Текст книги "L'agent secret (Секретный агент)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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4 – CHEZ LES NAARBOVECK
– Asseyez-vous donc, monsieur.
– C’est sa fille, pensa Fandor, je suis fichu, le diplomate ne va pas me recevoir. Je le regrette dans un sens, mais de l’autre, cette délicieuse personne…
– Vous avez demandé, monsieur, commençait la jeune femme, à voir M. de Naarboveck. C’est, sans doute au sujet d’une interview. M. de Naarboveck a pour principe de ne jamais faire parler de lui dans les journaux, aussi ne serez-vous pas étonné…
Fandor se disait :
– J’en ai pour cinq minutes au moins à entendre cette gentille personne m’assurer que son père ne veut pas parler. Après quoi, il viendra lui-même, et me racontera tout ce que j’aurai besoin de savoir…
Fandor suivit donc d’une attention distraite le discours de la jeune personne. À un moment, il plaça :
– Monsieur votre père…
Mais son interlocutrice sourit, l’arrêta net :
– Pardon, monsieur, dit-elle, vous faites erreur : je ne suis pas Mlle Wilhelmine de Naarboveck, comme vous le supposez, mais bien plus modestement sa dame de compagnie. On m’appelle Mlle Berthe…
– Bobinette ! s’écria Fandor, presque malgré lui…
Il regrettait aussitôt cette interjection évidemment familière. La jeune femme ne s’en formalisa pas :
– On m’appelle en effet ainsi, monsieur… les intimes du moins, ajouta-t-elle avec une pointe malicieuse.
Fandor trouvait des phrases enjouées et correctes pour s’excuser :
Il fallait à toute force se faire séduisant, aimable ; M. Dupont (de l’Aube) n’avait-il pas raconté à Fandor que la dernière venue chez le capitaine avant son étrange accident était précisément Mlle Berthe, dite Bobinette ? Pourquoi ? Comment ? À découvrir.
Aux amabilités du journaliste, la jeune femme avait répondu en protestant qu’elle n’était nullement froissée de cette appellation familière :
– Hélas, monsieur, j’ai bien trop peur que mon nom, mon petit nom pour les amis, ne devienne vite connu du public. Car je suppose que si vous venez voir M. de Naarboveck c’est pour lui demander des renseignements sur cette malheureuse affaire. Le baron de Naarboveck, monsieur, ne vous dira rien que vous ne sachiez évidemment déjà, sauf, – ce qui n’est là un secret pour personne, – que le capitaine Brocq fréquentait ici d’une façon assez régulière. À maintes reprises il est venu dîner chez M. le baron et s’est occupé de divers travaux avec lui… Plusieurs de ses amis, des officiers, sont d’ailleurs également reçus ici : M. de Naarboveck aime beaucoup le monde…
– Et puis, interrompit Fandor, il a une fille, n’est-ce pas, mademoiselle ?…
– Mlle Wilhelmine, en effet.
– Mademoiselle, interrogea Fandor, on a rapporté qu’hier après-midi, vous avez eu l’occasion de vous rencontrer avec le capitaine Brocq avant sa fin… ?
La jeune femme regarda fixement le journaliste, comme pour lire sa pensée, comme pour deviner s’il savait qu’elle avait, non seulement rencontré le capitaine Brocq, mais passé avec lui, en tête à tête, une bonne heure. Fandor le savait mais il demeura impénétrable.
– J’ai eu l’occasion, en effet, hier, de passer chez le capitaine Brocq pour lui faire une communication.
– Vous allez me trouver bien indiscret, poursuivit Fandor, qui affectait de ne pas regarder la jeune femme, afin qu’elle fût plus à son aise, mais en réalité ne perdait pas un seul des jeux de sa physionomie, car il voyait son visage se refléter dans une glace, vous allez me trouver bien indiscret, mais pourriez-vous me dire quelle était la nature de… cette communication ?
– Oh, parfaitement, monsieur. Le baron de Naarboveck donne prochainement une fête à laquelle devait assister le capitaine. Comme il était très artiste nous comptions lui demander de faire quelques menus à l’aquarelle. J’allais chez lui de la part de Mlle Wilhelmine…
La conversation s’arrêta court.
Fandor s’était soudain retourné ; derrière lui, depuis quelques instants déjà, sans doute, se tenait quelqu’un qu’il n’avait pas entendu entrer.
C’était un homme à moustache toute blanche, portant les favoris et l’impériale, à la mode de 1850.
Fandor avait reconnu le baron de Naarboveck, il allait s’excuser de n’avoir point remarqué son arrivée, mais le baron, très cordialement, sourit au journaliste et avec une bonhomie affectée :
– Pardonnez-moi, monsieur Fandor, de n’avoir pu vous recevoir moi-même, mais j’avais un invité. Au surplus, Mlle Berthe a dû vous dire quelles étaient mes théories sur l’interview…
Fandor esquissa un geste.
– Oh ! elles sont catégoriques, mais cela ne doit pas vous empêcher, monsieur Fandor, de prendre une tasse de café avec nous… j’ai la plus grande estime pour votre directeur, M. Dupont (de l’Aube), et la façon dont il vous recommande fait que j’aurais scrupule à ne pas vous considérer comme un des nôtres, comme un ami.
M. de Naarboveck, familièrement, avait posé sa main sur l’épaule du jeune homme que confondait tant de bonne grâce ; il le fit passer dans la pièce voisine.
C’était une bibliothèque, très haute de plafond. La pièce sobrement meublée était élégante, soignée. Devant une grande cheminée de bois, deux jeunes gens se tenaient debout, causant familièrement.
Ils s’arrêtèrent à l’entrée du journaliste que présenta le baron de Naarboveck, tandis que venait derrière eux Mlle Berthe.
Jérôme Fandor s’inclinait devant les personnes qu’il ne connaissait pas encore :
– Monsieur Jérôme Fandor, avait dit Naarboveck.
Puis il nommait :
– Mademoiselle de Naarboveck, ma fille… Monsieur de Loubersac, lieutenant de cuirassiers…
Un silence plana après ces présentations aux allures solennelles.
– Sans cet animal de Brocq et la marotte de Dupont (de l’Aube), se disait Fandor, je serais actuellement en train de m’endormir dans mon sleeping et de rouler vers Dijon !…
Mlle de Naarboveck, avec l’aisance d’une maîtresse de maison, offrait au journaliste une tasse de café brûlant, Mlle Berthe lui proposait du sucre.
Fandor remercia, encombré par sa tasse, obligé de répondre en même temps aux deux femmes et à M. de Naarboveck, qui, comme s’il s’en souvenait tout d’un coup, lui disait :
– Mais, monsieur Jérôme Fandor, vous portez un nom qui évoque bien des choses ! N’est-ce donc pas vous, ce fameux journaliste que l’on trouvait sans cesse, il y a quelques mois, à la poursuite d’un mystérieux bandit appelé Fantômas ?
Entendre parler de Fantômas dans ce milieu si simple, si naturel, si bourgeois, où étaient réunis des gens dont la vie au grand jour ne devait être affectée par aucune complication, troublée par nul mystère ! Évidemment, Fantômas, le criminel, les aventures, la police et le reportage, cela devait être pour eux de l’imaginaire, du roman, de l’hébreu !
Cependant, aux dernières paroles de M. de Naarboveck, Mlle Berthe s’était rapprochée du journaliste et le considérait avec curiosité :
– J’ai lu, en effet, monsieur, fit-elle, beaucoup de choses sur les étranges affaires dont M. de Naarboveck vient d’évoquer le souvenir.
« Mais, dites-moi, monsieur, voulez-vous me permettre de vous poser une question ? peut-être sera-ce mon tour d’être indiscrète…, mais vous l’étiez bien tout à l’heure ? »
– C’est un engagement formel de vous répondre que vous exigez de moi, mademoiselle ?
Bobinette hocha la tête d’un air gamin et, tout en sollicitant d’un coup d’oeil lancé à M. de Naarboveck une approbation que celui-ci consentit d’un léger hochement de tête. Tout naïvement, elle demanda à Fandor :
– Dites-nous, monsieur, qui est-ce, Fantômas ?
Quoi répondre ?
On avait compris à l’attitude de Fandor combien la question était faite pour le surprendre.
Mais de sa voix un peu sèche et cassante, M. de Loubersac donnait son opinion :
– Mon cher baron, déclara-t-il en s’adressant à M. de Naarboveck, ne trouvez-vous pas qu’on nous a suffisamment bernés depuis quelques années avec les histoires de Fantômas ? Pour ma part, je n’y crois guère.
– Mais, monsieur, interrompit timidement Mlle Berthe, qui, toute rougissante, osait à peine lever les yeux sur le beau lieutenant de cuirassiers, mais monsieur, on a pourtant bien souvent parlé de Fantômas ?
L’officier toisa la jeune femme d’un regard à peine esquissé, mais qui la troubla profondément, et Fandor qui suivait ce petit manège eut tout aussitôt l’impression fort nette que si le lieutenant ne prenait pas en grande considération la personnalité de la jolie Bobinette, celle-ci, par contre, semblait très impressionnée par tout ce que pouvait dire ou faire l’élégant officier.
Fandor, tandis qu’on discutait, ne pouvait s’empêcher aussi de remarquer l’air de tristesse de Mlle de Naarboveck.
C’était une gracieuse jeune fille dans toute la fraîcheur et l’éclat de ses vingt ans, avec des yeux immenses, aux reflets doux et clairs.
M. de Naarboveck expliqua :
– Wilhelmine a été fort émue par le terrible accident survenu à notre ami, le capitaine Brocq…
Et le baron allait sans doute fournir quelques explications complémentaires sur les relations qui existaient entre sa famille et le capitaine, lorsque la voix sarcastique du lieutenant de cuirassiers s’éleva de nouveau :
– Pour conclure, s’écriait l’officier, je prétends, moi, que Fantômas c’est une invention des bureaux de la Sûreté ou même tout simplement des journalistes. Et, concluait l’officier en regardant Fandor, comme s’il voulait le défier, et je puis en parler en connaissance de cause car, dans une certaine mesure, je connais un peu tout ce monde-là…
Fandor ne comprenait pas bien la dernière phrase du capitaine. Il fallut que cet excellent homme de baron de Naarboveck vînt lui murmurer à l’oreille :
– De Loubersac, vous savez, dépend du Deuxième Bureau au ministère de la Guerre : la statistique…
***
Jérôme Fandor traversa encore l’Esplanade des Invalides, mais cette fois il sortait de l’hôtel de Naarboveck et gagnait, à pied, le pont de la Concorde. Le journaliste méditait un petit tour par les boulevards avant de regagner son logis, où Mme Angélique serait bien étonnée de le trouver, quand elle viendrait faire le ménage et les derniers rangements.
***
Fandor venait de rentrer chez lui après avoir longuement flâné sur les boulevards.
Sur sa table, auprès de la valise bouclée, se trouvait l’Indicateur des Chemins de fer ouvert à la page des grands itinéraires Paris-Côte d’Azur.
Le journaliste interrogea la séduisante brochure, mais soudain cessant de regarder l’horaire des trains, il se jeta brusquement sur sa valise, en défit les courroies, déballa ses vêtements qu’il lança aux quatre coins de la pièce dans un grand geste de colère.
– Et puis, zut ! s’écria-t-il, tout cela n’est pas clair ! j’ai beau vouloir me persuader du contraire, ça n’est pas vrai ; il y a du mystère dans cette histoire-là !
Ces officiers, d’une part, ce diplomate de l’autre, et puis surtout cette personne énigmatique, ni domestique, ni femme du monde, qui m’a tout l’air de jouer, sinon un double rôle, du moins un triple, peut-être un quadruple…, mon vieux Fandor il n’y a rien à faire pour s’en aller dans le Midi, faudra voir l’ami Juve et éclaircir ces aventures…
5 – NE RÊVEZ PAS TROP À FANTÔMAS
En habitué de la maison, Fandor qui avait ouvert la porte d’entrée de l’appartement de Juve avec le passe-partout qu’il possédait par faveur toute spéciale, traversait la pénombre du corridor et se dirigeait vers le cabinet de son ami. Il souleva la tenture, entrouvrit la porte. Juve était à son bureau :
– Ne vous dérangez pas, c’est moi, Fandor…
L’inspecteur de la Sûreté était à ce point absorbé par la lettre qu’il écrivait qu’il n’avait même point entendu le journaliste ; au son de sa voix il tressaillit.
– Comment, c’est toi !… je te croyais envolé depuis hier vers la Côte d’Azur ?…
– J’espérais bien partir hier soir… en effet… seulement, vous savez, Juve, dans mon métier, comme dans le vôtre d’ailleurs, il est stupide de faire des projets…
– Et alors ? fit-il…
– Et alors quoi ? Juve…
– Et bien, mon cher Fandor, je te demande ce qui me vaut le plaisir de ta visite ?
Mais Fandor semblait peu disposé à répondre.
Il venait de se débarrasser de son chapeau, de son paletot. Maintenant il tirait de sa poche un étui à cigarettes. Il choisissait un mince rouleau de tabac qu’il allumait soigneusement, semblant trouver un véritable délice aux premières bouffées qu’il rejetait vers le plafond.
– Il fait beau, Juve…
Le policier de plus en plus étonné considérait le journaliste avec une attention extrême :
– Ah çà ! fit-il à la fin, qu’est-ce qui te prend, Fandor ? Pourquoi me fais-tu cette tête-là ? Pourquoi n’es-tu pas en voyage ?… Sans être indiscret je suppose tout de même que tu as d’autres motifs d’être préoccupé que la pluie et le beau temps ?
– Et vous, Juve ?
– Comment, et moi ?
– Juve, je vous demande pourquoi vous êtes bouleversé ?
Le policier se croisa les bras :
– Ma parole, mais tu perds la tête, Fandor ! demanda-t-il, tu trouves que je suis bouleversé ?
– Juve, vous avez une figure de l’autre monde !
– Vraiment ?
– Juve, vous ne vous êtes pas couché…
– Je ne me suis pas couché ! à quoi le vois-tu ?
Fandor s’approcha du bureau de travail et du doigt désigna sur le coin du meuble une série de cigarettes disposées les unes à côté des autres et qui n’avaient pas été complètement fumées.
– Ah çà, je ne doute pas, Juve, qu’on ne mette en ordre votre cabinet tous les matins ; or, voici vingt-cinq bouts de cigarettes au moins, les uns à côté des autres… vous ne les avez certainement pas fumées dans cette seule matinée, par conséquent vous les avez allumées cette nuit, par conséquent encore vous ne vous êtes pas couché…
Juve goguenarda :
– Continue, petit, tu m’intéresses…
– Et enfin, ces bouts de vos cigarettes sont mâchés, mâchonnés, déchirés… signe indiscutable de grand énervement… donc…
– Donc, Fandor ?
– Donc, Juve, je vous demande ce que vous avez ?… voilà tout…
– J’étudie, dit Juve, une affaire qui m’intéresse…
– Grave ?
– Peut-être…
– Voyons, dit Fandor, répondez-moi si vous le pouvez, Juve… je suis sûr, rien qu’à votre attitude, qu’il se passe des choses importantes, vous êtes très ému pour une raison que je ne soupçonne même pas ? Puis-je vous être utile ? Voulez-vous me confier votre secret ?
– Me confies-tu le tien ?
– Je vous le confierai dans trois minutes…
Juve, quelques minutes encore sembla réfléchir, puis enfin et la voix soudainement changée, devenue grave, sifflante, il avoua :
– Tu es au courant de la mort subite du capitaine Brocq ?… Tu sais que j’ai découvert que c’est un assassinat ?… c’est cette affaire qui m’occupe…
En entendant nommer l’« affaire Brocq » Fandor n’avait pu se défendre d’un haut-le-corps :
– Vous vous occupez de Brocq, Juve… vous avez lu mes articles ?
– Oui, très intéressant…
– Ça manque de conclusion, Juve… mais enfin, je ne pouvais faire mieux jusqu’à présent, n’ayant aucune documentation précise… êtes-vous arrivé à une certitude, vous ? Savez-vous qui a fait le coup ?
– Tu ne t’en doutes pas, Fandor ?
Le journaliste allait répondre, le policier ne lui en laissa pas le temps. Mais Juve devait être en proie à une grande émotion pour pâlir comme il pâlissait en se levant à moitié de son siège pour se pencher vers Fandor, le mieux voir, les yeux dans les yeux.
– Que voulez-vous dire, Juve ?
– Ce que je veux dire, petit ? Sais-tu qui a tué le capitaine Brocq ?
– Non, qui ?…
– Fantômas !
– Fantômas ! vous accusez Fantômas d’avoir tué le capitaine Brocq ?
Les deux hommes se regardaient maintenant, en silence.
En une seconde dans le flot de ses souvenirs, Fandor revoyait tout ce qu’il savait d’atrocités imputables à Fantômas. Il pensait revivre ces dernières années vécues dans une lutte quotidienne avec le mystérieux criminel…
Fantômas !
Mais Juve lui-même ne lui avait-il pas dit qu’après le drame de la rue Norvins, l’insaisissable bandit avait été contraint à la fuite ? et voilà qu’il l’accusait d’un nouveau méfait…
Et Fandor songeait encore à ses propres conclusions sur l’affaire Brocq. S’était-il donc trompé en croyant à un drame de l’espionnage ? Crime ou assassinat politique ?
Fandor n’ignorait rien de ce qui concernait la façon mystérieuse dont l’officier avait été frappé d’une balle au cœur, mais ce qu’il importait de savoir évidemment, c’était le pourquoi de cette balle, c’était l’identité du tireur qui, en pleine place publique avait osé ajuster l’officier, l’avait tué au milieu de la foule ?
– Vous accusez Fantômas ? Mordieu ! pourquoi ?
C’était au tour du policier de faire preuve du plus grand sang-froid. Comme si d’avoir prononcé ce nom de « Fantômas », comme si d’avoir confié son secret, ses craintes, il avait éprouvé un soulagement à son émotion, Juve se possédait parfaitement et d’une voix posée, il expliqua à Fandor les raisons qu’il avait de croire à une intervention de l’extraordinaire bandit :
– Tu te rends compte, petit, faisait-il, des circonstances du drame ? Nous sommes en plein jour, sur l’une des promenades les plus fréquentées de Paris, l’officier qui va tomber, mortellement atteint, passe dans un taximètre, se rendant probablement à quelque rendez-vous dans l’un des restaurants du Bois. L’auto où il se trouve est entourée d’une foule de voitures, il est donc sous la surveillance et la protection, au moins implicite, d’un millier de passants et pourtant, sans même qu’il ait eu le temps de deviner son agresseur, sans que personne ait pu voir celui-ci, il s’écroule, blessé à mort, tué, comme à la guerre, d’un coup de feu, d’un coup de feu spécial, mystérieux, tiré par une arme perfectionnée… Allons, Fandor, est-ce que cela n’est pas un crime digne de Fantômas ?
Mais le journaliste n’était pas convaincu.
Il avait écouté avec une grande attention les paroles du policier, il se tut quelques minutes pour prendre le temps de les apprécier en secret, d’en peser la valeur, d’en étudier l’intérêt…
– Juve, fit-il enfin, cet assassinat est, en effet, digne de Fantômas, je le reconnais, mais cependant je ne crois pas que ce soit à Fantômas qu’il faille l’attribuer… Vous êtes, cette fois, victime de votre marotte, vous allez trop loin, Juve… chaque fois que vous vous trouvez devant une affaire étrange ou compliquée, vous y voyez du Fantômas…
Fandor avait, lui aussi, parlé d’un ton posé, net, précis. Il avait attaqué Juve avec un argument qui ne pouvait manquer d’impressionner le policier, car Juve savait qu’il devait se méfier, en effet, lui-même de sa perpétuelle obsession de Fantômas…
– Alors, si ce n’est pas Fantômas, c’est qui ?
Fandor s’efforça d’être clair :
– Juve, dit-il, j’ai été chargé par mon patron Dupont (de l’Aube), d’étudier la disparition de ce malheureux capitaine Brocq… Elle fait, vous ne l’ignorez pas, un grand bruit dans le monde officiel. Au journal on tient à être bien renseigné et cependant on ne veut pas risquer de dangereuses indiscrétions… J’ai été prié de m’occuper personnellement de cette affaire, alors que je devais régulièrement partir en congé hier soir. Eh bien ! Juve, j’ai commencé à enquêter, j’ai cherché à connaître l’exacte vérité en ce qui concerne la vie et la mort de ce malheureux officier… j’ai visité certaines de ses relations, interviewé des gens qui l’ont connu, j’ai pu joindre cette Bobinette qui semble être la dernière personne l’ayant approché peu avant son assassinat, et je suis arrivé, moi aussi, à une conclusion…
– Laquelle, Fandor ?
– Une conclusion, Juve, qui ne met aucunement en cause Fantômas.
– Quelle conclusion, Fandor ?
– Juve, cet officier appartenait au Deuxième Bureau de l’État-Major…
– Oui, après ?
– Juve, quand un officier du Deuxième Bureau disparaît dans des conditions aussi tragiques, savez-vous ce qu’il faut oser comprendre ?
– Non…
– Juve, je vous affirme que si le capitaine Brocq est mort, c’est qu’il y a un espion à la solde d’une puissance étrangère qui, surveillé, peut-être sur le point d’être arrêté, a voulu la mort de ce capitaine pour se sauver lui-même…
– Fandor, tu oublies qu’un document a été volé ?…
– Eh non ! Juve, je ne l’oublie pas ! et c’est précisément ce qui fait que je ne puis croire à une intervention de Fantômas… Vous le dites vous-même, le vol d’un document, motif du crime, peut-être, permet d’écarter l’intervention de Fantômas puisqu’il permet de conclure qu’il s’agit d’espionnage… Vous ne me croyez pas, Juve ?
– Non, dit-il, je ne te crois pas… D’abord, Fantômas est capable de tout, du vol d’un document qu’une puissance étrangère lui paierait peut-être fort cher, comme du vol de n’importe quoi… Et puis enfin, petit, un espion, un traître, l’employé d’une puissance n’oserait pas tenter le crime qui nous préoccupe. Pour risquer cela, il ne peut y avoir que Fantômas !…
– C’est votre marotte qui vous inspire toujours… Certes, Juve, je suis bien le premier à croire à l’audace de Fantômas… et si je ne savais tous les secrets de terreur qui peuvent se cacher dans ce mot « espionnage », je serais assez prêt à me laisser convaincre… Mais voyez-vous, je le connais, le milieu des espions, je l’ai étudié, je sais ce qu’on y peut tenter, ce qu’on y peut vouloir… et ce n’est pas à la légère que je vous dis que l’assassinat de Brocq est un crime politique.
Fandor s’interrompit. Juve, soudain, venait de se renverser en arrière sur son fauteuil ; le policier riait à petits éclats, d’un rire ironique, continuel, sans fin, le rire qu’il avait à l’égard des interlocuteurs qui lui semblaient conter des stupidités…
– Mon petit Fandor, dit-il, tu es un excellent garçon et, tu n’en doutes pas, j’ai pour toi la plus vive admiration en même temps que la plus sincère amitié. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous nous connaissons et nos relations ne sont pas près de finir… Tout cela m’autorise à te répondre franchement… tu ne m’en voudras pas ?
– Allez donc, Juve ! vous savez bien que non…
– Eh bien, je vais te dire ce que tu m’as dit, j’ai une marotte quand je parle de Fantômas, soit, eh bien, toi, Fandor, tu vois dans l’assassinat du capitaine Brocq une affaire d’espionnage, parce que tu as, depuis quelque temps, toi aussi, ta marotte… la marotte de l’espionnage…
Et comme Fandor souriait, Juve poursuivit :
– Voyons, réponds-moi avec sincérité, est-il vrai qu’il y a six mois… tiens, juste après l’assassinat de Dollon tu as publié dans La Capitale toute une série de papiers relatifs aux affaires de trahison ?…
– En effet, mais…
– Laisse-moi achever !… Est-il vrai que ces articles ont été jugés très remarquables et qu’ils ont fait quelque bruit ?…
– Oui, mais…
– Laisse donc ! Est-il exact que tu as appris à ce moment ce que c’était au juste que le Deuxième Bureau, le monde des espions, et que tu en as été infiniment frappé, infiniment surpris ?
– C’est exact ! Mais encore une fois, Juve, c’est précisément parce que j’ai eu ces renseignements, parce que j’ai pu me rendre compte des secrets terribles qui existent dans ces milieux, que je crois pouvoir, aujourd’hui, rattacher l’affaire Brocq à un crime d’espionnage…
– Marotte ! Fandor, dis-toi bien une chose : l’assassinat du capitaine s’est passé dans de si tragiques circonstances qu’il ne peut être imputé qu’à Fantômas. Inutile de se fermer les yeux pour ne point voir. Inutile de se boucher les oreilles pour ne pas entendre. Inutile d’avoir peur… Il faut que nous soyons braves, au contraire… Il faut que nous regardions la vérité en face… Nous allons être à nouveau aux prises avec Fantômas. Voilà une certitude…
De moins en moins convaincu, Fandor eut à l’intention de Juve le même petit ricanement que le policier avait eu pour lui quelques instants auparavant.
– Marotte, Juve, dit-il à son tour… Il n’y a pas de Fantômas là-dedans. Votre affirmation m’avait troublé tout à l’heure, elle me laisse sceptique à présent… Vos raisons ne sont pas des raisons, vos déductions ne sont que des hypothèses… Non, voyez-vous, nous sommes bien en face d’une affaire grave, je suis d’accord en cela avec vous, mais s’est tout uniquement une affaire d’espionnage…
Et se levant, le journaliste ajouta :
– Tenez, Juve, voilà même ce que je m’en vais faire… après tout je suis en vacances et j’ai bien le droit de prendre quelques jours de congé… Ce soir même, je publierai dans La Capitale un grand papier où, sans nommer le capitaine Brocq, évidemment, je ferai quelques rapprochements avec lui, où surtout j’expliquerai ce que sont exactement les espions, leur véritable rôle, que l’on a tort de les considérer toujours comme des lâches, qu’ils doivent, au contraire, pour les besoins de leur profession sinistre, faire preuve et très souvent, d’une exceptionnelle bravoure, où je dirai enfin…
Juve haussait les épaules, et interrompant son ami, un peu vexé, quoi qu’il en eût, de ne point avoir pu le convaincre :
– Où tu diras des bêtises, petit, et voilà… enfin tu es libre !…
Fandor se levait :
– C’est vrai, disait-il, je suis libre, Juve, libre d’aller passer quinze jours au pays du soleil, où je serai d’ici quelques heures !… parce qu’après tout… zut !… lisez toujours mon article dans La Capitale, je vous annonce que je vais le soigner tout particulièrement. Et puis, à dans quinze jours… Ne rêvez pas trop de Fantômas, hein ?