Текст книги "Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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27 – LE SECRET DU FANTÔME
– Ah, malheur, j’en ai les sangs tout retournés…
– Et moi donc, je ne vois plus clair, tant j’ai l’esprit à l’envers.
Barnabé et le père Teulard fuyaient à travers le cimetière, poussant des cris apeurés. Ils frémissaient, trébuchaient au contact des tombes dans lesquelles ils butaient perpétuellement. Leurs dents claquaient.
Les deux fossoyeurs arrivèrent enfin à l’extrémité du cimetière du côté de la rue de Maistre et tentèrent d’escalader le mur par-dessus lequel, une heure auparavant Fantômas et ses complices avaient fait basculer la grande et mystérieuse horloge dans laquelle le monstre avait enfermé l’infortunée Delphine Fargeaux.
Le père Teulard et Barnabé parvinrent à enjamber le mur et se tenaient un instant sur la crête, mais, brusquement tiré en arrière par Barnabé, le père Teulard retomba dans la nécropole.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Il y a, fit-il, que si nous étions descendus dans la rue on était sûrement rencontrés par la police, tu n’as pas remarqué ce groupe ?
– Non.
– Eh bien, poursuivit Barnabé, c’étaient des agents, ils rôdaient autour de la charrette à bras que les copains de Fantômas n’ont pas fait disparaître. Sûr qu’il va y avoir du vilain.
– Eh bien, on est frais !
Et, le fossoyeur en chef se laissait choir, tombait littéralement sur la bordure d’un trottoir.
– Viens, par l’autre côté, nous sortirons du cimetière par l’avenue Rachel. Là, il n’y aura personne pour nous gêner et puis, après tout, il suffit de passer avec autorité, on est fonctionnaire, non ? Barnabé, on va s’en aller.
Soudain, le père Teulard s’arrêta :
– Barnabé, s’écria-t-il, il va falloir passer sous le pont.
– Sous le pont Caulaincourt ?
– Il le faut bien, n’ayons pas peur.
– Il y a pis que le spectre, le chemin que nous suivons en ce moment va nous obliger à passer à nouveau près de la fosse à peine refermée dans laquelle nous avons enterré la femme vivante.
Teulard recula :
– Non, cria-t-il, non, ne passons pas par là, on va prendre l’allée du sud, on fera un détour.
– C’est par là que s’est enfui Fantômas, nous allons sans doute le retrouver.
– Peu importe. Tout plutôt que de repasser là !
Ils avancèrent en silence, parvinrent, dans le voisinage du caveau de la famille de Gandia, c’est-à-dire à petite distance du pont Caulaincourt qui projetait sa grande ombre sur le cimetière. Soudain, les deux hommes poussèrent un cri, tombèrent l’un sur l’autre.
– Le fantôme, avaient-ils murmuré.
À quelques mètres, en effet, devant eux, se dressait la silhouette mystérieuse et tragique de l’énigmatique et sinistre apparition qui, depuis plusieurs semaines, terrifiait la capitale.
À ce moment, dissimulés derrière une tombe, les fossoyeurs apercevaient Fantômas, enveloppé dans sa grande houppelande jaune et coiffé de sa casquette de cocher.
Abasourdis, stupéfaits, les deux hommes hurlaient :
– Fantômas, sauve-nous, voilà le fantôme !
Cependant que Barnabé demeurait immobile, le père Teulard, dans un geste fou, se précipitait en direction de Fantômas.
Mais il s’arrêta net, battit des bras, s’écroula. Une détonation venait de retentir. Fantômas avait déchargé sur lui son revolver.
***
Cependant Juve, depuis les extraordinaires événements qui lui avaient permis de retrouver Fandor et de le tirer d’affaire, n’avait pas perdu une seconde.
Les quelques agents et les deux inspecteurs auxquels on confiait la garde de la nécropole étant insuffisants, on en augmenterait le nombre, on ferait tout ce qu’il faudrait, mais on sortirait du mystère.
Ce soir-là, M. Havard lui-même, Juve et quelques hauts personnages de la Sûreté, accompagnés d’une troupe innombrable d’agents soigneusement dissimulés dans tout le voisinage, épiaient les manifestations tragiques du cimetière.
