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Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)
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Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Quelqu’un avait avancé :

– Mais cette aventure-là, c’est du Fantômas tout pur.

Et l’auditoire approuvait, hochait la tête, puis, insensiblement, on en vint à rappeler les derniers exploits connus du bandit, les plus récentes aventures attribuées au Maître du Crime.

Puis, il se trouvait de nombreuses personnes pour parler du spectre du pont Caulaincourt. Stolberg, ironiquement, se penchait à l’oreille de Mourier :

– C’est votre affaire, cette histoire-là, mon cher ami.

– Oui, mais je ne sais d’ailleurs rien de précis, je ne me suis pas encore formé d’opinion.

Stolberg insistait :

– Je parie, mon cher, que vous n’êtes même pas allé sur les lieux vous rendre compte de leur disposition.

– Ma foi, ce que vous dites est exact.

En bon magistrat consciencieux qu’il était, il ajouta :

– Et peut-être ai-je eu tort ?

Stolberg s’esclaffait.

– Voilà bien la magistrature, déclara-t-il, ces beaux messieurs qui rendent justice, s’imaginent, comme les potentats d’autrefois, qu’ils savent toujours tout sans avoir jamais rien appris.

– Eh bien, Stolberg, je ne suis pas de ceux-là, moi ; bien au contraire, je suis tout prêt à me rendre sur ce pont Caulaincourt et à l’examiner dans tous ses détails.

– Vraiment ? Et quand cela ?

– Tout de suite, fit Mourier.

– Ma foi, si vous y allez, je vous accompagne.

Les deux hommes se levèrent. Avec l’argent de son mécanicien, Stolberg régla la dépense. Mourier et son compagnon montèrent dans l’automobile du riche banquier.

– Arrêtez-vous, dit le baron, à l’entrée du pont Caulaincourt.

Au bout de quelques secondes, l’automobile stoppa, mais, en cours de route, Stolberg avait évidemment changé d’avis car, au lieu de descendre, il retint Mourier :

– C’est une blague, n’est-ce pas ? nous n’y allons pas ? Je vous ramène chez vous ?

Mais le juge s’était entêté :

– Pas le moins du monde, fit-il, j’y vais.

– Dans ce cas, déclara Stolberg, vous irez seul, moi, je l’avoue, je n’ose pas. Me promener sur ce pont désert à une heure aussi tardive ne me dit rien du tout.

Mais Mourier était déjà hors de la voiture, il en referma la portière.

– À votre aise, déclara-t-il, moi je n’ai pas peur et j’y vais seul.

Le magistrat, sans se préoccuper le moins du monde de savoir ce que faisait son ami, s’avança lentement, grimpait la pente douce qui l’amenait à l’entrée du pont Caulaincourt. Le magistrat, instinctivement, releva le col de son pardessus puis, le chapeau en arrière et les mains frileusement enfoncées dans ses poches, il s’avança, faisant résonner ses talons sur le trottoir sec. Mais le pont Caulaincourt était désert, la lueur blafarde des réverbères l’éclairait par endroit de taches lumineuses aux teintes jaunâtres. Au ciel, brillaient quelques étoiles, cependant qu’en dessous c’était le cimetière endormi, le vaste champ de repos plongé dans le noir. Mourier, machinalement, éprouvait une impression de solitude et d’angoisse contre laquelle il luttait :

– Je n’ai pas peur, se répétait-il, je n’ai pas peur, et cependant c’est sinistre.

C’était là une idée, un pur fait de l’imagination, car, pour n’être pas un décor riant, le pont Caulaincourt ne présentait rien de particulièrement effrayant. Mourier s’achemina, marchant au milieu de la chaussée, parvint à l’autre extrémité du pont, au carrefour de la rue de Maistre, sans avoir été troublé par le moindre incident.

Arrivé au terme de ce voyage, le juge respira longuement, profondément, avec la satisfaction d’un homme qui a l’impression d’avoir échappé à quelque danger.

