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Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)
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Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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19 – CONDAMNÉ À MORT

– Mon frère, je viens vous voir pour vous rappeler que la vie est peu de chose et que l’éternité est tout.

– Jamais de la vie, vous venez pour m’embêter.

– Mon frère, je viens vous supplier de songer à la félicité éternelle.

– Je m’en contrefous !

– Mon frère, il faut vous repentir.

– Allons donc, je suis un petit saint.

– Si vous continuez à être sacrilège, vous brûlerez dans les tourments de l’enfer.

– Eh bien, ça me réchauffera. J’ai eu froid toute ma vie.

– Mon frère, le remords ne vous laissera pas de répit tant que vous ne vous serez point confié à la miséricorde du Seigneur.

– Ah non, je vous en prie, foutez-moi la paix ! Je ne sais pas ce que c’est que le remords et je dors sur mes deux oreilles. Aussi, la ferme, hein ? D’abord, quelle heure est-il ?

– L’heure du châtiment.

– Jésuite, va ! Quelle heure est-il, sacré bon sang ! À quelle heure est-ce que vous servez le châtiment, ici ?

Secouant la tête, scandalisé par les propos impies qu’il venait d’entendre, le moine qui depuis quelques minutes tâchait d’émouvoir Fandor se retirait lentement, sans ajouter un mot.

Derrière lui, la porte se ferma, Jérôme Fandor, au comble de la rage, tendit le poing.

– Dieu, qu’ils sont embêtants, rasoirs, monteurs de coups et balanstiqueurs, ces individus !

Il se recoucha rageusement, essaya de fermer les yeux.

Où était donc Jérôme Fandor ?

Lorsque, avec une audace incroyable, Fantômas, déguisé en don Eugenio, vêtu des habits de cour de l’infant, avait désigné Jérôme Fandor aux gardes civils qui accouraient à son appel, le journaliste avait été si ahuri par l’extraordinaire audace du bandit qu’il n’avait pas tout d’abord songé à protester.

Fandor ne se rendait point compte d’ailleurs très précisément de la gravité des charges qui pesaient sur lui.

– Ça va mal, se déclara tout bonnement Fandor au moment où les gardes le jetaient dans une cellule dont ils fermèrent la lourde porte.

Quelques instants plus tard, le malheureux journaliste était beaucoup moins tranquille.

Non seulement il se rendait mieux compte de ce qui s’était passé, mais encore il avait peur de trop bien deviner ce qu’il allait advenir de lui :

– Misère de sort ! jurait Fandor, moins gai que précédemment et pourtant s’efforçant de plaisanter encore, ces sacrés imbéciles-là vont avoir découvert le corps du garde civil à moitié écrabouillé par l’exquise Recuerda, de plus ils vont m’accuser d’être entré avec de mauvais desseins dans leur château, tout cela pourrait bien me jouer un vilain tour.

Qu’était devenue la Recuerda d’ailleurs ?

En y réfléchissant Jérôme Fandor se rappelait parfaitement que la jeune femme n’était plus dans la pièce lorsque les gardes civils avaient fait leur apparition.

– La Recuerda sait jouer la fille de l’air, se dit Fandor, elle a dû deviner que Fantômas appuyait sur une sonnette quand il s’est reculé, chose dont moi-même je m’apercevais. La Recuerda en somme m’a joué un assez sale tour, car elle m’a proprement laissé en face de Fantômas.

Fandor, toutefois ne pouvait guère en vouloir à la femme apache de la fâcheuse situation où elle l’avait mis. Si Fantômas vivait encore en effet, c’était bien parce que Fandor l’avait sauvé du poignard de la Recuerda.

– J’ai eu une jolie idée de protéger Fantômas, bougonna Fandor. Si jamais Juve apprend cela, il m’en fera une vie.

Mais le temps n’était plus aux réflexions. Fandor, quelques instants plus tard, était tiré de sa songerie par l’apparition d’un moine vêtu de noir, l’air rébarbatif.

– Prisonnier, déclarait le religieux, recommandez votre âme à Dieu.

Et comme Fandor s’apprêtait à protester de son innocence, le moine, d’un geste, lui imposa silence.

– Prisonnier, recommença-t-il, tais-toi ! Il n’est point nécessaire que tu dises un mot car tu appartiens désormais à la justice, au tribunal de l’Escurial et je ne suis pas ici pour t’entendre.

Fandor fut vite renseigné. Le moine tira de la poche de son froc un long grimoire dont il donna lecture à Fandor. C’était un acte d’accusation parfaitement en règle. Il s’y trouvait énoncé d’étranges choses et notamment que Jérôme Fandor était un diable, un démon de la pire espèce, qu’il se livrait à des pratiques de sorcellerie.

Le prisonnier, affirmait l’acte, s’est présenté au garde civil Pedro, retrouvé à moitié mort dans les caves de l’Escurial sous les aspects d’une exquise ballerine, il a déclaré alors qu’il s’appelait la Recuerda et qu’il désirait accomplir une marque. C’est en invoquant ce sortilège, en se servant de pareils mensonges que le prisonnier s’est introduit furtivement à l’Escurial ; une fois dans les murs du Palais, il a ligoté le malheureux Pedro, l’a jeté dans un soupirail et est monté aux appartements de l’infant don Eugenio, qu’il a voulu tuer après avoir repris sa forme et son apparence d’homme.

Or, tout cela était si peu clair, que Jérôme Fandor n’y démêlait rien tout d’abord, à peine eut-il le temps d’ailleurs de ponctuer la lecture de l’acte de quelques exclamations. Impassible, le moine disparut, laissant Fandor tout seul sans écouter ses protestations.

Et alors, commença pour le journaliste une aventure extraordinaire.

***

Perdu dans l’une des cellules, véritables oubliettes qui sont bâties dans les caves de l’énorme palais, Fandor recevait par un judas une cruche d’eau et une provision de pain.

– Ça, se déclarait-il à lui-même, c’est la preuve que décidément on m’inculpe et que l’on ne va pas me relâcher de sitôt. Mais qui diable va me juger ?

Fandor devait l’apprendre le lendemain. De bonne heure en effet, et alors qu’en toute philosophie il sommeillait tranquillement sur sa couche, une mauvaise paillasse qui garnissait un angle de sa cellule, Jérôme Fandor découvrit par un gardien l’étrange situation où il se trouvait. C’était un moine convers qui parlait volontiers :

– Prisonnier, déclara le jeune religieux, vous êtes accusé de sorcellerie, de sacrilège et de tentative d’assassinat contre la personne royale de don Eugenio, le crime a été commis dans l’Escurial, par conséquent vous serez jugé par la juridiction spéciale de l’Escurial.

Et comme Fandor, inquiet à ces paroles, demandait des détails, le frère convers reprenait :

– Oui, prisonnier, il y a une juridiction spéciale pour l’Escurial, vous n’ignorez sans doute pas qu’un ordre religieux veille sur la chapelle du palais. Ce sont les prêtres attachés à cette chapelle qui possèdent le pouvoir de juridiction pour tous les crimes commis à l’intérieur de l’enceinte, donc vous serez jugé par eux.

– Par eux ? Hum, cela ne me plaît guère. Et quelle peine peuvent-ils prononcer ?

– Une seule peine. Ou ils déclarent devant Dieu et devant les hommes que les accusés sont innocents et ceux-ci sont renvoyés en liberté, ou au contraire ils les reconnaissent coupables et dans ce cas, ils les condamnent à mort.

– Toujours ?

– Toujours. Naturellement. C’est la loi.

– Eh bien c’est gai, me voilà dans les pattes de religieux qui m’ont tout l’air d’avoir gardé les traditions sanglantes des tribunaux de l’Inquisition. Ou ils innocentent les accusés, ou ils leur font couper la tête. Non, mieux que cela, en Espagne, c’est le supplice du garrot. Ma foi, je suis fichu. Nul ne sait que je suis prisonnier. Sauf Fantômas et peut-être la Recuerda, par conséquent nul ne s’occupera de moi. Ah, nom d’un chien !

La situation de Fandor était terrible en effet. L’Espagne, pieusement, respecte encore des coutumes qui paraissent monstrueuses ailleurs. Fandor, se souvenait parfaitement avoir lu quelque part, qu’il existait en effet à l’Escurial une jurisprudence spéciale et il frémissait en songeant qu’il était aux mains des farouches religieux.

