Текст книги "Том 11. Былое и думы. Часть 6-8"
Автор книги: Александр Герцен
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Outre la crainte de liberté, cette crainte que sentent les enfants lorsqu’ils commencent à marcher seuls, outre l’attachement d’une longue habitude – à toutes ces cordes et garde-foux – couverts de sang et de sueur, outre la vénération pour ces bateaux – arches de salut – dans lesquels les peuples ont traversé maintes orages – il y a encore d’autres contreforces qui soutiennent ces formes croulantes. Le peu d’intelligence de la foule ne peut pas comprendre un nouvel ordre de choses, et la préoccupation timorée des propriétaires ne le veut pas. La classe la plus active et la plus puissante de nos jours – la bourgeoisie – est prête de trahir ces convictions – de s’agenouiller sans foi devant l’autel, se prosterner devant un trône, s’humilier devant l’aristocratie – qu’elle déteste et payer les soldats qu’elle abhorre, être enfin menée à la laisse – pourvu qu’on ne coupe pas la corde par laquelle on tient la foule.
Et en effet – ce n’est pas sans danger de la couper.
Les calendriers ne sont pas les mêmes en haut et en bas. En haut le XIXe siècle, au rez-de-chaussée tout au plus le XVe – et en descendant encore on arrive en pleine Afrique… ce sont des Caffres, des Hottentots de divers couleurs, races et climats.
Si on pense sérieusement à cette civilisation qui se cristallise en bas par les lazzaroni et le mob de Londres… par des êtres humains qui, rebroussant le chemin, retournent aux singes – et qui s’épanouit aux sommets par les mérovingiens rabougris de toutes les dynasties, par les chétifs Aztèques de l’aristocratie – et si on pense que sa partie saine et intelligente et forte – est représentée par la bourgeoisie – alors la tête peut bien tourner. Imaginez-vous une ménagerie pareille – sans église, sans baïonette, sans tribunal, sans prêtre, sans roi, sans bourreau?…!
Que R. Owen prenait ces forts séculaires de la théocratie et de la jurisprudence – pour quelque chose de mort, de faux à force de se survivre, c’est claire, mais lorsqu’il les sommait de se rendre – il comptait sans son hôte, sans le commandant et la brave garnison. Il n’y a rien de plus obstiné qu’un mort, on peut mettre en pièces un cadavre mais c’est impossible de le convaincre. Et quels morts – ce ne sont pas les feus bambocheurs de l’Olympe, auxquels on est venu dire – pendant qu’ils discutaient des mesures à prendre contre les libres penseurs d’Athènes – qu’on a prouvé dans cette ville de Pallas – qu’ils n’existaient pas du tout. – Les dieux pâlirent, perdirent la tête, s’évaporèrent et disparurent – si on en croit Lucien. Les Grecs, hommes et dieux, étaient plus naïfs. Les dieux servaient à ces grands enfants de poupées, les Grecs aimaint l’Olympe par un sentiment artiste. La bourgeoisie soutient le jésuite et l'Old Shop – à tant pour cent,comme une sécurité de transaction – allez-moi prendre cela par la logique.
…A travers tout cela une question grave et triste perce et se fait jour, question bien autrement importante que celle de savoir si Owen avait raison ou tort… la question de définir si en générale l'indépendance morale et l'intelligence libre de toute entrave – est compatible avec l'existence de l'Etat?
Nous voyons dans l’histoire que les hommes vivant ensemble tendent continuellement à une autonomie raisonnée – et qu’ils restent constamment dans l’asservissement moral. La tendance, la disposition ne garantit pas la possibilité du succès. – Que le cerveau humain soit un organe qui n’est pas arrivé à son état le plus développé – et qu’il a une tendance à y parvenir – c’est difficile de nier – mais s’il y parviendra ou s’il périra à mi-chemin comme périrent les mastodontes et les ichtyosaures – ou s’arrêtera dans un statu quo – comme le cerveau des animaux existants – ce sont des questions qui ne sont pas du tout faciles à être résolues. Et si elles le seront – certes, ce n’est ni par l’amour de l’humanité ni par la déclamation sentimentale etmystique.
Nous rencontrons dans toutes les sphères de la vie des antinomies indissolubles, ces assimptotes qui s’approchent éternellement de leurs hyperboles sans jamais les atteindre – ce sont comme des phares, des limites, des песplus ultra – entre lesquels se balance, se meut et s’écoule la vie réelle.
Les cris des phares, les hommes qui protestent ont existé de tout temps dans chaque civilisation – principalement en décadence. Ce n’est que l’exception, que la limite supérieure, que la puissante transgression subjective, l’effort suprême – chose rare comme le génie, comme la beauté, comme une belle voix.
Sommes-nous plus prêts de la liberté de conscience, de notre souveraineté individuelle, de notre autonomie morale – par toutes les paroles et doctrines d’un prophète-précurseur?
L’expérience nous oblige d’être circonspects. Voilà un exemple. De mémoire d’hommes il n’y avait jamais un tel concours de toutes les conditions les plus propices – pour un développement rationnel d’un être libre comme aux Etats-Unis en Amérique.
Tout ce qui empêche le progrès des Etats sur un sol épuisé par une longue histoire ou complètement sauvage – n’existait point. Les doctrines du XVIIIe siècle, des grands penseurs de la grande révolution sans le militarisme français, le common law de l’Angleterre – sans les castes aristocratiques – formèrent le fondement de leur édifice social.
A quoi l’Europe osait rêver à peine – était de prime abord donné en Amérique – république, démocratie, fédération, autonomie de chaque partie et la ceinture à peine tangente de l’Etat confédéré – avec un nœud faible – et prêt à se délier. Eh bien, les résultats?
La société, la majorité – a usurpé les droits d’un dictateur et d’un sbire. Le peuple lui-même s’est fait Nicolas et la rue Jérusalem. Les persécutions au Sud pour les opinions et paroles, – avec leur bannière chantée – «L’esclavage ou la mort!» ne cèdent en rien aux persécutions du roi de Naples ou de l’Autrichien.
C’est vrai qu’au Nord – «l’esclavage» n’est pas un dogme religieux. Mais que dire du niveau intellectuel et de la liberté de conscience d’une population d’arithméticiens – qui après avoir fermé leurs livres de compte – tournent les tables et font des conversations avec les rapping spirits?
Nous trouvons – avec moins de grossièreté – quelque chose de pareil en Angleterre, en Suède – c’est à dire dans les pays les plus libres de l’Europe. Pouvons-nous conclure de là – que moins le pays est opprimé par son gouvernement, plus il est opprimé par la masse, qu’à un gouvernement tolérant correspond une opinion publique persécutant comme l’inquisition? La famille, la paroisse, le club vous épient, vous empoisonnent la vie… Je n’en sais rien, mais le doute est possible. L’histoire paraît être ce jeu des aspirations sociales – vers l’indépendance de l’individu, de la raison – une aspiration qui semble se réaliser mais la réalisation desquelles – est complètement incompatible avec l’existence de l’Etat… Systole et diastole de la circulation humaine.
Nous confessons franchement de ne pas connaître la réponse à cette question… mais nous ne voulons non plus accepter une solution toute faite – derrière notre dos. Jusqu’à présent l’histoire la résout d’une manière, et quelques penseurs éminents, dans leur nombre notre R. Owen, – d’une autre. Owen a une foi inébranlable, cette foi des grands philosophes du XVIIIe siècle (qu’on a surnommé le siècle des incrédules!) que non seulement l’humanité parviendra un jour à une organisation rationnelle – mais que nous sommes à la veille d’exiger notre toge virile… Quant à cette dernière assertion, il nous semble que les tuteurs, pasteurs ménins et bonnes peuvent encore tranquillement dormir et manger aux frais de leurs pupilles. Tant que notre siècle dure – les hommes d’aucun pays ne demanderont pas les droits des majeurs – et se contenteront encore des petits jouets – et du col rabattu à l’enfant.
Il y a mille raisons à cela. Et d’abord pour qu’un homme puisse arriver au simple bon sens – il faut qu’il soit un géant; quelquefois même les forces les plus colossales ne peuvent suffir pour se frayer un passage à travers les morts et les spectres – de la tradition. Prenez un état social bien et carrément assis sur ses bases comme en Chine ou au Japon.
Du moment où l’enfant ouvre ses yeux avec un sourire – en regardant sa mère, – jusqu’au moment où il les referme, presque avec le même contentement – ayant fait sa paix avec Dieu et assuré un bon placement qu’on lui fera occuper pendant un petit somme qu’il fera – tout est disposé pour qu’il ne puisse voir clair, avoir une seule notion simple. Il suce avec le lait de sa mère je ne sais quelle belladone – qui lui tourne la tête – pas un sentiment ne reste intact, pas une passion qui ne soit détournée de sa voie naturelle. L’éducation de l’école continue en aggravant l’œuvre de l’éducation domestique – en généralisant, en justifiant théoriquement – les pratiques et règles de la maison, donnant une base scolastique à tous les mirages, en habituant les enfants de connaître sans comprendre et d’accepter les noms pour des définitions.
L’homme ahuri – continue à exister dans un monde d’illusions optiques, perd l’instinct de la vérité, le goût de la nature et doit certainement avoir une force énorme d’intelligence pour s’en apercevoir et peut-être encore plus de courage – pour sacrifier tout s’il le faut et sortir – déjà chancelant et ivre de la malaria qui l’entoure.
R. Owen aurait répondu à cela – que c’est nommément par ces considérations qu’il est venu à la conclusion – qu’il fallait commencer la régénération sociale – non par un phalanstère, non par Icarie – mais par l'école.
Il avait raison, et encore plus, il a prouvé pratiquement qu’il l’avait. Devant l’exemple de New Lanark – ses adversaires se taisent, le maudit New Lanark ne peut être digéré par les gens qui accusent le socialisme – de ne s’occuper que d’utopie – sans savoir réaliser le moindre détail. N. Lanark était là en chair et os pour répondre à tous ces Saint Thomas de l’économie politique – tout le monde y allait – ministres, ducs, fabricants, lords et même évèques. – Un sceptique, le docteur du duc de Kent n’y croit rien, le duc lui propose d’y aller et de voir de ses propres yeux – le docteur Mac-Neb y va et commence sa première lettre par ces mots: «Mon rapport à demain, je suis trop ému, de ce que j’ai vu – plus d’une fois je sentais des larmes dans mes yeux».
Sur cet aveu magnifique en faveur de N. Lanark – je m’arrête et je constate qu’Owen a donné une grande preuve à sa doctrine de l’éducation – par sa réalisation.
Comment donc cela se fit que N. Lanark, étant au sommet de son bien-être – au milieu de la plus énergique, de la plus ardente activité d’Owen – croula et se transforma en une école – un peu moins vulgaire, peut-être, que les autres – mais très vulgaire? Est-ce qu’Owen s’était ruiné? Est-ce qu’il y avait dissidence parmi les maîtres, mécontentement de parents, insubordination des enfants?.. Rien de pareil, au contraire, la fabrique allait parfaitement bien, les revenus s’augmentaient, les ouvriers quittaient complètement l’ivrognerie et le vol, l’école étonnait le monde. Quel malheur est donc tombé sur N. Lanark?
Un beau matin l’école de N. Lanark vit entrer deux sinistres figures habillées en noir, d’une gravité comique, dans des chapeaux très bas et des pardessus d’une coupe préméditativement laide. C’étaient deux braves et pieux quakers – copropriétaires de N. Lanark. Ils froncèrent les sourcils en voyant les figures charnellement gaies des enfants, ils devinrent sombres en les entendant chanter de la musique de ce monde et baissèrent leurs yeux – s’apercevant que les petits garçons n’avaient pas d’«inexpressibles»! – Bon Dieu!
Ces malheureux enfants ne ressentaient aucun remords de la première chute d’Adam – et les quakers secouèrent la tête avec tristesse…. Owen pour conjurer la première attaque répondit par un trait de génie – par le chiffre de l’accroissement du gain. Ce chiffre annuel était si grand qu’il arrêta pour un certain temps le zèle religieux des quakers. Mais dans quelque temps leur conscience se réveilla – et cette fois héros du devoir et résolus de ne pas céder, ils exigèrent l’abolition de la danse, du chant laïc, des manœuvres par groupes – pour cela ils permettaient aux enfants de se récréer en chantant les psaumes.
R. Owen quitta la direction de N. Lanark – et ne pouvait agir autrement.
Les saints commencèrent leur administration apostolique (comme nous le voyons dans la biographie d’Owen) – par augmenter les heures du travail dans les fabriques – mais aussi ils diminuèrent le salaire.
Voilà comment N. Lanark est tombé.
Il ne faut pas oublier que le succès entier d’Owen nous montre une chose de la première gravité et tout à fait méconnue – c’est que le pauvre prolétaire – privé de toute culture, habitué à l’état de guerre sourde – avec le propriétaire, ne s’oppose au fond aux innovations qu’au commencement, et cela par méfiance – dès qu’il comprend qu’il n’est non plus oublié dans le changement, – dès qu’il acquiert confiance, il se soumet avec docilité à un nouveau régime.
Le salut n’est pas de ce côté.
Geintz – valet de chambre littéraire assez famé du prince Metternich – assis un beau jour pendant un grand dîner à Francfort à côté d’Owen lui dit:
– Supposons que vous eussiez réussi – eh bien, quoi?
R. Owen, un peu surpris, lui répondit:
– Comment quoi? Mais c’est évident. Le bien-être des classes nécessiteuses se serait tellement accru, que chacun serait mieux nourri, mieux logé, mieux élevé…
– Mais… c’est précisément ce que nous ne voulons pas, – lui répondit le Ciceron du Congrès de Vienne. Celui-là avait au moins le mérite de la franchise…
…Du moment où les prêtres, boutiquiers et leurs consorts s’aperçurent que le but de N. Lanark n’était pas du tout une plaisanterie, lorsqu’ils en devinèrent la portée – la perte de N. Lanark était décidée d’une manière immuable.
Et voilà pourquoi la chute d’un petit hameau en Ecosse avec sa fabrique et son école – a pour nous le sens d’un grand malheur historique. Les ruines de N. Lanark remplissent l’âme de réflexions peut-être plus tristes, plus tragiques – que d’autres ruines ne réveillaient dans l’âme de Marius… Le réfugié Romain était assis sur le tombeau d’un vieillard qui a fait son temps… Nous le pensons assis près d’un berceau – nous regardons le cadavre d’un enfant… qui promettait beaucoup et qui s’est éteint par la faute et la concupiscence des tuteurs qui craignaient ses droits à l’héritage.
Chapitre III
Nous avons vu que R. Owen doit être acquitté devant le tribunal de la logique, ses déductions sont non seulement d’une pialectique irréprochable – mais plus que cela – justifiées par la réalisation. Ce qui manquait à sa doctrine – c'est l'entendement des masses.
– Affaire de temps – il viendra un jour – elles comprendront.
– Qu’en savez-vous, peut-être oui – peut-être non!
– C’est impossible d’admettre que les hommes ne puissent jamais parvenir à bien entendre leur propre intérêt.
– Pourtant c’était ainsi de tout temps. C’est précisément à ce manque d’entendement que suppléait l’église et l’Etat. Et nous voilà dans un cercle logique – car d’un autre côté l’église et l’Etat – empêchent le développement intérieur. Owen s’imaginait qu’il suffisait de montrer aux hommes l’absurdité de quelque chose pour qu’ils s’empressent à la renier – mais il n’en est rien. L’absurdité de l’Etat et encore plus de l’église – est évidente, mais cela ne leur fait pas beaucoup plus de mal que la critique la plus raisonnée ne change les contours des montagnes et la direction des fleuves. Leur inébranlable stabilité – n’est pas basée sur l’intelligence – mais sur son défaut. L’histoire s’est crée – grâce aux absurdités les plus phantastiques. Les hommes cherchaient de tous temps la réalisation des rêves, de leur idéal – et chemin faisant réalisaient tout autre chose. Ils cherchaient l’аrс-en-ciel et le paradis sur la terre – et trouvaient des chants immortels, et créaient des statues éternelles, et bâtissaient Athène et Rome, Paris et Londres.
Un rêve cède à un autre – le sommeil est quelquefois très léger, mais jamais le réveil n’est entier. Les hommes acceptent tout, sacrifient beaucoup – mais reculent d’horreur, lorsque entre deux religions s’ouvre une fente par laquelle pénètre la lumière matinale et souffle la brise fraîche de la raison et de la critique.
Les hommes isolés qui se réveillent quelquefois et protestent contre les dormeurs – ne font qu’un acte de constatation qu’ils sont réveillés, et partant de ce qu’il est possible à l’homme de se développer jusqu’à l’entendement raisonné – mais ils ne réveillent personne, ou bien peu
Si l’on pense que la nature restait des milliers et des milliers
Les hommes qui ont eu la chance d’ouvrir les yeux – sont impatients avec les dormeurs – sans prendre en considération que tout le milieu, qui les entoure, les endort et les empêche de se réveiller. La vie depuis le foyer de la famille et l’économie culinaire jusqu’aux foyers du patriotisme et l’économie politique – n’est qu’une série d’images optiques. Pas une notion simple et lucide pour voir clair dans ces brouillards, pas un sentiment naturel laissé intact, pas une question qui ne soit déracinée de son sol et placée sur un autre.
Prenez au hasard une feuille de journal – ouvrez la porte d’une maison – regardez ce qui se passe – et vous verrez quel Robert Owen peut y faire quelque chose. Les hommes souffrent avec résignation – pour des absurdités, meurent pour des absurdités, tuent les autres pour des absurdités. L’individu dans des soucis éternels, alarmé, nécessiteux, entouré d’un vacarme épouvantable, n’ayant pas un moment pour réfléchir – passe soucieux et inquiet sans même jouir. A-t-il un peu de repos – il se hâte de suite à tresser une toile d’araignée entière par laquelle il se prend soi-même et ce qu’il appelle le bonheur de famille s’il n’y trouve pas la faim et les travaux forcés à perpétuité – il invente peu à peu ces persécutions acharnées et sans fin – qui au nom de l’amour paternel ou conjugal – font haïr les liens les plus saints…
Les préoccupations et les soucis de chaque fourmi isolée ou de toute la fourmillière – ne se distinguent presque pas. Regardez ce que l’individu veut, ce qu’il fait, à quoi il parvient, quelles sont ses notions du bon et du mauvais, de l'honneur et de l'opprobre. Regardez à quoi il consacre ses derniers jours, à quoi il sacrifie ses meilleurs moments – ce qu’il prend pour «business» et ce qu’il prend hors d’œuvre – et vous verrez que vous êtes en plein chambre d’enfants, – où les chevaux ont des roues sous les pieds, où les poupées sont punies – avec autant de sérieux – par les enfants, qu’eux-mêmes sont punis par les bonnes… S’arrêter, réfléchir est impossible – vous ruinerez les affaires, on vous poussera, on vous débordera, tout le monde est trop compromis, trop avancé dans le courant, pour faire halte et pour quoi? – pour écouter une poignée d’hommes saus canons, sans argent, sans pouvoir – qui proteste au nom de la raison – sans même avoir des miracles pour prouver leur vérité.
Un Rotschild, un Montefiore s’empresse d’aller dans son bureau, il lui faut commencer la thésaurisation de la seconde centaine de millions – tout va bien et très vite, – on meurt en Brésil de la fièvre, en Italie de la guerre, l’Amérique se brise… l’Autriche a le miserere – et on lui parle de l’irresponsabilité de l’homme et d’une distribution des biens… Il n’écoute pas. C’est évident, pourquoi voulez-vous qu’il perde son temps?
…Un Mac-Mahon a travaillé des années à méditer un bon plan pour anéantir dans le temps le plus court, et à moindre frais – la plus grande quantité possible d’hommes habillés en uniforme blanche – par des hommes en pantalons rouges – il a parfaitement réussi, tout le monde en est touché, les Irlandais qui en qualité de papistes ont été battus par lui – lui envoient une épée… et voilà que des hommes prêchent que la guerre est non seulement une barbarie atroce et absurde – mais un crime… il ne les écoute pas – et regarde son épée d’Ile de l’Emeraude.
Je connaissais en Italie un vieux banquier – chef d’une grande maison. Ne pouvant dormir la nuit, je m’habillai et j’allai faire une longue promenade, en retournant vers cinq heures du matin – je passai devant sa maison. Il y avait grande activité – des ouvriers roulaient des barils d’huile et les rangeaient sur des charriots. Le vieillard en long pardessus était là, il notait dans un livre chaque baril. Le vent du matin était frais – le vieillard était transi de froid, les lèvres pâles et les mains tremblantes:
– Vous êtes bien matinal? – lui dis-je.
– Il y a plus d’une heure que je suis là.
– Vous souffrez du froid – comme si vous étiez en Russie?
– Que voulez-vous, la vieillesse, les forces commencent à m’abandonner. Vos amis (il parlait de ses fils) – dorment encore… puisque le vieux père est encore là pour travailler. Je ne m’en plains pas… j’aime le travail… j’appartiens à une autre génération… j’ai beaucoup vu, j’ai vu quatre révolutions – et je restai à ma place, et pas un baril d’huile est sorti – sans que je l’aie noté. Une fois fini avec l’huile je m’en vais au bureau – est là que je prends aussi mon café.
– Vous ne vous gâtez pas!
– L’habitude, cher monsieur, et s’il faut dire toute la vérité, lorsque je n'ai rien à faire, je m'ennuie, je deviens triste.
«Le vieillard, – pensai-je en m’éloignant, – mourra demain ou après-demain, – qui donc fera le contrôle de l’huile?.. ou peut-être alors son fils aîné se sentira aussi „d’une autre generation”, se lèvera à quatre heures du matin et continuera cela un demi-siècle – et de père en fils, de frère en frère – la fortune ira croissante tant qu’elle n’arrive à un des dynastes (très probablement le meilleur de tous) qui aimera d’autres distractions que de noter les barils… et toute cette richesse passera par une maison de jeu ou par le boudoir d’une lorette, et les braves gens diront… en secouant la tête: „Si on pense quels parents – et un tel fils – enfant prodigue… quels temps, quelles mœurs… Les vieillards se refusaient tout à eux-mêmes (aux autres aussi) – pour lui laisser des monceaux d’or – et ce misérable – il les a donnés à cette… vous savez… a cette Colombine”.
Allez donc par la logique seulement voir – toucher les chairs à travers cette croûte – par la seule logique.
R. Owen en leur prêchant un autre emploi des forces et d’autres buts – ne pouvait convaincre les mauvais mécaniciens, mais les effaroucha. Ce n’est que l’intelligence qui est tolérante et pleine de condescendance, de douceur.
Nous avons vu qu’Owen s’étant heurté contre le mur de l’église – l’escalada – mais de l’autre côté il se vit tout seul, personne ne le suivit, et les pieux lui jetaient des pierres…
A la longue il se serait de la même manière cassé le cou – en se heurtant à l'autre seuil, il serait resté seul et conspué – aussi au delà de l’autre valve de la coquille.
La foule ne s’acharna pas dès le commencement contre lui – pour son hérésie juridique de l’irresponsabilité parce que l’Etat et le tribunal ne sont pas populaires comme l’église. Mais pour le code criminel, se seraient levés à la longue des gens autrement ferrés que quelques théofous de quakers ou des rhéteurs piétistes.
Un homme qui s’estime n’ira pas sérieusement discuter des vérités de catéchisme, sachant bien qu’elles ne peuvent supporter la moindre critique. Qui donc entreprendra la justification raisonnée de l’immaculée conception ou de l’identité des recherches géologiques de Moïse et de Murchison.
Bien loin de là – l'église laïque – du droit – a une base autrement puissante. Leurs dogmes de foi sont acceptés – comme des vérités prouvées, absolues, comme des axiomes irrécusables.
Les hommes qui ont eu l’audace de renverser les autels – n’osèrent jamais toucher le tribunal. Anacharsis Cloots et ses amis qui osèrent appeler à haute voix Dieu par son nom – Raison,n’étaient pas moins convaincus de la toute-puissance du «Salus populi» et des autres commandements criminels et civils que ne l’étaient les prêtres du moyen âge dans la vérité du droit canonique et dans la justice de brûler les sorciers.
Naguère encore un des hommes les plus puissants de notre siècle, un des penseurs les plus courageux – pour porter le coup de grâce à l’église – la sécularisa – et en fit un tribunal. – Arrachant l’Isaac qu’on allait immoler à Dieu des mains d’un prêtre,
La dispute sécularie – sur le libre arbitre et la prédestination – n’est pas terminée. Owen n’était ni le premier, ni le seul de nos temps à en douter de la responsabilité de l’homme. Vous trouverez ce doute chez Bentham et chez les fouriéristes, chez Kant et chez Schopenhauer, chez les médecins et les physiologues – et ce qui est plus fort que tout cela – vous trouverez plus que du scepticisme dans les chiffres de la statistique criminelle. Dans tous les cas la question n'est pas résolue – mais tout le monde est d’accord qu'il est juste de punir un criminel et cela en proportion de son crime. – Chacun est d’accord sur cela.
De quel côté est donc le lunatic asylum?
«La peine c’est le droit inaliénable du criminel!» – a dit lui-même, le divin Platon.
C’est dommage qu’il a fait lui-même ce calembour – et enfin si c’est le droit du criminel – laissez-lui la faculté de le réclamer – moi je suis de l’avis qu’on peut faire donner des coups de bâton à un homme qui en exige lui-même.
Bentham définit le criminel – mauvais calculateur… lorsqu’on fait une faute de calcul on en subit les conséquences – mais ce n’est pas un droit. Spinosa convient qu’on est quelquefois dans la nécessité de tuer un homme malfaisant – comme on tue un chien enragé. Les penseurs ne sont peut-être pas assez divins – mais ils sont plus humains que Platon.
La différence de ces deux points de vue est immense… et les juristes répudient avec connaissance de cause l’opinion que le châtiment n’est rien qu’une défense vindicative de la société. Dans la guerre on est beaucoup plus franc – pour tuer un ennemi on ne cherche pas de prouver qu’il a mérité la mort, on ne dit pas même que cela soit juste – on terrasse un adversaire, et voilà tout.
– Mais avec des notions pareilles il faudra fermer le Palais de Justice.
– Une fois on a déjà changé les basiliques en églises; si on les change en écoles maintenant – les portes pourraient rester encore plus ouvertes.
– Mais avec de pareilles notions – il n’y a pas de gouvernement qui pourrait se tenir.
– A cela Owen aurait la faculté
– Il n’en parle pas des gouvernements – c’est vrai. Sous ce rapport c’est un grand diplomate – il était ami avec tous les gouvernements et tous les gouvernants… avec la reine, le président de Washington, les torys et le tzar.
– Est-ce qu’Owen était moins bien avec les catholiques qu’il n’a été avec les protestants et autres sectaires?
– Pensez-vous qu’il ait été républicain?
– Je pense qu’il préfère la forme du gouvernement la plus adéquate, la plus correspondante à son église.
– Quelle église – il n'en a pas.
– Eh bien?
– C’est pourtant impossible pour un Etat de ne pas avoir un gouvernement quelconque.
– Sans doute… même un très mauvais. Hégel raconte qu’une pauvre vieille femme disait – à ceux qui se plaignaient du mauvais temps: «Mais c’est toujours mieux d’avoir un mauvais temps, que de n’en avoir pas du tout».
– Amusez-vous autant que vous voulez – mais l'Etat périra avec le gouvernement.
– Et que cela me fait?
Chapitre IV
L’histoire de la révolution nous présente un essai d’un changement radical des bases de la société actuelle – par la voie gouvernementale et avec la conservation d’un pouvoir fort.
Les décrets du gouvernement qui allait se former – nous sont restés, avec leur préambule –
Egalité Liberté
Bonheur commun
et quelquefois avec l’alternative – ou la Mort!..
Ces décrets comme il fallait s’attendre commencent par le décret de police.
Art. 1. Les individus qui ne font rien pour la patrie ne peuvent exercer aucun droit politique, ce sont des étrangers auxquels la république accorde l’hospitalité.
Art. 2. Ne font rien pour la patrie ceux qui ne la servent pas par un travail utile.
Art. 3. La loi considère comme travaux utiles ceux de l’agriculture, de la vie pastorale, de la pêche et de la navigation,
Ceux des arts mécaniques et manuels;
Ceux de la vente en détail;
Ceux du transport des hommes et des choses;
Ceux de la guerre;
Ceux de l’enseignement et des sciences.
Art. 4. Néanmoins les travaux de l’enseignement et des sciences ne seront pas réputés utiles, si ceux qui les exercent ne rapportent pas dans le délai de… un certificat de civisme, délivré dans les formes qui seront réglées.
Art. 6. L’entrée des assemblées publiques est interdite aux étrangers.
Art. 7. Les étrangers sont sous la surveillance directe de l’administration suprême, qui peut les reléguer hors de leur domicile ordinaire et les envoyer dans les lieux de correction.