355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса) » Текст книги (страница 15)
Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)
  • Текст добавлен: 5 октября 2016, 22:06

Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 15 (всего у книги 23 страниц)

– Les habits du cocher John ! s’était écrié Mort-Subite.

Depuis quelques instants déjà, l’infortuné Coquard en était pour ses objurgations. Il avait cru un moment qu’il allait décider Delphine Fargeaux à quitter son séjour mystérieux, ce lieu sinistre, mais brusquement, la jeune femme qui s’était laissé entraîner vers l’extrémité du pont, avait rebroussé chemin et semblait en proie à une inexprimable émotion :

– Ce n’est pas possible, avait-elle murmuré. Mais oui, c’est lui !

Et Delphine Fargeaux désignait à Coquard, que la chose intéressait peu, l’élégant personnage qu’elle avait remarqué le fameux soir de la Maison d’Or, l’homme au sourire séduisant : le baron Stolberg. Delphine, le soir du fameux vol de la Maison d’Or s’était quasiment éprise de cet homme. Elle avait rêvé de sa silhouette martiale, de son attitude. Or, voici que par le plus grand des hasards elle le retrouvait sur le pont Caulaincourt, mêlé à la foule interlope qui grouillait, qui menait grand tapage autour de la trouvaille des agents de la Sûreté :

– Monsieur… commença Delphine Fargeaux.

Mais l’attention de ce dernier était captivée par une femme. Delphine Fargeaux la vit, et elle poussa un cri de colère.

Toute la clientèle de la Maison d’Or, décidément, semblait s’être donné rendez-vous ce soir-là sur le pont Caulaincourt. Et d’une voix qui tremblait, Delphine disait, désignant la personne à laquelle désormais s’adressait le baron Stolberg :

– La voleuse, l’Espagnole, la voleuse du restaurant !

Mais Delphine s’était tue. Elle chancela, poussée à droite, à gauche, obligée de reculer. Elle avait perdu de vue Coquard. Autour d’elle ce n’étaient que gens à mauvaise figure, à regards farouches. L’un d’eux, un grand diable qui venait de la bousculer, lui avait soufflé à l’oreille :

– Tâche de taire ta langue toi, et de cavaler d’ici et vivement, sans quoi…

Interdite, Delphine Fargeaux cherchait son interlocuteur, celui-ci avait disparu, mais un autre homme ajoutait :

– Et si jamais tu parles de l’affaire de la Maison d’Or, gare à ta peau.

Cependant, au milieu de la foule, le baron Stolberg – car c’était bien lui – venait d’apercevoir la Recuerda. Il avait entendu les propos tenus par Delphine Fargeaux, et ceux-ci n’avaient pas échappé d’ailleurs aux agents de la Sûreté qui se rapprochèrent de la Recuerda, et peut-être allaient-ils intervenir, quand l’Espagnole comprit ce dont il s’agissait ; elle eut peur, devint pâle. Un bras se passa sous le sien, un bras qui l’attirait. La Recuerda tout d’abord, résista, mais elle reconnut le baron Stolberg :

– Je vous emmène, fit-il à voix basse, vous n’avez pas un instant à perdre si vous ne voulez pas être arrêtée, venez.

– Mais qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

– Je veux votre bien, répondit le baron, qui ajouta : qui je suis ? regardez :

Et en même temps, l’homme du monde faisait miroiter sous les yeux de l’Espagnole la bague qu’il portait à l’auriculaire : c’était l’anneau qu’elle avait passé au doigt de ce personnage, à la Maison d’Or.

Interdite, troublée par les extraordinaires événements qui se succédaient sans qu’elle y comprît grand-chose, la Recuerda se laissa entraîner par le baron Stolberg. Tous deux firent quelques pas à pied, rapidement, puis, à un signe de son compagnon, une automobile de grand luxe surgit devant eux, le baron y fit monter la Recuerda.

– Où sommes-nous ? demanda l’Espagnole de sa voix redevenue calme.

La Recuerda s’était laissé conduire, et l’automobile avait roulé longtemps, puis s’était arrêtée dans une rue, ou pour mieux dire un boulevard fort large, mais très désert. Elle avait suivi son mystérieux ravisseur sous une voûte sombre, monté avec lui un escalier, et elle se trouvait à présent dans un petit salon tout garni d’épaisses tentures, meublé avec confort et goût.

Depuis le départ, le compagnon de la Recuerda n’avait pas prononcé une parole. L’Espagnole reprit, avec une nuance d’impatience :

– Où sommes-nous ? Je veux savoir.

Enfin, le baron Stolberg, se rapprochant d’elle et la fixant d’un air singulier, déclara :

– Vous êtes ici chez moi, dans mon appartement, à l’entresol. J’habite boulevard Malesherbes. Cette pièce est délicieuse, car on y est tranquille. Tout y est calfeutré de tous côtés. Il est impossible que le moindre bruit puisse être entendu de l’extérieur.

Que signifiaient ces étranges paroles ? Pourquoi cet homme insistait-il sur les qualités particulières de son appartement ? Soudain, elle tressaillit. Elle venait de regarder la main gauche de son hôte, et il lui semblait que celle-ci était tachée de sang.

– Vous êtes blessé ?

Le baron Stolberg, instinctivement, dissimulait son bras sous l’un des pans de son habit.

– Ce n’est rien, fit-il, ou peu de chose, c’est tout à l’heure évidemment.

La Recuerda, déjà, avait rapproché la blessure de cet homme des taches de sang que l’on avait remarquées quelques instants auparavant sur le pardessus jaune du cocher John.

Qu’était-il devenu celui-là ? Comment se faisait-il qu’on ne l’avait point retrouvé dans le cimetière ?

Plus elle réfléchissait, plus la Recuerda sentait grandir ses appréhensions. Elle se rendait compte que, depuis quelques jours, depuis quelques heures surtout, elle se débattait au milieu de choses incompréhensibles. Son interlocuteur, qui demeurait immobile devant elle, soudain l’interpella en souriant :

– Oh, oh, fit-il, d’une voix aimable, je ne m’attendais certes pas à un aussi gracieux spectacle. Continuez, je vous prie.

La Recuerda devint furieuse, et elle se rendait compte de ce qui lui valait ce compliment. La jeune femme, oubliant sans doute qu’elle n’était pas seule, venait de relever sa jupe et découvrait une jambe délicate, nerveuse, bien faite, moulée dans un élégant bas noir. Elle rougit, puis se redressant soudain, elle répliqua, alors que son interlocuteur lui demandait :

– Que faites-vous donc ? que cherchez-vous ?

– Ce que je cherche ? déclara fièrement l’Espagnole, ma navaja.

Et, de sa jarretelle, la Recuerda détacha le long couteau à la lame fine, à l’acier bruni, à la pointe acérée. Son interlocuteur souriait toujours :

– Charmant spectacle, déclara-t-il, qui commençait très bien et qui finit fort mal. Vous avez une bien jolie jambe, et un fort vilain couteau. Que comptez-vous donc faire de ce dernier ?

Les yeux de la Recuerda brillèrent de colère :

– Ce que je compte faire ? répliqua-t-elle, me défendre au besoin, attaquer s’il le faut. D’ailleurs, il est temps que cela finisse. Je vous ai suivi avec confiance, vous m’avez tirée d’un mauvais pas, mais il importe maintenant que vous me fassiez connaître vos intentions et que je sache à qui j’ai affaire. Quel est votre nom ?

– Voilà qui est parlé, déclara le baron Stolberg, à qui l’attitude de l’Espagnole ne déplaisait certes pas. J’aime, poursuivit-il, les femmes courageuses comme vous, et j’imagine cependant que lorsque vous saurez mon nom vous regretterez peut-être de me l’avoir demandé.

– Je n’ai jamais eu peur, déclara la Recuerda. Vous pouvez vous nommer. Je ne broncherai pas.

Le baron murmura toujours souriant, et regardant fixement la Recuerda :

– Bien, très bien, parfait.

Et, changeant brusquement d’attitude, il recula d’un pas, d’un geste large, il dépouilla son visage de sa barbe, de sa chevelure. Dès lors, apparut un homme à la silhouette superbe et terrifiante, un être aux traits énergiques, au regard perçant, aux lèvres volontaires. La Recuerda s’était reculée, c’était là une silhouette qu’elle avait déjà eu l’occasion de voir, de contempler, d’admirer même, dans les circonstances les plus diverses, les plus tragiques. Tout dernièrement encore, à l’Escurial, n’avait-elle pas failli tuer Fantômas qui n’avait été sauvé de son arme que grâce à l’intervention de Jérôme Fandor ? L’Espagnole s’écria :

– Fantômas !

C’était, en effet, Fantômas. Le sinistre bandit foudroyait du regard la Recuerda :

– Vous avez voulu savoir qui j’étais. Vous voilà satisfaite et ne regrettez-vous rien ?

Fantômas s’arrêta de parler, car l’Espagnole avait dit la vérité quelques instants auparavant ; elle n’aurait pas peur, annonçait-elle, et en fait, elle n’était pas effrayée, son visage n’avait pas blêmi, ses traits n’étaient pas contractés.

– Non, dit-elle, je n’ai pas peur.

Fantômas s’approcha de la jeune femme. Il lui prit les mains, et la fixant les yeux dans les yeux, articula d’une voix douce :

– Vous êtes brave, la Recuerda, et jolie aussi.

L’Espagnole soutint ce regard sans trembler et elle répondit avec le sourire :

– Vous êtes terrible, Fantômas, mais vous êtes superbe aussi.

21 – L’ASSASSINAT DE BACKEFELDER

L’après-midi qui précédait cette tragique et bizarre soirée avait été très mouvementé au cimetière Montmartre. C’était jour férié, et profitant de la belle journée, les Parisiens y étaient venus en grand nombre.

Le gardien chef du cimetière et ses collègues étaient médiocrement satisfaits, lorsque s’écoulaient, comme ce jour-là, des après-midi de grande affluence. Sans savoir pourquoi, ils redoutaient la foule, craignaient les surprises, les événements inattendus. Et c’est pourquoi, lorsque approchait l’heure de la fermeture, ils s’adonnaient avec une activité fébrile et un remarquable enthousiasme à la chasse de ceux qui s’attardaient dans le cimetière, retenus par le souvenir des morts ou alors par de malsaines curiosités, ou bien encore simplement parce qu’ils étaient oisifs.

Les gardiens vidaient le cimetière avec soin. Ce jour-là, malgré les précautions des gardiens et leur minutieuse attention, quelqu’un avait échappé à leur surveillance. Un homme était entré avec la foule lorsque le cimetière était ouvert au public et, naturellement, il avait passé inaperçu. Toutefois, alors que le public, ayant reçu l’ordre de s’en aller, se retirait paisiblement, cet homme, évitant les gardiens, multipliant les précautions pour n’être pas remarqué d’eux, s’était arrangé pour rester dans le cimetière et, pour passer inaperçu à travers la ligne des employés chargés de faire dans la nécropole ce qu’ils appelaient, dans leur argot de métier, « le balai ».

Quiconque aurait surpris cet homme aurait été fort étonné de voir l’étrange besogne à laquelle il se livrait. L’individu, en effet, certain que les gardiens avaient quitté le cimetière, s’engageait fort paisiblement dans l’avenue de l’Ouest, longeant toutefois les caveaux afin de passer inaperçu si d’aventure quelqu’un, de loin ou de près, s’était avisé de regarder dans sa direction. Cet homme, soudain, s’arrêtait devant l’un des caveaux les plus somptueux et sur lequel l’attention, depuis quelque temps, avait été particulièrement attirée. L’inconnu, en effet, se trouvait devant la sépulture de la famille de Gandia.

Il tira de sa poche une clef, ouvrit la grille en fer forgé du tombeau et s’introduisit dans la petite crypte obscure qui constituait la transition entre le monde des vivants et l’empire des morts. Puis il referma la porte et demeura immobile dans l’ombre qui s’épaississait.

Deux hommes seulement auraient pu déclarer que cet individu aux allures suspectes ne pouvait être incriminé d’aucune culpabilité. Ces deux hommes eussent été Jérôme Fandor et Juve, car ils connaissaient la mystérieuse personne qui venait de se dissimuler dans le caveau de la famille de Gandia. Cet homme n’était autre, en effet, que l’Américain Backefelder.

Que faisait-il là ?

Backefelder n’avait-il pas manqué au rendez-vous que lui donnait l’Espagnole pour partir avec elle à la poursuite du bandit ?

Si Backefelder ne s’était pas trouvé là quand il le fallait, c’est qu’il s’occupait à ce moment d’aller sauver Juve et lorsqu’il était revenu du Château Noir, la Recuerda avait disparu. Où était-elle ? Il n’en savait rien.

L’Américain alors, n’était pas resté inactif. Il estimait qu’il avait lui aussi à élucider le mystère du pont Caulaincourt, auquel, pensait-il, Fantômas devait être mêlé.

C’est pourquoi ce soir-là, le riche Yankee, dissimulé dans le caveau de la famille Gandia, attendait les événements.

***

Au bout de quelques heures, Backefelder entendit un bruit de pas sur l’allée. Qui cela pouvait-il être ? Lentement, Backefelder entrouvrit la grille du caveau dans lequel il s’était dissimulé, passa la tête, puis le corps. Or, soudain au moment où il sortait du sépulcre, quelqu’un surgissait en face de lui. Une forme humaine, la silhouette d’un homme robuste, bien taillé. Au même moment, une détonation retentit et Backefelder sentit une balle lui frôler la joue.

– Sapristi, murmura-t-il, je l’échappe de peu.

Mais il ne se laissa pas intimider et, ajustant aussitôt son mystérieux adversaire il tirait presque à bout portant. Backefelder était fort ému, car au moment où il appuyait sur la détente de son arme, un scrupule lui vint. Il savait que le cimetière était gardé par la police. Avait-il tiré sur un agent ?

Backefelder, brusquement s’enfuit. Il courut à l’extrémité du cimetière, enjamba le mur, disparut dans la nuit, cependant qu’il entendait autour de lui des appels, des clameurs d’hommes également dissimulés sans doute dans le cimetière et que la double détonation avait fait sortir de leurs cachettes.

Backefelder ne savait pas si son coup de revolver avait porté, mais il le supposait, le redoutait presque. Au moment où il s’enfuyait, il avait en effet remarqué que la silhouette humaine qu’il avait visée faisait un brusque écart, puis un vêtement large, souple, clair s’écroulait sur le sol. Et de là à conclure qu’il avait blessé, peut-être tué même un homme, il n’y avait qu’un pas. Backefelder n’était pas poursuivi et désormais, hors du cimetière, il aurait pu s’éloigner, gagner son domicile sans être le moindrement inquiété. Mais un désir impérieux lui venait de savoir ce qui s’était passé, et remontant la rue de Maistre, l’Américain revint dans la direction du pont Caulaincourt.

Il trouva sur le pont mystérieux, une foule considérable et fort émue. L’Américain allait s’y mêler, lorsque soudain, il poussa un cri : il venait de reconnaître la Recuerda dans la foule.

L’Espagnole était-elle donc revenue ? Que faisait-elle au milieu de cette foule énervée et craintive, parmi ces gens de toutes catégories qui se bousculaient le long des balustrades ?

Backefelder allait s’approcher de la jeune femme lorsqu’il s’arrêta net, surpris de nouveau. Quelqu’un venait de la prendre par le bras, de lui murmurer quelques mots à l’oreille, et ce personnage, un homme élégamment vêtu, quelqu’un du monde, assurément, l’entraînait rapidement en direction de la place Clichy.

Backefelder les suivait, passant inaperçu grâce à la foule assez nombreuse dans ces parages ; le couple montait dans une automobile qui démarrait aussitôt.

Backefelder n’hésita pas et comme il l’avait vu faire à maints policiers chargés de filatures, il s’agrippa aux ressorts arrière de la voiture. Il alla ainsi jusqu’au boulevard Malesherbes, et de plus en plus étonné, il vit la Recuerda descendre de voiture, entrer avec cet homme dans une maison de belle apparence.

Pendant une bonne demi-heure Backefelder attendit. Il ne remarqua rien d’anormal à la façade de cet immeuble, puis, de guerre lasse, renonçant à comprendre, l’Américain regagna son domicile, rue Saint-Ferdinand. Arrivé chez lui, et n’ayant rien de mieux à faire, il se coucha.

***

L’Américain dormait profondément, lorsqu’un bruit insolite l’arrachait soudain au sommeil. Il fit de la lumière dans sa chambre et demeura abasourdi. Quelqu’un venait d’entrer, la Recuerda.

Une pendule sonnait six heures. Une aube pâle pointait. L’Espagnole ne paraissait aucunement troublée, bien au contraire, elle arrivait souriante, les pommettes roses, les yeux étincelants.

– Enfin ! déclara-t-elle, en considérant Backefelder qui la regardait ahuri, enfin te voilà ! Je désespérais de te retrouver !

– Pardon, fit Backefelder, mais il me semble que c’est à moi d’être surpris. Qu’es-tu donc devenue depuis ces jours derniers ?

– Je me suis occupée de toi, déclara-t-elle, j’ai voulu te venger de Fantômas.

– Et ?

– Alors, conclut simplement la Recuerda, après un silence, je ne l’ai pas fait, voilà tout.

L’Américain se leva, s’habilla machinalement, fronça les sourcils, se rapprocha de sa maîtresse :

– La Recuerda, fit-il, je n’aime guère qu’on se moque de moi. Nous nous sommes unis librement, nous nous sommes donnés l’un à l’autre sans contrainte, il importe, si nous devons nous séparer, que nous le fassions avec la même franchise.

– Que veux-tu dire ?

– Je veux dire, précisa Backefelder, que tu me trompes avec le premier venu, et que cela me déplaît. Tu sors, il y a dix minutes, un quart d’heure peut-être, d’une maison du boulevard Malesherbes où tu as passé la nuit avec un homme rencontré sans doute par hasard à Montmartre. C’est là une conduite indigne de moi, indigne de toi.

La Recuerda tressaillit. Elle était bien trop fière pour nier, mais il lui était fort désagréable d’autre part que Backefelder fût si bien au courant de ses faits et gestes. Et puis peut-être la Recuerda aimait-elle toujours le flegmatique Américain, bien qu’elle n’eût pas hésité à le tromper une heure auparavant ?

– Le premier venu, grommela-t-elle, non Back, je ne te trompe pas avec le premier venu.

L’Américain haussait les épaules :

– Quel est donc cet homme ? demanda-t-il.

– Il s’appelle le baron Stolberg.

– Connais pas.

Mais la Recuerda riait d’un rire nerveux, exaspérant. L’Américain s’en aperçut, le rouge lui monta au front. Certes, il était impassible et flegmatique, mais nerveux à l’occasion, il pouvait avoir des colères terribles.

Brusquement, il prit la Recuerda par le bras.

– Allons, trêve de plaisanteries, dit-il, explique-toi, qu’est-ce que c’est que cet homme ?

L’Espagnole elle aussi, s’emporta. Son sang fier et bouillant ne fit qu’un tour. Elle n’admettait pas qu’on la traitât de la sorte. Elle était libre d’elle-même et saurait le montrer.

– Tu veux savoir la personnalité qui se dissimule sous le nom du baron Stolberg ? Eh bien soit, apprends-le donc, le baron Stolberg mon amant, c’est Fantômas !

L’Espagnole s’attendait à une explosion de stupéfaction ou de fureur. Il n’en fut rien. Soudain Backefelder semblait s’être calmé.

– Je m’en doutais, dit simplement Backefelder. Au surplus, cela n’a aucune importance, il suffit que mes soupçons soient confirmés.

Reprenant un air autoritaire, il désignait à la Recuerda, une chaise.

– Assieds-toi là, fit-il et ne bouge plus.

Puis d’un mouvement brusque, il courut à la porte, la verrouillait, mettait la clé dans sa poche. Inquiète, outrée surtout de l’attitude de son amant, la Recuerda l’apostropha :

– Qu’est-ce qui te prend ? Que vas-tu faire ?

Et elle ne s’assit pas, elle se rapprocha au contraire de Backefelder, menaçante, agressive. L’Américain ne prêta aucune attention à cette attitude, il alla s’asseoir devant son bureau, sur lequel se trouvait un appareil téléphonique. Au moment de décrocher le récepteur, il déclara :

– À mon tour, de te faire une révélation la Recuerda, elle sera courte, mais catégorique : dans un instant, je communiquerai avec Juve, je l’informerai que je te tiens prisonnière et je me mettrai à sa disposition pour le conduire chez Fantômas.

La Recuerda hurla :

– Tu ne feras pas cela !

Pour toute réponse, Backefelder décrocha le récepteur.

– Tu ne feras pas cela, c’est indigne, lâche, c’est abuser de ma confiance. Je t’ai fait une révélation, je t’ai parlé franchement, comme une ancienne maîtresse parle à son amant. Tu n’as pas le droit de profiter de ce que je t’ai dit pour renseigner la   police.

– Allô, Allô.

Pas de réponse. L’Américain après avoir insisté, se retournait soudain, cependant que la Recuerda poussait un éclat de rire sardonique.

L’Espagnole se tenait à quelques pas derrière lui, elle avait les bras croisés sur sa poitrine, et dans sa main fine et potelée, elle tenait un poignard.

À ses pieds, le fil du téléphone qu’elle venait de couper.

– Voilà, criait-elle, ce que j’ai fait.

Puis, d’un air de suprême défi, elle hurla :

– Téléphone donc maintenant à la police, lâche que tu es, mouchard !

Backefelder bondit sous l’insulte. Un instant, il vit rouge, et au paroxysme de la colère, il se précipita sur l’Espagnole :

– Canaille ! hurla-t-il.

Mais un grand cri lui répondit, puis lui-même gémit sourdement, poussa un profond soupir et comme s’il avait reçu un coup de massue en pleine tête, s’écroula les bras écartés.

– Ah mon Dieu, proféra la Recuerda, je l’ai tué !

Au moment où Backefelder se précipita sur elle, l’Espagnole, d’un geste machinal et rapide, avait lancé son arme en avant et, sans peut-être très bien se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle avait dirigé la pointe acérée vers la poitrine de l’Américain. Celle-ci n’était protégée que par une fine chemise de soie. Déjà le poignard pénétrait dans ses chairs et transperçait le cœur. Backefelder était tombé, mort.

À genoux, près du cadavre, la Recuerda demeura quelques instants muette d’horreur, atterrée, puis soudain, sa gorge se serra, les sanglots l’étouffèrent.

– Mon Dieu, mon Dieu, proféra-t-elle, pauvre Back, je l’aimais, je l’aimais !

***

Fantômas décidément était un homme qui avait toutes les audaces et auquel la longue habitude de l’impunité faisait faire les pires imprudences.

Lorsque le soir de cette nuit tragique, il avait pour ainsi dire enlevé la Recuerda et l’avait fait monter dans son automobile, il ne s’était pas préoccupé de savoir si quelqu’un les suivait. C’est pour cela que Backefelder avait pu découvrir son domicile, en se faisant véhiculer par la propre voiture du bandit.

Fantômas, en outre, avait commis une autre imprudence. Il avait dit très haut son adresse au mécanicien de l’automobile et cette adresse, quelqu’un l’avait retenue, quelqu’un qui aussi s’était attaché à ses pas à partir du moment où le bandit et sa compagne avaient précipitamment quitté l’attroupement du pont Caulaincourt. Cette personne-là, c’était Delphine Fargeaux. La jeune femme, au moment où le courtier Coquard l’entraînait, avait eu la stupéfaction de voir s’enfuir tout d’abord la Recuerda avec le baron Stolberg, puis Delphine Fargeaux apercevait aussi quelqu’un dont elle identifiait parfaitement la personnalité. Quelqu’un qu’elle voyait s’agripper aux ressorts de l’automobile du baron Stolberg. Quelqu’un que Delphine reconnaissait pour être Backefelder dont elle avait fait la connaissance dans de si tragiques circonstances au château de Garros.

Delphine Fargeaux, était tellement préoccupée par tous ces mystères qu’elle se jura ce soir-là, d’avoir la clef de l’énigme.

Bravement, après avoir éconduit Coquard qui ne comprenait rien à son attitude, elle était partie à pied, en pleine nuit, pour le boulevard Malesherbes. Devant la maison silencieuse, la jeune femme était restée, plus patiente que Backefelder. Elle avait attendu et ses espérances n’avaient pas été déçues, car à l’aube, elle voyait sortir de la demeure du baron Stolberg sa rivale : la Recuerda.

Celle-ci trouvait un fiacre, et Delphine Fargeaux en prit un autre. Les deux véhicules arrivèrent rue Saint-Ferdinand. Delphine arrêta sa voiture. Elle comprenait que la Recuerda se rendait chez Backefelder.

Qu’allait-elle donc y faire ? Delphine la laissait entrer, puis, fort tranquille pour observer tout ce qu’elle voulait, car la rue à cette heure matinale, était absolument déserte, elle se rapprochait peu à peu de la maison de Backefelder. Les persiennes étaient fermées, mais à l’intérieur, l’Américain avait oublié de tirer les rideaux, et ayant fait la lumière lorsque la Recuerda était arrivée, la pièce était éclairée et de l’extérieur, par les interstices du volet, on pouvait parfaitement voir ce qui s’y passait.

Surprise d’abord par l’attitude des deux amants, qu’elle ne pouvait pas comprendre, Delphine Fargeaux s’émut du ton tragique que semblait prendre la discussion ; elle voyait Backefelder parler autoritairement à sa maîtresse, puis, tandis qu’il s’approchait du téléphone, celle-ci tirait un poignard de son corsage et coupait le fil de communication. Puis, dès lors, devant les yeux terrifiés de Delphine, se déroula le drame rapide mais effroyable. Backefelder rouge de colère se précipitait sur sa maîtresse.

– Il va la tuer, pensa Delphine, qui ferma les yeux. Mais lorsqu’elle les ouvrit, elle poussait un long hurlement de terreur. Une seconde s’était écoulée, elle voyait Backefelder étendu sur le sol, un poignard enfoncé jusqu’à la garde dans la poitrine, cependant que blafarde, agenouillée près de lui, la Recuerda regardait la mort face à face.

Affolée, Delphine prit la fuite. Courant comme une folle, elle alla, elle alla longtemps, sans se rendre compte du chemin qu’elle faisait, sans souci des quolibets qu’elle s’attirait au passage lorsque par hasard elle était rencontrée par des ouvriers levés de bonne heure, des gens se rendant à un travail matinal.

Delphine était allée ainsi jusqu’au bord de la Seine, et, arrêtée sur le parapet d’un pont, elle considéra distraitement les ondes glauques que roulait le fleuve.

Mais, soudain, Delphine Fargeaux, réagit. Elle serra les poings et son doux visage prit une expression de rude énergie.

– Cette femme, murmura-t-elle, est un monstre, elle a tué, elle tuera encore.

Et Delphine songeait, émue, que peut-être l’effroyable sort de Backefelder, quelqu’un d’autre risquait de le subir, et quelqu’un dont Delphine voulait à tout prix protéger l’existence, car elle l’aimait, quelqu’un qui n’était autre que le baron Stolberg.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю