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Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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2 – L’ENTERREMENT DE MERCÉDÈS

La rue Erlanger était déserte. Au beau temps de la veille avait succédé une pluie diluvienne, une de ces pluies du printemps, qui chargent le ciel d’encre et font ruisseler des flots d’eau brune dans le caniveau.

Les fenêtres de l’hôtel de don Eugenio étaient jalousement fermées. On avait tiré les volets. À l’intérieur c’était aussi le silence, à peine troublé par quelques chuchotements discrets. La nouvelle s’était vite répandue, en effet, dans le quartier, que la nièce de l’infant d’Espagne, doña Mercédès de Gandia, était décédée après une courte maladie. On connaissait peu cette jeune fille que la rumeur publique, cependant, disait être admirablement belle ; beaucoup ignoraient même son existence ; la plupart des voisins s’imaginaient que l’infant d’Espagne, célibataire, vivait seul dans son hôtel de la rue Erlanger. Quelques-uns, cependant, avaient noté que ces temps derniers, l’infant, après une longue absence, était revenu à Paris accompagné d’une dame, mais tandis que don Eugenio s’en allait au Bois, déjeunait en ville, ou se montrait au théâtre, jamais, ou très rarement, il ne se faisait accompagner de cette personne que l’on savait désormais être sa nièce.

L’infant d’Espagne, s’était retiré dans un grand salon dont on avait fait une sorte de cabinet de travail, et, en cette pièce plongée dans l’obscurité bien qu’il fît encore jour, l’infant d’Espagne était occupé à dépouiller de nombreux papiers en présence d’un homme aux apparences modestes. L’infant était assis, l’homme se tenait debout à côté de lui et lui signalait, au passage, des documents que l’Altesse royale feuilletait d’un air distrait.

– Voici, disait l’homme, encore un titre de propriété de la princesse votre nièce.

Puis, il ajoutait sur un ton de naïve et respectueuse admiration :

– L’héritage de doña Mercédès de Gandia est encore plus considérable que mon patron ne se l’imaginait.

– Votre patron, mon notaire, sait cependant exactement l’état de nos fortunes à tous.

– C’est exact, mais l’ouverture des meubles appartenant à doña Mercédès a fait découvrir des titres de rente dont on ne soupçonnait pas l’existence.

Le clerc de notaire poursuivit :

– Le décès de votre nièce, qui meurt sans enfants et sans ascendants directs, fait de vous, Monseigneur, son seul et unique héritier. Vous êtes désormais à la tête d’une immense fortune.

– À quel prix, dit l’infant.

Enfin l’employé du notaire se retira. Il venait à peine de quitter la pièce qu’un coup discret était frappé à la porte.

– Entrez.

C’était un vieux domestique qui, s’inclinant devant son maître, lui annonça :

– Monseigneur, c’est quelqu’un qui demande à parler à Votre Altesse.

– Je ne reçois personne.

– Monseigneur, c’est encore ce monsieur qui est déjà venu hier matin, M. Coquard, l’homme des Pompes funèbres.

– Il fallait me le dire plus tôt. Qu’il entre.

Quelques instants plus tard, le courtier de la maison de Villars était en présence de Son Altesse royale.

Le gros homme jovial, après s’être confondu en salutations et avoir balbutié quelques maladroites paroles de condoléance, interrogeait son auguste client sur les mesures qu’il daignerait prendre au sujet des obsèques :

– J’ai fait préparer les lettres de deuil et les ai laissées dans le vestibule, Monseigneur. Maintenant, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, on fera la mise en bière demain matin de bonne heure. Étant donné l’importance de la cérémonie, il ne faudra pas trop de toute la matinée pour dresser les tentures, mettre les écussons, préparer la salle de couronnes.

– En ce qui concerne la mise en bière, c’est une affaire entendue, mais je vous répète, monsieur, que je ne veux pas d’obsèques tapageuses. Faites le nécessaire et pas plus.

– Cependant, expliqua le courtier d’un air désolé, il s’agit d’une troisième classe, et l’on prévoit pour de semblables cérémonies un certain déploiement de luxe.

– Je n’en veux pas. Doña Mercédès de Gandia doit avoir des obsèques conformes à ses volontés, c’est-à-dire aussi modestes que possible.

L’excellent Coquard était navré. Machinalement, il ôta, puis remit dans sa poche, les catalogues qu’il avait apportés pour faire choisir à son Altesse royale des décorations funèbres compliquées.

Mais don Eugenio avait dicté ses volontés, précisé qu’il exigeait la simplicité. Puis, d’un geste digne et hautain, il signifiait à Coquard que l’entretien était terminé. Le courtier, lentement, se retira. Comme il descendait l’escalier, avisant un domestique, qui se tenait dans le vestibule, il demanda timidement :

– Voulez-vous me permettre de jeter un coup d’œil sur la défunte, histoire de bien me rendre compte que les dimensions données sont bien exactes, c’est rapport au cercueil ?

Mais le domestique foudroya du regard l’employé des Pompes funèbres :

– Monseigneur, déclara-t-il, a formellement interdit que qui que ce soit s’approche de la chambre mortuaire, pas plus vous que les autres ne serez autorisé à y pénétrer.

– C’est bon, c’est bon, inutile de vous fâcher.

Retroussant son pantalon, ouvrant son large parapluie, Coquard s’en alla, déçu, sous la pluie battante, qui transformait la rue Erlanger en véritable lac.

– Sale temps, grommela-t-il, et sale métier.

***

Par les volets entrebâillés, don Eugenio s’assurait que l’employé des Pompes funèbres s’était bien éloigné. Dès lors, il quitta son poste d’observation, et traversant son bureau somptueux, il ouvrit une petite porte dissimulée dans la boiserie. L’infant suivit un couloir étroit, puis, soulevant une portière, il pénétra dans une pièce élégamment meublée où se trouvait une jeune fille étendue sur une chaise longue. À l’arrivée de don Eugenio, elle se leva, inclina légèrement la tête.

L’infant lui répondit par un profond salut :

– Mademoiselle, fit-il, excusez-moi de vous déranger, mais voici l’heure qui s’avance, et j’avais besoin de vous parler.

– Je suis à votre entière disposition, Monseigneur.

– Et vous êtes toujours décidée ?

– Oui, répliqua la jeune fille, ce que je vous ai promis, je le tiendrai. De même que vous avez respecté la parole donnée, Monseigneur, de même je tiendrai en tous points, la promesse que je vous ai faite.

– Ah ! s’écria l’infant qui dans un geste spontané prenait dans les siennes les mains de la jeune fille et les étreignait chaleureusement, jamais je ne pourrai assez vous remercier, jamais vous ne saurez le service immense que vous rendez à ma famille, à la dynastie, à l’Espagne tout entière.

– Je vous en prie, monseigneur, n’exagérons rien, je vous saurai toujours gré de l’attitude généreuse que vous avez eue vis-à-vis de moi, je suis sincèrement heureuse de pouvoir vous rendre le service que vous m’avez demandé.

– Ainsi donc, fit l’infant, puisque tout est décidé, nous n’avons plus rien à nous dire pour le moment ?

– Plus rien, monseigneur.

L’infant se retira. Arrivé sur le pas de la porte, il se retourna et reprit :

– Il est quatre heures de l’après-midi ; vers sept heures, mademoiselle, je vous demanderai de vouloir bien être prête. Les domestiques seront éconduits, nous pourrons quitter l’hôtel.

La mystérieuse personne s’inclina. Quelques instants après, elle était seule, elle reprit sa place sur la chaise longue et se remit à lire.

***

– Casimir ! Casimir !

– Voilà, patron.

– Vite, Casimir, prépare le cabinet du premier étage, deux couverts, c’est des amoureux !

Dans le petit restaurant du Rond-Point d’Auteuil, le patron et son unique domestique s’empressaient. Ils avaient vu entrer un monsieur et une dame. Cette dernière portait une épaisse voilette, et ils avaient compris ce dont il s’agissait. Il était sept heures et demie. Deux amoureux, deux amants, vraisemblablement, venaient dîner et, à coup sûr, désiraient rester seuls. Sans les consulter au préalable, et négligeant de leur proposer une place dans la salle commune, Casimir, sur l’instigation de son patron, les invitait à monter un escalier conduisant à l’entresol et les faisait pénétrer dans un petit salon orné de glaces, meublé d’une table, de quelques chaises et d’un divan.

– Ces monsieur et dame, déclara-t-il, avec un sourire équivoque, seront tout à fait tranquilles ici ; s’ils veulent bien me commander le dîner tout de suite, je ne les ferai pas attendre.

Le couple jeta un regard distrait sur la carte, puis, commanda un repas frugal dont le garçon prit bonne note.

– Du champagne, naturellement ?

Mais la dame voilée hocha la tête. Son compagnon commanda simplement :

– Une bouteille d’eau minérale.

Lorsque Casimir se fut retiré, l’homme s’excusa :

– Je suis désolé, mademoiselle, fit-il, de vous avoir amenée dans un endroit aussi peu digne de vous, mais nous sommes sûrs de n’être pas remarqués.

Avec grâce et lenteur, la jeune personne enlevait sa voilette :

– C’est parfait comme cela, Monseigneur, dit-elle, au surplus, nous n’allons pas nous éterniser ici.

Les deux mystérieux convives du petit restaurant d’Auteuil que Casimir et son patron prenaient pour des amoureux, n’étaient autres, en effet, que don Eugenio, infant d’Espagne, et la jeune fille avec laquelle il s’était entretenu deux heures auparavant dans sa majestueuse demeure de la rue Erlanger.

À la grande surprise du garçon, ce couple acheva rapidement son dîner, puis disparut. Les amoureux, si c’en était, n’avaient pas passé, en tout, plus de trois quarts d’heure dans l’établissement.

Silencieux, marchant vite l’un à côté de l’autre, ils regagnèrent, par les rues désertes d’Auteuil, la rue Erlanger, plus déserte encore. Par une porte de service, ils pénétrèrent dans l’hôtel, mais, comme ils entraient dans le vestibule, et que l’infant d’Espagne tournait le commutateur, la jeune fille et lui-même sursautèrent. Au milieu du hall, on avait posé une grande bière oblongue, ornée de poignées d’argent. Tous deux s’étaient arrêtés, tressaillaient, n’osant se regarder. L’infant prit la parole :

– Montez, mademoiselle, montez dans votre chambre, je vous en prie, mademoiselle, remettez-vous. Je vous jure que vous n’avez rien à craindre.

La jeune fille leva les yeux vers lui :

– Je vous crois, monseigneur, fit-elle. J’ai en vous une absolue confiance.

Elle réprimait cependant d’involontaires frissons. La gorge serrée, et comme si les mots en sortaient avec peine, elle demanda au terme d’un silence :

– Je crois que le moment est venu. Cette boisson, où est-elle ?

– Je vais vous la chercher, déclara l’infant qui disparut pour quelques instants.

Il revint avec une fiole dont il vida le contenu dans un verre. La jeune fille prit le verre des mains de don Eugenio, le vida d’un trait. Elle releva la tête, et, d’un pas résolu, traversa la pièce dans laquelle elle s’était tenue tout l’après-midi. L’infant la suivit dans la chambre voisine au milieu de laquelle se trouvait un grand lit à colonnes autour duquel on avait disposé des couronnes de fleurs, des cierges, que l’infant, d’un geste machinal, déplaçait pour livrer passage à la jeune fille.

– Monseigneur, je n’ai plus besoin de vous, vous pouvez vous retirer.

L’infant se pencha vers elle et mit un genou en terre, lui prit les mains, les baisa respectueusement :

– Jamais, mademoiselle, déclara-t-il d’un ton pénétré, je n’oublierai le dévouement que vous avez en cette circonstance, la générosité avec laquelle vous nous sauvez tous du déshonneur.

– Retirez-vous, monseigneur.

– Je vais prier Dieu pour vous.

Lorsqu’elle fut seule, la jeune fille se dévêtit en hâte, elle dénoua ses cheveux qu’elle laissa tomber sur ses épaules et s’enveloppant ensuite d’un grand peignoir de soie, elle s’étendit sur le lit et ne tarda pas à s’y endormir d’un sommeil cataleptique.

***

– Alors c’est ici, Dégueulasse ?

– Faut croire, mon vieux Fumier, pas moyen d’ailleurs de se tromper, on nous a dit la plus chic taule de la rue Erlanger et celle-ci m’a l’air d’être un peu là.

Deux hommes étaient descendus du grand fourgon vert. Ceux qui virent ce véhicule s’arrêter au milieu de la rue Erlanger reconnurent la voiture des pompes funèbres qui venait apporter les tentures murales et les décorations funéraires. Les rares passants s’écartaient instinctivement devant les deux hommes qui descendaient du véhicule. Deux êtres aux aspects sinistres : l’un, la face rougeaude et enluminée, l’autre les yeux creux comme des cavernes et le teint terreux. Tous deux vêtus de l’habit noir, coiffés du chapeau de cuir bouilli, qui sont l’uniforme des croque-morts de Paris.

Les deux hommes, d’un pas lourd, se rapprochaient de l’hôtel de l’infant.

– Crois-tu, murmura l’un d’eux, crois-tu, Dégueulasse, qu’on en fait un métier ? Passer son temps à charrier des cadavres, c’est pas une existence pour d’honnêtes gens comme nous.

– Bah, fit l’autre, philosophe, mon vieux Fumier, inutile de se frapper, ça n’y change rien. Dans le temps nous étions des boueux. On ramassait les ordures faites par les bourgeois. Maintenant on trimballe les bourgeois eux-mêmes. Peu importe le fourbi du moment qu’il y a toujours la thune au bout, à la fin de la journée.

« Le plus embêtant, poursuivit Dégueulasse, c’est qu’avec ce turbin-là on n’a pas le temps d’aller prendre un verre avant une heure, quelquefois deux de l’après-midi.

– Ça dépend, des fois on trouve dans la clientèle des gens qui vous rincent. Mais c’est pas chez les riches que ça arrive. Rien qu’à en juger par la taule où nous allons travailler ce matin, on pourra toujours se bomber pour licher quelque chose.

Un domestique en livrée venait au-devant des croque-morts.

– Par ici, messieurs, leur dit-il.

Et il les précéda dans le hall de l’hôtel où se trouvait la bière, apportée la veille.

Dégueulasse la chargea sur ses épaules.

– Où c’est-y qu’on va ? demanda-t-il à voix basse.

Ils entrèrent dans la chambre mortuaire.

La morte était là, rigide, immobile, le visage blafard, les lèvres bleuies. Autour d’elle se répandait une violente odeur d’encens et de fleurs. La pièce était plongée dans une demi-obscurité, à laquelle cependant les nouveaux arrivants ne tardèrent pas à s’habituer.

Dégueulasse posa la lourde bière à terre à côté du lit, cependant que son compagnon, relevant le drap, enveloppait le corps souple et gracieux dans le vaste linceul. Les deux hommes se firent un signe, puis brusquement, enlevèrent le corps et le déposèrent sur le capiton de satin de la bière.

En l’espace de quelques secondes, ils fermèrent le cercueil, l’emportèrent, le descendirent au rez-de-chaussée où les employés des pompes funèbres achevaient de dresser la chapelle ardente.

Tous alors se retirèrent et les croque-morts allèrent se dissimuler dans un coin du jardin. Conformément aux ordres qu’ils avaient reçus, ils devaient y attendre, l’arrivée du corbillard pour y placer le cercueil à l’heure du départ.

***

Une foule assez nombreuse arrivait.

C’étaient des personnages officiels, puis quelques femmes vêtues de noir qui défilaient silencieusement devant la chapelle ardente installée à l’entrée de l’hôtel. Les femmes se signaient en passant, les hommes s’inclinaient. On se rendit ensuite dans une vaste pièce du rez-de-chaussée où l’infant et quelques personnes de son entourage reçurent les condoléances.

Jamais on n’aurait cru qu’il s’agissait des obsèques d’une princesse de sang royal. Il devait y avoir là-dessous quelque mystère, mais nul ne paraissait autrement surpris de la chose.

Dégueulasse et Fumier, les deux croque-morts, commençaient à s’ennuyer ferme dans le jardin dont l’ordonnateur leur avait recommandé de ne point sortir, cela parce que leur réputation d’ivrognes était établie et qu’il était avéré que dès qu’ils avaient une minute de liberté, ils se rendaient pour boire au cabaret le plus proche.

Ils étaient là depuis trois quarts d’heure environ lorsqu’ils entendirent un léger coup de sifflet.

– C’est pour nous, fit Dégueulasse, on va se débiner.

– C’est égal, quelle trotte à faire de c’t’endroit jusqu’au cimetière Montmartre. Si seulement…

– Si seulement, poursuivit Fumier, on pouvait dire au collignon [1] de cavaler un peu, ça ferait gagner du temps.

Les deux hommes, rajustant leurs habits, assujettissant leur chapeau de cuir sur leur tête, se rapprochèrent de la chapelle ardente.

– Mâtin, murmura Dégueulasse, c’est tout de même de la belle clientèle.

Le maître des cérémonies qui officiait ce jour-là, n’était autre que le patron lui-même, le marquis Ange de Villars.

Stimulés par la présence du grand chef, les deux croque-morts allèrent se joindre à deux autres qui venaient d’arriver, puis, à un signal donné, ils se rapprochèrent de la bière, l’enlevèrent et la portèrent jusqu’au corbillard.

Quelques instants plus tard, le cortège se mettait en marche lentement, majestueusement, cependant que le corbillard surchargé de couronnes, de superbes gerbes de fleurs, répandait autour de lui une exquise atmosphère du parfums et de jeunesse.

3 – LES APACHES S’AMUSENT

– Allez, cavale, Œil-de-Bœuf, monte mon vieux. Non, des fois, tu vas pas te fiche par terre ! M’sieu le conducteur, combien que vous nous ferez payer les places ? Y’a une réduction, pas vrai, quand on est plusieurs ?

Derrière le grand voyou, mince et blême qui, le premier, avait réussi à sauter sur la plate-forme du tramway Auteuil-Saint-Sulpice, une bande d’autres gaillards aux allures louches, se pressait.

– Complet à l’intérieur. À l’impériale, à volonté.

– Le 66, le 67…

– Avance donc, eh poireau !

Ils étaient bien sept ou huit, tous un peu mûrs, ayant vidé force chopes et liché quantité de petits verres. Ils montaient en se bousculant, narguant le conducteur, poussant des cris d’oiseaux et avaient bien plutôt l’air de prendre d’assaut la voiture publique que de vouloir rentrer paisiblement chez eux.

Aussi bien, il était tard, près de dix heures, et le quartier de Grenelle était retombé au silence, au sommeil. À peine de loin en loin, voyait-on dans la nuit les vitrines flamboyantes des assommoirs où les rôdeurs continuaient à faire ripaille.

Le conducteur commençait à s’énerver :

– Allons, c’est-il que vous montez ou que vous ne montez pas ?

La demande s’adressait à deux femmes qui demeuraient sur le pavé, à se disputer.

– Hisse ! cria l’une.

– On monte, on monte ! répéta l’autre.

Elles s’engageaient en effet dans le petit escalier de l’impériale, continuant à échanger des propos aigres-doux et paraissant de moins en moins d’accord. L’une était une superbe fille à la chevelure noire abondante, au teint mat, à l’allure espagnole, qui répondait au nom de la Recuerda ; elle était célèbre parmi les apaches de Ménilmontant. L’autre, plus timide, souriante, vêtue à la façon d’une petite bonne en rupture de place s’appelait Adèle.

– Avance, avance ! hurlait la boniche, poussant devant elle sa compagne, on réglera ça plus tard ma fille, c’est pas encore toi qui me montera le coup !

La Recuerda se retourna :

– On réglera ça quand tu voudras, tout de suite, aujourd’hui ou demain, tu entends ?

– J’entends.

Elles débouchaient sur l’impériale, et leur apparition fut saluée d’exclamations joyeuses :

– Tiens, v’là les gonzesses qu’avaient perdu leurs hommes.

Œil-de-Bœuf, le terrible apache qui tant de fois avait défrayé la chronique criminelle, envoya une lourde taloche sur l’épaule de Mort-Subite, son vieux copain depuis longtemps revenu de la Nouvelle [2].

– Non mais, zieute-les, crois-tu qu’elles vont se bouffer les puces sur le dos ?

Sur l’impériale d’ailleurs, ils ne s’étaient assis ni les uns ni les autres. Bébé, mis en gaieté par un certain raspail [3] consommé au dernier cabaret, jouait a saute-mouton, par-dessus la banquette transversale pour le plus grand plaisir d’une grosse fille, qui le regardait en louchant, et que de temps à autre, il interpellait familièrement :

– Dis voir, Choléra, crois-tu qu’on est bon, hein ? moi quand je prendrai ma retraite, je me ferai engager tomme clown dans un cirque.

Plus loin, se tenait Bec-de-Gaz. Bec-de-Gaz n’était point devenu plus loquace qu’à son ordinaire, il était comme toujours maigre et efflanqué, épouvantablement sale, et debout sur la banquette, serrant le dossier entre les jambes pour garder son équilibre, il s’amusait à interviewer le cocher tout en crachant par-dessus sa tête sur la croupe des chevaux, par manière de plaisanterie.

– Et alors ? demandait-il, c’est dans combien de temps que vous devenez conducteur d’autobus et que le canard se transformera ?

Le « canard », cependant, (de temps immémorial, l’omnibus d’Auteuil-Saint-Sulpice est surnommé le « canard » en raison de sa marche extra lente et des secousses que lui ménage une voie perpétuellement défoncée) s’en allait au petit trot. On était sorti des rues de Grenelle, ou arrivait à hauteur du long boulevard que domine la voie du métro, majestueuse, surmontant les arcades de pierre.

Sur l’impériale, le chahut continuait. On s’était groupé autour d’Adèle et de la Recuerda, on les excitait :

– Vas-y Adèle, montres-y que t’as pas les foies.

– Eh, ne te laisse pas faire, la Recuerda ! Qu’est-ce qu’il dirait ton homme si y savait que t’as eu le taff [4] devant une boniche ?

Les deux femmes s’étaient prises de querelle une heure auparavant, dans un assommoir. Ce n’était pas sérieux. Adèle avait accusé la Recuerda d’avoir fait de l’œil à Bébé, dont elle convoitait la protection. Ce n’était pas sérieux. La Recuerda – on le savait bien dans la bande – vivait seule, à sa guise, sans amant, sans protecteur. N’importe. La querelle était drôle et les hommes espéraient un crêpage de chignon.

La Choléra d’ailleurs, teigne comme pas une, excitait avec ardeur ses deux compagnes :

– Moi, disait-elle tout haut, j’serais la Recuerda, que ça ne serait pas long. J’y rentrerais dedans, à la môme.

Mort-Subite cependant, avait inventé une distraction subtile. Assis sur le plancher de l’impériale, il laissait pendre ses jambes dans le vide et tapait de légers coups de talon sur les vitres de l’intérieur.

– Mince de peu, criait-il de temps en temps, qu’est-ce qu’ils doivent dire les types du premier étage ! Sûr qu’ils admirent mes godillots, et que si y a des dames, elles reluquent mes mollets.

Et puis le chahut continuait :

– Vas-y, Adèle.

– Vas-y, la Recuerda.

Il n’était pas besoin d’encourager les adversaires. Tandis qu’Adèle, les poings sur les hanches, lâchait tout un vocabulaire ordurier à l’adresse de la Recuerda, ce qui étonnait de la part d’une fille qui, au premier abord, eût parut douce et timide, la Recuerda, elle, la tête rejetée en arrière, la poitrine palpitante, murmurait d’une voix indéfinissablement railleuse :

– Ma petite, il faut la boucler, ou je m’en vais me charger de l’arranger, ta babillarde.

C’était bien ce que l’on espérait. Et tout d’un coup, Œil-de-Bœuf lui lança :

– Dis donc, eh, la Recuerda, depuis le temps que tu asticotes Adèle, c’est-y que t’as le taff, pour ne pas lui sauter sur le blair ?

Un instant, les yeux de la Recuerda flamboyèrent. Sans plus s’occuper d’Adèle, elle s’était retournée vers Œil-de-Bœuf, avait empoigné l’apache par le bras, et d’une violente secousse, l’avait assis sur la banquette.

– Avant de m’accuser d’être taffeuse, dit-elle, faudrait voir un peu, camarade, à prouver que toi-même t’es bien costaud. C’est peut-être parce que t’étais un homme que tu t’es cavalé rue du Poteau ?

La Recuerda faisait allusion à une affaire de vol où Œil-de-Bœuf n’avait pas précisément brillé par l’audace.

Il y eut des rires, des battements de mains. Mais Œil-de-Bœuf avait un copain, et si lui ne savait que dire, Bec-de-Gaz, était prêt à le défendre :

– Ferme ça la Recuerda, commença-t-il, puis : d’abord on ne t’a jamais rien vu faire, toi. C’est peut-être bien parce que t’as toujours les doigts dans le nez que t’as jamais eu peur des flics. Au moins Œil-de-Bœuf, il s’est déjà employé.

Les autres se mirent à rire et l’Espagnole se refâcha :

– Je n’ai pas les doigts dans le nez, mais je pourrais bien te les coller sur la figure, Bec-de-Gaz. On ne m’a jamais rien donné à faire. Voilà pourquoi. Y’a qu’à essayer, et on verra.

À ce moment précis, le receveur apparut au haut de l’impériale ; s’adressant aux apaches, il réclama :

– Places, s’iou plaît ?

– Ta gueule, toi ! lui répondit Œil-de-Bœuf, du tac au tac et comme le receveur s’avançait, Œil-de-Bœuf lui envoya une bourrade :

– Non mais des fois, tu t’imagines pas qu’on va raquer pour ta roulante ? Ah, là, là, mince de rigolade, on ne paye pas nous autres. On est du Conseil d’administration.

Le receveur, tranquillement, en homme sûr de son autorité, se contenta de répéter :

– Allez, les places. Trois sous par personne.

Et en même temps, il frappait sur l’épaule de Mort-Subite :

– Dites donc, vous, mon ami, faudrait vous relever et ne pas casser les carreaux.

– Ta gueule ! dit Mort-Subite.

Et Bec-de-Gaz, venant au secours d’Œil-de-Bœuf, insistait brutalement :

– Et puis, un bouchon, hein ? si t’es pas content, fais-nous descendre. On est sans un.

Le receveur voulut ouvrir la bouche, mais Mort-Subite, qui s’était relevé tout de même, l’empoignait par les épaules et le faisait reculer :

– Toi, hurlait-il, tâche voir à voir à ne pas nous embêter ou je te balance.

Le receveur battit en retraite :

– C’est bon, commença-t-il, je m’en vas vous signaler au bureau, on verra bien si les agents…

Et sans achever sa phrase, il descendit le petit escalier, furieux, mais n’osant guère, étant donné le quartier déplorable où roulait le tramway, s’exposer à une rixe dans laquelle il aurait le dessous.

La Recuerda battait des mains :

– Eh ! les aminches ! cria-t-elle, c’est pas des coups à faire ça. Il va faire rappliquer la rousse et nous allons être de la r’vue. Si qu’on se cavalait ?

– C’est ça, on se cavale, on se cavale !

Tandis que le tramway s’éloignait au petit trot le long du boulevard désert, les apaches descendirent sur la plateforme, et sautèrent sur le sol :

– Bien le bonjour, conducteur, mes respects à ta poule.

– Je t’avais bien dit qu’on ne te paierait pas.

Tandis que le pauvre homme haussait les épaules, assez satisfait de les voir disparaître, les apaches, un à un, disparaissaient sur le boulevard. La Recuerda et Bébé demeuraient seuls sur la plate-forme.

– Descends, dit Bébé.

– Passe, répondit la Recuerda.

Mais, en même temps, d’un geste rapide, elle sautait sur le receveur, et avec une prestesse incroyable le dépouilla de sa sacoche en criant :

– À moi la banque.

Elle avait bondi sur la chaussée. Le receveur, soudain enragé, avait attrapé le signal d’arrêt et tirait dessus de toutes ses forces en vociférant :

– Ma sacoche, nom de Dieu, rendez-moi ma sacoche !

Bébé, qui était encore près de lui, lui coupa la parole d’un coup de poing :

– Suffit, la levée est faite.

L’homme s’écroula. Bébé avait sauté à son tour sur le sol et s’éloignait en courant dans la direction de la Recuerda.

Or, à l’intérieur du tramway, ayant assisté à la scène sans mot dire, philosophe comme à son ordinaire, se trouvait, par hasard, Fandor. Le journaliste, occupé à lire La Capitale n’avait guère prêté attention à l’embarras du receveur, mais, au moment même où, avec un cri étouffé, le malheureux employé s’écroulait, atteint par le poing du redoutable Bébé, Fandor, comme mû par un ressort, se dressa :

– Ah, mais non, pas de ça, murmurait-il, ils vont tuer ce bonhomme-là.

En deux enjambées, il avait traversé la voiture :

– Bon Dieu, ma sacoche ! hurlait toujours le receveur.

– Attendez, dit Fandor.

Il venait de dégringoler sur la chaussée, un revolver brillait dans sa main, il courait derrière la Recuerda et Bébé.

– Bon sang, arrêtez-vous, hurlait-il, ou ça va barder.

À ce moment, la Recuerda et Bébé traversaient le boulevard. Fandor fit comme eux.

Courant aussi vite qu’il le pouvait, Fandor poursuivait les deux ombres et gagnait du terrain. Derrière lui, le conducteur s’était relevé. Il l’entendait qui courait aussi, cependant que le cocher de l’omnibus, tiré de son assoupissement professionnel, s’égosillait :

– Au secours ! Au secours !

Marchant à la rencontre de Bébé et de la Recuerda, un homme, un palefrenier sans doute, revenait à pied, conduisant deux chevaux.

– Arrêtez-les ! criait Fandor.

Bébé, sans doute, avait eu peur du palefrenier. Il avait tiré son revolver et lâché un coup en l’air. Les deux chevaux se cabrèrent. L’homme qui les conduisait s’occupait encore à les maîtriser que la Recuerda, tenant toujours la sacoche, arrivait à sa hauteur. Et c’est avec une incomparable souplesse que la fille bondit à califourchon sur le dos d’un des chevaux, piqua des deux, s’éloigna au grand galop, cependant que, poursuivi par le palefrenier, le second cheval détalait.

Fandor courait toujours. Puis, la respiration lui manquant, force fut à l’ami de Juve de s’arrêter.

D’un coup d’œil rapide, il s’était assuré que le boulevard était désert. À peine voyait-on au lointain quelques pierreuses immobiles au coin des rues, guettant un hasardeux client. Le receveur distancé avait dû abandonner la poursuite et regagner son tramway.

– Miséricorde, se disait Fandor, mais qu’est-ce que tout cela veut dire ? Enfin, j’ai bien vu ce que j’ai vu, une femme, une femme jeune, souple, mince, élancée, vivant dans la société des apaches et se révélant écuyère consommée. Ah çà, si véritablement il s’agissait bien d’Œil-de-Bœuf et de Bec-de-Gaz, comme je l’ai cru, est-ce que cette femme ne pourrait être…

L’hypothèse était folle, invraisemblable, fondée sur rien et pourtant Fandor, en cette minute, eût juré qu’il ne se trompait pas.

Hélas, Hélène, depuis quelque temps avait disparu, était en fuite.

– Mon Dieu, mon Dieu, soupirait Fandor, est-ce donc Hélène que je poursuis ?

Il poursuivait en effet toujours la femme qui, si audacieusement avait dérobé la sacoche du receveur. Il demanda deux ou trois fois à des passants si l’on n’avait pas vu l’étrange amazone, et, guidé par les réponses qu’il obtenait, finit par arriver sur les berges de la Seine, supposant bien que la cavalière n’avait pas dû traverser le fleuve. Or, Fandor n’était point depuis quelques instants sur les quais, qu’il tressaillait de surprise. Devant lui, à peu de distance, abandonné, hennissant à la nuit, il aperçut un cheval sellé, bridé : le cheval qu’avait enfourché la fugitive.

– J’arrivé trop tard, souffla Fandor.

Il s’approcha de la bête et, bien qu’elle fût encore fort effrayée, parvint à la saisir.


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