– Ces sacrés Espagnols, songeait Fandor, vous ont encore des âmes du treizième siècle. Ah, je suis frais.

Que pouvait-il faire, d’ailleurs ? Rien. Jérôme Fandor avait la terrible impression d’être enseveli vivant. L’Escurial gigantesque, énorme, pesait sur lui de tout son poids.

– Je suis perdu, je suis enterré dans cette machine-là. Tout de même, je rouspéterai tant que je pourrai et il faudra bien que les juges m’entendent.

Mais, très vite, Fandor devait perdre tout espoir. Les jours se traînaient, en effet, sans apporter aucun changement à sa situation. Il recevait régulièrement, à minuit, la visite d’un moine qui l’invitait au repentir et à la confession, mais qui se refusait à l’entretenir de son procès. À six heures du matin, on venait le chercher pour assister à un office religieux. Mais comme le premier jour il avait profité de la circonstance pour hurler en pleine chapelle qu’il était innocent, on prenait depuis lors la précaution de le bâillonner avant de le mener à l’église. Et Fandor, petit à petit, se faisait à cette idée :

– Je suis fichu. Absolument fichu, je serai condamné, sans même pouvoir me défendre.

Fandor, pourtant, avait un vague espoir. Un jour il avait été interrogé par le religieux parlant français auquel il avait crié son innocence. Avait-il ému cet homme, convaincu qu’il causait avec un personnage satanique ? C’était douteux. Toutefois Jérôme Fandor l’avait supplié de prévenir l’ambassadeur de France de sa captivité, avait menacé même le moine de représailles internationales si satisfaction ne lui était pas donnée. Avait-il effrayé le religieux ?

En tout cas, aucun changement n’était survenu et c’était un jour tout comme les autres qui commençait, croyait-il, tandis qu’il répondait brutalement au moine qui, après l’avoir ramené de la chapelle, l’exhortait encore au repentir.

Fandor, le religieux parti, s’était rejeté sur sa couche.

– Enfin, murmurait-il, j’imagine maintenant que je n’en ai plus pour longtemps avant de passer au tribunal.

Il ne croyait pas si bien dire.

Comme il se rendormait, en effet, d’un sommeil fiévreux et agité, la porte de sa cellule s’ouvrit brusquement. Trois moines entrèrent, vêtus de noir, l’air sinistre et portant trois cierges allumés.

– Condamné, dit lentement l’un d’eux, cependant que Fandor, stupéfait par l’arrivée de cette procession, écarquillait les yeux, condamné, repentez-vous, vous n’avez plus que huit jours pour cela.

– Huit jours ! cria Fandor. Mais, nom de Dieu, parlez donc clairement, qu’est-ce qu’il y a encore ?

Les trois moines se signèrent en entendant le terrible blasphème, et celui qui paraissait être leur chef reprit la parole :

– Condamné, déclara-t-il, le Tribunal de l’Escurial vous a jugé cette nuit, vous avez été reconnu coupable, vous périrez par le garrot dans huit jours.

Mais pour parler ainsi tout tranquillement, pour annoncer semblable chose avec une telle sérénité, le religieux, évidemment, ne connaissait point le caractère impétueux de Jérôme Fandor.

Le journaliste, en effet, avait bondi hors de son lit : les poings fermés, la voix tremblante de colère, évidemment tout disposé à étrangler l’un de ses visiteurs, Jérôme Fandor hurlait :

– Bon sang, mais ce n’est pas possible, tout de même, qu’est-ce que vous me chantez là ? Le tribunal s’est réuni. Où ? Quand ? On m’a condamné sans m’entendre ? Mais c’est un assassinat que vous allez commettre, sacré mille noms d’un tonnerre, on ne tue pas un homme comme cela !

Les trois moines n’avaient pas bronché.

– Repentez-vous, mon frère, recommençait le plus vieux des religieux, repentez-vous, et que l’esprit de Satan qui vous possède se retire de vous.

Les autres moines, en même temps, disaient :

– Que Dieu lui fasse miséricorde.

Que pouvait tenter Jérôme Fandor ?

– J’en massacrerai bien un ou deux, se disait-il en lui-même, mais cela ne m’avancerait à rien. Ah bon sang de bon sang !

Il marchait à grands pas dans sa cellule, le cœur battant à l’étouffer, épouvanté à l’idée du supplice auquel on venait de le condamner si bizarrement.

Les trois moines s’étaient retirés, Jérôme Fandor demeurait seul.

Alors, un affreux désespoir s’empara du jeune homme. Il imagina pendant quelques instants les plans d’évasion les plus fous, les tentatives les plus audacieuses. Mais, hélas, il ne lui servait de rien de rêver à l’impossible. Les murs du cachot où il était prisonnier étaient inébranlables, inébranlable était la porte, et Jérôme Fandor ne pouvait rien, rigoureusement rien pour retarder, fût-ce d’une seconde, l’accomplissement de son destin.

– Eh bien, je périrai par le garrot, finit-il par décider en lui-même, je périrai bravement puisqu’il le faut, et, ma foi, Juve me vengera.

Mais, au moment même où Jérôme Fandor se résignait, comme il y était bien obligé, à regarder en face la destinée, les serrures de sa cellule grinçaient. La porte s’ouvrit et Jérôme Fandor poussait un cri de joie :

– Vous, patron ? ah ! par exemple !

En même temps un homme corpulent, un Français assurément, s’élançait dans la cellule, courait à Jérôme Fandor, cependant que deux gardes civils qui accompagnaient ce visiteur croisaient la baïonnette à la porte du cachot.

– Vous, patron ? répétait Jérôme Fandor, riant d’un rire de fou et n’en croyant pas ses yeux.

Le personnage, cependant, semblait aussi étonné que l’était le journaliste.

– Mais c’est à devenir idiot, faisait-il, je ne comprends rien à tout cela. Comment, c’est vous ? Vous, Fandor, qui êtes le prisonnier de ces religieux. Ah çà, bon Dieu, comment vous trouvez-vous là ?

C’était tout simplement Dupont de l’Aube, le sénateur, propriétaire de La Capitale, directeur du journal, auquel Fandor collaborait depuis de longues années.

Dupont de l’Aube était, en effet, – Fandor s’en souvenait à la minute – ambassadeur officieux de France, près la Cour d’Espagne. Ce n’était point, à vrai dire, le résident officiel chargé à Madrid de représenter la France, mais c’était le négociateur habituel de tous les traités commerciaux entre la France et l’Espagne. Comment Dupont de l’Aube avait-il été prévenu de la captivité de Fandor ? Comment Fandor était-il prisonnier à l’Escurial ?

Les deux hommes, bien entendu, aussi surpris l’un que l’autre, aussi émus peut-être, s’interrogèrent tout d’abord, dans une extrême confusion.

Puis Fandor mit rapidement au courant du sort tragique qui lui était réservé le directeur de La Capitale.

– Tenez, concluait Fandor, je me fais l’effet, patron, d’une souris prise au piège. Voilà huit jours que j’agonise sous l’Escurial et quand vous êtes arrivé, je me croyais bel et bien perdu. Vous allez me tirer d’affaire, hein ?

Dupont de l’Aube, pour toute réponse haussa les épaules :

– Mais naturellement, mon cher Fandor. Votre captivité n’est plus qu’une question d’heures.

Et le patron de Fandor, mêlant ses explications de quelques reproches, relatifs à l’imprudence dont avait fait preuve le journaliste en entrant à l’Escurial alors que Fantômas rôdait dans les environs, contentait à son tour la curiosité du journaliste.

– Tenez, Fandor, disait-il, vous l’échappez belle, savez-vous ? la juridiction de l’Escurial est en effet extraordinaire. Les subtils religieux qui en ont le bénéfice jouissent d’un privilège monstrueux. Je ne savais pas du tout et je n’aurais jamais su qu’un Français gémissait dans ces geôles, si je n’avais pas reçu par téléphone une communication anonyme m’avertissant de la chose. Bien entendu, j’ai fait immédiatement une petite enquête et en vertu de ma puissance diplomatique, j’ai pu arriver jusqu’à vous. Mais c’est de la chance.

– Est-ce un homme ou une femme qui vous a prévenu ?

– Une femme, je crois.

Et ce fut une illumination :

– La Recuerda. C’est la Recuerda qui m’a sauvé !

Au surplus, Jérôme Fandor ne s’attarda pas à causer avec Dupont de l’Aube. Maintenant que l’espoir lui revenait au cœur, il se sentait pris d’une hâte extrême d’être définitivement tiré des prisons de l’Escurial :

– Dites donc, patron, déclarait familièrement Jérôme Fandor, je suppose que vous allez vous dépêcher, hein ? je moisis ici, moi, vous savez si j’y reste encore une semaine, je finirai par sentir le renfermé. Comment allez-vous procéder pour obtenir ma grâce ?

– Rassurez-vous, mon bon, si les moines de l’Escurial sont farouches, ils sont avares aussi. Je vais immédiatement retourner à Paris, je peux avoir, ce soir encore, le train de luxe. Demain matin je verrai le ministre des Affaires étrangères. Il y aura échange de dépêches diplomatiques avec Madrid dans la journée. Demain soir j’aurai votre brevet de grâce en poche. Après-demain soir, au plus tard, je viens vous chercher ici.

– Ça ne sera pas dommage. Ah le ciel pur, les petits oiseaux, la liberté. J’en ai rudement besoin !

Plus bas, mais avec une rage concentrée, Jérôme Fandor ajoutait :

– Et j’ai besoin aussi de me venger, de me venger, terriblement.

20 – POUR UN BAISER DE LA RECUERDA

Au carrefour de la rue Lepic et de la rue des Abbesses il y a un café borgne mal noté de la police. Il est toujours fréquenté par une population interlope et il est pour ainsi dire impossible d’obtenir sa fermeture à l’heure légale. Sans cesse, ce bouge déverse dans la soirée, sur le trottoir, des individus abominablement ivres, qui font du tapage et du scandale, ou encore des groupes de gens qui s’insultent et se battent, jouent du couteau, ou même du revolver. En un mot, ce cabaret est le rendez-vous notoire des rôdeurs et des apaches du quartier.

Le tenancier de ce bouge l’a intitulé modestement Au Picolo. Mais ce titre n’est pas limitatif, et le patron, qui se prétend connaisseur, assure vendre à sa clientèle, pour la modeste somme de deux sous, les crus les plus appréciés de la Bourgogne, de même que les meilleurs bordeaux.

Ce soir-là, dans la petite salle enfumée de l’établissement, une bande de filles et de rôdeurs entouraient un grand diable qui, aux trois quarts ivre, pérorait en titubant. D’une main il se cramponnait au comptoir de zinc, de l’autre il faisait des gestes plus ou moins appropriés à une terrifiante description.

– Il sort des flammes de sa bouche et de ses yeux, il a une langue lumineuse, et on le voit dans trente-six endroits à la fois. Rien que de regarder sa figure ça vous donne l’idée qu’on va crever sur place et quand il veut disparaître, il s’entoure d’une espèce de fumée impossible à respirer.

C’était Barnabé qui s’exprimait ainsi. Le fossoyeur du cimetière Montmartre prononçait ces paroles avec un accent convaincu, et l’on comprenait qu’il s’agissait là d’une vision fantastique, d’un spectacle extraordinaire, dont il avait peut-être été le témoin – nul en effet n’avait de doute à ce sujet. Depuis plus d’une heure, dans la salle basse du Picolo, on s’entretenait du formidable mystère qui épouvantait tout Paris, du fameux fantôme du pont Caulaincourt.

La Choléra, qui était dans la bande, ouvrait des yeux hagards et buvait littéralement les paroles de Barnabé.

– Il me fout le trac, cet homme-là, murmura-t-elle. Si j’avais seulement reluqué la moitié de ce fourbi qu’il raconte, sûrement que je serais tombée en digue-digue.

Mort-Subite haussa les épaules :

– Comment qu’y cherre dans le mastic [13] ? déclara-t-il d’un air méprisant.

Mais Barnabé persistait :

– Aussi sûr que je suis là, déclarait-il, j’ai vu ce que je te dis. C’est un truc à terrifier les plus, costauds, j’ai pas les foies d’ordinaire, les morts et les cadavres ça me connaît, mais les choses surnaturelles et incompréhensibles, vois-tu, ça me dépasse.

Quelqu’un intervint, un consommateur demeuré à l’écart et qui, jusque-là, avait silencieusement écouté la conversation des apaches et les propos de Barnabé. C’était un homme vêtu d’un grand manteau jaune et coiffé d’une casquette rayée, dont le visage rasé écarlate s’ornait de favoris roux. On le connaissait pour l’avoir vu quelquefois dans les établissements interlopes de Montmartre : on l’appelait le cocher John.

Fantômas, qui se cachait sous ce déguisement, aimait à errer dans les bouges, à surprendre les propos des apaches qui les fréquentaient, à connaître ainsi leurs intentions, leurs sentiments. Il était si merveilleusement grimé qu’il était assuré de n’être pas reconnu, même de ceux qui avaient pu le voir sous son aspect véritable. Il est vrai qu’ils étaient rares.

– Le fossoyeur a raison, fit-il, et les manifestations du spectre du pont Caulaincourt sont de plus en plus extraordinaires. Il faut y croire et s’en méfier. À maintes reprises, des événements graves, des cataclysmes ont été annoncés par des apparitions semblables, et personne n’en a retiré profit, bien au contraire.

Fantômas s’exprimait sur un ton de gravité solennelle, et ses paroles tombaient comme un glas au milieu d’une assistance qui se faisait spontanément attentive. Barnabé triomphait. Il eut un large sourire et après avoir bu de nouveaux verres d’alcool, d’un trait, comme c’était son habitude, il affirma de sa voix enrouée :

– Vous voyez, vous autres, que j’avais raison. John s’y connaît sans doute, et il me croit, lui.

Sans répondre directement au fossoyeur, le faux cocher poursuivait, et cette fois il s’adressa directement à Barnabé, le fixant d’un regard singulier :

– On cite, dit-il, des morts qui sont revenus, et cela se produit surtout lorsque ceux-ci sont enterrés de façon irrégulière ou criminelle. Oui, dans ces cas-là, les morts s’arrachent au repos pour venir troubler la paix des vivants.

Barnabé se sentait devenir blême, il se cramponna au comptoir de zinc et commanda, d’une voix tonitruante, qu’il voulait empêcher de trembler :

– Eh là, le tôlier, verse-moi un autre verre de schnick et fous-moi quelque chose qui gratte. J’ai le gosier en pente et rugueux comme une passoire.

Cependant Barnabé ne pouvait se distraire des sombres pressentiments qui le hantaient, car il lui semblait que les paroles du cocher John le concernaient directement. Il se souvenait en effet avec angoisse que les premières apparitions du spectre avaient coïncidé avec l’ensevelissement du cercueil n° 7, de la fameuse bière où devait se trouver la dépouille mortelle de Mercédès de Gandia et dans laquelle il n’y avait eu que du sable.

Malgré ses appréhensions et l’ennui qu’il éprouvait à parler désormais d’un tel sujet, Barnabé allait poser au cocher John de nouvelles questions, lorsque l’attention fut soudain attirée par l’arrivée dans le cabaret d’une nouvelle cliente, d’une femme. Celle-ci ouvrit brusquement la porte et lança un joyeux :

– Bonsoir, m’sieu dames.

– La Recuerda ! s’écria-t-on.

C’était en effet l’Espagnole qui pénétrait dans le bouge, elle était animée, souriante, ses beaux yeux noirs étincelaient.

Mort-Subite s’approcha d’elle, lui tendit sa grosse main velue, qu’elle serra cordialement.

– Voilà longtemps qu’on ne t’avait vue !

La Choléra insinua :

– Je croyais que tu t’étais fait poisser par les flics.

D’autres approuvèrent en souriant.

– Vous êtes des imbéciles, cria la Recuerda, on ne m’a pas comme on veut. Pas plus les flics que les autres.

Et, avec désinvolture elle s’approcha du comptoir, commanda une grenadine au kirsch, en disant à la cantonade :

– Il s’en trouvera bien un parmi vous pour me payer ce que je bois.