Le magistrat, un instant, se demanda s’il allait revenir par le même itinéraire – et c’était assurément son chemin le plus direct pour regagner son domicile –, ou si, au contraire, il ferait un crochet et passerait par la rue Lepic pour descendre à la place Blanche.

– C’est à peu près la même distance, se dit-il.

Mourier eut honte de son hésitation :

– Je veux me persuader cela, dit-il, simplement parce que j’ai peur. Non, non, il ne m’est rien arrivé et il ne m’arrivera rien. Je vais redescendre le pont.

Et le magistrat, courageusement, donna suite à son projet. Sur le large passage surplombant le cimetière, c’était le même silence, la même absence de passants.

Mourier refit le chemin qu’il avait parcouru quelques instants auparavant. Il était aux deux tiers environ du parcours, se rapprochait de l’hippodrome et déjà voyait se profiler au lointain, au bas de la rue, quelques silhouettes humaines dont la vue lui semblait très réconfortante, lorsque le magistrat crut entendre appeler. Il tressaillit, s’arrêta. Il n’y avait pas de doute, une voix venait de proférer :

– Mourier.

Le juge devint blême, sentit que ses jambes se dérobaient sous lui. Mais, faisant effort cependant et s’imaginant que c’était peut-être là une plaisanterie de Stolberg, il affermit sa voix pour répondre :

– Qui m’appelle ? qui va là ?

Autour de lui, il n’y avait personne. Le magistrat acquérait la certitude qu’il était bien le seul être humain sur le pont. Et, cependant, il entendit encore :

– Mourier, Mourier !

Instinctivement, il fit deux ou trois pas dans la direction de l’appel. Celui-ci semblait provenir de sous terre, c’était évident qu’il ne pouvait venir d’un autre endroit, car il n’y avait personne, absolument personne autour de Mourier. De plus en plus perplexe, commençant à être même horriblement inquiet, le juge, d’une voix tremblante qu’il s’efforçait d’affermir, mais en vain, articula :

– Qui m’appelle ? est-ce que ?

Il n’acheva pas. Une détonation venait de retentir, et l’infortuné magistrat s’abattit comme une masse.

***

– Eh là, vous autres, les agents, ouste !

– Voilà, monsieur l’inspecteur.

– Avez-vous entendu ?

– Oui, un coup de feu. Sur le pont, sans doute ?

– Allons-y vivement.

En l’espace de quelques secondes, dans le petit escalier qui fait communiquer l’avenue Rachel et l’entrée du cimetière avec le pont Caulaincourt, quatre hommes bondirent, deux sergents de ville en uniforme, deux personnages en bourgeois, dont l’un n’était autre que Michel, le jeune et actif inspecteur de la Sûreté.

Sur le sol, en travers de la chaussée, gisait un homme ensanglanté, immobile. Michel s’agenouilla auprès de lui et poussa un cri de stupéfaction.

– M. Mourier, s’écria-t-il, c’est M. Mourier, le juge d’instruction ! Ah, mon Dieu, quel malheur !

Instinctivement, le policier arrachait le vêtement du juge, palpait la poitrine de la paume de sa main pour s’efforcer de percevoir les battements du cœur.

– Il est mort.

Cependant, l’un des agents, tirant une lanterne de poche, éclairait le cadavre. Les hommes eurent un soubresaut. Sous le menton de Mourier s’ouvrait une plaie béante, sanguinolente, la trace d’une balle évidemment. Michel regarda la tête de la victime et s’apercevait que le crâne, à son sommet, avait été fracassé. Habitué aux expertises de ce genre, il déclarait aussitôt :

– Il a été tué par une balle tirée de bas en haut.

– Circulez, circulez ! ordonnaient les agents.

Mais personne ne bougeait et, au surplus, parmi la foule, les sergents de ville reconnaissaient un nombre considérable de leurs collègues en bourgeois.

– La balle a été tirée de bas en haut, se répétait Michel. Mais comment cela se peut-il ?

Le policier fit faire le vide autour du corps et chercha à préciser l’endroit exact d’où la victime avait été frappée. Il retrouva sur le sol, dans la poussière humide, la trace des chaussures de Mourier, puis, tout à côté, celle d’une glissade, celle qu’avait faite le magistrat en tombant. Or, il apparaissait dès lors à Michel que le juge avait été frappé au moment précis où il se trouvait pour ainsi dire placé debout sur l’un des rails du tramway et, sans espoir d’ailleurs de perfectionner son instruction, son édification, Michel, de la main, palpait ce rail, lorsque soudain il poussa un cri de surprise. Son doigt venait de rencontrer dans le creux même du rail, un orifice, un trou large de quatre centimètres environ et affectant une forme ronde.

– Ah sacrédié, s’écria-t-il, voilà qui n’est pas ordinaire !

Mais soudain son esprit s’éclairait.

– Parbleu, fit l’inspecteur de la Sûreté, c’est simple comme bonjour. Le coup de revolver a été tiré d’en dessous, et c’est pour cela que la balle a frappé Mourier de bas en haut.

– Pardon, chef, interrompit un agent qui venait d’entendre le raisonnement que formulait à mi-voix l’inspecteur, mais nous étions, nous, sous le pont, et nous n’avons rien vu.

– Animal ! s’écria Michel, mais comprenez donc que le pont a une épaisseur et que même il doit être très facile de s’intercaler entre ce qui constitue la chaussée et la voûte intérieure du pont. C’est comme qui dirait un plancher et un plafond entre lesquels il y a toujours du vide.

Michel, d’ailleurs, laissant la garde du cadavre à deux sergents de ville, descendit avec cet agent au cimetière. Le gardien, une fois de plus, était réveillé. Le malheureux homme ne comprenait rien à ce qui se passait, et parlait de donner sa démission. D’un ton bourru, Michel lui avait dit :

– Apportez-moi une échelle.

Et rapidement servi, l’inspecteur de police se hissa à la hauteur des grandes fermes intérieures du pont. Il s’introduisit entre les X de fer et parvint, en effet, comme il l’avait supposé, à une sorte d’entrepont dans lequel on pouvait circuler à l’aise, à condition de s’y tenir courbé, mais avec la certitude de n’être vu ni des gens du dessus, ni de ceux qui passent au-dessous. Michel poussa un cri de triomphe :

– Parbleu, j’avais bien deviné, fit-il.

Il se fit donner une lampe électrique, projeta un faisceau lumineux à l’intérieur de cette mystérieuse cachette et découvrit d’abord, sans difficulté, le trou effectué dans le rail.

Oui, sa conviction s’affirmait de plus en plus ; c’était de l’intérieur du pont que le meurtrier avait tiré et que sa balle avait fracassé la tête du malheureux juge, entrant par-dessous le menton avant de ressortir par le crâne. Mais qui avait tiré ?

Michel ne se posait pas la question qu’une nouvelle surprise le clouait sur place. Ses pieds venaient de s’embarrasser dans quelque chose dont il s’empara aussitôt. Or, très pâle, Michel désormais, regarda ce qu’il venait de ramasser : des vêtements noirs, d’une finesse et d’une souplesse extrêmes. Michel ne les voyait pas pour la première fois. Il les avait déjà trouvés semblables en d’autres points du cimetière, abandonnés là ou mis en ces divers lieux comme un défi.

– Les vêtements du fantôme, déclara-t-il.

À ce moment, de violentes clameurs retentirent au-dessus de sa tête :

Sur la chaussée, les agents s’étaient mis à courir. Ils poursuivaient un homme qu’ils avaient vu rôder depuis quelques instants avec une insistance toute particulière, à côté du cadavre du magistrat. Et ils avaient noté que cet homme présentait une bizarrerie véritablement surprenante : il n’avait pas d’oreilles.

– Qui êtes-vous ? que voulez-vous ? faisait-il.

L’homme sans oreilles n’avait pas répondu mais s’était éloigné d’un pas. Deux agents énervés, agacés par le mystère qui les entourait, avaient fait mine de le suivre. Ils l’interpellèrent à nouveau :

– Eh, là-bas, l’homme, écoutez donc.

Mais, à ce moment, l’individu s’était mis à fuir. On s’élança derrière-lui. L’homme sans oreilles fuyait avec rapidité dans la nuit.

15 – LE SOMMEIL DE JUVE

Poursuivi par une foule de plus en plus furieuse, poursuivi par une dizaine d’agents que l’extraordinaire apparition du spectre avaient attirés sur le pont Caulaincourt, Backefelder fuyait aussi vite qu’il lui était possible, perdant la tête et s’affolant au point d’oublier que, n’ayant rien à se reprocher, il n’avait après tout rien à redouter si d’aventure il tombait entre les mains de la police.

Backefelder traqué, et n’ayant guère l’habitude des fuites, se comportait avec une maladresse déplorable. À peine s’était-il éloigné du pont Caulaincourt qu’il avait pris au hasard la première rue rencontrée sur la droite et il ne songeait même pas à compliquer sa piste en tournant, en revenant par les autres petites rues, pour regagner au moins les boulevards où, dans la foule, il eût pu espérer se perdre avec facilité.

Backefelder remontait donc la rue des Abbesses, au grand galop :

– Arrêtez-le ! arrêtez-le !

Phénomène curieux mais certain : un homme poursuivi s’essouffle toujours plus rapidement que ses poursuivants. Ceux-ci n’ont, en effet, qu’à s’occuper de courir, tandis que le fuyard, au contraire, doit choisir son itinéraire et redouter perpétuellement un accident venant entraver sa course.

 L’expérience, une fois de plus, confirmait la réalité de cette remarque. Backefelder, après avoir couru comme un fou jusqu’à la hauteur de la rue Ravignan, commençait à se demander s’il pourrait fuir longtemps encore. Rassemblant toute son énergie, il fonça droit pendant quelques mètres, parvint jusqu’à la place des Abbesses et là, se retourna anxieux : ceux qui le poursuivaient étaient à moins de cent mètres.

– Je vais être pris, murmura Backefelder.

Il fit un brusque crochet, tourna devant le Bureau de Poste, se précipita encore par la rue Antoinette.

Il ne pouvait plus aller bien loin. Au moment où il arrivait à la hauteur de la rue Dancourt, Backefelder suffoqua, pris d’un point de côté qui lui coupait le souffle. Le malheureux Américain s’arrêta. Force lui fut de s’appuyer contre la vitrine d’un épicier, de souffler un peu. Et, naturellement, en moins de quelques secondes, les agents et la foule arrivaient, vingt poings se tendirent à la fois vers lui, on le saisit, on le bouscula, on l’assomma à moitié.

Backefelder n’avait pas encore eu le temps de se reconnaître, de protester de son innocence, que les agents, heureux et fiers d’avoir enfin appréhendé quelqu’un, l’entraînaient avec brutalité.

– Allez, au poste.

Ils marchaient par quatre, deux sur chaque côté de la rue, un homme devant, un homme derrière, et la foule, assoiffée de vengeance, supposant que Backefelder était pour quelque chose dans le terrible drame qui venait de se dérouler au pont Caulaincourt, s’acharnait sur lui, lui envoyant coups de poing après coups de poing, coups de pied après coups de pied.

On le brutalisa même tellement que Backefelder arriva en très piteux état au poste, pourtant voisin, de la place Dancourt, à côté du Théâtre Montmartre. Il saignait du nez, il était écorché, étourdi. Or, il avait à peine fait son apparition dans la salle de garde, que les agents furieux, eux aussi, commencèrent à le soumettre à un « passage à tabac » en règle.

Le malheureux Backefelder voulu résister, car on ne lui avait pas mis les menottes, et à rendre horion pour horion, lorsque, par bonheur, le brigadier chargé du service de la nuit, intervint. Ayant la responsabilité de ses hommes, et craignant avant tout les histoires, il n’aimait pas les « passages à tabac ».