Juve venait de remonter sur le pont Caulaincourt lorsque deux de ses hommes, essoufflés, arrivèrent en courant.
– Monsieur l’inspecteur, déclara l’un d’eux, nous venons de trouver une veste, une charrette à bras chargée de meubles, de meubles qui, sans doute, proviennent d’un déménagement. La charrette était abandonnée le long du mur du cimetière, et sur ce mur nous avons noté quelques égratignures fraîches, comme si des gens l’avaient escaladé.
Juve écoutait les agents et, vraisemblablement, allait leur donner des instructions, lorsqu’il les quitta soudain, traversa la chaussée et s’élança dans le cimetière par la grille entrouverte de l’avenue Rachel.
Il venait d’entendre une détonation et aussitôt courut dans cette direction.
– Par ici ! cria-t-il.
Cependant que M. Havard, à coups de sifflet, prévenait les hommes qu’il avait dissimulés sous le pont de se précipiter aussi sur les traces de Juve, Fandor, qui se trouvait sur les lieux, courait à l’entrée du cimetière où Léon et Michel étaient postés pour empêcher les évasions, si d’aventure de mystérieux malfaiteurs se trouvaient à l’intérieur de la nécropole.
Si Juve, ainsi, s’était précipité à travers les tombes, ce n’était pas seulement parce qu’il avait entendu une détonation, mais encore parce que, pour la première fois, il avait vu le spectre, vu, de ses yeux vu, l’extraordinaire apparition à laquelle, naturellement il n’avait jusqu’ici apporté aucune créance.
Or, cette fois, le policier n’avait plus à douter, ses yeux ne le trompaient point.
Et Juve courait si vite, qu’à peine avait-il aperçu l’extraordinaire vision qu’il était pour ainsi dire sur elle, la touchait.
C’était une silhouette extraordinaire, élégamment vêtue d’un habit noir à la forme irréprochable au milieu duquel le plastron faisait une tache blanche. Puis, il y avait ce visage terreux, cette face aux apparences blafardes.
Pendant qu’il bondissait vers le spectre, Juve, dont toute l’attention était retenue par cette vision ne voyait point se faufiler, à quelque distance de lui, une silhouette plus claire, un homme enveloppé dans un grand manteau jaune, Juve ne remarquait pas le cocher John.
– Mortel ou diable, criait-il, je l’aurai !
Et il tira sur le spectre.
Mais à ce moment, Juve entendit encore un nouveau coup de feu et, avec une agilité surprenante, il se laissait tomber par terre. Il était temps. Une balle passait au-dessus de sa tête.
Mais Juve, toutefois, ne s’en inquiéta pas. Le policier poussa un cri de triomphe : dans sa chute, ses bras lancés en avant avaient appréhendé le spectre aux épaules. Ce spectre était consistant, matériel, il avait une forme palpable, un poids.
Juve s’écroulait sur lui.
Mais, une seconde plus tard, le policier se relevait, stupéfait. Il n’y avait plus de spectre. Seulement, à quelques mètres de là, gisait un cadavre, un homme baigné dans son sang. Juve le reconnut : c’était le père Teulard.
Le policier, toutefois, n’allait pas au secours du fossoyeur que des agents accourus derrière lui relevaient avec précaution. Juve n’avait pas bougé et, avec un ahurissement sans pareil, il examinait quelque chose de flasque et de mou, qui demeurait sur le sol même du cimetière.
C’étaient les vestiges du fantôme, c’étaient ses vêtements, il ne restait de l’apparition qu’un habit noir, un pantalon, un plastron de chemise, le tout fait d’étoffe et de linge si fins qu’assurément on pouvait, en les pressant, les réduire au point de les faire tenir dans une poche, dans le creux de la main.
– Qu’est-ce qu’il y a, Juve ? qu’est-ce que c’est ?
C’était Fandor qui était accouru auprès de lui.
– Il y a, que le fameux spectre a disparu, mais je le tiens tout de même.
Et, soulevant la bizarre défroque, le policier la montrait à son ami :
– Parbleu, s’écria Fandor, c’est toujours la même histoire, toujours les vêtements sans corps, les mêmes que ceux que j’ai découverts, que les uns et les autres nous avons trouvés ici. Vous n’en savez pas plus, Juve, que nous n’en savions hier.
– Si, proféra-t-il, j’en sais plus long, parce que j’ai compris.
Juve, en fouillant les vêtements, venait d’en extraire un objet extraordinaire, une chose qui, au premier abord, paraissait indéfinissable. C’était une véritable peau, légère et souple, à peine consistante, mais robuste tout de même.
– De la baudruche, s’écria Fandor.
– Tu l’as dit, s’écria le policier qui ajoutait :
– Et une baudruche assez consistante pour demeurer gonflée si d’aventure on y introduit de l’air comprimé, de l’air soufflé. Oh rien n’est plus simple à comprendre désormais, le mystérieux personnage qui s’est plu à nous donner le spectacle terrifiant et incompréhensible de ce spectre n’a pas fait un grand effort d’imagination pour concevoir cet appareil. On vend dans le Marais des bonshommes en baudruche de ce genre, à bas prix. Il lui a suffi de s’en procurer quelques-uns et de leur mettre ces vêtements qui ont si bien intrigué tout le monde et semé la peur.
– Mais, comment se fait-il que jusqu’à présent personne n’ait eu cette idée ? Je ne comprends pas que moi-même, lorsque j’ai eu des vêtements semblables à ceux que nous possédons maintenant entre les mains, je n’ai point découvert cette baudruche qui, assurément, m’aurait fait comprendre.
– Cela s’explique, interrompit Juve, pour cette bonne raison que l’auteur du spectre à toujours pris la précaution de faire disparaître sa baudruche avant qu’on ne vienne se saisir des vêtements, sans quoi il est bien évident, Fandor, que le premier imbécile venu aurait trouvé ce que je viens de découvrir.
– Mais, pourquoi, la raison de tout cela ?
Juve, sans doute, allait répondre, lorsque des appels retentirent :
– Juve ! Où êtes-vous ?
Le policier accourut, suivi de Fandor. Les deux hommes arrivaient dans un groupe où se trouvaient le chef de la Sûreté, quelques agents de police, puis Léon et Michel. Ceux-ci maintenaient, soutenaient pour mieux dire, le grand fossoyeur Barnabé, plus terrifié, plus blafard encore que quelques instants auparavant :
– Cet homme est fou, grommelait Michel, je ne sais pas ce qu’il raconte, nous l’avons surpris au moment où il voulait sortir du cimetière, il n’a d’ailleurs pas opposé de résistance, bien au contraire. Lorsque nous nous sommes révélés à lui, il a paru satisfait, il nous a dit : « Venez, il faut agir au plus vite. »
– Oui, dit Barnabé. Peut-être est-il temps encore.
Et il entraîna les hommes.
M. Havard expliquait :
– C’est un des fossoyeurs attitrés du cimetière, il est évidemment très ému par l’assassinat de son collègue, le père Teulard, qu’il vient de voir tomber à ses pieds, frappé d’une balle.
Juve interrogeait Barnabé :
– Que voulez-vous faire ? demanda-t-il, pourquoi faut-il agir d’urgence ?
– Là ! dit Barnabé.
Et tout son corps tremblait tandis qu’il parlait :
– Il y a une femme enterrée vivante. Si l’on se dépêche, peut-être pourra-t-on… ?
Mais Léon et Michel avaient avisé aussitôt et, sur un signe de M. Havard, d’accord avec les agents qui se trouvaient là, ils prirent ces mêmes outils avec lesquels, une demi-heure auparavant, Teulard et Barnabé avaient enseveli Delphine Fargeaux.
Et Barnabé lui-même, renaissant à l’espoir, avait une large pelle et, déployant une vigueur extraordinaire, creusait la fosse qu’il avait lui-même si tragiquement comblée quelques instants plus tôt.
***
C’était un spectacle effroyable et tragique qui se déroulait dans une grande salle vide, mal éclairée : le hall d’entrée de la maison qui servait de conciergerie au cimetière et au premier étage duquel habitait le gardien.
Le sol était dallé de mosaïques noires et blanches, et sur ce sol, froid, glacial, humide, on avait étendu la grande horloge normande, toute saturée de terre humide ; le couvercle, depuis longtemps, était arraché, et de l’intérieur de cet extraordinaire cercueil, on avait bien retrouvé un être humain.
Les uns et les autres avaient reconnu Delphine Fargeaux.
Comment se trouvait-elle là ? Par suite de quelles effroyables circonstances la malheureuse femme avait-elle été enfermée dans cette bière d’un nouveau genre et ensevelie mystérieusement au milieu de la nuit ?
Devant son immobilité, à la vue de sa teinte cadavérique, M. Havard avait haussé les épaules :
– Parbleu, cette femme est morte, bien morte.
Comme beaucoup d’autres il songeait, en effet, qu’un simple séjour d’une demi-heure sous terre devait suffire à déterminer une asphyxie à laquelle la mort succédait forcément.
Mais un détail n’avait pas échappé à Juve. C’était l’insupportable odeur de chloroforme qui se dégageait des vêtements de la malheureuse. Le policier conservait un espoir, peut-être les fonctions du corps étant suspendues par le soporifique, la malheureuse ensevelie vivante, comme l’avait assuré Barnabé, pouvait être rappelée à la vie.
On était allé chercher un médecin. L’homme de l’art ne tarda pas. On écouta sa décision. Ce fut un cri de joie qui éclata lorsque, dans le silence du macabre local, le médecin déclara :
– Elle vit, nous la sauverons.
***
Quelques instants plus tard, Delphine Fargeaux était installée dans la chambre du gardien. La malheureuse femme était interrogée doucement par Juve, auprès de qui se trouvaient M. Havard et Fandor.
– Voyons, madame, dit le policier, essayez de vous souvenir, ranimez vos esprits, dites-nous ce qui vous est arrivé.
– Le cocher, dit Delphine, ah comme il sait bien rire. Comme c’est amusant. Mais, par exemple, pourquoi faut-il qu’il y ait des choses si froides autour de moi ?
Puis elle regardait le policier, les gens qui l’entouraient :
– Voici le jour, déclara-t-elle, l’aube qui se lève. Il n’y a plus de petite femme de Montmartre, c’est l’employée des pompes funèbres qui réapparaît.
Puis les menaçant du doigt, elle hurla, tragique :
– Je vous enterrerai tous, tous, tant que vous êtes, j’ai déjà pris vos mesures ! Je sais la grandeur des cercueils qu’il vous faut !
Delphine Fargeaux, voulut alors bondir hors de son lit, mais le docteur survint, la maintint.
Au bout de quelques instants la malheureuse, qui semblait exténuée, s’assoupit :
Et alors le docteur affirma :
– Cette femme est devenue folle.
28 – VERS LA LUMIÈRE
Le bilan de la nuit sinistre qui venait de se dérouler dans le cimetière Montmartre s’établissait de la façon suivante :
Il y avait un mort, une victime, des mystérieux coups de revolver avaient été tirés dans l’obscurité. Ce mort c’était le père Teulard. Toutefois, si le fossoyeur en chef avait succombé sous l’attaque directe de Fantômas, son collègue et complice de l’effroyable ensevelissement de Delphine Fargeaux avait échappé aux attaques du monstre, mais était néanmoins dans une fort mauvaise posture, car désormais vivant, mais prisonnier, il se voyait inculpé d’une grave accusation : celle d’avoir procédé consciemment à l’enterrement d’une personne vivante.
Au cours de la nuit tragique, les agents de M. Havard avaient procédé à quelques autres arrestations. On avait un peu au hasard envoyé au dépôt les rôdeurs, des gens plus ou moins recommandables, que l’on cueillait au passage, que l’on suspectait du seul fait qu’ils se trouvaient dans le voisinage des lieux dont Fantômas avait fait son quartier général.
Ces arrestations seraient-elles maintenues ? Si l’on s’en préoccupait fort peu à la Préfecture, on se posait la question avec anxiété dans la salle des dépôts où tout le monde avait été transféré.
Il y avait là des gens dont les noms ou les surnoms, lorsqu’ils seraient connus de Juve, ne laisseraient certes point d’impressionner vivement le policier. Les agents avaient arrêté en effet des gaillards tels que Mort-Subite, Bébé. Des femmes, connues parmi les apaches, pour être des moins recommandables, telles que la Choléra et Adèle. Enfin, on avait également envoyé au dépôt une paire d’amis qui, après avoir été séparés dans « le panier à salade », s’étaient retrouvés dans la salle commune des sous-sols de la Tour-Pointue, et s’en étaient congratulés avec une spontanéité touchante. C’étaient Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf. Ils avaient donné la comédie à tous ceux qui les entouraient. Le gros Œil-de-Bœuf, larmoyant, était tombé dans les grands bras noueux de son gigantesque copain Bec-de-Gaz, et tous deux, éméchés d’ailleurs, protestaient à n’en plus finir de la sympathie qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre et de la joie qu’ils avaient à se retrouver.
***
Le lendemain matin, dès l’aube, Juve et M. Havard qui n’avaient pas pris un seul instant de repos se trouvaient dans un bureau de la Sûreté qui communiquait par l’intérieur du Palais avec le dépôt. Les deux hommes procédaient à de rapides enquêtes, désireux d’agir et d’interroger les individus arrêtés avant que le Parquet ne commette un juge d’instruction.
Juve, qui s’était absenté quelques instants, revint dans le cabinet où se tenait M. Havard.
– Eh bien ? interrogea le chef de la Sûreté, vous venez de la revoir, que dit-elle ?
Juve, en effet, s’était rendu à l’infirmerie du dépôt et avait eu un long entretien avec Delphine Fargeaux. La malheureuse, certes, était toujours aussi folle depuis que, grâce aux soins éclairés du docteur survenu à temps, elle avait été rappelée à la vie. La jeune femme, toutefois, avait eu quelques éclairs de lucidité dont Juve profitait. Et, revenu auprès de M. Havard, le célèbre inspecteur de la Sûreté racontait :
– Il y a un fait certain, c’est que l’infant d’Espagne doit être coupable.
– Hein ? fit M. Havard, à quel propos me dites-vous cela ? Et que vient faire don Eugenio dans les histoires du pont Caulaincourt ?
– Le lien est assez difficile à établir, mais pas impossible cependant. Cette malheureuse Delphine Fargeaux, au cours de ses nombreuses divagations, m’a cependant signalé trois faits précis. Je dirai plus, elle a porté trois accusations catégoriques. Tout d’abord, elle m’a affirmé que l’infant d’Espagne avait assassiné sa nièce Mercédès de Gandia. Elle a déclaré ensuite avoir vu une Espagnole, une certaine la Recuerda, que nous connaissons pour fréquenter assidûment le monde des apaches et n’avoir pas une identité bien nette, assassiner devant elle notre ami Backefelder. Vous savez en effet, monsieur Havard, que ce malheureux Américain, qui s’est si malencontreusement fourvoyé dans l’entourage de Fantômas a été trouvé chez lui, tué mystérieusement d’un coup de poignard au cœur. L’assassin en serait cette Espagnole, aux dires de Delphine Fargeaux. Enfin la malheureuse – c’est là sa troisième accusation, – m’a supplié de protéger le plus tôt possible un certain baron qui habiterait boulevard Malesherbes, le baron Stolberg. Cet homme, dont Delphine Fargeaux se déclare amoureuse, serait un des amants de la Recuerda, et à ce titre en danger de mort. Quant à son ensevelissement et aux événements qui l’ont précédé, la pauvre fille ne semble en avoir gardé aucun souvenir.
M. Havard, abasourdi, écoutait le récit de Juve, qui, bien que net et catégorique, lui paraissait incompréhensible, inadmissible, surtout. Le chef de la Sûreté haussa les épaules.
– Tout cela est extraordinaire, mais je vous ferai remarquer Juve que ces renseignements, vous les tenez d’une insensée, qu’il est difficile en conséquence d’y ajouter foi.
Pour toute réponse, Juve appuya sur un timbre. Un garçon de bureau se présenta :
– La personne que j’ai fait demander est-elle arrivée ? interrogea-t-il.
– Oui, monsieur l’inspecteur.
– Bien, fit Juve, vous l’introduirez dans cinq minutes.
Puis, se tournant vers M. Havard, le célèbre inspecteur acheva sa pensée :
– Je suis assez disposé à croire à la culpabilité de l’infant, déclara-t-il, parce que don Eugenio, avait un puissant intérêt à la mort de sa nièce.
– Lequel ?
– Il en hérite, tout simplement. Et Mercédès de Gandia, par son père, possédait une fortune immense. Don Eugenio, par contre, n’a que des revenus modestes. À la mort de sa nièce, il a recueilli sa succession et est devenu millionnaire.
– Évidemment, fit M. Havard, c’est là un argument, mais il me paraît fort insuffisant. Je me préoccupe surtout pour le moment de découvrir ce fameux cocher John. N’est-ce pas, Juve ?
Le policier allait répondre, mais les cinq minutes étaient écoulées et l’huissier introduisit, dans le bureau des hauts fonctionnaires de la Sûreté, un personnage vêtu d’une longue redingote noire, coiffé d’un haut de forme légèrement défraîchi, et dont la silhouette eût été macabre si le visage de cet homme, bourgeonnant et épanoui, n’avait respiré la gaieté et l’entrain. Le nouveau venu n’était autre que Coquard qui ignorait encore tout des aventures tragiques survenues à sa bien-aimée Delphine :
– Messieurs, déclara-t-il en s’inclinant, j’ai bien l’honneur de vous saluer. Vous m’avez fait demander tout à l’heure, et si j’ai pu arriver aussi vite, c’est que, précisément, j’arrivais à mon administration au moment où votre messager m’a rencontré.
– Monsieur, dit Juve, nous avons besoin de votre témoignage dans une affaire délicate, importante et nous allons vous prier de rassembler vos souvenirs afin de nous répondre avec précision. C’est bien vous qui vous êtes occupé, il y a quelques semaines, des obsèques de la nièce de l’infant d’Espagne, Mlle Mercédès de Gandia ?
– J’ai eu cet honneur.
– Bien, j’imagine que dans votre profession vous êtes amené à prendre un contact direct non seulement avec les familles, mais encore avec les défunts eux-mêmes. Je veux savoir si vous avez vu personnellement la nièce de l’infant d’Espagne ?
– J’ai vu la morte, en effet, monsieur.
– Pourriez-vous la décrire ?
– C’était une personne de vingt à vingt-cinq ans environ, assez grande, jolie, m’a-t-il semblé, elle avait un beau teint, autant que j’ai pu m’en rendre compte, les cheveux châtain clair.
– Châtain clair ?
– Oui, monsieur.
Le policier se penchait à l’oreille de M. Havard et lui murmura tout bas :
– Mercédès de Gandia, m’a-t-on dit, était brune, très brune, il y a là quelque chose d’anormal.
– Châtain… brun, cela se ressemble, étant donné surtout que Coquard n’a pas dû se livrer à un examen approfondi.
– En effet, monsieur, répondit le courtier qui avait entendu la fin de cette phrase, nous n’insistons pas d’ordinaire pour ne point paraître indiscrets.
– Le médecin qui a délivré le permis d’inhumer vous est-il connu ?
– Oui, monsieur, répondit le courtier, je suis perpétuellement en relations avec lui, vous comprenez, cela s’impose. Dans ma profession, les docteurs comme les pharmaciens et les concierges sont nos meilleurs indicateurs, bien souvent même…
– Ce médecin est-il honorablement connu ?
– Oui, monsieur.
– De quoi Mlle Mercédès de Gandia est-elle morte ?
– Je ne saurais vous dire, monsieur, vous comprenez dans ces cas-là, nous n’interrogeons guère, l’essentiel est pour nous d’enlever l’affaire et d’être chargés des obsèques. Il y a une telle concurrence… Bien que la maison de Villars soit la plus réputée, il nous faut déjouer les intrigues des autres entreprises.
Quelques instants après, Coquard se retirait et Juve avait noté l’adresse du médecin d’Auteuil qui avait délivré le permis d’inhumer.
– Nous le ferons interroger.
– Je vous vois venir, fit le chef de la Sûreté, vous voudriez démontrer que l’infant d’Espagne a assassiné sa nièce.
Juve allait répondre. On frappa à la porte. C’était un gardien du dépôt :
– Monsieur le chef de la Sûreté, déclara l’homme, un des individus arrêtés, cette nuit prétend avoir une déclaration à faire. Il demande à vous voir d’urgence.
– Qui est-ce ?
– Barnabé, le fossoyeur.
– Qu’on l’amène, ordonna M. Havard.
Quelques instants plus tard, Barnabé était introduit.
– Vous avez à parler ?
Le fossoyeur hésitait.
– Voyons, fit Juve doucement, reprenez vos esprits, et racontez-nous ce que vous avez à dire.
Barnabé encouragé, retrouva peu à peu sa lucidité, fit à ses deux interlocuteurs abasourdis le récit de l’aventure étrange où il avait joué son rôle, en compagnie du père Teulard.
Juve, à trois reprises fit répéter son récit à Barnabé. Lorsqu’on eut reconduit le fossoyeur au dépôt, M. Havard, d’un air triomphant, interrogea Juve :
– Eh bien, cela se complique ? Mais du même coup votre théorie est détruite.
– Pourquoi ? fit le policier.
– Voyons, reprit M. Havard, si l’infant d’Espagne avait assassiné sa nièce, on aurait retrouvé son cadavre dans la bière qui devait le contenir, du moment qu’on a simulé des obsèques, c’est qu’il n’y avait personne de mort.
– Je ne dis pas non, fit Juve, tout cela dissimule un mystère, et l’attitude de l’infant d’Espagne me semble de plus en plus suspecte. Comment admettre, en effet, qu’un homme qui se prête à une telle supercherie n’a pas commis quelque acte répréhensible, n’a pas tout au moins quelque mauvais dessein ?
– Et qui vous dit que l’infant n’est pas victime lui-même de ce faux enterrement ?
Juve se tut, réfléchit un instant. Soudain, il se rapprocha de son chef. Puis, lui mettant familièrement la main sur l’épaule, il affirma :
– Tout cela, reconnaissons-le, puisque nous sommes en tête-à-tête, reste encore incompréhensible, mais il nous suffirait d’un détail, d’un rien, pour posséder la clef de tout le mystère.
– Oui, reconnut M. Havard, je suis bien de votre avis, malheureusement. Quel est ce détail ?
– Si Fantômas a enterré Delphine Fargeaux vivante, c’est qu’assurément il voulait se débarrasser d’elle, sans doute parce qu’elle devenait gênante. Pourquoi Fantômas a-t-il justement choisi pour l’ensevelissement de Delphine le cimetière de Montmartre ? N’y aurait-il pas un lien quelconque à établir avec la mort simulée de Mercédès de Gandia ? Mais pourquoi les manifestations du fantôme ?
Cependant que Juve réfléchissait ainsi, ne voulant faire part de ses déductions à M. Havard qui certainement en aurait souri, le directeur de la Sûreté mit son chapeau et déclara :
– Si vous voulez bien Juve, nous reprendrons cet entretien plus tard. Je vais dormir quelques heures, car je suis exténué.
***
Il était environ neuf heures du soir. M. Havard était allé prendre pendant tout l’après-midi le repos qu’il convoitait. Quant à Juve, bien trop énervé pour pouvoir se coucher, il avait, avec une activité fébrile, effectué de nombreuses enquêtes ; désormais, il se trouvait chez lui dans son appartement de la rue Tardieu et causait avec animation avec Fandor. Les deux hommes une fois encore, se retrouvaient seuls dans le bureau du policier, dans la pièce qu’il avait reconstituée identique ou tout comme, à celle qu’il avait occupée jadis dans son vieil appartement de la rue Bonaparte auquel il ne pouvait penser sans un frisson de rage à l’idée que son effroyable ennemi Fantômas, sans cesse acharné contre lui, avait été jusqu’à détruire la seule chose que possédait Juve : son home de vingt années.
– Eh bien ? interrogeait Fandor une fois que Juve lui eut raconté tout ce qui s’était passé, eh bien, en conclusion ?
Le policier était redevenu très calme et avec une extraordinaire lucidité d’esprit, il fit à Fandor l’exposé de la situation :
– Tout d’abord parlons de la mort de Mercédès de Gandia.
– La question s’est posée de savoir si une femme réellement morte a été réellement mise en bière par les croque-morts de l’administration. J’ai élucidé ce premier point, j’ai retrouvé les deux croque-morts qui ont fait la mise en bière, cette opération s’est effectuée régulièrement. On a mis dans un cercueil une femme, non pas une brune comme Mercédès de Gandia, mais une personne ayant des cheveux châtain foncé, ainsi que tout le monde l’a constaté. Lorsque le cercueil a été descendu dans la chapelle ardente, il s’est trouvé que, par un hasard involontaire ou voulu, la bière est restée absolument isolée pendant près de dix minutes. J’en conclus que si la substitution a eu lieu à un moment quelconque, c’est pendant ce délai, et j’ajoute que la substitution a dû certainement avoir lieu.
– C’est également mon avis.
– Quelqu’un, en dehors de la personne ou des personnes qui ont fait cette étrange opération, en a eu connaissance. Et ce quelqu’un très vraisemblablement, a voulu que la chose se sache.
– Possible, fit Fandor, mais qui est-ce ?
– Le fantôme, déclara Juve.
– Allons bon, c’était trop beau, Juve. Jusqu’à présent, contrairement à votre habitude, vous m’aviez dit des choses normales, compréhensibles, mais voici que vous recommencez à parler par énigmes. Je suis sûr que dans un instant vous allez m’imposer un rébus. Il va falloir que je dise quels étaient les sentiments de la vessie en caoutchouc revêtue d’un habit noir trouvée dans le cimetière, et il va falloir en outre que je vous nomme l’individu qui s’était fait l’entrepreneur de ce guignol macabre.
– Ma foi, si tu faisais cela, Fandor, je te paierais un bon dîner, car c’est là, en effet, que réside tout le mystère. J’ai la conviction formelle que les apparitions de ce spectre ont été inventées évidemment par un malfaiteur qui tuait et volait, mais que ces attentats avaient pour raison de dissimuler le véritable but que se proposait ledit auteur du spectre, à savoir : attirer l’attention.
– Attirer l’attention ? pourquoi ?
– Attirer l’attention, déterminer une émotion, puis ensuite une enquête, faire remarquer aux gens que ce spectre n’apparaissait que depuis les obsèques de Mercédès de Gandia, que ce mystérieux fantôme se tenait perpétuellement dans le voisinage de la sépulture de la famille de Gandia. L’apparition avait pour but, en outre, à mon humble avis, d’influencer la mentalité rudimentaire de Barnabé et cela afin de le pousser à faire les aveux qu’il est venu nous apporter ce matin même.
– Mais, pourquoi ?
– Parbleu, tu ne comprends donc rien Fandor ? On voulait à toute force faire découvrir que Mercédès de Gandia n’était pas enterrée et vraisemblablement, faire admettre ensuite, qu’elle n’est même pas morte.
– Qui ça, « on » ? comment s’appelle-t-il, cet « on » ?
– Quelqu’un qui savait que l’on avait mis du sable dans le cercueil de Mercédès, l’infant peut-être ? Non. Impossible. De deux choses l’une : ou c’est lui qui a imaginé ce faux ensevelissement pour hériter de sa nièce et, dès lors, il n’avait pas intérêt à attirer l’attention sur le cercueil vide, ou alors, quelqu’un d’autre serait intervenu à son insu et voulait faire ouvrir ce cercueil. Mais qui ? Au fait, quelle est la personne tout spécialement lésée dans cette affaire ? C’est l’intéressée elle-même, c’est Mercédès de Gandia, officiellement morte désormais, et, par suite, dépouillée de sa fortune. Mais pourquoi aurait-elle employé des moyens si extraordinaires pour faire démontrer qu’elle était encore vivante ? Il y a des gens qui la connaissent. Il lui était facile de faire établir son identité. Qui donc a voulu employer ce procédé bizarre pour attirer l’attention ? En tout cas, celui qui agit de la sorte agit dans l’intérêt de Mercédès. Donc, il marche contre l’infant. À moins que…