Fantômas s’était reculé et désormais considérait la superbe fille avec une extrême attention. Il observait son front, aux reflets bruns, aux lignes élégantes, et constatait que chaque fois que la Recuerda s’animait, une veine qui le traversait en biais de haut en bas, se gonflait d’un sang bleu, faisant comme une balafre.

Fantômas songeait perplexe :

– Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Pourtant il faut que je sache. Mais il importe pour cela qu’on m’obéisse. Oui, je réussirai.

Fantômas, alors, se rapprocha de la Recuerda et lui jetant un regard en coulisse il annonça simplement :

– C’est moi qui paierai pour toi ce soir.

Le grand Bec-de-Gaz s’était levé, il vint près du comptoir et d’une voix railleuse :

– N’empêche que chacun peut bien faire des boniments, dit-il, mais que nul n’a le culot de s’approcher du cimetière.

La Recuerda répondit méprisante, hautaine :

– Parbleu, vous n’êtes pas des hommes, ni les uns ni les autres. Tous, vous avez les foies.

On ricana autour d’elle, mais nul ne releva le défi. Soudain, cependant, une voix dominait le murmure confus qui régnait dans la salle.

– Moi, je n’ai pas peur, avait affirmé quelqu’un.

Ce quelqu’un c’était Fantômas. Et il insista :

– Et si quelqu’un me met au défi, j’irai tout seul, et tout de suite encore.

La Recuerda le regarda d’un air satisfait. Mais incrédule, elle lui lança :

– Pas possible, tu blagues.

– Quelles sont les conditions ?

– Oh, moi, fit Mort-Subite, qui n’aimait guère les paris d’argent, tu sais, nous autres, on est fauché. S’il s’agit de sortir du pèze, moi, je ne marche pas.

Fantômas le regardait :

– Vous avez pourtant l’air cossus les uns et les autres et je crois que depuis quelques jours vous êtes tous pleins aux as.

Ces propos déterminèrent une certaine stupeur dans l’assistance. Le cocher John avait touché juste. Les apaches, en effet, avaient de l’argent qui leur provenait du vol à l’esbroufe, si merveilleusement organisé par la Recuerda à la Maison d’Or. Pourquoi John parlait-il de cela ? N’était-il pas plus ou moins policier ?

– Pour me récompenser de traverser le cimetière, expliqua John,  je ne  demande  qu’un baiser  de la Recuerda.

– Ça, s’écria la Choléra, c’est jeté ! Voilà un homme s qui sait la manière de s’adresser aux femmes.

On applaudissait à l’attitude du cocher John, cependant que la Recuerda, tout heureuse d’être l’objet d’une démarche aussi flatteuse, rougissait de satisfaction.

– Entendu, déclara-t-elle, que John tienne sa promesse et je tiendrai la mienne.

Dix minutes après, la bande des apaches qui venaient de quitter le Picolo, s’acheminait silencieusement par petits groupes en direction du cimetière. Ils traversèrent la rue Caulaincourt, puis descendirent la rue de Maistre, qui longe le mur du cimetière. C’est par ce mur que le cocher John avait décidé d’entrer dans le cimetière, il devait en sortir de l’autre côté du pont, tout à côté de l’avenue Rachel. Mais, au fur et à mesure que l’on se rapprochait du point de départ de l’expédition qu’allait tenter le parieur, celui-ci semblait plus hésitant, moins décidé.

Avait-il peur ? On le plaisanta. La Choléra, insinua, méchante :

– On dirait que tu trembles, le collignon ?

Mais Fantômas, qui peut-être, jouait la comédie de l’émotion ou alors était réellement préoccupé, se roidissant, répliqua brutalement à la Choléra :

– La peur ? Connais pas.

Puis, se détachant du groupe et s’élançant comme quelqu’un qui vient de prendre une résolution, il bondit vers le mur, s’accrocha à sa crête, en gymnaste consommé, pour disparaître de l’autre côté.

– Ça, déclara Mort-Subite, c’est chic, c’est bien fait.

Les apaches avaient rebroussé chemin. John leur avait donné rendez-vous à l’autre bout du cimetière.

Une crainte indéfinissable s’emparait d’eux. Il était sinistre, ce pont mal éclairé par quelques vacillantes lueurs de becs de gaz, il était désert aussi, silencieux, plein de mystère. Et puis, enfin, sous le pont s’étendait cette grande tache uniformément noire, que l’on savait être la demeure des morts.

Les femmes, instinctivement, s’étaient rapprochées. La Choléra avait pris le bras de la Recuerda. Bec-de-Gaz chantait d’une voix mal assurée. Mort-Subite sifflait, faux. Quant à Barnabé, il grommelait des paroles incompréhensibles. Et soudain, les apaches s’arrêtèrent interdits. Sous le pont, une détonation venait de retentir. On avait tiré un coup de feu. Un autre retentit.

La troupe interloquée des rôdeurs se mit à courir, mais elle dut rebrousser chemin presque aussitôt. Des gens surgissaient de toutes parts. De l’escalier de l’avenue Rachel, de devant l’hippodrome, du bas du pont. Il y avait là, assurément, des agents en bourgeois, puis aussi, quelques fêtards, des demi-mondaines empanachées, quelques jeunes gens légèrement avinés, sortant des cabarets de Montmartre. On se retrouvait, en fraternisant sur le pont, les uns et les autres sans souci de leur classe sociale, s’interrogeaient :

– Que s’est-il passé ?

– Delphine, murmurait un jeune homme, qui n’était autre que Coquard, allons-nous-en, venez.

Mais Delphine Fargeaux – car c’était elle qui venait encore de passer la soirée dans un restaurant de nuit en compagnie du courtier, son adorateur perpétuel – ne lui répondit pas, elle tenait à voir, à savoir ce qui se passait.

Cependant que l’on essayait de descendre pour gagner le cimetière, les agents s’étaient interposés :

– En arrière, ordonnaient-ils, et circulez vous autres !

La foule rebroussa chemin, remonta sur le pont Caulaincourt, mais elle ne le quitta pas, anxieuse. Elle se penchait sur le parapet du pont, pour tâcher de savoir ce qui se passait dessous. Quelques téméraires montaient sur les grands X de fer, pour être aux premières loges.

Au premier coup de revolver, deux inspecteurs de la Sûreté, Léon et Michel, car les deux collègues continuaient leur surveillance depuis de longues nuits, s’étaient précipités de la cachette dans laquelle ils se tenaient. À la lueur de la poudre enflammée, ils avaient vu d’où le coup partait. Celui-ci avait été tiré à faible distance de l’endroit où ils se trouvaient. Il provenait de l’avenue de l’Ouest. Vraisemblablement du voisinage immédiat du caveau appartenant à la famille de Gandia. Michel et Léon s’étaient précipités. Soudain, Léon poussa un hurlement.

– Quoi ? demanda Michel.

– Encore les vêtements du fantôme !

Interdit, Michel s’arrêta. Mais soudain, il fit un bond en avant et, à son tour, poussa un hurlement de stupéfaction.

– D’autres, s’écria-t-il, en voilà d’autres !

Léon ramassa l’extraordinaire dépouille noire que l’on retrouvait nouvelle chaque fois et identique cependant aux précédentes, après toutes les manifestations du spectre, et regarda abasourdi la trouvaille de Michel. C’était un grand pardessus jaune, à boutons de nacre, et une casquette rayée de rouge. Mais les effets étaient, à la hauteur du bras, tachés de sang, de sang tout frais, presque tiède encore. Les deux hommes considéraient leur nouvelle découverte avec stupéfaction. Michel leva les yeux et vit, suspendues aux balustrades du pont, des grappes humaines qui suivaient avec le plus vif intérêt les recherches effectuées par les policiers. Michel, furieux, criait aux agents demeurés sur le pont :

– Faites-moi circuler tout ce monde-là !

Mais c’est en vain que les sergents de ville transmettaient les ordres. Léon avisa une échelle étendue sur le trottoir de l’avenue de l’Ouest, il l’appuya contre le pont et, grâce à elle, remonta, suivi de Michel. Il passa à travers les X de fer, parvint sur la chaussée et la foule, devant eux, s’écarta : soudain, à la vue des vêtements qu’ils rapportaient, un cri de stupeur :


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