355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса) » Текст книги (страница 10)
Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)
  • Текст добавлен: 5 октября 2016, 22:06

Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 10 (всего у книги 23 страниц)

13 – HANDS UP

– C’coup-ci, c’est à moi l’pèze, aboule ta thune.

Bec-de-Gaz, qui tenait une pièce de cinq francs dans le creux de sa main, fit un grand geste de dénégation.

– Très peu, dit-il, tu n’as tombé que trois quilles sur sept et Mort-Subite en a foutu quatre par terre.

Bébé, l’interlocuteur auquel Bec-de-Gaz venait de faire cette déclaration, se rapprocha de lui, l’œil étincelant, la bouche mauvaise :

– Où c’est-y qu’il est, l’arbitre ? fit-il, pour décider qui a raison. Mort-Subite a quatre quilles ? répète-le donc voir un peu. C’est malheureux de tricher comme ça. Probable, Bec-de-Gaz, que tu fais la combine avec Mort-Subite.

Très digne, Bec-de-Gaz, qui se sentait fort, car c’est lui qui tenait l’argent, ne releva pas les propos malveillants de Bébé, mais se tournant vers la foule des camarades groupés un peu plus loin, il appelait de sa voix tonitruante :

– Hé là, Beaumôme, rapplique un peu !

Cela se passait sur le fossé des fortifications, dans la région déserte qui s’étend entre la porte d’Issy et celle de Vaugirard. Il faisait une belle et douce journée de printemps et tous les rôdeurs de Grenelle, tous ceux, du moins, qui constituaient la bande des inséparables, semblaient s’être donné rendez-vous sur le talus désert pour s’y livrer à leurs distractions favorites : le jeu de boules et la boisson.

À l’appel de Bec-de-Gaz, Beaumôme, qui occupait ce jour-là les hautes fonctions d’arbitre, s’avança lentement en se dandinant. Il grogna, furieux :

– Faudra le dire, quand tu auras fini de gueuler mon nom d’oiseau comme ça pour que tous les flics du quartier l’entendent. Tu veux donc me faire poisser ?

On protestait autour de lui : Adèle, l’ancienne femme de chambre, qui semblait fort éprise de l’évadé de la prison londonienne, protesta :

– T’inquiète pas, Beaumôme, on te sauverait, nous autres, si jamais les cognes voulaient t’emmener.

Cependant, la Choléra, au visage plus renfrogné que d’ordinaire, proclamait avec un geste farouche :

– Moi qui ai toujours rêvé de saigner les mouches de la Préfectance, ce serait la belle occasion.

Beaumôme ne les remerciait pas et, en homme habitué aux hommages des femmes, il paraissait trouver ces déclarations toutes naturelles.

Marie Legall, l’ancienne petite bonne, qui avait été si cruellement blessée, jadis, dans l’explosion mystérieuse du bureau de placement Thorin, écoutait, admirative aussi. Profitant d’un moment où elle était seule à côté de lui, elle murmura timidement :

– Si tu n’étais pas si dur, si méchant avec les femmes, je sens, Beaumôme, que je t’aimerais.

– T’as fini, dit Bébé, de faire du gringue à ma gerce ?

– Ta gerce, tu penses, Bébé ! La Choléra, j’en voudrais même pas pour me cirer mes bottes.

– Ouais, que tu dis.

– Que je dis. Et puis, quand même ça me plairait ? Ça serait-y pas mon droit ?

– Elle est à moi, que j’te dis, à moi seul !

– Je l’aurai quand ça me passera par la tête.

Instinctivement, les deux hommes, autour desquels on faisait cercle, fouillaient leurs poches, prêts, semblait-il, à y prendre leur couteau. Quelques cris retentirent dans la foule. Les choses allaient se gâter, lorsque, soudain, un spectacle nouveau arrêta tout le monde en changeant le cours des idées.

Les apaches, dégringolant le talus des fortifications, traversèrent le boulevard et coururent à l’angle d’une rue par laquelle venait de déboucher une femme suivie d’un miséreux, qui poussait une charrette à bras, surchargée.

– La Recuerda ! avait-on crié.

Cependant Œil-de-Bœuf, qui s’était rapproché d’elle, l’interrogeait en gouaillant :

– C’est-y que tu sors de chez le biffin [10] ? T’en as des kilos de frusques dans ta roulante.

– Probable, dit la Recuerda, et je vous prie de croire que je viens de chez le biffin de luxe. Les aminches, elles sont plutôt là, les fringues que j’ramène.

Cependant, l’homme qui traînait la charrette à bras avait lâché les brancards. Il s’asseyait sur le bord du trottoir et épongeait son front ruisselant avec un grand mouchoir à carreaux.

– C’est rien lourd, ce chargement-là, grommela-t-il.

C’était Bouzille, qui venait, en effet, de ramener péniblement cette lourde charge.

La Recuerda, d’ailleurs, sans un regard de remerciement pour son commissionnaire, faisait faire le cercle autour d’elle, puis elle expliqua :

– Écoutez, vous autres : ce soir, je m’en vais vous faire bouffer comme des rois. Et ce qui n’est pas fait pour vous dégoûter, je vous annonce que vous boufferez à l’œil.

Bec-de-Gaz, pour faire de l’esprit, l’interrompit :

– C’est pas assez cher, faudra encore nous donner l’argent pour raquer les pourboires.

– Toi, fit la Recuerda, le menaçant du geste, grand imbécile, si tu rouspètes, tu n’en seras pas !

– C’est-y donc que tu nous commandes, maintenant, la Recuerda ?

Mais l’Espagnole, au lieu de répondre, lui imposait silence d’un geste, avant d’expliquer :

– Donc, vous autres, faites ce que je vous dis et vous ne le regretterez pas. J’ai là, dans ma roulante, des tas de fringues de luxe aussi bien pour les dames que pour les messieurs. Vous comprenez bien que, puisque je vous paie à bouffer dans une tôle de la haute, il faut que vous soyez nippés comme des bourgeois.

– Où c’est-y qu’on ira ? interrogea Œil-de-Bœuf, auquel son imagination faisait déjà entrevoir une majestueuse série de saladiers de vin chaud et des soupières immenses d’arlequins et de soupe à l’oignon.

– Nous souperons ensemble, ce soir, à la Maison d’Or [11].

– Mince de chic, s’écria Mort-Subite, c’est un restaurant de la haute ça ! sur le boulevard dès Italiens, je connais, j’ai fait les mégots tout un hiver. Devant la porte.

Baissant la voix et sur un ton de mystère, la Recuerda ajouta :

– Il y a un gros coup à faire. Dans cette tôle viennent des gens riches. Des femelles couvertes de bijoux et vous pensez bien qu’avec un peu de culot, on pourra taper dans le tas, et se recaler les poches après s’être recalé les joues. Au signal, chacun se colle sur son voisin, compris ?

– Compris, répondirent les apaches.

Mais Bouzille murmurait :

– Sale affaire, ce truc-là.

Mais nul n’y faisait attention. La Recuerda se rapprocha de la charrette à bras, y préleva divers paquets les uns après les autres, et appela à tour de rôle, Bébé, Beaumôme, Marie Legall, même la Choléra. Elle leur distribuait à tous des vêtements que ceux-ci examinèrent avec des airs amusés.

– Et moi ? demanda Œil-de-Bœuf. J’en ai t’y pas ? La Recuerda le regarda, puis, le toisant avec dédain :

– Penses-tu, Œil-de-Bœuf, t’es vraiment trop moche, non, tu feras le guet dehors avec Mort-Subite. D’ailleurs, il en faut pour nous prévenir.

La charrette à bras était vide. La Recuerda, bonne ordonnatrice de la fête, donnait le dernier paquet de vêtements à Adèle, lorsque Bouzille, qui se rapprochait du véhicule, poussa un cri de surprise. Au fond de la charrette, sur le plancher, se trouvait un petit carré de carton blanc, très propre, où étaient tracées quelques lignes au crayon bleu.

Bouzille allait le prendre. La Recuerda, plus vive que lui, s’en empara, lut le texte écrit, pâlit légèrement.

Cependant, Bébé s’était approché d’elle, il ouvrait des yeux étonnés :

– Qu’est-ce qu’il y a ?

Ni l’un ni l’autre ne répondaient. Bec-de-Gaz, de sa voix grasse, déclara, en regardant le papier :

– V’là le mot écrit : « J’y serai, moi aussi, Fantômas ».

***

La Maison d’Or, boulevard des Italiens, est un des restaurants les plus connus de Paris.

À une heure du matin, il est absolument impossible d’y trouver place, sauf si on a eu la précaution de retenir sa table. Le restaurant, en effet, se remplit entre minuit dix et minuit et demie, alors que cinq minutes auparavant, la salle est vide. On y vient à la sortie des théâtres. Les artistes et leurs amis accourent, dès la représentation achevée, et le souper se poursuit jusqu’à des trois ou quatre heures du matin.

Trois messieurs élégants, arrivés de bonne heure, occupaient, ce soir-là, l’une des meilleures tables. Devant eux, le sommelier avait apporté un seau à glace dont émergeait une bouteille d’extra-dry au col entouré de papier d’or, et le maître d’hôtel avait placé sur la table le foie gras sur canapé de truffes.

C’étaient trois hommes raffinés. Ils discutaient avec animation et, à en juger par les sourires protecteurs que leur adressait le patron de l’établissement, il s’agissait assurément, non seulement de clients habituels, mais encore de personnalités bien parisiennes.

Le trio, en effet, était composé d’un homme d’une cinquantaine d’années, à la large carrure, à barbe grise : M. Dupont de l’Aube, sénateur et directeur de La Capitale. Il avait pour voisin un petit homme sec et maigre, sur le nez duquel chevauchait, dans un équilibre instable, un lorgnon aux verres épais : Jules Mourier, juge d’instruction au Tribunal de la Seine.

Quant au troisième personnage, on savait son nom parce que c’était lui qui avait retenu la table. Il s’appelait le baron Stolberg et son bristol faisait mention de sa profession, comme de son domicile : il était banquier à Odessa.

– Décidément, disait Mourier, il faut que j’aie des amis comme vous pour me débaucher de la sorte. Si jamais on savait au Palais de Justice que je viens faire la fête dans les restaurants de nuit, j’imagine que le procureur en tête, jusqu’au dernier des expéditionnaires, en feraient une maladie.

– Mon cher, dit Dupont de l’Aube, on voit bien que vous avez fait la moitié de votre carrière en province. Vous êtes sans cesse occupé par des tas de contingences. Où est le mal, je vous le demande, de venir, après le théâtre, vous restaurer dans un établissement agréable où l’on déguste des mets exquis en entendant d’excellents tziganes et en contemplant de fort jolies femmes ?

– C’est justement la présence de toutes ces aimables personnes.

– Préjugés de magistrats ! s’écria Dupont de l’Aube en acceptant le nouveau verre de champagne que lui offrait le baron Stolberg.

Celui-ci déclarait avec conviction :

– Je connais à peu près toutes les capitales civilisées, mais il n’y en a décidément pas une comme Paris, non seulement pour se distraire lorsqu’on a fini de travailler, mais encore pour y traiter des affaires, et des affaires importantes.

– C’est exact, reconnut Dupont de l’Aube et encore, mon cher baron, vous arrivez ce printemps à Paris, à une mauvaise époque. La population, les gens d’affaires ont été inquiétés tout cet hiver par les bruits de guerre, les histoires de grèves, on éprouve un malaise général un peu difficile  à surmonter.

– Et puis, poursuivit Mourier, Paris n’est plus aussi sûr qu’autrefois.

– Je suis sûr, s’écria Dupont, que vous allez encore nous parler de votre mystérieux fantôme du pont Caulaincourt ?

– Je suis, en effet, chargé d’instruire cette affaire.

Le baron Stolberg semblait écouter avidement les paroles du magistrat ; il parut dépité lorsque celui-ci se tut :

– Cher monsieur Mourier, dit-il, vous devez avoir sur cet événement formidable des renseignements bien intéressants.

– Formidable… fit le magistrat avec hésitation.

Mais Stolberg insistait :

– Oui, formidable ! Moi qui vois beaucoup de monde dans tous les milieux, pour mes affaires, je vous assure que l’on est très intrigué, très préoccupé de ce que les journaux ont raconté au sujet des apparitions suspectes du pont Caulaincourt. C’est, en réalité, une chose inouïe que ce phénomène, en plein Paris. Toujours au même endroit, qui terrifie les passants, sans que nul ne puisse en connaître la cause…

Stolberg venait de s’arrêter soudain. Dupont de l’Aube baissait le nez dans son assiette, en proie à un inextinguible fou rire.

– Qu’avez-vous donc, cher ami ? sont-ce mes propos qui vous amusent ?

– Regardez plutôt.

Et, à son tour, Stolberg fut gagné par le fou rire, Mourier lui-même se dérida.

Dans l’établissement, au milieu de la clientèle élégante et distinguée, venait de se glisser un couple vraisemblablement fourvoyé : c’était un grand diable sec, mal peigné, aux allures dégingandées. Il était en habit, mais son vêtement était de mauvaise coupe, semblant avoir été fait pour un autre propriétaire. Il entrait, donnant ridiculement le bras à une femme vulgaire, aux gestes maniérés et tous deux s’assirent timidement à une table et dirent au maître d’hôtel :

– Servez-nous ce que vous voudrez.

Le trio des Parisiens pouvait être surpris à la vue de ces deux soupeurs. Ceux-ci n’étaient autres, en effet, que l’apache Bec-de-Gaz et Adèle qui se donnaient de leur mieux des allures de gens du monde.

La clientèle d’ailleurs, ce soir-là, était mêlée. Un couple éminemment bourgeois venait de s’introduire dans la salle commune de la Maison d’Or.

Et cependant que l’homme, un jovial individu au visage écarlate, lâchait machinalement un bouton de son gilet d’habit, sa compagne, une petite femme brune et agitée, parut surprise, gênée aussi d’apercevoir Dupont de l’Aube. C’était Delphine Fargeaux, qui avait consenti enfin à accepter du courtier Coquard une invitation pour la soirée.

Le baron Stolberg poussa du coude Mourier :

– Tenez, fit-il, regardez-moi ces trois types. En ont-ils une allure aussi ?

Le juge approuva. Et il y avait de quoi : deux jeunes gens, exagérément pommadés, rasés de frais et qui auraient semblé d’une élégance raffinée s’ils n’avaient eu les mains trop grosses et les manches de leur habit trop courtes, arrivaient, le chapeau sur l’oreille, encadrant une femme à la toilette tapageuse, certainement pas sortie de chez le bon faiseur : c’étaient Beaumôme et Bébé encadrant Choléra.

La foule habituelle des soupeurs, qui était à cent lieues de se douter de leurs identités véritables, s’imaginait qu’il s’agissait là de quelques riches parvenus, Américains de lointaines républiques, aux allures bizarres, un peu communes, mais qui, sans doute, devaient avoir les poches bourrées d’or.

Ces silhouettes étaient si remarquables que nul ne parut faire attention à une fort jolie femme, vraiment très élégante, celle-là, qui soupait seule, à une petite table, n’ayant pour compagne qu’une autre femme, de condition plus humble, semblait-il. C’était la Recuerda, en compagnie de Marie Legall.

– Vous ne vous doutez pas, disait Dupont de l’Aube, en désignant discrètement au baron Stolberg sa voisine Delphine Fargeaux, de l’identité de cette petite femme.

– J’ai remarqué, interrompit le juge, qu’elle vous regardait beaucoup tous les deux.

– Je vais vous dire qui c’est, fit Dupont de l’Aube.

Et le sénateur contait à ses amis l’étrange façon dont, quelques jours auparavant, il avait fait la connaissance de cette femme qui lui semblait être une simple petite demi-mondaine et qui, dans la journée, était en réalité employée aux Pompes funèbres.

– Extraordinaire ! murmurait Mourier.

Depuis quelques instants, un éclat de rire général et des exclamations ironiques avaient salué l’entrée au restaurant d’un personnage caricatural porteur d’un grand panier de fleurs. C’était Bouzille qui, grâce à ses facéties et malgré sa tournure miséreuse, avait acquis le droit de venir exercer son commerce dans les restaurants les plus chics de Paris.

Le baron Stolberg le chargea d’une commission :

– Tu vas porter ces roses, mon brave homme, disait-il, à cette dame brune que tu vois là-bas.

– Compris, fit Bouzille, qui empocha dix francs.

Stolberg venait de l’envoyer à une jolie femme qu’il n’avait pas quittée des yeux depuis son entrée et qui paraissait faire sur lui une excellente impression : la Recuerda.

Cependant, Dupont de l’Aube, très en verve ce soir-là, faisait le procès pittoresque de toute la clientèle du restaurant. Il disait à Mourier :

– Mon cher, à notre époque, les élégances se perdent, le bon ton, le bon goût ne sont plus de mise. Avez-vous entendu ce grand imbécile parler au maître d’hôtel ?

– Non, fit Mourier, qu’a-t-il dit ?

Dupont de l’Aube répétait les propos tenus par le soupeur, qu’il était à cent lieues de prendre pour un apache :

– Eh bien, figurez-vous, Mourier, que, tout à l’heure, il appelait le garçon monsieur, et voilà maintenant qu’il le traite de cher ami. Je ne suis pas snob, mais cependant j’avoue que ces individus, car il n’y a pas d’autres noms à leur donner…

Dupont de l’Aube s’arrêta net. Un cri venait d’être poussé, un ordre venait d’être proféré, énergique, familier cependant. On avait entendu :

– Hands up !

Et pour ceux qui ne comprenaient pas, la même voix avait poursuivi :

– Levez les mains ! Que personne ne bouge !

Cependant que le personnel du restaurant, que les soupeurs demeuraient immobiles, interdits, une femme se dressait au milieu de la salle et, en même temps, de toutes parts, des poches de nombreux soupeurs sortaient des revolvers qui se braquaient sur leurs voisins.

Avec stupeur, on vit la personne qui avait donné les premières instructions. C’était une femme élégante, distinguée, très bien vêtue, la jolie femme brune à laquelle quelques instants auparavant le baron Stolberg avait envoyé des roses.

Elle s’était avancée au milieu de la salle, évoluant parmi les messieurs et les dames venus faire la fête, tenus en respect, immobilisés par la menace que dirigeaient contre eux d’autres soupeurs, armés de revolvers.

Delphine Fargeaux, terrifiée, s’était pelotonnée dans les bras du courtier Coquard dont la face sanguine était devenue pâle.

Quelques hommes, cependant, s’étaient levés. Deux d’entre eux, Beaumôme et Bébé, s’approchaient des soupeuses et, avec des gestes brefs, énergiques, les obligeaient à se dépouiller de leurs bijoux. La Choléra menaçait du regard les hommes. Elle était armée, elle aussi, et cependant que les soupeurs tenaient les bras en l’air, elle fouillait leurs poches et les dépouillait de leurs porte-monnaie.

Cela durait depuis quelques instants et la stupeur était si grande que nul ne songeait à protester. Chacun se rendait compte qu’au premier geste, il serait victime d’une agression et que, dès lors, les bandits qui, assurément ne reculeraient devant rien, se serviraient de leurs revolvers.

Dupont de l’Aube, furieux, murmurait des injures, cependant que Mourier, balbutiait :

– Quel scandale, mon Dieu, quel scandale !

Le baron Stolberg gardait une physionomie impassible et souriante.

Il fixa dans les yeux la Recuerda qui s’approchait de lui. Ironiquement, il la considéra ; d’une voix imperceptible, il murmura :

– C’est bien fait, ce coup-là. Bravo !

La voleuse s’attendait si peu à ce commentaire, qu’elle s’arrêta interdite une seconde, et il sembla qu’elle rougissait.

Mais l’Espagnole reprit soudain sa farouche présence d’esprit et, sans vergogne, elle plongea sa main gantée dans la poche intérieure de l’habit de Stolberg, elle en tira un portefeuille qu’elle fourra dans son réticule.

Dédaigneusement hautain, au moment où la Recuerda s’écartait, Stolberg proféra :

– Il me reste encore quelques gros sous dans la poche de mon gilet.

La Recuerda serra les dents. Se moquait-il d’elle, cet homme ? et sa main se crispa sur la crosse du revolver.

Mais le baron Stolberg ne baissait point les yeux et ce fut la Recuerda qui s’émut :

– Il me plaît, pensa-t-elle, il est crâne.

Puis, cependant qu’elle s’apprêtait à partir, elle revint vers le baron et, d’un geste spontané, arrachant une bague de l’un de ses doigts elle la passa à l’annulaire de sa victime.

– Gardez-la, dit-elle, vous vous souviendrez de moi.

– Oh, il est bien évident que je ne vous oublierai pas.

Mais le banquier d’Odessa en fut pour son ironique remarque. À l’entrée de la salle, les bandits que l’on pouvait identifier, car ils avaient tous quitté leurs tables, s’étaient groupés, puis, désormais, ils sortaient un à un, à reculons, tenant toujours les soupeurs dépouillés en respect sous la menace de leurs revolvers.

La dernière, la Recuerda sortit.

14 – L’ASSASSINAT DU FANTÔME

C’était sur le boulevard, quasi désert à cette heure tardive, une course désordonnée. Les apaches sommairement déguisés en gens du monde, avec leurs allures de masques de carnaval, s’éparpillèrent sur le trottoir devant le restaurant de la Maison d’Or. Ils avaient l’habitude de ces sortes de fuites et savaient que la plus élémentaire prudence commande de se disperser, à seule fin de ne point constituer de groupe susceptible d’attirer l’attention de la police.

La stupéfaction avait été si grande et leur fuite si rapide que nul ne songeait d’ailleurs à les poursuivre immédiatement. Bec-de-Gaz, entraînant avec lui Adèle, héla un fiacre dans lequel ils montèrent, et le cocher était fort étonné de voir ces gens, dont l’homme était en habit et la femme en toilette de soirée, lui donner pour adresse le vague carrefour d’une rue perdue de Ménilmontant.

Beaumôme, Bébé et la Choléra se précipitèrent dans un taxi-auto et dirent au conducteur abasourdi :

– Mon vieux, tu vas cavaler jusqu’à Grenelle et mets-les en basset afin de cavaler plus vite.

Le chauffeur, résigné, embraya son moteur, puis disparut à toute allure. Les agents, cependant, qui défilaient deux par deux sur le boulevard, ne se préoccupaient aucunement de voir ces gens du monde extraordinaires se précipiter soudain hors d’un restaurant de luxe et sauter dans une voiture de place.

Œil-de-Bœuf, par économie, avait tourné le coin de la première rue et s’en allait à grands pas dans l’obscurité. Il palpait avec joie le contenu de ses poches dans lesquelles tintaient des pièces d’or.

– Bonne soirée, grommelait l’apache, qui étudiait aussitôt dans son esprit l’endroit où il pourrait aller faire bombance et se griser abominablement.

En l’espace de quelques minutes, la bande d’audacieux voleurs s’était littéralement évanouie, le boulevard avait repris son aspect accoutumé, paisible et calme. Toutefois dans les salons luxueux et brillamment illuminés du restaurant de la Maison d’Or, la terreur régnait. On s’empressait autour du patron, et, selon leur tempérament, certains clients l’apostrophaient, tandis que d’autres, larmoyants presque, le suppliaient de leur prêter de l’argent :

– C’est indigne ! s’écriait un monsieur, vous devriez avoir de la police dans votre établissement, puisque vous recevez des gens pareils.

Une jeune femme pleurait :

– Monsieur, je vous en prie, disait-elle d’un ton suppliant au gérant du restaurant, prêtez-moi quelque menue monnaie, pour que je puisse rentrer en voiture chez moi. Il ne me reste plus rien, absolument rien, ces misérables m’ont dépouillée.

Le restaurateur, blême, s’efforçait en vain de répondre de façon satisfaisante à toute sa clientèle. Il agitait les bras, haussait les épaules :

– Je suis désespéré, balbutiait-il, et si vous croyez que je n’y perds pas, moi aussi… Songez donc, j’avais servi plus de quarante soupers, pas un seul n’est payé, et naturellement, je ne peux pas réclamer les additions.

– Ah bien ! il ne manquerait plus que cela, réclamer les additions par-dessus le marché, à des malheureux qui viennent d’être si abominablement volés, c’est bien le contraire qui va se produire ! On portera plainte contre l’établissement ! La Maison d’Or sera certainement condamnée à rembourser aux intéressés le montant des vols.

Le patron s’en doutait bien et, désireux d’arranger les choses à tout prix plutôt que de laisser s’augmenter le scandale, il sollicitait ses clients de lui laisser leur adresse :

– Donnez-moi vos noms, vos domiciles, messieurs, mesdames. Et aussi le montant approximatif de ce qui vous a été dérobé. Je ferai de mon mieux pour vous satisfaire.

La plupart des personnes fournissaient les renseignements demandés. Le juge Mourier, toutefois, s’y refusait.

– C’est un désastre pour moi, murmurait-il à l’oreille de Dupont de l’Aube, mais, pour rien au monde, je ne prostituerai mon nom dans un pareil endroit.

Dupont de l’Aube s’écartait, cherchant à éviter de rencontrer Delphine Fargeaux qui, toute frémissante et toute pâle, cherchait nettement à se rapprocher de lui ; quant au baron Stolberg, très maître de lui, le visage souriant, il proférait assez haut pour être entendu :

– Bah, cela n’a aucune importance, je n’avais qu’une quinzaine de mille francs dans mon portefeuille, une bagatelle dont ce n’est pas la peine de parler.

Puis, prenant le magistrat par le bras :

– Voyons, déclara-t-il, mon cher ami, puisque nous n’avons plus rien à faire ici, allons nous-en, venez.

***

Cependant, la Recuerda s’était éclipsée seule. Elle s’en allait d’un pas rapide, au sortir du restaurant, jusqu’à la place de l’Opéra. Puis, avisant une automobile, elle appela le conducteur et lui donna pour adresse la rue Saint-Ferdinand.

Un quart d’heure après, le véhicule la déposait à la Porte-Maillot et la jeune femme qui, à dessein, n’avait pas donné de numéro, fit quelques pas à pied dans la rue silencieuse et déserte. Elle sonna à la porte d’une maison de bonne apparence. Celle-ci s’ouvrait. La Recuerda s’introduisit sous la voûte toute noire et, passant près de la loge du concierge, elle jeta un nom : Backefelder.

Puis, elle arriva à une porte et se pencha alors vers le sol. De sa main qui tâtonnait, elle souleva un paillasson et en retira une clé qui y était dissimulée. La jeune femme alors l’introduisit dans une serrure et ouvrit la porte d’un appartement, elle tourna un commutateur, l’antichambre s’illumina. Après avoir refermé la porte d’entrée, la Recuerda s’avança ; elle appela d’une voix nette :

– Backefelder !

Puis, elle s’avança, traversa un salon, une salle à manger, gagna la chambre à coucher à l’extrémité de l’appartement. Ces pièces confortablement meublées, décorées même avec un certain luxe, étaient vides. La Recuerda parut surprise de n’y trouver personne.

– C’est curieux, il était pourtant entendu avec Backefelder qu’on se retrouverait chez lui cette nuit. Comment se fait-il qu’il ne soit pas encore arrivé ?

La jeune femme revint dans le salon, s’installa sur un canapé, puis, ouvrant son réticule, elle en retira le portefeuille qu’elle avait, une demi-heure auparavant si audacieusement extrait de la poche du banquier Stolberg. Un éclair de cupidité et de satisfaction illumina son regard. D’une main fiévreuse, la jeune femme feuilleta la liasse de billets de banque qui se trouvait dans ce portefeuille.

– Treize, quatorze, quinze, fit-elle, quinze mille francs, une véritable fortune.

Elle se leva, un large sourire découvrit ses dents blanches :

– Je suis riche, maintenant, dit-elle et j’ai de quoi agir, de quoi nous venger.

Puis son front se rembrunissait :

– Mon Dieu ! murmurait-elle, si l’honnête homme qu’est Backefelder se doutait un seul instant de la source de cet argent, il serait fou, désespéré.

Mais la Recuerda eut un geste de volonté farouche :

– Peu importe. D’ailleurs, il ne le saura pas. L’essentiel, pour l’instant, c’est que nous puissions nous venger de Fantômas.

