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L'agent secret (Секретный агент)
  • Текст добавлен: 8 октября 2016, 22:24

Текст книги "L'agent secret (Секретный агент)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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20 – HOMME OU FEMME ?

Les kilomètres succédaient aux kilomètres.

Le prêtre s’était enfoncé dans les coussins de la banquette et fermait à demi les yeux. Fandor, à son tour, se sentait pris d’une étrange somnolence…

– Ce qu’il y a d’ennuyeux, pensait-il, c’est que ce soir, à peine la tête sur l’oreiller, je m’en vais à coup sûr ronfler comme une brigade de gendarmerie.

On approchait cependant.

Après une descente rapide, la route s’était infléchie sur la droite ; elle serpentait maintenant à flanc de coteau, bordée sur un côté par la Seine, sur l’autre par des falaises taillées à pic que dominait au lointain le sanctuaire rouennais, objet de la vénération de toute la contrée : Notre-Dame de Bon Secours.

– C’est Rouen ? interrogeait Fandor.

– Nous y serons dans six kilomètres, répondait le prêtre…

– Nous n’arrêterons pas ? questionnait le journaliste.

– Si, je suppose que nous allons avoir besoin de nous ravitailler et, de plus, j’ai une commission à faire au patron de l’un des garages de la ville.

– Attention ! se dit Fandor, les commissions que peut faire cet abbé sont sûrement intéressantes. Gare à la manœuvre…

Le jeune homme connaissait Rouen.

– Si nous ne dévions pas de notre chemin, se disait Fandor, si nous faisons halte à l’un des garages qui se trouvent le long des quais, tout ira bien… en cas d’alerte, j’imagine qu’au bout de cent mètres de course, je rencontrerai certainement un de ces tramways électriques qui pullulent à Rouen… je sauterai à bord… c’est bien le diable s’il ose me courir après et me rattraper…

Or, tandis que le jeune homme méditait la façon dont, le cas échéant, il échapperait à son mystérieux compagnon de route, la voiture atteignait le pont qui prolonge, au travers de la Seine, la rue Jeanne-d’Arc. Les voyageurs étaient maintenant au centre même de Rouen, le mécanicien tournait la tête :

– Monsieur me permet-il d’arrêter ? interrogeait-il en regardant le prêtre. Il faut que je fasse mon plein…

L’abbé, du doigt, indiqua un garage :

– Stoppez là…

L’automobile s’était à peine rangée au long du trottoir que le prêtre, sautant sur le sol, s’avançait dans l’intérieur du garage.

– Ah ! ça fait du bien de se dégourdir les jambes ! déclara Fandor, qui, sans autre excuse, emboîta franchement le pas à l’abbé…

L’ecclésiastique n’en semblait nullement inquiet. Il marchait vers le patron de la boutique :

– Dites-moi, mon ami, vous n’auriez pas reçu par hasard une dépêche au nom de l’abbé Gendron ?

– Si fait, monsieur l’abbé, serait-ce vous ?

– C’est moi… j’avais prié que l’on m’adressât ici des nouvelles au cas où ce serait nécessaire…

Tandis que le prêtre déchirait le pointillé du télégramme qu’on venait de lui remettre, Fandor, qui grillait une cigarette de l’air le plus flegmatique qu’il put, s’évertuait à trouver un moyen pour lire la dépêche que son compagnon de route examinait, le visage soudain contracté, les sourcils froncés, l’œil mauvais…

Mais le jeune homme eut beau loucher dans les glaces, changer de place pour tâcher d’apercevoir en transparence le télégramme, passer derrière l’abbé en faisant semblant d’examiner les affiches qui garnissaient les murs du garage, en réalité pour lire par-dessus son épaule, il en fut pour ses frais. Impossible d’apercevoir le texte.

– Vous ne recevez pas de fâcheuses instructions ? demanda Fandor, tandis qu’à nouveau l’auto démarrait.

– Non point…

– Un télégramme c’est toujours inquiétant.

– Celui-ci ne m’apprend rien que je ne savais déjà… dont je me doutais au moins… Seulement, au lieu d’aller au Havre demain, nous irons à Dieppe…

Fandor n’insistait pas…

– Vous allez quitter Rouen, disait le prêtre au mécanicien, non par la grande côte, mais par la petite route qui serpente… la nouvelle route… vous nous arrêterez à l’hôtel que vous allez trouver sur la droite et qui s’appelle, si je me rappelle, auberge du Carrefour Fleuri

– Un joli nom, remarquait Fandor…

– Un nom stupide, répondit simplement le prêtre : la maison n’est nullement à un carrefour et l’endroit est à vrai dire aussi peu fleuri que possible… D’ailleurs, vous allez pouvoir en juger, voici l’auberge.

L’auto venait, en effet, d’obliquer brusquement et s’engageait sous une porte cochère.

Un gros homme, chauve à faire rire, s’avança. C’était l’hôtelier.

– Vous allez pouvoir nous servir à dîner ? demanda le prêtre.

– Mais certainement, monsieur le curé…

– Vous avez une remise pour la voiture ?

D’un geste large, l’hôte montra la cour… les charrettes de ses clients habituels y demeuraient.

– Enfin, demanda l’abbé, vous pourrez nous réserver trois chambres ?

– Trois chambres ? ah ! non, monsieur le curé !… ça, c’est tout à fait impossible. Mais il y a bien moyen de faire quand même… j’ai une mansarde pour votre mécanicien, et puis une chambre à deux lits pour vous et M. le caporal qui vous accompagne… Ça ira, je pense ?

– Mais oui, très bien, très bien !… affirmait Fandor, enchanté de l’occasion qui s’offrait à lui de ne point perdre de vue son compagnon de route.

Celui-ci semblait infiniment moins satisfait…

– Comment donc ?… vous n’avez pas deux chambres pour nous ?… J’ai horreur de dormir avec quelqu’un ; je n’en ai pas l’habitude…

– Monsieur le curé, tout est plein… J’ai une noce…

– Eh bien, il n’y a pas un hôtel à côté, où je pourrais, par exemple…

– Non, monsieur le curé, je suis le seul hôtelier du carrefour…

– La cure est loin ?

– Mais, mon cher abbé, protestait Fandor, prenez donc cette chambre, je coucherai, moi, n’importe où… sur deux chaises, dans la salle à manger…

– Du tout, du tout. Dites, monsieur l’hôtelier, la cure est loin ?

– Il y a toujours huit kilomètres au moins…

– C’est bien désagréable, faisait le prêtre. Nous allons passer une nuit horrible.

– Mais non, mon cher abbé, protestait encore Fandor, je vous répète que je vous laisserai la chambre…

Le prêtre haussa les épaules :

– Allons donc, caporal, pas d’enfantillages. Nous aurons encore à rouler demain matin. Il est absolument inutile que nous soyons brisés de fatigue… Nous nous arrangerons…

Fandor acquiesçait de la tête.

– Servez-nous tout de suite à dîner, commanda le prêtre.

Fandor ne le perdait point des yeux… À peine avait-il une légère émotion en le voyant soudain s’éloigner à pas rapides.

– Où allait-il ?

Mais vraiment Fandor exagérait sa surveillance et force était bien au jeune homme de rire, s’apercevant que l’abbé s’était écarté pour une raison des plus naturelles…

– Quand même ce serait la dernière des fripouilles, pensait Fandor, je ne peux véritablement pas lui reprocher semblable démarche !

C’était avec plus d’étonnement, par exemple, que le jeune homme constata qu’en se mettant à table l’abbé oubliait purement et simplement de dire le « Bénédicité »…

– Curieux, pour un prêtre !

Et l’étonnement du faux caporal Vinson augmenta encore lorsque, quelques minutes après, il s’apercevait que l’ecclésiastique attaquait d’un formidable appétit une savoureuse volaille…

– Mazette ! pensait Fandor, je ne rêve pourtant pas, nous sommes bien le 1er décembre, j’ai bien lu le mandement épiscopal ordonnant de faire maigre… et voilà que mon abbé fait gras…

Tandis que l’abbé mangeait, en effet, sans dire mot, les yeux baissés sur son assiette, Fandor, que l’angoisse tenaillait de plus en plus, le dévisageait avec un soin extrême. Il s’émerveillait de la finesse du visage, de la minceur des mains… il remarquait les attitudes gracieuses… une infinité de détails le choquaient… au point qu’au moment où l’on arrivait au dessert Fandor se déclara à lui-même :

– Je donnerais ma tête à couper que cet abbé, ce prêtre, ce curé, c’est une femme.

***

La porte à peine tirée sur eux, soigneusement le prêtre avait fait monter dans la chambre le fameux colis qui avait déjà intrigué Fandor et l’avait placé au pied de son propre lit. Le faux caporal et peut-être le faux curé se souhaitèrent mutuellement le bonsoir.

– Pour moi, déclarait Fandor, en délaçant ses bottines, j’avoue que je tombe de sommeil.

– J’en dirais autant… répondit le prêtre.

Malicieusement, le journaliste affirma :

– Ah, je vous plains, monsieur l’abbé, vous avez sans doute, vous, de longues prières à réciter… surtout si vous n’avez pas terminé votre bréviaire…

Il semblait bien au journaliste qu’un vague sourire se dessinait au coin des lèvres de son compagnon qui, cependant, très naturellement, répondait :

– Vous vous trompez… je suis dispensé d’un certain nombre d’exercices religieux…

– Va toujours, mon bonhomme, pensa Fandor, c’est bien le diable si je ne te pince pas au détour d’un de tes mensonges…

Et profitant de ce que le prêtre était assis sur une chaise, occupé à se faire les ongles, il marcha vers la porte, expliquant :

– J’ai horreur de dormir dans une chambre d’hôtel quand la porte n’est pas bien fermée… Vous permettez que je donne un tour de clé ?

– Faites donc…

Non seulement le journaliste ferma la serrure, mais encore il retira la clé, et d’un geste nonchalant, songeant qu’après tout un caporal n’était pas tenu à être bien élevé, il la lançait à l’improviste sur les genoux du prêtre :

– Tenez, monsieur l’abbé, si vous voulez la mettre sur votre table de nuit…

Ce n’était pas au hasard que Fandor agissait ainsi…

Il connaissait cette remarque de police qui permet presque à coup sûr, d’identifier si un individu est un homme ou une femme… Un homme recevant un objet sur ses genoux serre instinctivement les jambes pour l’empêcher de glisser à terre ; une femme, habituée à porter la robe, ouvre au contraire les jambes pour offrir une plus grande surface ou l’objet puisse tomber sans rouler sur le sol…

Qu’allait faire le prêtre ?

Fandor ne fut pas surpris de lui voir, en écartant instinctivement les jambes, tendre sa robe.

– C’est une femme, pensa-t-il.

Mais subitement une réflexion l’arrêtait :

– Ah çà, je déraisonne ! cela ne prouve rien du tout ! un prêtre est aussi habitué qu’une femme à porter jupon ! or, que fait un prêtre dans ces conditions ?… est-ce qu’il ouvre ou est-ce qu’il ferme les genoux ?

La question était, pour Jérôme Fandor, insoluble.

– Mon expérience ne prouve rien, dut-il s’avouer… et je suis tout à fait idiot !…

À vrai dire, il songeait bien à cette autre ruse, conseillée par les détectives anglais, et qui consiste à jeter par terre à l’improviste l’individu que l’on surveille… Neuf fois sur dix, affirme-t-on, un homme se trahit dans ce cas-là par un juron brutal, une femme, plus douce, naturellement, emploie des expressions plus modérées.

– Mais, pensait Fandor, je ne peux véritablement pas donner un croc-en-jambe à ce bonhomme ou à cette bonne femme…

Tout en réfléchissant, le journaliste se déshabilla…

Le prêtre se polissait toujours les ongles.

– Vous ne vous couchez pas, monsieur l’abbé ?

– Si fait…

L’ecclésiastique retira ses bottines, se débarrassa de son faux-col, puis s’étendit sur son lit… Fandor avait suivi la manoeuvre.

– Vous allez dormir tout habillé ? demanda-t-il.

– Je ne puis souffrir de me dévêtir dans un lit qui n’est pas mon lit habituel. Je souffle la bougie, caporal ?

– Soufflez, monsieur l’abbé !

Mais, cette fois, Fandor était convaincu…

– C’est bien ma veine, pensait-il toujours, voilà que mon curé est une femme, et voilà que cette femme a des pudeurs de curé…

Il comprenait, en effet, pourquoi, si véritablement le prêtre était une femme déguisée, il avait tant hésité à coucher dans une chambre commune avec Fandor, pourquoi maintenant il n’osait point abandonner sa soutane…

Fandor, cependant, souhaitait le bonsoir à son compagnon et, pelotonné sous ses couvertures, se recommandait à lui-même de ne point fermer les yeux…

– Je ne sais pas ce qui va se passer, se disait-il, méfions-nous…

Le jeune homme avait grand-peur de s’endormir, il se montrait exagérément prudent.

La lumière n’était pas en effet éteinte depuis dix minutes que quelqu’un voulut entrer dans la chambre et, se heurtant à la porte fermée, la secoua, comme étonné de sa résistance..

– Qui va là ? demandait Fandor.

– Bon !… bon !… ne vous dérangez pas…, répondit-on…

Et, dans le couloir, Fandor entendit que l’on s’éloignait.

– Quelqu’un qui se trompe, pensa le journaliste. Et il retomba dans ses réflexions.

– Évidemment, aujourd’hui, j’ai fait une promenade charmante, mais demain, à Dieppe… puisque c’est à Dieppe que nous allons maintenant, ce voyage pourrait très mal finir… De deux choses l’une : ou il va falloir que je m’occupe du débouchoir volé et, dans ce cas, je devrai me livrer à un jeu terriblement périlleux, ou mon faux curé m’a raconté des histoires inventées à plaisir… et je ne sais pas ce qui m’attend, ce qui n’est guère amusant !…

Mais Jérôme Fandor était interrompu dans ses réflexions. À nouveau quelqu’un voulait entrer dans la chambre…

– Qui va là ? demande encore le journaliste…

Mais trouvant la porte fermée, le visiteur s’était déjà éloigné et ne répondit pas.

Jérôme Fandor écoutait un instant, il n’entendait plus que la respiration régulière de l’abbé, celui-ci dormait ou feignait de dormir…

– De plus, pensait Fandor, reprenant le cours de ses réflexions, que diable disait ce télégramme reçu tout à l’heure au garage ? Il m’a semblé que mon abbé en était assez ému… il m’a semblé surtout qu’il me regardait fixement, après en avoir achevé la lecture… c’est mauvais, cela !…

Une troisième fois on frappait à la porte ou plutôt on essayait d’entrer d’autorité dans la chambre…

Fandor énervé bondit hors du lit, et saisissant la clé que le prêtre avait posée sur sa table de nuit, ouvrit rapidement, passa la tête dans le couloir :

– Mais qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda-t-il, c’est assommant à la fin…

Il se trouva face à face avec un jeune paysan qui parut profondément interloqué d’apercevoir le journaliste en chemise…

– Que voulez-vous ? précisait Jérôme Fandor.

– Bé dame ! faisait l’autre…

Et du doigt il montrait la porte que Fandor tenait toujours à demi ouverte.

Le journaliste regarda ce qu’on lui montrait.

Une seconde, il demeura muet de stupéfaction, puis éclata d’un franc éclat de rire.

Sur la porte, à l’aide de deux punaises, un farceur avait fixé un écriteau « W.-C. », probablement décroché ailleurs !

Le journaliste comprenait maintenant à merveille pourquoi trois personnes avaient voulu pénétrer dans la pièce sans même prendre la peine de frapper… Trompés par l’écriteau, les voyageurs descendus à l’hôtel s’imaginaient évidemment que ce n’était point là une chambre…

 Fandor haussa les épaules, arracha l’écriteau, referma sa porte et s’en vint se recoucher…

Mais comme il arrangeait confortablement son oreiller, une pensée se faisait jour dans son esprit :

– Je parierais gros que mon prêtre ne dort pas du tout, malgré sa respiration régulière, je jurerais que c’est lui qui a trouvé le moyen d’accrocher cet écriteau, pour être certain que nous soyons dérangés tout le temps et qu’il ne puisse pas s’endormir…

Et devinant la ruse, Fandor fronçait les sourcils :

– Oh ! mais !… oh ! mais ça commence à m’ennuyer, toutes ces aventures-là ! que je sois seulement persuadé que mon bonhomme dort pour de bon et je crois bien que moi…

Jérôme Fandor s’occupa à se réciter Le Cid, pour être bien certain de se tenir éveillé…

21 – ENTENTE CORDIALE

– Faisons la paix ? offrit Juve.

Le policier tendait sa main large et vigoureuse :

– Faisons la paix, franchement, sans arrière-pensée !

Le lieutenant de Loubersac était en face de l’inspecteur de la Sûreté. Sans hésiter l’officier accepta le pacte et serrant dans les siens les doigts de Juve :

– C’est entendu, monsieur, nous sommes bien d’accord.

L’inspecteur et l’officier se trouvaient sur la jetée du port de Dieppe. Il était trois heures de l’après-midi et par ce jour froid de décembre les flots au loin avaient un aspect sinistre. La tempête venait d’ouest et les rares bateaux de pêche qui s’étaient aventurés au large ralliaient avec la marée la direction du port.

Depuis qu’ils étaient arrivés à Dieppe, Juve et Henri de Loubersac s’étaient machinalement efforcés de s’éviter l’un l’autre, mais la topographie de la ville devait évidemment les ramener sans cesse au même point, car à peine s’étaient-ils tournés le dos avec des mines maussades et ennuyées, qu’ils se retrouvaient face à face…

***

La veille au soir, à la suite de son arrestation sous la forme de Vagualame, Juve avait été conduit au Dépôt par les inspecteurs de la Sûreté, ses collègues.

Mais aussitôt dans le taxi où il montait sous la surveillance de l’agent Michel et de son compagnon, Juve s’était fait reconnaître à la grande surprise des deux policiers qui, d’ailleurs, ne laissaient pas d’être fort ennuyés de cet incident au sujet duquel leur amour-propre aurait peut-être à souffrir.

Ils accueillaient sans enthousiasme le récit de Juve, car au fond, ils se sentaient profondément vexés, non seulement de ne pas avoir arrêté le coupable, qu’ils avaient mission d’appréhender, mais encore de n’avoir pas, sur-le-champ, découvert que l’individu grimé qu’ils entraînaient hors de l’hôtel de Naarboveck n’était autre que leur collègue.

Celui-ci, dès le début de l’étrange entretien qui avait lieu dans le taxi, pendant le court trajet qui séparait l’Esplanade des Invalides de la Préfecture de police, s’était douté, avec son flair habituel, que l’agent Michel et son collègue n’étaient pas en bonnes dispositions pour lui prêter, à lui Juve, leur appui bénévole.

Et Juve, ne voulant pas compromettre son plan de campagne, renonçant à son premier projet, avait décidé de ne point leur parler du caractère éminemment suspect de Bobinette, encore moins de la complicité de la jeune femme avec le véritable Vagualame, complicité que depuis quelques jours, surtout depuis le soir même, il avait catégoriquement établie.

Que pouvait-on faire de Juve une fois au Dépôt ?

Force fut à Michel de lui enlever les menottes et de lui rendre sa liberté. Toutefois, Michel sollicita de son collègue la promesse formelle qu’il viendrait, dès le lendemain matin, mettre M. Havard au courant de ce qui s’était passé.

Juve avait promis.

Le lendemain matin, en effet, le policier, dès sept heures, était reçu par le Chef de la Sûreté. Il espérait n’être retenu que quelques minutes à peine et pouvoir s’en aller à la gare de l’Est attendre l’arrivée du caporal Vinson. Malheureusement, l’entretien fut long et le policier une fois rendu libre, renonça à son projet. Il était trop tard. Au surplus, Juve n’avait pas perdu son temps à la Préfecture, car un coup de téléphone venant du Deuxième Bureau de l’État-Major avait avisé la Sûreté que le caporal Vinson, arrivé à Paris, allait se rendre prochainement à Dieppe où un bateau de plaisance étranger prendrait possession d’une pièce d’artillerie dérobée et recueillerait vraisemblablement à son bord, par la même occasion, le caporal en question.

Juve, muni de ces renseignements qui coïncidaient avec ceux recueillis par lui la veille au soir, de la bouche même de Bobinette, qui complétaient en somme ceux de la jeune femme, décida qu’il importait au plus vite de gagner Dieppe et d’y effectuer une surveillance.

Juve avait pu prendre à la gare Saint-Lazare, le train dit « de marée », qui correspond avec le bateau d’une heure, à Dieppe, à destination de l’Angleterre.

Or, voici qu’installé dans son wagon de première classe, il avait reconnu, se promenant dans le couloir, un officier du Deuxième Bureau dont la silhouette lui était familière. Le lieutenant Henri de Loubersac… Le train s’ébranlait à peine que, dans le compartiment où Juve était seul, vint s’asseoir l’officier de cuirassiers. Lui aussi avait identifié le policier.

Or, Henri de Loubersac qui était au courant, depuis quelques heures, de l’arrestation du faux Vagualame, avait compris que c’était avec Juve qu’il s’était entretenu sur le quai près la rue de Solferino. Si dans l’intérêt de la Défense Nationale le mal n’était pas grand, l’officier du Deuxième Bureau était profondément mortifié de s’être ainsi laissé berner par un civil.

C’était là, pensait-il, des procédés que l’on n’employait pas, des procédés indignes d’un galant homme.

Dès le tunnel des Batignolles, les voyageurs commencèrent à discuter de cette délicate question, de Loubersac, très emporté, Juve imperturbable.

La discussion durait encore lorsqu’on entra en gare de Dieppe…

Les deux hommes n’ayant plus rien à se dire, semblait-il et ayant à peine effleuré le sujet des motifs qui les amenaient en même temps dans ce port de mer, s’étaient quittés, se saluant sèchement.

Puis ils avaient erré une heure, chacun de son côté.

Or, sans doute, ils avaient le même objectif, voulaient tous deux surveiller les abords des quais, car ils se trouvaient sans cesse l’un en face de l’autre, près des bassins, le long des jetées.

Cette situation aurait pu se prolonger indéfiniment, en dépit de son ridicule, mais Juve et de Loubersac étaient trop intelligents, trop sérieux et aussi trop pénétrés de leurs devoirs pour s’entêter et continuer d’agir séparément dans une affaire pour laquelle leur association eût été profitable.

C’est pourquoi Juve, à la quatrième rencontre fortuite avec l’officier, lui proposa la paix et l’officier l’accepta.

– En somme, reprit Juve, après l’échange cordial des poignées de mains, que cherchons-nous, vous et moi, ou pour mieux dire, vers quel but tendent à la fois le Deuxième Bureau et la Sûreté ?

– Un document nous a été volé, nous voulons le retrouver…

Juve poursuivit :

– Deux crimes ont été commis, nous voulons atteindre l’assassin.

– Et, continua le lieutenant de Loubersac en souriant, comme il est vraisemblable que le meurtrier du capitaine Brocq et de la chanteuse Nichoune n’est autre que l’individu qui a dérobé le document…

– En unissant nos efforts, acheva Juve, nous avons toute chance de découvrir l’un et l’autre…

Cependant le policier, après une pause, interrogea :

– Toutefois, mon lieutenant, j’imagine, puisque vous vous trouvez ici, c’est qu’il y a dans cette affaire comme qui dirait un incident, en embranchement…

Et brûlant ses vaisseaux, le policier ajouta :

– En réalité, n’êtes-vous pas venu à Dieppe pour surprendre… un certain caporal qui doit livrer à l’étranger une pièce de la plus haute importance ?

De Loubersac ne tenta pas de ruser :

– C’est exact, je vois que vous êtes comme moi, au courant de l’affaire du « débouchoir » ?

Juve hocha la tête.

Les deux hommes, lentement, étaient revenus vers la ville et longeaient les quais de l’avant-port.

Puis ils se rendirent près d’un bassin au milieu duquel était mouillé un joli petit yacht de plaisance battant pavillon hollandais.

Juve, avec attention, considéra cet élégant navire, et comme Henri de Loubersac lui demandait s’il avait un goût particulier pour le yachting, le policier sourit :

– Non ! Néanmoins, lorsque ce yacht appareillera, j’aurai le plus grand plaisir à le visiter de fond en comble avec les douaniers, car, si mes renseignements sont exacts, ce bateau de plaisance voyage à d’autres fins que celles de distraire ses passagers. J’aime à croire, pour tout dire, que c’est dans ses flancs que bientôt le caporal Vinson viendra dissimuler le débouchoir volé, et aussi sa peu intéressante personne.

Henri de Loubersac acquiesça.

– Monsieur Juve, vous êtes parfaitement au courant.

Puis les deux hommes causèrent de l’affaire.

– Ah ! dit Juve, quel dommage que le capitaine Loreuil et l’inspecteur Michel soient intervenus hier soir et m’aient arrêté prématurément, croyant s’emparer de Vagualame. Car désormais je ne pourrai plus employer le déguisement de ce bandit pour interroger en sécurité les divers membres de cette grande association d’espions que nous cherchons à découvrir…

– Mais, demanda le lieutenant de Loubersac, curieux de savoir le fond de la pensée du policier, encore qu’il n’aimât guère se remémorer les affaires de Vagualame dans lesquelles il avait été berné, qui vous empêchera de vous camoufler de nouveau en Vagualame ?

– Mon cher monsieur, répliqua Juve, qui tout en parlant jetait de perpétuels regards inquisiteurs tout autour de lui, car il s’attendait d’un moment à l’autre à voir arriver le gibier qu’il chassait, mon cher monsieur, alors que personne ne savait que j’étais un faux Vagualame, je pouvais lui emprunter son aspect, mais désormais je suis brûlé. Non seulement brûlé dans l’entourage du coupable, mais – j’en ai aussi la persuasion – brûlé auprès du vrai Vagualame.

– Vous aurait-il donc vu ?

– J’en mettrais ma main au feu !

– À quel moment ? où cela ? dans la rue ?…

– Non pas, mon lieutenant, mais plus précisément, lors de mon arrestation…

– Vous étiez assez peu nombreux, d’après ce que j’ai entendu dire. Il faudrait donc que le vrai Vagualame se soit trouvé chez le baron de Naarboveck ?…

– Hé, pourquoi pas ?

– Qui donc soupçonnez-vous ?

Juve ne répondit pas.

– Pour ma part, reprit le lieutenant, je serai assez disposé à croire que la demoiselle de compagnie, Mlle Berthe, dite Bobinette, a joué et joue un rôle incompréhensible…

– Vous le trouvez incompréhensible ?

– Eh bien, dans ce cas, déclara l’officier, à votre place, je n’hésiterais pas à l’arrêter…

– Et puis ?

– On s’expliquerait ensuite…

Juve considéra un instant le militaire, puis le prenant familièrement par le bras, abandonnant son poste d’observation derrière le wagon de marchandises, il se mit à marcher avec l’officier le long du quai.

– J’ai, commença Juve, en matière d’investigations policières et d’enquêtes du genre de celles auxquelles je me livre, une théorie tout à fait spéciale. Ce n’est pas celle de tout le monde, mais elle m’a réussi jusqu’à présent et je m’y tiens. Vous verrez la plupart de mes collègues, dès qu’ils ont un soupçon justifié sur quelqu’un, l’appréhender aussitôt, le mettre au secret, instruire son affaire et même au besoin le faire condamner. Procéder ainsi, cela permet d’obtenir évidemment des succès partiels. On s’illusionne à l’idée de victoires apparentes ; on est dans la situation d’un médecin, qui soignerait des plaies superficielles et les guérirait provisoirement, mais négligerait l’état général du malade et laisserait subsister le germe de la maladie. Oui, j’aurais déjà pu arrêter Bobinette, comme nous allons probablement arrêter tout à l’heure le caporal Vinson, mais cela nous aurait-il donné la clé du mystère et n’avons-nous pas plus de chance de découvrir le grand chef de la bande, en laissant ses collaborateurs évoluer dans l’impunité provisoire ?

Brusquement Juve s’interrompit : Un homme venait à leur rencontre ; c’était un agent attaché au commissariat général de Dieppe :

– On demande, déclara ce dernier, M. Henri au téléphone…

De Loubersac se précipitait au poste de police et se trouva en communication avec le Ministère de la Guerre. L’un de ses collègues l’informait que le caporal fugitif, accompagné d’un prêtre, était arrivé depuis une heure environ en automobile, à un garage de Rouen.

Tandis que l’officier notait précieusement ce détail, Juve recevait au bureau de police un télégramme chiffré qui lui confirmait le renseignement, mais lui apprenait en outre que les étrangers, après s’être ravitaillés en essence et en huile, étaient repartis aussitôt…

Juve entraîna sur le quai le lieutenant de Loubersac :

– Soyons plus attentifs encore, déclara-t-il, nos gaillards ne vont pas tarder à arriver !

Depuis pas mal de temps déjà Henri de Loubersac, en dépit de ses préoccupations professionnelles, avait, sur les lèvres une question d’un ordre plus intime qu’il brûlait d’envie et redoutait tout à la fois de poser à Juve :

L’officier se souvenait que lors de son entretien sur la berge de la Seine avec le faux Vagualame, Juve avait nettement insinué que Wilhelmine de Naarboveck devait avoir été la maîtresse du capitaine Brocq.

L’officier alors avait protesté.

Mais désormais qu’il savait que le faux Vagualame n’était autre que l’inspecteur Juve, ce propos lui était revenu à l’esprit et le torturait singulièrement.

Enfin, de Loubersac posa la question au policier.

Celui-ci fronça le sourcil, parut embarrassé.

La jeune fille blonde qui habitait avec le baron de Naarboveck et passait aux yeux de tous pour sa fille, s’appelait-elle bien Wilhelmine de Naarboveck ?

Mais valait il mieux ne rien dire ? Non. Il valait mieux faire parler Wilhelmine, en provoquant le lieutenant, en le forçant à interroger celle-ci.

Aussi Juve n’hésita-t-il pas, en dépit du mal qu’il faisait à Henri de Loubersac, à lui dire, hypocritement :

– Il m’en coûte, monsieur, de vous répondre sur ce point, car je crois deviner que votre assiduité chez le diplomate de la rue Fabert tient à ce que vous rencontrez chez lui une délicieuse personne dont les charmes ne vous laissent pas insensible. Vous vous souvenez très bien de ce que vous a dit Vagualame, – le faux, – j’insiste sur cette qualité, lors de son entretien avec vous sur les berges de la Seine…

Vous êtes encore aujourd’hui en présence de ce même faux Vagualame… c’est moi, Juve… comme vous savez. Or, j’ai le regret de vous dire que, quelle que soit la forme extérieure que j’adopte, ma façon de penser, ma manière de voir les choses, ne varie que bien rarement…

L’officier avait compris, il pâlit. Ses lèvres se contractèrent. Il serra les poings.

Juve, satisfait du résultat obtenu, se répétait l’aphorisme célèbre de Basile : « Calomniez !… calomniez !… il en restera toujours quelque chose. » La nuit était tout à fait venue. Tandis que de Loubersac restait aux aguets, Juve retourna au poste de police.

Précisément comme il y arrivait, la sonnerie du téléphone se fit entendre. Appelé par le brigadier de service, Juve vint coller son oreille au récepteur. C’était le commissariat de Rouen qui téléphonait.

Le caporal et le curé, en quittant Rouen, s’étaient rendus sur la route de Barentin, ils avaient dîné à l’hôtel du Carrefour Fleuri et, selon les dires du chauffeur, ils y passeraient la nuit, puis ils gagneraient Dieppe le lendemain à la première heure.

Juve rapporta ce renseignement au lieutenant de cuirassiers.

Ils causèrent encore quelques instants, puis ils se séparèrent, prétendant l’un et l’autre qu’ils allaient regagner leurs hôtels respectifs pour y prendre un peu de repos.

***

Toutefois Juve n’avait pas quitté les environs du quai. Il s’était installé dans une guérite de douanier et stoïquement s’apprêtait à y passer la nuit, en tête à tête avec ses réflexions. Le policier voulait être sûr que nul ne pourrait aborder le yacht mystérieux sans être vu de lui. C’est pour cela qu’il décidait de ne pas aller se coucher.


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