– Assez ! ordonna-t-il.

Et immédiatement, il se mit à interroger Backefelder.

– Ah çà, mon gaillard, déclara-t-il d’un air suprêmement méprisant, c’est vous qui vous amusez à faire le fantôme ? C’est vous qui assassinez les gens en sortant du cimetière ? Bon. Votre affaire est claire. D’abord, pourquoi n’avez-vous pas d’oreilles ?

Cette remarque suscita un nouveau tollé, de nouveaux hurlements dans le poste.

– Il n’a pas d’oreilles ! criaient les agents. Ah si c’est pas honteux !

– Il n’a pas d’oreilles, déclara un vague journaliste entré dans la salle de garde à la faveur du tumulte. Parbleu, voilà bien la preuve que c’est lui le fantôme.

Le jeune homme qui venait de parler eût peut-être été très embarrassé d’expliquer pourquoi le fait de n’avoir point d’oreilles prouvait que Backefelder était un spectre, mais la remarque, si stupide fut-elle, plaisait aux braves gardiens de la paix. Nulle voix ne s’élevait pour défendre Backefelder. L’Américain, pourtant, avait repris haleine et commençait à se remettre :

– Mais, nom d’un chien, cria-t-il à son tour, sortant brusquement de son mutisme, je n’ai pas d’oreilles parce que ça me plaît, et ça ne regarde personne. D’abord je ne suis pas un fantôme. Je suis un innocent. Je n’ai rien fait. Et quand vous m’avez arrêté, je me rendais à la Préfecture de Police pour donner des renseignements. Pour sauver l’inspecteur Juve, qui se trouve en grand danger.

– Alors, pourquoi vous êtes-vous sauvé ?

– Parce que j’ai eu peur, comme les autres, du fantôme du pont Caulaincourt.

Une explication confuse d’abord, plus précise ensuite, compléta la défense de Backefelder. Le malheureux milliardaire expliquait en détail comment il s’était évadé du Château Noir, grâce à l’aide de Juve, comment il était rentré à Paris, comment encore il avait cherché Fantômas qu’il croyait à Paris, d’après les indications de la Recuerda, comment, ne l’ayant pas trouvé, au moment même où on l’arrêtait, lui, Backefelder, sur le pont Caulaincourt, il décidait pour en finir, de se rendre à la Préfecture.

Backefelder, pour mieux convaincre les agents, tira de sa poche toute une série de documents, de pièces d’identité, se démena si bien qu’en fin de compte, perplexe, le brigadier du poste de police, à demi convaincu par ses dires, s’offrit à l’accompagner à la Préfecture de Police.

– Si Juve est en danger, déclara gravement le brigadier, il faut aller tout de suite à son secours.

***

Deux heures plus tard, en effet, Backefelder, après avoir longuement entretenu M. Havard, montait dans une superbe automobile en compagnie de Léon et de Michel, à destination de Chevreuse.

– Sauvez Juve, avait dit M. Havard.

– Soyez tranquille, chef, on le sauvera.

La petite expédition de secours, confiée par M. Havard à Backefelder, qui devait servir de guide, et à Michel, qui devait prendre l’initiative des opérations, comportait encore six agents. On allait en force au Château Noir et certes, il semblait bien, dès lors, que Juve allait être sauvé.

Or, comme au petit matin l’automobile stoppait devant la mystérieuse propriété, Backefelder multipliait les précautions. Il exigeait impérieusement, instruit de la nécessité des choses par l’aventure de Juve, que lui-même et les six agents s’attachassent entre eux, au moyen d’une longue corde, à l’exemple des alpinistes.

– Il y a des pièges partout, criait-il, il ne faut pas que l’un de nous tombe. Il faut que nous puissions passer et passer vite. Je crois qu’une fois à l’intérieur du château, nous ne courrons pas grand risque, tandis que tant que nous serons dans le parc, nous risquons de tomber dans un précipice.

On avança en silence. Avec précaution. Mais le plus rapidement possible. Il y eut des chutes nombreuses dans les trappes multipliées tout autour du Château Noir pour en défendre l’approche, mais grâce à la corde de Backefelder, sans conséquence.

– Attention, dit Michel, alors que tous arrivaient sur le perron du Château Noir. Maintenant, il convient de nous détacher et de monter le plus vite possible jusqu’à la chambre qui a servi de prison à Juve. De là, nous pourrons le sortir de la cage de l’ascenseur et alors, alors seulement, nous nous occuperons de Fantômas.

Ce n’était pas mal raisonné, et cependant la manœuvre ne devait donner aucun résultat. À peine les policiers avaient-ils, en effet, escaladé l’escalier de marbre qui conduisait en haut de la tour, sous la conduite de Backefelder, à peine étaient-ils entrés dans la chambrette où Juve avait pensé mourir, que Backefelder, comme un furieux, sautait à l’ouverture creusée par Juve, s’y penchait, criant de toute son âme :

– Voilà du secours. On arrive !

Mais, en même temps, Backefelder se rejetait en arrière, terrifié, en balbutiant :

– Juve n’est plus là.

Et c’était, hélas, la sinistre vérité. Sur le plateau de l’ascenseur, il n’y avait plus personne, Juve ne se trouvait plus dans la prison où Backefelder l’avait laissé.

– Fouillons le château ! hurla Michel, si Juve n’est plus là, c’est qu’on l’a emporté ailleurs ! Que diable, il faudra bien que nous le découvrions, là où il est.

***

Deux jours auparavant, Backefelder s’était à peine enfui du Château Noir, grâce au dévouement de Juve, que celui-ci, demeuré sur le plateau de l’ascenseur, avait comme à son ordinaire réfléchi le plus sereinement du monde.

– Voyons, s’était dit le policier, quelques instants après être descendu le long du câble de l’ascenseur au moyen d’une périlleuse glissade, voyons, ai-je amélioré ma situation, ou l’ai-je empirée ? Vais-je mourir un peu plus vite, ou un peu plus lentement ?

Juve, à cet instant, pensait bien que Backefelder s’occuperait de rassembler des secours et de venir le tirer de sa fâcheuse situation. Mais Juve, en même temps, songeait que Backefelder, n’était peut-être pas très habile, qu’il pouvait fort bien retomber sous la main de Fantômas, qu’en tout cas, l’arrivée des secours demanderait un certain temps et que le mieux était encore pour lui de tâcher de se tirer d’affaire tout seul.

Juve examina la nouvelle prison dans laquelle il venait de descendre :

– Fâcheux local.

Au-dessus de lui, la cage de l’ascenseur se dressait, haute, étroite, sans fenêtre, sans jour d’aucune sorte. Juve n’y voyait qu’une ouverture, celle qu’il avait creusée dans le mur et qui communiquait avec la chambre où, le matin encore, il était prisonnier.

– S’en aller par en haut, songeait Juve, c’est rigoureusement impossible. Rien à tenter de ce côté-là.

Il n’apparaissait pas qu’il pût être beaucoup plus aisé de s’en aller par en bas.

– Maudit ascenseur, gronda Juve, si seulement je pouvais le faire baisser de deux ou trois mètres, j’arriverais au niveau de la fenêtre et je ficherais le camp, tout comme Backefelder.

Mais, précisément, c’était là chose impossible. En s’accrochant aux câbles, alors que Backefelder était sur la plate-forme, Juve avait obtenu que l’ascenseur descendît. Maintenant que Backefelder était parti, automatiquement l’appareil avait remonté. Rien ne pouvait plus le faire descendre.

– Pas commode, le problème, constatait Juve, et, d’autre part, si jamais Fantômas vient me visiter dans ma prison là-haut, comme il apercevra le trou creusé dans le mur, je peux être certain qu’il s’y penchera, qu’il m’apercevra et qu’il terminera mes aventures d’un fâcheux coup de revolver.

Quand Juve, soudain, eut une inspiration :

– Mais, je suis le dernier des imbéciles ! s’écria-t-il, je n’ai qu’à…

Sans plus attendre, il empoigna le câble qui soutenait l’ascenseur, et, lestement, sans s’occuper des écorchures qui lui meurtrissaient douloureusement les mains, il se hissait vers la chambre qu’il avait occupée précédemment. Si Juve avait pu, de l’ouverture creusée dans le mur, sauter sur le câble, il lui était, en revanche, absolument impossible de sauter du câble à cette ouverture. Il ne pouvait pas prendre d’élan, il n’aurait rien trouvé à quoi s’agripper.

Qu’allait donc faire Juve ?

Parvenu à la hauteur de la petite ouverture, le policier en déchirant autant qu’il le pouvait, son veston pour en former une corde, le jetait vers le trou creusé dans le mur. Il recommença plusieurs fois cette manœuvre, puis enfin, réussit à accrocher son habit à une anfractuosité de la muraille. Juve, alors, à petites saccades, lentement, tira sur son veston. Et c’était quelque chose de fort ingénieux vraiment que Juve avait imaginé là.

Le policier s’était brusquement rappelé qu’au moment où il creusait le trou qui devait lui permettre d’entrer en communication avec Backefelder, il avait à moitié ébranlé un énorme moellon.

– Si je peux renverser ce moellon sur l’ascenseur, s’était dit Juve, le poids de la pierre le fera peut-être baisser un peu.

Juve, longtemps, précautionneusement, tira sur son veston qui lui avait tout simplement servi de grappin. Or, il arrivait, grâce à une chance inouïe, à obtenir le résultat qu’il désirait. D’abord, il vit que la pierre bougeait un tout petit peu, puis elle se désencastra, puis elle oscilla véritablement. Juve tira un coup sec. La pierre tomba.

Malheureusement, Juve n’avait pas prévu que la pierre était beaucoup plus lourde qu’il ne le semblait au premier abord. Avec stupeur, il s’aperçut que, dégringolant de haut, elle rebondit plusieurs fois puis, défonçant la plate-forme, elle passa au travers pour aller se perdre dans les soubassements.

– Pas de veine, remarqua Juve, le poids de cette pierre aurait pu me sauver et maintenant je n’ai plus rien à jeter, absolument rien.

Il n’y avait pas, en effet, d’autre moellon que Juve pût précipiter. Force était donc au policier de redescendre sur la plate-forme de sa prison.

Juve, pourtant, au moment où il reprenait pied sur l’ascenseur, ne semblait nullement découragé.

– Renseignons-nous, murmura-t-il, il faut toujours se renseigner quand on le peut. Est-ce que la tour est encore très profonde sous la cabine ? murmurait-il, à quelle hauteur puis-je être arrêté ?

Il ne pouvait pas voir, car, sous lui, l’obscurité était complète.

– Servons-nous d’une sonde.

Juve ramassa les quelques boîtes de conserves vides qu’avait laissées Backefelder. L’une après l’autre, il les jeta dans le vide, et, quelques instants plus tard, Juve se redressait, l’air fort satisfait.

– À en juger par le temps que ces objets mettent à tomber, monologuait le policier, mon ascenseur est arrêté à moins de trois mètres du sol… hé, hé, je n’ai peut-être pas perdu mon temps.

Juve, alors, avec un parfait sang-froid, tira de sa poche son canif et, avec ce mince instrument, patiemment, lentement, entreprit de scier le câble qui soutenait l’appareil.

– Je ne risque pas grand-chose, se disait le policier, si mes calculs sont justes, je vais tomber de trois mètres, je ne me tuerai pas et, si mes calculs sont faux, je me tuerai, précisément, ce qui, ma foi, coupera court à tous mes ennuis.

Juve continua longuement de scier le câble. Il s’agissait d’un gros filin de chanvre qui résistait. Pourtant, il finit par l’entamer, par le scier à moitié et, soudain, au moment où il s’y attendait le moins, la corde céda, l’ascenseur dégringola dans le vide.

Cinq minutes plus tard, Juve était debout, sur la plate-forme à moitié brisée de l’appareil.

– Aucune égratignure, constatait-il, les jambes et les bras intacts. Décidément, j’ai de la veine.

Il s’en persuada bien davantage, lorsque, levant la tête, il aperçut, à moins de deux mètres au-dessus de lui, la bienheureuse petite fenêtre par laquelle Backefelder s’était enfui, par laquelle il allait s’enfuir, à son tour. S’aidant des pieds et des mains, il réussit, profitant des anfractuosités de la muraille, à se hisser jusqu’au niveau de l’ouverture.

La fenêtre donnait sur le parc, qu’elle surplombait un peu, Juve prit son élan une fois encore, sauta.

Il était libre.

Mais à peine Juve était-il libre, à peine s’apprêtait-il à s’enfuir loin du Château Noir, loin de la tombe que Fantômas avait voulu lui assigner, qu’il arrêta brusquement sa fuite, fronçant les sourcils :

– Et puis non, déclarait Juve, je ne ficherai pas le camp comme ça. À coup sûr Fantômas va venir, quand ça ne serait que pour savoir si j’ai glissé un papier sous la porte de ma prison. Je vais l’attendre. Je vais lui sauter à la gorge. Il faut en finir, coûte que coûte.

Juve alors fit le tour du Château Noir suivant, d’aussi près que possible, les murailles avec la crainte continuelle de mettre le pied dans l’une des trappes que Fantômas, il le savait par expérience, avait dû multiplier autour de sa prison. Juve gagna un fourré, alla s’y dissimuler, commença à guetter. Malheureusement, il était une chose que le policier n’avait point prévue : c’est que les forces humaines ont des limites. Juve était épuisé, rompu de fatigue, il n’en eut pas conscience, mais il s’endormit profondément.

***

– Fouillons le château !

Minutieusement, Michel et Léon, accompagnés de Backefelder et des agents, fouillaient jusqu’en ses moindres recoins le sinistre Château Noir. Ils ne trouvaient pas trace de Juve, ils ne trouvaient rien qui les mît sur la piste du policier ou même de Fantômas.

Les larmes aux yeux, désespéré, Michel, après de longues heures de recherches, donnait l’ordre de retraite :

– Fouillons le parc, disait-il. Mais, hélas, je crois bien que nous ne retrouverons plus jamais Juve.

Or, quelques minutes plus tard, avec un ahurissement absolu, Michel lui-même, alors qu’il faisait le tour de la propriété et fouillait les buissons, découvrait qui ? Juve. Endormi.

– Monsieur Backefelder ! Léon ! Par ici. Le voilà !

À peine réveillé, Juve tomba dans les bras de ses amis.

– Oui,  faisait-il,  j’ai  pu m’échapper.  Cela  n’est rien, ce que je regrette, c’est de m’être endormi, ma parole, je suis déshonoré et je ne m’en consolerai jamais, je ne sais même pas combien il y a de temps que je ronfle comme un imbécile. Fantômas est peut-être venu, sans que je le voie.

Backefelder calma Juve :

– Ne vous inquiétez pas de cela, dit l’Américain, vous pouvez être certain que Fantômas n’a point dû se présenter au Château Noir à l’heure actuelle. Fantômas connaît sûrement ma propre évasion. Il doit donc se douter que, vous aussi, vous vous êtes évadé, car j’imagine qu’il a songé tout de suite que c’était vous qui m’aviez tiré d’affaire. De plus, les aventures du pont Caulaincourt donnent à penser que Fantômas a eu de quoi s’occuper à Paris. Juve, c’est à Paris que nous le retrouverons, c’est à Paris que nous nous vengerons.

Et Juve, après Backefelder, répéta d’une voix sourde :

– Vous avez raison, nous nous vengerons. Ah, fichtre de nom d’un chien, nous nous vengerons !


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