La jeune femme vint se rasseoir près d’un petit guéridon encombré. Et cependant qu’elle avisait un indicateur de chemin de fer, elle poursuivit, pensive :

– C’est égal, ma victime, je la plains. C’était vraiment un homme très bien. Quelle distinction, quel chic ! J’ai été bien inconséquente en lui donnant ma bague, comme pour le dédommager du vol dont il était l’objet. Cela pourrait me faire du tort. Bah, tant pis, je ne regrette pas ce joli geste. Au surplus, demain, entre la police française et moi, il y aura la frontière.

La Recuerda étudiait l’indicateur.

– Onze heures, départ du Sud-Express à la gare d’Orsay. C’est parfait. Après-demain, nous serons à Madrid. Mais que fait donc Backefelder ?

La Recuerda s’approcha d’une pendule, constata qu’il était déjà près de trois heures du matin.

– C’est extraordinaire, fit-elle, qu’il ne soit pas rentré.

Elle eut devant la glace dans laquelle elle se contemplait, sans y penser, un sourire énigmatique :

– Backefelder aurait-il peur ? Son absence est de plus en plus incompréhensible, et ne saurait s’expliquer que par ce vil sentiment.

La Recuerda haussa les épaules, puis, nettement, proféra, la main étendue, comme si elle faisait un serment :

– Tant pis. Si Backefelder n’ose pas m’accompagner, eh bien, j’irai toute seule. C’est ma vengeance à moi que je veux, ce n’est pas pour rien que je suis espagnole.

***

– Venez, avait dit le baron Stolberg au juge d’instruction.

Et il l’avait entraîné hors de la Maison d’Or. Dupont de l’Aube les suivait, mais prit congé d’eux aussitôt.

– J’en ai assez, déclarait le sénateur, de cette petite fête, et je rentre me coucher. Au surplus, je suis à cinq minutes de marche de chez moi.

Stolberg n’insista pas. Quant à Mourier, il était bien trop abasourdi pour avoir une opinion. Son compagnon s’efforçait de le remonter :

– Allons, Mourier, secouez-vous ! Plaie d’argent n’est pas mortelle. Il faut au contraire oublier, nous distraire ! Tenez, vous n’avez certainement pas plus envie de vous distraire que moi. Je vous invite à faire la bombe à Montmartre.

Abasourdi, Mourier dévisagea le banquier.

– Vous êtes extraordinaire, fit-il, vous oubliez que nous n’avons plus le sou.

Stolberg partait d’un grand éclat de rire.

– Et voilà qui n’a pas d’importance. Mon mécanicien, qui m’attend avec mon automobile et qui est un homme très sérieux, a certainement dans sa poche quelques louis qu’il me prêtera volontiers. Ne trouvez-vous pas que ce fait d’emprunter de l’argent à un subordonné est d’une élégance parisienne raffinée ?

Mourier n’eut pas le temps de discuter avec ce diable d’homme qu’était Stolberg, dont les propositions étaient presque des ordres et, quelques instants après, l’automobile du baron d’Odessa déposait Stolberg et Mourier à la place Blanche, à l’entrée de la Boîte à Joseph.

Les deux hommes y pénétraient à peine, qu’une clameur bienveillante et enthousiaste éclatait :

– Voilà des rescapés, s’écriait-on.

Ils étaient amusés, surpris et reconnaissaient, parmi les fêtards déjà attablés chez Joseph, quelques-unes des personnes qui, comme eux, avaient été dépouillées de leur argent et de leurs bijoux à la Maison d’Or.

Ceux-ci les avaient précédés, avaient raconté l’aventure, que désormais on se transmettait de bouche en bouche dans les établissements de nuit de Paris. Quelqu’un avait crié :

– Joseph fait crédit ce soir à tous ceux qui sont fauchés !

Et on acclamait le patron.

Cependant, Stolberg et Mourier étaient l’objet des questions les plus pressantes de la part d’une foule de gens qui n’avaient pas été, comme eux, victimes de l’agression de la Maison d’Or. On discutait avec eux, on déplorait la témérité accrue des bandits, l’audace croissante des malfaiteurs. La conversation était devenue générale dans la salle de restaurant, et les libations aidant, une familiarité charmante se créait de table à table, de voisin à voisin.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю