, si d’aventure ils visitent le caveau, ne s’en aperçoivent, et dans ce cas…
L’homme qui avait parlé et que l’on écoutait, Jérôme Fandor le reconnut avec surprise.
– Mais c’est Backefelder, murmurait le journaliste, c’est le richissime milliardaire que Juve a sauvé des apaches, jadis. Ah çà, qu’est-ce qu’il fiche ici ?
Backefelder, cependant, continuait à plaider la cause de Fandor :
– Ya bien mieux à faire qu’à le tuer, il faut le fiche dehors.
À ce moment, la porte s’ouvrit grande. Les apaches avaient été si préoccupés par l’attentat médité contre Fandor, qu’ils avaient négligé de surveiller Coup-de-Bâton. Or, Coup-de-Bâton, à la réflexion, s’était dit qu’il avait peut-être eu tort de signaler à ses redoutables clients celui qu’il prenait, comme tout le monde, pour un agent de la Sûreté. Que, par aventure, il fût tué, et certainement, lui, Coup-de-Bâton, aurait des ennuis. Sans bruit, le tenancier avait alors ouvert la porte, rejoint dans la rue les agents, qui guettaient la sortie de Beaumôme, les avait appelés.
C’étaient eux, maintenant, qui pénétraient dans le bouge. Naturellement, à leur apparition ce fut la bousculade. Tandis que les gardiens de la paix, accompagnés de nombreux agents en bourgeois, envahissaient le caveau, les apaches entraînant Fandor, se ruaient dans l’escalier, renversaient au passage les policiers, s’échappaient dans la rue.
Et Fandor, entraîné par eux, courant au milieu d’eux, ne se souciant nullement d’être arrêté, lui aussi, comprenait que ce qu’il avait de mieux à faire était encore de les guider.
– Par ici, hurla-t-il, par là, deux à droite, deux à gauche.
Dans le danger et tandis que tous galopaient, poursuivis par les agents, Fandor, avec une belle tranquillité, s’improvisait le chef de ceux qui avaient failli le tuer.
Il disséminait son monde, on lui obéissait, instinctivement, parce qu’on sentait qu’il était parfaitement calme et n’avait pas peur.
***
Dix minutes plus tard, dans Grenelle, le calme régnait.
Fandor s’était jeté, au dernier moment, dans une encoignure sombre au fond d’un terrain vague. Les agents étaient passés, puis étaient revenus sur leurs pas. Y avait-il des apaches de pris ? c’était possible, mais à coup sûr, beaucoup avaient dû s’échapper.
– Très bien, murmura Fandor, sortant avec prudence de sa cachette. J’ai encore une fois tiré mon épingle du jeu. Seulement, je me demande comment je vais m’en sortir définitivement. Le résultat de ma soirée, c’est que me voilà à moitié nu en plein Paris. Bougre de nom de nom, pourvu que je trouve un fiacre !
6 – LE CERCUEIL N° 7
– Quoi c’est-y qu’il y a d’écrit sur le papier ? bon sang de bon Dieu, ça ne devrait pas être permis de faire des barbouillages aussi fins, pas moyen de s’y reconnaître.
Le personnage qui ronchonnait ainsi tournait et retournait dans ses mains hésitantes un papier tout crasseux, usé aux angles et qui semblait avoir fait dans les poches de son détenteur, un interminable séjour.
Ce n’était pas le cas, pourtant ; l’homme avait reçu ce papier, une lettre administrative, à en-tête imprimé la veille au soir simplement, mais il faut croire que le document avait, depuis quelques heures, passé par des étapes et des itinéraires qui ne brillaient pas précisément par le soin et la propreté.
– Quoi que c’est-y qu’il y a d’écrit ? répéta le bonhomme, qui ajoutait en se penchant vers son voisin :
– J’peux pas lire, parce que je n’ai pas mes lunettes.
– Ne te fais donc pas de bile, père Teulard, même avec tes quatre yeux, tu serais bougrement incapable d’y voir quelque chose.
– Pourquoi, Barnabé ?
– Parce que tu es trop soûl, père Teulard.
– Écoute, Barnabé, tu es un bon copain et je t’aime bien, mais aussi vrai que je m’appelle le père Teulard, ça me fait de la peine lorsque tu m© débines devant le monde. Soûl ? moi ? si c’est Dieu possible. Tiens, c’est dégoûtant, on n’est jamais trahi que par ses amis. Vrai, Barnabé, tu me fais du chagrin.
– Écoute, père Teulard, on va faire l’expérience, étends ton bras. Là. Droit devant toi. Moi j’étends le mien aussi, on va essayer de se toucher le doigt, comme ça, sans chercher, en s’avançant, l’un vers l’autre, si ça réussit, c’est qu’on n’est pas saoul et si on rate cela voudra dire que tu as pris la muffée et c’est toi qui raqueras.
– Ça colle, fit l’autre.
Et, dès lors, dans le cabaret où se trouvait les deux hommes, rue Lepic, la foule qui les entourait, composée de rôdeurs et de quelques ouvriers, s’amusait à regarder l’expérience. On chuchotait, on riait.
Le père Teulard était un vieil homme d’une soixantaine d’années environ, au dos courbé, aux mains calleuses, avec un visage osseux, au milieu duquel pointait un grand nez qui perpétuellement bourgeonnait. Barnabé, par contre, était plus jeune, plus gros, plus large d’épaules, il marchait perpétuellement en se dandinant, ce qui donnait à son corps une allure de canard. Tous deux étaient fossoyeurs, employés au service du cimetière Montmartre, tous deux aussi étaient d’enragés buveurs, qui passaient le plus clair de leurs loisirs chez les marchands de vin où ils dépensaient leur argent.
– Allons, touche mon doigt, père Teulard, dit soudain Barnabé.
– Attrape-le si tu peux, répliqua le père Teulard.
Puis, ce fut un éclat de rire universel, dans la salle empuantie d’absinthe, du petit mastroquet, car les deux hommes s’étaient rapprochés l’un de l’autre, se heurtaient, cependant que leurs bras, écartés de la ligne droite, tournoyaient dans le vide. Leurs doigts étaient bien loin de s’être rencontrés et la démonstration de leur ivresse réciproque était surabondamment faite. Mais soudain, comme ils allaient commander une nouvelle tournée pour célébrer cette découverte, ils s’arrêtèrent perplexes et cependant que le père Teulard comptait sur ses doigts les coups d’une horloge voisine, Barnabé regarda la pendule au mur.
– Dix heures ! s’écria-t-il, eh bien, nom de Dieu, nous n’avons que le temps.
– Jésus, Marie, proféra le père Teulard et dire que le commissaire aux macchabes s’amène à onze heures. Cavalons.
Tous deux sortirent de la boutique, omettant complètement de régler leurs consommations, mais le mastroquet ne les rappela pas, il connaissait ces clients et « avait qu’ils reviendraient.
Le père Teulard et Barnabé, au contact de l’air frais du dehors, reprirent un peu leurs esprits, ils marchèrent à peu près droit et parvinrent, sans se faire remarquer, à l’extrémité de la rue de Maistre, en haut du pont Caulaincourt.
Ils se rendaient dans un établissement aux apparences beaucoup moins attirantes que la boutique du marchand de vin resplendissante de l’autre côté de la rue. Ils allaient vers un mur sombre dans lequel s’encadrait une grande porte toute noire, surmontée d’un écriteau où on lisait :
Dépôt Mortuaire.
C’était là en effet que se trouvait le dépôt mortuaire du cimetière Montmartre, lieu sinistre, où l’administration loge les cercueils qui doivent attendre après les funérailles.
Le père Teulard, en cours de route avait passé à Barnabé le papier de l’administration reçu la veille au soir. Cette lettre contenait des instructions relatives à une certaine bière, la bière n° 7 qui, depuis quarante-huit heures, attendait au dépôt mortuaire d’être définitivement descendue dans le caveau qui lui était affecté au cimetière, allée de l’Ouest.
C’était le cercueil de la mystérieuse jeune fille que l’administration des pompes funèbres était ailée chercher deux jours auparavant, chez l’infant d’Espagne à Auteuil. La noble famille de Gandia possédait en effet au cimetière Montmartre un caveau, mais celui-ci n’étant pas prêt le jour des obsèques, il avait fallu se contenter d’un simulacre d’ensevelissement, puis, on avait placé le cercueil au dépôt, pour quarante-huit heures. Le caveau étant prêt désormais, l’administration en avait informé le fossoyeur en chef, le père Teulard ; il était dix heures du matin. À onze heures, le commissaire des morts allait venir pour constater officiellement la mise en terre du cercueil n° 7 dans le caveau prévu.
Les deux employés du cimetière s’étaient fait reconnaître d’un gardien, puis introduits dans le dépôt. Celui-ci était constitué par une grande salle carrée, plongée dans une demi-obscurité car seules deux ou trois lucarnes percées au sommet du mur permettaient à quelques rayons de lumière d’y pénétrer. Les murs était nus, blanchis à la chaux et, sur le sol en terre battue, était répandue de la créosote dont l’odeur prenait à la gorge. Il y avait deux ou trois rigoles percées dans le sol, et qui venaient converger à une bouche d’égout recouverte d’une grille. Au fond de la pièce était un petit réduit obscur, où l’on entassait pêle-mêle des outils, des tréteaux de rechange, des objets de toutes sortes.
Il y avait, ce jour-là, une dizaine de bières rangées les unes à côté des autres, ce qui donnait au local un aspect plus sinistre encore. Le père Teulard et Barnabé n’étaient pas gens à s’effrayer d’un pareil spectacle. Toutefois, à peine avaient-ils pénétré dans le local que l’un et l’autre poussaient un juron, s’arrêtaient, figés de surprise :
– Nom de Dieu ! s’écria le père Teulard, cependant que Barnabé lui faisait écho.
– Sacré bon sang !
Puis tous deux regardaient devant eux un spectacle inattendu, étrange. Un cercueil, précisément le n° 7, avait évidemment basculé sur ses tréteaux et voici qu’il se dressait comme une guérite, à côté des autres bières allongées comme à l’ordinaire.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Je n’y comprends rien, fit Barnabé, probablement c’est une blague.
Le père Teulard haussa les épaules :
– Oui, fit-il, encore une farce des croque-morts, ce sacré Dégueulasse n’en fait jamais d’autres.
– À moins, observa Barnabé que ce soit Fumier. Il en est bien capable.
– Tout de même, reprit le père Teulard, c’est pas une position pour un mort que de le coller debout.
– Ça tient moins de place.
Puis, machinalement, les deux hommes se rapprochèrent de la bière n° 7 et la firent basculer à nouveau sur ses tréteaux, s’évertuant à lui faire reprendre sa position normale.
Mais à peine avaient-ils terminé, à peine s’éloignaient-ils pour aller chercher le brancard sur lequel ils allaient transporter, dans quelques instants, ce cercueil, qu’un bruit sourd leur fit tourner la tête.
– Ah, bon Dieu, s’écrièrent-ils ensemble, c’est plus fort que de jouer au bouchon.
Les deux fossoyeurs, en effet, pouvaient être surpris. La bière, perdant l’équilibre, avait encore une fois basculé, elle se dressait encore debout, mais sens dessus dessous, cette fois.
– Nom de Dieu, jura Barnabé, voilà le mort qui se met la tête en bas maintenant.
– Ce qu’il est récalcitrant grogna le père Teulard, c’est rien de le dire.
Non sans une certaine inquiétude, les deux camarades se rapprochèrent, surveillèrent la bière. Ils constatèrent que dans sa chute, celle-ci s’était légèrement abîmée, le couvercle s’écartait de la boîte et il sembla à Barnabé, qui s’était penché par terre, que quelque chose filtrait par l’interstice.
– Père Teulard, cria-t-il, viens donc voir…
– Qu’est-ce que c’est ? fit le fossoyeur en chef. Barnabé avait ramassé quelque chose !
– Du sable, proféra-t-il, il sort du sable de la boîte à dominos.
– Faut pourtant savoir, suggéra Barnabé.
– Oui, fit le père Teulard, car sans doute il se passe quelque chose d’extraordinaire : qu’est-ce que va dire le commissaire des morts lorsqu’il va s’amener ? Probable qu’on va nous mettre encore cette histoire-là sur le dos ; faut pas qu’il s’en aperçoive.
Le père Teulard proposa :
– On va resserrer le couvercle qui s’est un peu défait, probable que c’est l’humidité qui l’a fait un peu gondoler.
Barnabé, se dandinant toujours, se releva, chercha autour de lui, des yeux, un instrument pour faire le travail conseillé par le chef. Il ne trouva rien, mais, en fouillant ses poches, Barnabé finit par y découvrir un solide tournevis.
– Voilà l’affaire, déclara-t-il.
Puis, sans s’occuper du père Teulard, il s’agenouilla auprès de la bière.
– Qu’est-ce que tu fais ? interrogea au bout d’un moment le vieil ivrogne qui peu à peu reprenait son état normal et se décongestionnait.
Barnabé se livrait à une besogne inattendue. Au lieu de resserrer les vis qui fermaient le cercueil, ils les défaisait :
– J’ouvre la boîte, déclara-t-il, faut tout de même voir ce qui s’est passé là-dedans.
– Mais, remarqua le père Teulard, timidement, tu sais bien que c’est défendu.
Barnabé, haussant les épaules, continuait ; il eut soudain un cri de surprise et se redressa brusquement, cependant qu’il rejetait de côté le couvercle, désormais entièrement détaché du cercueil.
– La boîte est vide, s’écria-t-il, on a mis du sable à la place du macchabée.
Et c’était exact. Les deux hommes considéraient stupéfiés le spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Es n’y comprenaient rien. À l’intérieur de la bière, toute capitonnée de satin blanc, se trouvait, en effet, du sable fin qui s’était échappé de deux sacs de toile. L’un d’eux s’était crevé et c’était pour cela que le sable avait filtré par les interstices du couvercle mal assujetti. Quelqu’un avait subtilisé un cadavre et, pour donner le change aux fossoyeurs, on avait remplacé le corps par une charge de sable.
Machinalement, les deux hommes plongèrent leurs mains hésitantes dans ce sable. Soudain les doigts de Barnabé rencontrèrent quelque chose qu’il attira et mit sous les yeux du père Teulard. C’était un petit collier de pierreries multicolores.
– Des bijoux, s’écria-t-il ; par exemple, c’est encore plus épatant.
– Mets ça de côté, déclara Barnabé, passant le collier à Teulard.
Mais le fossoyeur en chef n’en voulait pas et comme s’il avait craint de toucher cet objet précieux, il le déposa non loin de lui, sur une autre bière.
Puis les deux hommes se rapprochèrent l’un de l’autre, se regardèrent dans les yeux.
– Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda Barnabé à Teulard.
Le père Teulard, ayant réfléchi, déclara sentencieusement :
– Faudra prévenir le commissaire des morts, sûr qu’il s’est passé là quelque chose.
Mais il poussa un nouveau juron ; machinalement, le père Teulard venait de regarder dans la direction de l’endroit où il avait déposé le collier. Or, celui-ci avait disparu.
– Barnabé, s’écria-t-il, qu’as-tu fait des bijoux ?
– J’les ai pas, répliqua l’homme, c’est toi qui les avais il n’y a pas deux minutes.
– Sans doute, répliqua le père Teulard, mais ils se sont débinés.
– Pas possible ? fit Barnabé qui regardait le sol, convaincu que le collier était tombé.
Rien sur la terre battue.
D’un air atterré, Barnabé, toutefois, désigna du doigt la bouche d’égout qui se trouvait à proximité et que recouvrait une grille à travers les barreaux de laquelle le collier avait peut-être pu glisser.
– Pourvu, s’écria-t-il, que le truc ne se soit pas débiné là-dedans.
Les deux hommes s’agenouillèrent, enlevèrent le grillage, plongèrent les mains dans le trou aussi profondément qu’ils pouvaient le faire, mais en vain, ils ne retrouvèrent pas le collier.
Tandis que Barnabé cherchait, le père Teulard, soudain, lui prit le bras. Et en même temps, les deux hommes se retournaient :
– Qu’est-ce qu’il y a ? fit Barnabé.
– Tu as entendu aussi ? interrogea le père Teulard devenu tout pâle.
– Il n’y a pourtant personne, reprit Barnabé. Son compagnon, hochant la tête, ajouta :
– J’ai cependant entendu du bruit.
Un instant, ils firent silence, regardant autour d’eux, mais il n’y avait personne et, dans le dépôt mortuaire, seuls avec eux se trouvaient les cercueils.
Barnabé haussa les épaules :
– Sûr, on est piqué tous les deux en ce moment. On a encore rêvé.
Le père Teulard paraissait fort préoccupé.
– Quoi c’est qu’on va fiche ? demanda-t-il, avec cette bière remplie de sable et ce collier disparu ? Sûr qu’il s’est débiné par l’égout. Seulement, voilà, ça va nous faire des embêtements.
– Pourquoi ? demanda Barnabé.
– Parbleu ! fit Teulard, il se trouvera toujours des salauds pour raconter que c’est nous autres qui avons fait le coup. Pense donc, un macchabée de moins, une bière vide, ça va faire du scandale. Des histoires à n’en plus finir. On va voir rappliquer la police, les curieux vont faire des enquêtes.
Barnabé se gratta le nez.
– Surtout, ajouta-t-il, qu’il s’agit d’une cliente de luxe. Le n° 7, la bière au sable, c’est là-dedans qu’on avait mis quelqu’un de bien conséquent, comme qui dirait la nièce de l’infant d’Espagne, d’après ce que j’ai entendu dire.
Le père Teulard, qui avait enfin retrouvé ses lunettes au fond de sa poche, les assujettit sur son nez et parvint cette fois à lire la fameuse lettre.
– Le sept, déclara-t-il, c’est une nommée Mercédès de Gandia. Oui, c’est bien quelque chose comme tu dis, une grande famille, je connais le caveau, il y a des écussons sur la porte avec des espèces de couronnes.
– Ah, grogna Barnabé, on est frais ! Si seulement c’était arrivé avec un purotin, l’histoire passait inaperçue, mais avec des gens de cette espèce-là on est sûr d’avoir des embêtements.
Le père Teulard, les bras croisés, la tête baissée, réfléchissait :
– Écoute, proféra-t-il enfin, après un long silence, écoute, Barnabé, je m’en vas te dire une bonne chose.
– Vas-y, père Teulard.
– Eh bien, Barnabé, voilà. Moi, j’ai comme ça dans l’idée que s’il se trouve du sable dans cette bière à la place du cadavre, ce n’est pas par suite d’une erreur, mais bien parce que les clients l’ont voulu comme cela, les gens riches ça fait toujours ce que ça veut.
– Probable.
– Conséquemment, poursuivit le père Teulard, s’ils ont fourré du sacré sable dans le cercueil, c’est parce qu’ils veulent faire croire qu’il y a un mort à la place, m’est avis que ces gens-là faut pas les contrarier. Si je n’écoutais que moi, je fermerais bien tranquillement le truc et je m’en irais tout à l’heure sans rien dire le porter dans le caveau avec le commissaire des morts.
Le visage de Barnabé s’illuminait, au fur et à mesure que parlait son compagnon :
– Ça, père Teulard, déclara-t-il, c’est une idée et même une richement bonne idée.
Barnabé se frotta les mains ; soudain, il regarda sa montre :
– Onze heures moins le quart ! s’écria-t-il, eh bien, nous n’avons qu’à cavaler si nous voulons refermer le truc avant l’arrivée du commissaire.
Le père Teulard et Barnabé s’empressèrent alors de remettre le couvercle sur la bière mystérieuse qui contenait du sable. Ils se dépêchaient l’un et l’autre de replacer les vis ; au bout de quelques instants, le cercueil n° 7 avait repris son apparence normale.
– Ouf, fit Barnabé une fois que la bière eut repris son apparence normale, ça y est, maintenant le commissaire peut s’amener.
Le père Teulard, toutefois, était inquiet et au lieu de se tenir tranquille, il allait et venait dans le dépôt mortuaire, incapable de rester immobile :
– Pourvu, murmura-t-il, qu’on ne s’aperçoive de rien. Puis, il ajoutait :
– Quand nous mettrons la boîte à dominos sur le brancard, faudra bien faire attention, l’un et l’autre, à ne pas la faire dégringoler, car, chargée à moitié comme elle l’est de sable, c’est mauvais pour l’équilibre. Vois-tu qu’elle se mette tout d’un coup à se dresser sur le brancard ou le caveau comme tout à l’heure ?
Cette idée fit rire les deux hommes, mais soudain, ils s’arrêtèrent. Ils avaient entendu du bruit à l’extérieur, î.’air grave et obséquieux, ils se précipitèrent vers la porte qui donnait directement sur le cimetière.
Un personnage apparaissait, vêtu de noir, un parapluie à la main.
– Le commissaire des morts, annonça Teulard.
Puis, le fossoyeur en chef, suivi de son aide, se rapprocha du fonctionnaire, se confondit en salutations devant ce haut personnage.
Celui-ci feuilletait une liasse de papiers :
– Nous avons, déclara-t-il d’une voix hautaine, un transfert à opérer ce matin. Êtes-vous prêts ?
– Oui, monsieur le commissaire, déclara Teulard d’une voix tremblante, ne parvenant pas à maîtriser son émotion, malgré les coups de poing dont Barnabé lui bourrait les côtes.
– Il s’agit, poursuivait le fonctionnaire qui ne s’apercevait de rien, heureusement, de la bière n° 7, destinée au caveau de la famille de Gandia.
– C’est bien cela, monsieur le commissaire, poursuivit Teulard.
– Eh bien, allons-y, dit le fonctionnaire qui, d’ailleurs, ne pénétrai* pas dans le dépôt mortuaire et attendait que les deux fossoyeurs en fussent sortis avec un brancard sur lequel ils portaient le cercueil.
Le macabre cortège se mit alors en route, le commissaire des morts précédant les porteurs, et tous trois, à travers les allées exiguës de la grande nécropole, se dirigèrent vers l’allée de l’Ouest, où se trouvait le caveau de la famille de Gandia.
***
Cependant que les fossoyeurs et le commissaire allaient porter à sa dernière demeure ce que tous croyaient être la dépouille mortelle de Mercédès de Gandia, dans le dépôt, à présent désert, quelqu’un surgit du réduit obscur où l’on avait pour habitude de jeter pêle-mêle, les outils nécessaires aux travaux du cimetière.
Cet homme qui, jusqu’alors, s’était dissimulé, entra dans la grande salie funèbre. Il avait le visage triomphant, un sourire féroce sur les lèvres.
Quiconque l’aurait vu alors, quiconque se serait trouvé face à face avec lui n’aurait pu contenir son émotion ni cacher sa terreur, car cet homme à la silhouette majestueuse et sinistre, n’était autre que…
Le génie du crime serrait dans sa main nerveuse des pierreries qui miroitaient dans la pénombre de la salle. Fantômas avait le collier que les deux fossoyeurs avaient cherché en vain une demi-heure auparavant, après l’avoir extrait du cercueil rempli de sable.
C’était Fantômas qui, sans aucun doute, avait subtilisé le bijou, mais pourquoi ?
D’ailleurs, que faisait-il là ? Pourquoi s’était-il introduit dans le dépôt mortuaire ? Au risque de se faire surprendre. Ce qui, d’ailleurs, avait failli arriver, car, à un moment donné, le père Teulard et Barnabé avaient entendu du bruit. Au cas où leur émotion eût été moindre, ils auraient certainement, en cherchant dans le réduit obscur qui avoisinait la salle du dépôt, découvert celui qui s’y dissimulait ainsi.
Fantômas, toutefois, monologuait à mi-voix, tant il semblait satisfait de la scène dont il venait d’être le témoin :
– C’est parfait, murmurait-il. Dire que ces imbéciles de fossoyeurs ont failli tout gâter. Ma parole, je les aurais tués s’ils avaient donné suite à leur projet de tout déclarer au commissaire des morts. Il est vrai, que l’on serait arrivé plus rapidement à la solution. Mais cela m’aurait fort gêné pour agir, car je ne suis pas encore prêt. Non, mieux vaut que les choses se soient passées ainsi.
Un éclair de joie illuminait les yeux du bandit :
– L’essentiel, ajouta-t-il, c’est que je sache ce que je sais. Or, je viens d’apprendre un fait indiscutable : c’est que le cercueil qui devait contenir Mercédès de Gandia ne contient pas de cadavre. On a donc simulé la mort de la nièce de l’infant et, si celle-ci est encore vivante, comme tout permet de le supposer, don Eugenio n’hérite pas de son immense fortune. C’est ce qu’il fallait savoir en premier lieu, c’est ce qu’il importera désormais de démontrer. Oh, oh, ma cause est bonne et je la gagnerai.
Fantômas se rapprocha de la porte du dépôt mortuaire, s’assura d’abord que personne n’en surveillait les abords et, certain désormais d’en sortir inaperçu, il prit la fuite à travers le cimetière.