Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– C’est extraordinaire, murmurait la Recuerda.
De l’écrin, elle tira un bracelet d’or qu’elle examina, étonnée, qu’elle finit par se passer au bras. Quelques instants plus tard, la Recuerda devait être sortie de l’appartement de don Eugenio, car tout y était calme, tout y était silencieux, nul bruit ne s’y entendait plus.
La Recuerda cependant n’était pas loin. Elle avait gagné une sorte de logette comme il en est dans toutes les demeures espagnoles, formant un véritable petit oratoire, logette blanchie à la chaux, à ciel ouvert, à fenêtres grillées et d’où l’on dominait la campagne environnante. Or, la Recuerda, de cette logette, aperçut Fandor.
Elle ne pouvait, d’où elle était, reconnaître évidemment Fantômas lorsqu’il se dressa en face du jeune homme, le revolver à la main, mais en revanche elle ne se trompait pas à l’attitude des deux combattants.
– Ils vont se tuer, murmura la Recuerda. Miséricorde, il ne faut pas que cela soit.
Ce bracelet qui avait fait croire à Fantômas et à Fandor qu’Hélène était prisonnière à l’Escurial, c’était la Recuerda qui l’avait lancé entre les deux combattants, et attaché à un fil, pour leur donner le change.
***
À onze heures du soir, alors que le palais semblait plongé dans un profond sommeil, la Recuerda, restée dans la logette d’où elle avait si opportunément jeté un bracelet, demeurait l’œil collé à la serrure, frémissante, angoissée au plus haut point.
Que voyait donc la Recuerda ?
Elle était le témoin d’un spectacle étrange.
Vers dix heures et demie, un homme avait mystérieusement pénétré dans la chambre de don Eugenio, voisine de la logette. Cet homme s’éclairait d’une lanterne sourde et paraissait prendre grand-garde à ne point faire le moindre bruit. Il hésita quelques instants, semblait-il, puis il prit une résolution, cela se devinait à ses mouvements rapides. L’inconnu, que la Recuerda cherchait vainement à reconnaître, car son visage était dans l’ombre, fouilla les meubles, parcourut l’appartement, revint enfin, portant un habit de cour qu’il se mit en devoir d’endosser.
Or, tandis qu’elle guettait à la porte de la chambre de don Eugenio, la Recuerda entendit des bruits de pas dans une chambre voisine.
– Que la Madone me sauve, songeait la Recuerda.
Elle était blême, affolée. L’œil collé à la serrure, en effet, la Recuerda avait nettement distingué la qualité de l’arrivant : c’était un garde civil, elle ne voyait point son visage, mais aux parements de sa manche, elle apercevait son matricule.
– Miséricorde, songeait encore la malheureuse jeune femme, un garde civil ! De plus, c’est le garde civil que j’ai ligoté, c’est Pedro !
Un instant, la Recuerda songea alors, pensant que les minutes étaient précieuses, qu’il fallait à tout prix décider quelque chose.
La logette dans laquelle elle s’était cachée n’avait d’autre issue que les deux chambres. Dans l’une, elle voyait toujours l’homme occupé à se vêtir d’habits de cour, dans l’autre, le garde civil approchait.
– Bah, se dit soudain la Recuerda, Pedro m’aime. Je trouverai moyen de lui conter une histoire.
Dès lors, elle n’hésita plus. Elle ouvrit brusquement la porte à laquelle elle s’appuyait. Elle se jeta au-devant du garde civil. Mais à peine avait-elle surgi dans la pièce, à peine le garde civil, surpris, eut-il braqué son revolver, que la Recuerda s’immobilisait, anéantie par la surprise, cependant que, de son côté, le garde civil paraissait parfaitement ahuri :
– Vous, la Recuerda ?
– Vous, Fandor ?
Et une explication confuse, suivit. Il conta en deux mots comment, par un soupirail, il avait pu se glisser dans les caves de l’Escurial, où il voulait pénétrer pour chercher Hélène, comment, dans ces caves, il avait découvert un garde civil à demi-mort qui lui avait fait l’effet d’un dément.
– J’ai laissé le bonhomme attaché, disait Fandor, mais je lui ai volé ses habits, pensant que cela m’aiderait à passer inaperçu dans ce palais qui, en ce moment, d’après ce que j’ai pu comprendre, est complètement désert. Don Eugenio n’est pas là. Le garde civil me l’a juré. Mais Hélène doit y être. Elle m’a jeté un bracelet.
La Recuerda éclata de rire :
– Hélène n’est pas là, dit-elle lentement, c’est moi qui vous ai jeté le bracelet. Quant à don Eugenio vous vous trompez. Il est tout à côté de nous, dans l’autre chambre, et…
Mais la Recuerda s’interrompit. En causant avec Fandor, elle avait oublié, emportée par sa nature véhémente, de parler bas. Au bruit que les deux interlocuteurs avait fait, l’homme qui s’habillait dans la pièce voisine surgit :
– Qui va là ? demanda-t-il.
Il tenait un revolver à la main, il semblait menaçant et farouche, et, à son apparition, la Recuerda et Fandor contemplant enfin son visage en pleine lumière, poussèrent un même cri :
– Fantômas !
C’était en effet Fantômas qui sortait de la chambre de l’infant. Si Fandor était parvenu à se glisser à l’intérieur de l’Escurial pour y chercher Hélène, qu’il croyait enfermée, depuis l’incident du bracelet, Fantômas, de son côté, avait réussi à gagner les appartements de don Eugenio. Et, tandis que Fandor se déguisait en garde civil pour ne point attirer l’attention, Fantômas, de son côté, n’hésitait pas à s’habiller en infant afin de tenter l’un de ces coups d’audace dont il était coutumier.
À peine la Recuerda eut-elle hurlé le nom de Fantômas qu’elle tirait de son sein un poignard effilé et se précipitait vers le Génie du Crime.
– Fantômas, hurlait la Recuerda, c’est toi que j’étais venu chercher ici ! Ah, tu pensais y trouver ta fille, et c’est la Mort qui t’attend ! Allons, je vais venger Backefelder, je vais venger mon amant !
Elle s’était si brusquement jetée sur le bandit que Fantômas, n’avait pas eu le temps de se mettre en garde.
La Recuerda leva son poignard, inexorable. Elle allait frapper. Or, Fandor, si stupéfait qu’il fût, avait déjà retrouvé son sang-froid. Un meurtre allait se commettre sous ses yeux. Il ne pensa même pas que c’était Fantômas qui allait en être victime. C’est sans réfléchir, qu’il se précipita en avant, se saisit de la Recuerda, la força à reculer, lui tordant la main, lui arrachant son poignard.
Mais Fandor allait être mal récompensé de son action généreuse. Fantômas, lui aussi, s’était ressaisi. Délivré de la Recuerda en une seconde, il retrouvait son habituelle présence d’esprit.
– Jérôme Fandor, hurla-t-il, avec une ironie terrible, vous m’avez sauvé la vie et je vous en remercie.
Il avait bondi en arrière. La lumière électrique s’éteignit et Fandor, une chaise reçue en pleine poitrine, s’écroula. Des bruits de pas retentissaient. Fandor se relevait à peine que la lumière soudain se ralluma.
Fandor n’était plus seul dans la pièce avec Fantômas et la Recuerda. Autour de lui, devant lui, se trouvaient maintenant une dizaine de gardes civils. La Recuerda avait disparu. Fantômas, vêtu de ses habits de cour, calme et digne comme un véritable infant, déclarait en pur castillan et d’une voix qui ne tremblait pas :
– Holà gardes, emparez-vous de cet homme, je vous ai appelés au secours, car il était là pour m’assassiner.
Fandor n’était pas encore revenu de sa stupéfaction que les gardes l’emmenaient.
18 – MYSTÈRE AU PONT CAULAINCOURT
– Les tramways sont en panne. Les tramways sont en panne.
Le petit chasseur de la Brasserie Walter, place Clichy, venait de pénétrer dans l’établissement à une allure de boulet de canon. Le gosse, habillé de rouge, semblait affolé. M. Walter, le patron, courut à lui, le saisit par le bras :
– Eh bien, quoi, petit imbécile, grommela-t-il, qu’est-ce qui te prend ? Je vais te fiche à la porte. En voilà des histoires. Qu’est-ce que ça peut bien te faire qu’ils soient en panne, les tramways ?
Mais le gamin jeta un regard terrifié vers son patron :
– Ce sont les tramways d’Enghien, s’écria-t-il.
– Et alors ? fit M. Walter qui ne comprenait pas.
– Il y en a un d’arrêté sur le pont Caulaincourt.
Un bourdonnement s’était élevé dans la salle. Encore le pont Caulaincourt, quelle émotion ! La caissière s’agitait derrière son comptoir, appelait les maîtres d’hôtel, stimulait les garçons :
– Méfiance, leur disait-elle, avec tout ce remue-ménage il y a des gens qui vont s’en aller sans régler.
Descendant des hauteurs de la rue Caulaincourt, une cinquantaine de personnes arrivaient en courant et se mêlaient à la foule qui circulait place Clichy. Que se passait-il donc ?
Le boulevard de Clichy était d’ailleurs encombré par une demi-douzaine de ces véhicules qui assurent le service entre Enghien et la place de la Trinité. Le courant manquait. La lumière s’était éteinte, mais alors que la clientèle, habituée à ces sortes d’arrêts, demeurait à l’ordinaire paisible et patiente, ce jour-là, des gens s’étaient avancés hors de la voiture, comme gagnées par une inquiétude qui semblait leur être transmise par les voyageurs de la voiture précédente qui se trouvait arrêtée sur le pont Caulaincourt.
La panique était née du fait que le courant, cessant brusquement sur la ligne, un des tramways s’était immobilisé net au milieu du pont. Ah, ça n’avait pas été long ! En dépit des objurgations du conducteur, tout le monde était descendu, on avait fui au galop, en direction de la place Clichy.
Et soudain, cris joyeux. L’électricité s’était rallumée.
Le calme était revenu également dans la vaste salle de la Brasserie Walter où les consommateurs continuaient, les uns à vider leur bock, les autres à souper.
On ne parlait que du Pont Caulaincourt et de ses fantômes. Deux messieurs causaient à l’entrée de la salle de billard. Un monsieur d’un certain âge déjà, à l’apparence cossue, aux allures communes, et un homme jeune, élégant, bien bâti, racé. Cependant que ce dernier observait curieusement son interlocuteur et ne prononçait que de vagues monosyllabes, le vieux monsieur, fort bavard, paraissait tout heureux de trouver quelqu’un à qui causer. Et il plaisantait sur les mystères, il racontait des histoires invraisemblables qui avaient toutes plus ou moins trait aux événements bizarres et dramatiques qui, depuis quelque temps survenaient aux abords du pont Caulaincourt et préoccupaient tout Paris.
Au vieil homme, le monsieur distingué, répondait aimablement.
Celui-ci en veine de confidence, déclarait :
– Je suis M. Person, entrepreneur de maçonnerie, à Saint-Ouen. J’ai là une très grosse affaire qui me rapporte bien et cependant le métier est dur, il faut tout le temps aller et venir, se coucher tard, se lever de bonne heure.
– Ah ! fit son jeune interlocuteur, qui paraissait médiocrement intéressé. Cependant, il répondit, lorsque le vieux monsieur lui demanda, par politesse :
– Et vous, monsieur, vous êtes sans doute aussi dans les affaires ?
– Oui, comme cela. Par moments. Il y a une chose dont je m’occupe beaucoup et qui m’intéresse énormément, c’est l’automobile.
– Cette voiture qui est à l’entrée du café serait-elle à vous ?
– Précisément, monsieur.
– Elle est superbe, c’est au moins une quarante-chevaux.
– Oh non, monsieur, simplement une vingt-cinq et je vous assure que c’est bien suffisant. J’en suis d’ailleurs enchanté, elle a une conduite intérieure ce qui permet de sortir par tous les temps sans être obligé de se déguiser en ours polaire.
L’entrepreneur de maçonnerie murmura, le regard vague :
– J’aimerais joliment une machine comme cela. Voilà qui serait commode pour faire mes courses, pour aller voir mes chantiers.
L’automobiliste proposa gracieusement :
– Si cela vous intéresse, je pourrais vous la faire essayer un jour.
– Vraiment, monsieur, répliqua Person, dont le regard s’illumina, ce serait joliment aimable à vous. Vous en vendez peut-être des automobiles ?
– Non, monsieur, mais au besoin, vous savez, tout propriétaire d’auto est marchand à l’occasion.
L’entrepreneur de maçonnerie se rapprocha de son interlocuteur :
– Écoutez, monsieur, je m’en vais vous faire une proposition. D’abord vous allez me permettre de vous offrir un bock, puis ensuite je vous demanderai si ce n’est pas indiscret de savoir où vous allez ?
– Quand cela, monsieur ?
– Ce soir même.
– Mais, je ne sais pas. Nulle part. Je rentre chez moi tout à l’heure.
– Écoutez, fit M. Person, qui parlait de plus en plus bas, je m’en vais vous dire : je ne suis pas superstitieux, loin de là, mais enfin ces histoires de spectre… Je suis comme tout le monde. Et puis, je n’hésite pas à vous le dire, j’ai précisément de l’argent sur moi, beaucoup d’argent. Peut-être une vingtaine de mille francs. Alors vous comprenez, comme le dernier tramway est parti, il va falloir que je rentre à pied. Que je traverse le pont Caulaincourt, et franchement, je l’avoue sans fausse honte, cela m’inquiète, m’ennuie. Eh bien, ne pourriez-vous pas, pour me faire essayer votre voiture, me conduire de l’autre côté du pont ? Cela ne vous détournerait pas beaucoup avec une auto, c’est l’affaire de deux minutes.
– Si ce n’est que cela, monsieur, la chose est bien facile, et je serai enchanté de vous rendre ce service. Un autre bock ?
– Oui, répliqua M. Person, je veux bien, mais c’est moi qui paie. J’y tiens absolument.
Une demi-heure plus tard, ils quittaient le café. L’automobiliste fit monter l’entrepreneur dans sa voiture, mit celle-ci en route, puis vint s’installer au volant, à côté de son nouvel ami.
Le véhicule démarra doucement :
– C’est une belle machine, déclara l’automobiliste, au moment où, passant devant l’Hippodrome, le véhicule s’engageait sur le pont Caulaincourt. Voyez, sans élan, nous montons en troisième vitesse. La conduite est très simple, on n’a absolument à s’occuper que de la manette des gaz. J’ajoute que l’un des gros avantages de la prise directe…
M. Person l’avait interrompu d’un cri :
– Ah, mon Dieu, que faites-vous ? Qu’est-ce que c’est ? Où allons-nous ?
Brusquement le véhicule obliquait, et les voyageurs subissaient le contrecoup d’un choc déterminé par la roue qui montait sur le trottoir. Person avait une extraordinaire vision : il lui sembla soudain qu’entre lui et le pilote de la voiture, venait de se dresser un troisième personnage, un être au visage blafard, aux yeux ternes, un homme en habit, puis soudain l’entrepreneur de travaux poussait un nouveau cri, un cri de douleur cette fois. Quelque chose l’aveuglait, lui brûlait les yeux.
Puis ce fut un grand choc qui ébranla le véhicule, des éclats de vitres jaillirent de toutes parts. Person gémit, puis s’écroula.
***
– Où suis-je. Qu’est-ce qu’il y a ? que m’est-il arrivé ?
Le vieil entrepreneur ouvrit les yeux, demeura interdit.
Il était étendu par terre. Il avait froid. Machinalement il porta la main à la poitrine, s’aperçut que celle-ci était découverte. On avait déboutonné ses vêtements, défait son col et sa cravate. Autour de lui se pressait une foule aux yeux exorbités. Quelqu’un qui le soutenait sous l’épaule l’interrogea :
– Vous vous sentez-vous mieux ?
Person se relevait péniblement.
– Merci : je vais mieux, en effet. Mais que m’est-il arrivé ?
Il se redressait à peine qu’il poussait un cri, en apercevant, non loin de lui, la voiture automobile dans laquelle il était monté avec un personnage rencontré chez Walter. La voiture avait été donner de l’avant contre le parapet du pont, elle était penchée sur le côté, en piètre état.
Un homme s’approcha, écartant autoritairement la foule, il était suivi de deux agents de police, il s’adressa à Person :
– Monsieur, fit-il, je suis inspecteur de la Sûreté. Cette voiture vous appartient-elle ?
– Mais non, répliqua l’entrepreneur, je suis monté dedans tout à l’heure avec son propriétaire ; nous avons eu sans doute un accident et puis j’ai perdu connaissance, je ne sais pas ce qui s’est passé.
Le policier qui interrogeait M. Person n’était autre que Léon, l’inspecteur de la Sûreté qui faisait équipe avec Michel et ce soir-là le remplaçait dans la surveillance quotidienne du pont Caulaincourt.
Léon, un excellent homme, ancien subordonné de Juve, portait sur son visage la trace indélébile de la cruauté de Fantômas : Léon en effet était borgne. Quelques mois auparavant, il avait perdu un œil dans un effroyable accident dont la cause avait été déterminée par le Roi du Crime.
– Il m’a semblé, dit l’entrepreneur, qu’à un moment donné, j’ai vu tout d’un coup surgir le fantôme dans la voiture.
Tandis que certains agents recherchaient le propriétaire de l’automobile qui avait disparu, l’un d’eux qui fouillait le véhicule poussait un cri :
– Non, ce n’est pas possible.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
L’agent sortit de l’intérieur de la voiture, il tenait des vêtements, des vêtements noirs, fins et souples, et un plastron blanc.
– Encore, grogna Léon.
Il s’approchait de l’agent, mais il s’arrêta court. Derrière lui, un gémissement venait de retentir, qui s’était échappé des lèvres de M. Person.
– Volé, murmurait Person, volé, je n’ai plus mon portefeuille. Disparu.
– Qu’est-ce que vous dites ?
– Oui, monsieur, j’ai été odieusement dépouillé. Figurez-vous que j’avais vingt mille francs en billets de banque. Ils ont disparu. Ah, mon Dieu, ah, mon Dieu !
***
– Enfin, mon cher Juve, y comprenez-vous quelque chose ?
– Rien, dit Juve.
Le policier se trouvait au Palais de Justice, dans le cabinet du juge d’instruction qui avait remplacé l’infortuné Mourier, mystérieusement assassiné quarante-huit heures plus tôt.
Or, le magistrat qui avait pris la suite du défunt n’était autre que M. Fuselier, juge habile et documenté, qui, à maintes reprises, avait eu à intervenir dans des procès, dans des enquêtes auxquelles Juve était mêlé, et non pas Juve tout seul, mais encore et aussi Fandor, enfin et surtout, Fantômas.
– Non, mon cher monsieur Fuselier, j’avoue que les mystères se multiplient autour de nous. Ils sont tragiques. Et ils restent incompréhensibles. Je n’y comprends rien.
– Hélas, fit Fuselier, c’est à peu près comme moi. Ce pauvre Mourier a laissé des affaires embrouillées, dossiers mal tenus, enquêtes en désordre. Il était de la vieille école et ne procédait point dans ses instructions avec la méticuleuse méthode de la jeune génération.
« Écoutez, reprit Fuselier, vous êtes, mon cher ami, le seul inspecteur de la Sûreté en qui j’aie confiance et sur lequel je puisse compter. Nous avons, non seulement des relations l’un et l’autre qui remontent à pas mal d’années, mais encore une intimité, une camaraderie, qui me permettent, m’adressant à vous, de solliciter bien plus le concours d’un ami que l’appui d’un collaborateur.
– Exact. Mais où voulez-vous en venir ?
– À ceci, fit Fuselier : la Sûreté générale, les inspecteurs ordinaires, M. Havard lui-même, sont des gens que je tiens pour parfaitement incapables de nous sortir de cet imbroglio. Il faut que nous marchions ensemble Juve. Vous allez avec moi vous occuper de toutes les instructions dont je suis chargé. L’affaire de la Maison d’Or, vous savez bien ce vol à l’esbroufe [12] qui a été commis avec une audace sans pareille. L’histoire également de ce malheureux homme auquel on a coupé les oreilles, victime encore de Fantômas, assurément. Enfin, Juve, il faut tirer au clair la séquestration dont vous avez été victime et aussi il est indispensable que nous venions à bout de cette ahurissante affaire du spectre de la rue Caulaincourt, qui non seulement terrifie, assassine, mais vole encore !
– Hélas, murmura Juve, je ne puis vous promettre mon concours pour le moment. Il est une chose qui prime tout pour moi, c’est Fandor. Où est-il ? Qu’est-il devenu ? Où pourrais-je le retrouver ? Là pour moi est le principal problème et j’éprouve à son égard de telles appréhensions que je me sens incapable de m’occuper d’autre chose.
– Je vous en prie, Juve, cela ne vous empêcherait pas de rechercher Fandor, tout en enquêtant pour mon compte.
Le magistrat s’arrêta, on venait de frapper à sa porte :
– Qu’est-ce que c’est ?
Un jeune attaché du Parquet se présenta :
– Monsieur le juge, fit-il, c’est de la part du procureur général. Une plainte qu’on vient de lui adresser et qui peut avoir un intérêt pour les affaires que vous instruisez.
L’attaché du Parquet se retira après avoir remis une lettre au magistrat. Celui-ci la lut rapidement, puis la déposa sur un coin de son bureau.
– Est-il indiscret de vous demander… ?
– Mais non, fit Fuselier, seulement la chose n’a qu’une importance médiocre, c’est l’infant d’Espagne, don Eugenio qui se plaint qu’on lui a volé sa voiture. Je me demande quel rapport cela peut avoir avec les affaires dont je suis chargé. Mon cabinet n’est pas le bureau des objets perdus.
Mais Juve qui s’était penché par-dessus l’épaule du magistrat pour lire le document qu’il avait reçu poussa une exclamation :
– Mais sa voiture, c’est le n° 67.921.
– Peut-être. C’est bien cela, en effet.
– Mais savez-vous, monsieur Fuselier, que c’est la voiture retrouvée cette nuit au pont Caulaincourt ? La voiture dans lequel était ce nommé Person, l’entrepreneur de maçonnerie qui, après avoir raconté à un inconnu trouvé au café qu’il avait vingt mille francs sur lui, a été dépouillé.
Juve mit son chapeau, prit congé :
– Eh bien, déclara-t-il, en s’en allant, je change d’avis. Fuselier, comptez sur moi pour m’occuper de toutes ces affaires.
Puis le policier, à toute allure, descendit l’escalier de l’instruction, quitta le Palais de Justice, sauta dans un taxi-auto.
***
– J’ai de la chance, murmurait Juve.
Et le policier, sans s’asseoir, comme l’avait invité à le faire un vieux domestique en livrée, allait et venait dans un salon richement meublé, mais dont les meubles couverts de housses pour la plupart tendaient à prouver que la pièce était rarement habitée.
Juve, en quittant Fuselier, s’était fait conduire directement rue Erlanger. Il n’espérait guère rencontrer l’infant d’Espagne, mais avait eu la chance d’apprendre que Son Altesse Royale ne demandait pas mieux que de le recevoir.
Quelques instants plus tard, don Eugenio rejoignait le policier :
– Monseigneur, déclara Juve, en s’inclinant respectueusement, je vous suis adressé par la Préfecture de Police au sujet de la plainte que vous avez portée. On vous a volé votre voiture automobile ?
– En effet, monsieur, répliqua l’infant, qui raconta en détail à Juve les conditions dans lesquelles la porte de sa remise avait été fracturée, puis comment la voiture avait disparu.
Et Juve, à son tour, dit à l’infant d’Espagne les incidents survenus la veille au soir.
Or, tandis qu’il parlait, l’infant était très pâle. Il se troubla tout à fait, lorsque Juve lui déclara :
– Ce qu’il y a de curieux, monseigneur, c’est que, à quelques exceptions près, les manifestations de ce fantôme extraordinaire se produisent toujours dans le voisinage immédiat du caveau de la famille de Gandia. Pourriez-vous en conclure quelque chose ?
– Non, balbutia l’infant.
Juve, après une minute d’hésitation, interrogea encore :
– Permettez-moi, monseigneur, puisque j’ai l’honneur de vous rencontrer, de vous demander de préciser certains détails de votre existence.
– Parlez.
– Voilà, fit Juve. On s’est étonné, à Paris de l’existence de Mlle Mercédès de Gandia, existence que l’on a connue surtout le jour de son décès.
– Ma nièce, observa l’infant, vivait très retirée. Son père était mort, il y a de cela six mois à peine, et ni l’un ni l’autre n’avaient jusqu’alors habité Paris, c’est pour cela que Mercédès était peu connue de mon entourage parisien.
Juve poursuivit :
– Permettez-moi, monseigneur, une question plus délicate. Vous êtes célibataire, n’est-il pas vrai ?
– Oui, monsieur.
– Dès lors, monseigneur, comme tout célibataire j’imagine que vous avez des relations féminines. Des aventures galantes, parfois, et des personnes un peu de tous les mondes ?
L’infant rougit, esquissa un sourire.
– Mon Dieu, monsieur, évidemment, mais je ne comprends pas ?
– Est-il vrai, monseigneur, qu’il y a deux mois environ, vous avez cherché à enlever, étant à Biarritz, une femme, une femme mariée, connue sous le nom de Delphine Fargeaux ?
L’infant baissa la tête. Fort gêné, mais sincère, il se mit en mesure de répondre :
– Vous êtes bien renseigné, monsieur. Il y a beaucoup de vrai. Tout au moins dans les intentions. Mais l’affaire n’a pas eu de suite. L’enlèvement ne s’est pas effectué.
– Je le sais, fit Juve, mais n’avez-vous pas essayé d’enlever en son lieu et place une autre personne ?
– Non, monsieur. Si on a fait courir le bruit que j’avais enlevé une autre femme, c’est là une accusation fausse.
– Je n’insiste pas, déclara Juve, qui s’inclina.
De son côté, l’infant n’insista pas pour retenir le policier et le reconduisit avec empressement. Sur le seuil de la porte, Juve, cependant, s’arrêta :
– Permettez-moi, fit-il, encore une question.
– Parlez, monsieur.
– Par le fait du décès de Mlle Mercédès de Gandia, vous héritez, n’est-il pas vrai, de son immense fortune ?
L’infant d’Espagne eut un sursaut. Il toisa le policier.
– Monsieur, pourquoi cette question ?
– C’est un simple renseignement, monseigneur, que je sollicite de votre obligeance.
– Dans ce cas, fit-il, je veux bien vous répondre. Il est exact, en effet, que j’hérite de ma nièce.
Juve s’inclina :
– Merci, monseigneur.
Cette fois, il s’en alla pour de bon. L’Altesse royale le reconduisit jusqu’à l’entrée du jardin.
– Adieu, monsieur, déclara don Eugenio, qui semblait fort satisfait de voir enfin se terminer cet entretien.
– Au revoir, monseigneur. Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir.