355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » L'agent secret (Секретный агент) » Текст книги (страница 11)
L'agent secret (Секретный агент)
  • Текст добавлен: 8 октября 2016, 22:24

Текст книги "L'agent secret (Секретный агент)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 11 (всего у книги 21 страниц)

19 – LE MYSTÉRIEUX ABBÉ

Fandor pensa rêver en ouvrant les yeux…

Depuis que les hasards de l’enquête policière à laquelle il se livrait l’avaient contraint à adopter la personnalité de Vinson, il s’habituait à la vie militaire. La chambrée était devenue pour lui : « sa chambre ». Au réveil il ne s’étonnait plus d’apercevoir à sa droite le grand mur nu, blanchi à la chaux, à gauche le bat-flanc, attribut de son grade de caporal, sur lequel étaient gravées de multiples inscriptions : « Plus que 653 jours à tirer… Vive la classe ! »…

Or, ce matin-là, Jérôme Fandor se réveillait dans de tout autres conditions…

Les yeux à peine entrouverts, il voyait autour de lui des meubles, de vrais meubles, point comme ceux qui se trouvent à la caserne, mais plutôt comme ont coutume d’en fournir à leurs clients les hôteliers…

Et il était en effet dans une chambre d’hôtel, d’hôtel fort modeste à coup sûr. Des rideaux de cretonne tamisaient le jour. Un rayon de lumière se réfléchissait à une glace de dimension exiguë, ébréchée, suspendue au-dessus d’une table de toilette dont le marbre sale, fendu, était garni d’une cuvette, d’un savonnier en porcelaine dépareillée.

Fandor hésitait à se réveiller. Le peu de confort de son appartement ne l’engageait guère, il est vrai, à sortir de la somnolence où il se trouvait encore mollement plongé. Il faisait chaud dans son lit, la chambre semblait glacée, au contraire, par tous ces courants d’air qui y pénétraient librement par la cheminée, la fenêtre disjointe, la porte fendue.

– C’est tout de même malheureux, pensa Fandor après avoir d’un regard perspicace apprécié l’état du logis où il se trouvait ; c’est tout de même malheureux de payer régulièrement son terme, de posséder rue Richer un appartement qui, sans être luxueux, est cependant habitable, et d’être obligé de venir coucher à l’Hôtel de l’Armée et de la Marine, dans une chambre à quarante sous la nuit…

Il s’éveilla tout à fait cependant. Il ne pouvait plus se faire illusion sur la nécessité prochaine qui l’obligerait à se lever.

Fandor s’assit, puis soudain se recoucha, fermant les yeux, mais cette fois non plus par sommeil, mais afin de se recueillir…

– Caporal Vinson, avait appelé l’adjudant deux jours avant, vous avez une permission de huit jours… Vous pourrez quitter la caserne demain à midi…

Tant de fois déjà, Fandor avait reçu d’une façon aussi imprévue des permissions qu’il n’avait nullement sollicitées qu’il n’en était plus à s’étonner de la chose.

– Merci, mon lieutenant !…

Fandor avait répondu d’un ton machinal, puis attendait impatiemment l’arrivée du vaguemestre qui, sans aucun doute, lui apporterait une carte postale lui donnant un mystérieux rendez-vous avec les espions pour le compte desquels il était censé d’agir.

Or, ce n’était point une carte postale, mais bel et bien une lettre que lui avait remis le sergent faisant office de vaguemestre.

Fandor avait ouvert l’enveloppe fébrilement et tout d’abord n’avait pu s’empêcher de tressaillir en constatant le style, pour le moins inférieur, de cette épître.

La lettre commençait par ces mots :

« Mon bon chéri ».

– Ah ça ! pensait le jeune homme, voilà que je deviens tout à fait « Pitou », puisque je reçois des lettres d’amour…

C’était, en effet, un billet doux que l’on venait de lui remettre.

La correspondante mystérieuse disait :

« Il y a longtemps que je ne t’ai vu, mais puisque tu vas avoir une permission de huit jours, je pourrai à loisir me dédommager de ton absence. Veux-tu que nous prenions rendez-vous pour la première matinée de ton arrivée à Paris ? Je pense que tu descendras, comme d’habitude, boulevard Barbès, à l’Hôtel de l’Armée et de la Marine ? Moi, tu me trouveras à onze heures et demie très exactement rue de Rivoli, au coin de la rue Castiglione. Nous pourrons déjeuner ensemble. À bientôt. Je t’envoie tous mes baisers. »

Et Fandor ayant lu cette lettre à la signature illisible, en comprenait le sens caché :

Les chefs espions lui annonçaient qu’il allait avoir une permission de huit jours – parbleu, l’adjudant le lui avait dit la veille au soir —, qu’il lui fallait descendre à Paris, boulevard Barbès, à l’Hôtel de l’armée et de la Marine, et qu’enfin on lui donnait rendez-vous rue de Rivoli ! Il s’agissait évidemment de remettre le plan du débouchoir qu’il avait promis… sans la moindre hésitation, étant bien décidé à ne fournir qu’un dessin fantaisiste.

– Allons-y ! avait murmuré le faux caporal Vinson, peut-être, à Paris, vais-je enfin me trouver devant des têtes de connaissance ?

Et Vinson-Fandor avait fidèlement suivi le programme qu’on lui traçait.

L’excellent journaliste Jérôme Fandor, qui avait dans son esprit repassé tous ces détails, qui, de plus, avait en quelque sorte étudié, préparé d’avance le rôle qu’il comptait jouer ce matin-là, se levait, s’habillait en hâte.

– Vais-je me mettre en uniforme ? Non ! laissons cela, c’est dangereux et sans intérêt. Après tout, je ne sais pas en face de qui je vais me trouver ce matin, et je dois toujours me méfier d’un piège de contre-espionnage… Une idée, même : non seulement je vais aller à ce rendez-vous en civil, mais encore je vais m’y rendre en Fandor dégrimé… Évidemment, cela me fera rater mon rendez-vous, mais mes individus ne se décourageront pas pour si peu. Il ont mon adresse à cet hôtel, ils m’écriront un nouveau rendez-vous, où j’irai cette fois en caporal Vinson, si la chose me semble convenable…

Il prit un fiacre qui le conduisit au pied de la colonne Vendôme.

Fandor venait de quitter son cocher et s’engageait sous les arcades de la rue de Rivoli lorsqu’il remarqua au loin une passante qui marchait dans sa direction, et dont la silhouette ne lui était pas inconnue.

– Ma parole, fit le jeune homme ; elle est bien bonne ! je ne me trompe pas ?

La passante approchait de plus en plus ; Fandor ne résistait point à la curiosité de la rencontre ; il se laissait voir, saluait d’un grand coup de chapeau :

– Mademoiselle Berthe !… mademoiselle Berthe !…

Toute saisie, la jeune femme s’arrêtait :

– Ah ! monsieur Fandor ! Comment allez-vous ?…

– Fort bien… mais moi, je ne vous demande pas de vos nouvelles, mademoiselle, la fraîcheur de votre teint me répond d’avance !…

Bobinette esquissait un petit sourire, puis s’informait :

– Comment donc êtes-vous là ?

Jérôme Fandor n’avait garde d’hésiter.

– Dame ! mademoiselle, comme vous y êtes vous-même… je passais sous les arcades…

C’était à Bobinette de s’excuser :

– Oh ! ce n’est point ce que je voulais dire, monsieur ! Je vous demande comment il se faisait qu’étant à Paris, vous ne soyez jamais revenu voir M. de Naarboveck, qui cependant vous avait invité à passer de temps en temps prendre le thé à la maison ?

– Je viens en effet de rentrer à Paris, mademoiselle… Tout le monde va bien chez M. de Naarboveck ?… Mlle Wilhelmine est remise de ses émotions ?

– Oh ! oui, monsieur.

Fandor eût bien voulu poser d’autres questions et tout spécialement savoir si elle, la jolie Bobinette, pensait encore au capitaine Brocq, il eût bien voulu éclaircir l’exacte intimité que la jeune femme avait eue avec l’officier disparu, l’amour qu’il lui supposait pour Loubersac, mais il était évident que la jeune fille était gênée par cette conversation en plein vent.

Il n’était d’ailleurs point correct de l’éterniser, et bon gré mal gré, après quelques paroles, Fandor se résigna à dire adieu à la jolie fille.

Tandis que celle-ci s’éloignait, le journaliste, recommençant à faire les cent pas, vérifia l’heure. Il était maintenant midi moins le quart, les passants se faisaient rares ; Fandor ne croisait personne qui lui parût digne d’attention… Impatiemment, le jeune homme attendit encore cinq minutes, dix minutes, mais, à une heure, il se décida à regagner son hôtel…

– Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa-t-il. Dois-je croire que personne n’est venu attendre le caporal Vinson, ou tout bonnement que, devant avoir affaire à de nouvelles têtes, je n’ai point identifié mes individus tandis qu’eux, bien entendu, sont repartis, n’apercevant pas plus de caporal que de beurre en branche…

En arrivant boulevard Barbès, Fandor trouvait un pneumatique adressé au caporal Vinson. Il l’ouvrit : ce pneumatique n’était pas signé, il imitait toujours l’écriture et le style d’une amoureuse.

On lui disait :

« Mon bon chéri, mon amour, excuse-moi de ne pas être venu te prendre ce matin rue de Rivoli, comme il était convenu. Cela m’a été impossible. Reviens à deux heures au même endroit, je te promets que je serai exacte… Bien entendu, viens en uniforme, je veux voir comme tu es beau sous l’habit militaire… »

Fandor lut ce pneumatique, un pli soucieux au front.

– Je n’aime pas beaucoup cela, se dit-il… Pourquoi me faire venir en uniforme ? Savent-ils que je suis venu en civil ce matin ? Mais alors… ?

Le jeune homme avait de plus en plus l’impression qu’il se trouvait impliqué dans des aventures où la plaisanterie n’était plus de mise.

– Allons-y, murmura-t-il, mais, pour Dieu, je crois qu’il commence à être grand temps que je rentre dans la vie civile…

***

Il était deux heures juste à l’horloge qui orne le refuge dressé au milieu de la rue de Rivoli, à l’extrémité du ministère de la Marine, lorsque Fandor traversa la chaussée, sortant du métropolitain, pour se rendre à nouveau au coin de la rue Castiglione.

– Cette fois, pensait-il, j’ai mon uniforme, je suis exact, rien ne doit empêcher que nous ne nous rencontrions…

Le journaliste avait à peine fait quelques pas, en effet, sous les arcades, qu’une main finement gantée se posait sur ses épaules :

– Mon cher caporal !… comment allez-vous ?…

Fandor tournait vivement la tête, et non sans une certaine stupeur reconnaissait la personne qui venait de l’aborder : un prêtre !

– Très bien !… et vous-même, monsieur l’abbé ?…

Mais Fandor identifiait à la minute l’ecclésiastique ; il l’avait déjà vu dans la voiture en panne sur la route de Verdun à la frontière… le jour où il avait rencontré pour la première fois les espions, où il avait été par eux présenté aux imprimeurs Noret…

– Votre ami est là, monsieur l’abbé ?

– Non pas, mon cher caporal… non pas !… il m’a chargé de bien des choses pour vous, mais, en vérité, il est trop accablé de besognes pour pouvoir voyager…

– Il est donc à Verdun ?

– J’ignore où il est, répondit le prêtre d’un ton sec… Ceci n’a d’ailleurs pas d’importance puisque nous devons faire route ensemble et qu’il ne part pas avec nous…

– Nous partons donc ? interrogea Fandor, interloqué.

– Oui, nous allons faire un petit voyage…

Tout en parlant, le prêtre avait saisi familièrement le bras du caporal et l’entraînait.

– Vous m’excuserez, disait-il, de n’avoir pu venir ce matin, mais cela m’a été complètement impossible… Ah ! passez-moi le document promis… là !… très bien ! je vous remercie… Tenez, caporal, vous voyez notre chemin de fer ?…

Le prêtre montrait du doigt à Fandor, qui riait sous cape en livrant un plan de débouchoir imaginaire, une superbe automobile qui stationnait au long du trottoir…

– Voulez-vous monter ? La route est longue.

– Maudit curé ! se disait Fandor. Je lui donnerais bien dix fois de suite l’absolution, rien que pour savoir où il va me mener avec cette voiture-là…

Mais ce n’était pas le moment de réfléchir. Le prêtre pria Fandor de s’asseoir, et très aimablement lui tendit une lourde couverture de voyage.

– Enveloppons-nous, caporal, il ne fait pas chaud sur la route… Chauffeur, vous pouvez partir, nous sommes prêts…

Tandis que la voiture démarrait, le prêtre expliquait, en désignant un volumineux paquet qui empêchait le soldat d’étendre les jambes :

– Nous changerons de place de temps en temps, si vous le voulez, car vous devez être fort mal, avec ce paquet qui encombre…

– Bah ! répondit Fandor, à la guerre comme à la guerre… d’ailleurs, monsieur l’abbé, il me semble que nous pourrions tous les deux nous installer plus confortablement en attachant ce colis sur le siège avant, à côté de votre chauffeur…

– Caporal, dit l’abbé assez sèchement, je ne vous comprends pas. Vous ne songez pas à ce que vous dites…

– Sacrebleu, pensa Fandor, qui, tout au contraire, pesait chacune de ses paroles, il paraît que j’ai gaffé, mais en quoi ? je voudrais bien le savoir…

Il allait essayer de reprendre l’entretien, le prêtre ne lui en laissait pas le temps :

– Je suis très fatigué, faisait-il, j’ai mal dormi, vous m’excuserez donc, caporal, si je sommeille un peu… Dans une heure, je serai complètement dispos et nous pourrons causer… Aussi bien, nous en aurons le temps, nous ne sommes pas prêts d’arriver…

Fandor n’avait qu’à approuver… La voiture montait l’avenue des Champs-Elysées. Le jeune homme songeait que l’on devait gagner l’une des sorties de Paris, mais pour aller où ?

Fandor voulut ruser :

– Votre chauffeur connaît la route, monsieur l’abbé ?

– J’espère que oui… pourquoi ?

– Parce que j’aurais pu le guider, je me dirigerais les yeux fermés dans tous les environs de Paris.

– Eh bien, faites attention alors à ce qu’il ne s’écarte pas du bon chemin. Nous allons vers Rouen…

Et, cela dit, le prêtre, s’entortillant dans sa couverture, s’enfonça soigneusement dans la banquette, cherchant une pose commode.

Le journaliste, qui avait sous les pieds le précieux ballot s’assura que le prêtre dormait profondément et tenta de se rendre compte de ce que contenait le paquet. Mais il avait beau suivre, de la pointe de sa bottine, le contour de l’objet dissimulé sous une toile grise, il ne parvenait à soupçonner quoi que ce soit. À coup sûr, à l’intérieur de la « toilette », on avait disposé une couche de paille, et l’épaisseur de cette enveloppe protectrice déroutait les investigations du jeune homme.

La voiture dévalait les côtes, montait les rampes, dévorait les kilomètres. Fandor croyait à peine sortir de Paris que Saint-Germain était franchi, Mantes dépassé.

Comme on approchait de Bonnières, le journaliste qui, les yeux fixes, contemplait l’infini de la route comme si, à quelque détour du chemin, il allait pouvoir jeter un coup d’œil sur le but réel de ce voyage inattendu, sentit que l’abbé l’observait sous ses paupières à demi closes.

– Il m’ennuie, pensa Fandor.

Et, se tournant vers le prêtre :

– Vous voilà réveillé, monsieur l’abbé ? Vous hésitez à ouvrir les yeux ?

– Je me demandais où nous étions…

– Nous arrivons vers Bonnières.

– Ah ! bon…

Du coup, le prêtre se redressa tout à fait et, soudainement, en pleine possession de lui-même, rejeta dans le fond de la voiture la couverture qu’il avait conservée jusqu’alors enroulée autour de ses jambes.

– Faites comme moi, caporal, ordonna-t-il… Jetez votre plaid sur notre colis, sans le plier… Comme cela, nul ne pourra se douter de la présence de ce paquet.

– Il ne faut donc pas qu’on le voie ? demanda Fandor de l’air le plus bête qu’il lui était possible de prendre.

Le prêtre haussa les épaules :

– Bien entendu, il ne faut pas qu’on le voie ! Et à Bonnières, il importe de toujours se méfier : les gendarmes sont impitoyables et arrêtent toutes les automobiles, pour excès de vitesse…

Fandor ouvrit de grands yeux et, se gardant de parler, questionnait du regard son compagnon.

– Ah ça ! fit le prêtre, agacé de cette persistante interrogation, mais vous ne comprenez donc rien, caporal Vinson ? Je vous croyais plus perspicace… Mes moindres paroles ont l’air de vous jeter dans une stupéfaction absolue !… C’est à désespérer d’arriver à vous former jamais !… Ah ! voici Bonnières, traversons la ville sans rien dire. Sitôt sur la grand-route, je vous donnerai quelques explications qui vous seront utiles…

Le village n’était pas dépassé depuis trois minutes, en effet, que le prêtre se tournait vers Fandor :

– Dites-moi, caporal, faisait-il après s’être assuré que, dans le vent de leur route, dans le bruit de la machine, il était impossible que le mécanicien pût entendre ses paroles, dites-moi, caporal, que croyez-vous qu’il y ait dans ce paquet ?

– Mon Dieu, monsieur l’abbé…

– Caporal, il y a tout bonnement là-dedans la fortune pour vous et pour moi… une pièce d’artillerie, le débouchoir du 155-R, le canon à tirs rapides…, vous saisissez l’importance ?… Nous allons coucher ce soir dans les environs de Rouen… demain matin, de très bonne heure, nous repartirons pour Le Havre… là, caporal, comme moi je suis connu et qu’il serait dangereux que je me fasse rencontrer, nous nous séparerons, vous irez avec le mécanicien au Nez d’Antifer… et vous y trouverez une petite barque de pêche dont je vous donnerai le signalement, conduite par un matelot ami… vous n’aurez qu’à lui livrer ce paquet… il prendra le large et le remettra, en pleine mer, à qui de droit…

Abasourdi par la gravité des révélations que le prêtre lui faisait ainsi, terrifié, Fandor resta silencieux quelques instants.

– Bon ! pensa-t-il soudain, si les choses se passent ainsi, je sais bien ce que je ferai, ce qu’il faudra absolument que je fasse… trouver un moyen, entre Le Havre et le Nez d’Antifer, de faire disparaître ce débouchoir, qui d’ailleurs ne doit en rien ressembler à mon dessin… Quel que soit l’intérêt de mon enquête, je ne peux pas évidemment risquer de livrer à l’ennemi, à l’étranger, au moins, une pièce semblable…

– Et maintenant, j’imagine, caporal, que vous êtes parfaitement renseigné et que vous comprenez l’inconvénient qu’il y aurait pour vous, plus encore que pour moi, puisque vous êtes militaire, puisque vous êtes en tenue, à ce que l’on ouvrît ce paquet…

– La situation se complique bizarrement, se dit Fandor. Ce maudit curé me tient dans ses filets, sans que je ne puisse rien pour me défendre… bon gré, mal gré, il faut en effet que je le suive… En civil, j’aurais le droit d’aller au premier bureau militaire annoncer que j’ai découvert qu’un abbé allait livrer une pièce d’artillerie… J’agirais alors sous ma véritable qualité de Fandor, je disparaîtrais en tant que Vinson, et le tour serait joué… mais en tenue, que faire ? On m’accuserait certainement de m’être livré à de mystérieux trafics, on me coffrerait… j’aurais toutes les peines du monde à me faire relaxer avant six mois… D’ailleurs…

Il lui semblait bizarre, de plus en plus, que ce fût à lui, lui, caporal Vinson de Verdun – il en revenait toujours à cette idée – que l’on s’adressât pour une semblable mission. Assurément, les espions possédaient mille autres agents susceptibles de se tirer avec honneur de la périlleuse commission qui consistait à remettre à la barque du Nez d’Antifer le débouchoir volé…

Jérôme Fandor sentit un frisson de terreur lui courir au long de l’échine.

– Nom de Dieu, songea-t-il, si jamais cet individu-là me bernait ?… si hier, aujourd’hui, n’importe quand, je m’étais trahi ? si ces gens s’étaient aperçu de ma véritable identité ? si, sachant que je ne suis pas Vinson et… et… que je suis Fandor ils avaient inventé cette ruse abominable… me faire mettre en tenue, jeter dans une voiture un mécanisme d’artillerie dont la présence soit compromettante et s’en aller me livrer à Rouen, ou ailleurs, à l’autorité militaire ?…

– Monsieur l’abbé, demanda-t-il, comme la voiture traversait un village et que le prêtre ouvrait les yeux, je suis mort de froid, verriez-vous un inconvénient à ce que nous nous arrêtions une minute pour prendre un verre de rhum ? cela nous réchaufferait…

L’abbé s’était renfoncé sur la banquette de la voiture ;

il sommeillait à nouveau.

Fandor regarda son compagnon de route à la dérobée…

À bien la considérer, soudainement, la figure du prêtre lui paraissait étrange… les sourcils étaient trop réguliers, peints, sans doute ?… et puis, comme il avait la peau fine !… pas la moindre trace de barbe !…

Fandor continuait son examen…

Du dessous de la soutane sortait la chaussure du prêtre, chaussure classique pour un abbé, soulier à boucle d’argent… mais comme la cheville paraissait fine !…

Qu’allait-il imaginer encore ? Vraiment, il devenait trop craintif, il s’effarait des moindres détails…

Silencieusement, le prêtre faisait signe au mécanicien d’arrêter à la porte d’un cabaret de petite importance.

– Portez un cognac au mécanicien, commandait à la patronne le prêtre, vous donnerez à Monsieur un verre de rhum… vous me verserez une anisette…

– Une anisette, songeait Fandor en remontant dans l’automobile, c’est de la liqueur pour prêtre, pour adolescent… pour femme !… Ah ! zut de zut, je ne me sens pas du tout tranquille… je voudrais bien m’en aller…

Le prêtre interrompit les réflexions de Fandor :

– Dans une heure, disait-il, nous serons à Rouen ; nous traverserons la ville, mais nous nous arrêterons quelques kilomètres plus loin, à Barentin. J’y connais un très bon petit hôtel…

Fandor ne répondait point, mais il pensait :

– Va pour Barentin !… Mais si j’ai le moindre indice que ce bonhomme-là veut me lâcher, veut me quitter une seconde, s’il a l’air de songer à prévenir l’autorité, je connais quelqu’un qui prendra la fuite… et comment !…


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю