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L'agent secret (Секретный агент)
  • Текст добавлен: 8 октября 2016, 22:24

Текст книги "L'agent secret (Секретный агент)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Alors, tu vas payer la douloureuse, si tu es dans une situation prospère ?

– Je vais payer, Geoffroy…

« Cette vieille dame, ma patronne, je crois bien qu’elle s’occupe de…

Mais soudain Bobinette s’interrompit, pâlissant à devenir blanche comme un linge…

Un homme venait d’entrer, un vieillard qui marchait à pas hésitants, le dos voûté sous le poids d’un accordéon…

29 – JE SUIS TROKOFF

– Tu connais ce bonhomme-là ? Qu’est-ce qu’il te veut ? S’il t’embête, tu sais que je suis un peu là pour le sortir ?…

L’offre de son frère terrifiait la jeune femme.

Ah ! ce serait vraiment du beau. Comme cela simplifierait la situation si Geoffroy-la-Barrique provoquait Vagualame et jetait le vieillard à la porte…

Il fallait à tout prix éviter une semblable complication. Bobinette, d’ailleurs, n’était venue voir Geoffroy-la-Barrique que pour se désennuyer. Elle n’avait pas grand-chose à lui dire, peu importait qu’elle abrégeât sa visite, d’autant qu’elle imaginait bien que Vagualame n’était point entré par hasard, qu’il avait à lui parler, qu’il fallait se mettre à sa disposition…

– Tiens-toi donc tranquille, Geoffroy, fit-elle, je ne connais pas ce bonhomme, et tu te trompes tout à fait si tu t’imagines qu’il m’embête… D’ailleurs, mon cher Geoffroy, je vais m’en aller…

– T’en aller ? Qu’est-ce qui te prend, Bobinette ?

– Il me prend que j’ai affaire ailleurs, et que maintenant que je te sais en bonne santé, Geoffroy, je continue ma promenade.

– Vrai, tu caltes déjà ?

– Appelle le patron. Voilà un louis. Paye tes consommations et garde le reste…

C’était là un argument décisif qui calmait immédiatement le chagrin que Geoffroy-la-Barrique pouvait avoir du départ de sa sœur.

– Bon ! je n’ai rien à dire, du moment que tu paies. Mais, tout de même, tu as des idées qui ne sont pas ordinaires…

Bobinette s’inquiéta peu de la remarque, et, rapidement, ayant serré la main de son frère, gagna la porte du Veau-qui-Pleure, tournant rue Monge, marchant à petits pas, bien persuadée que Vagualame allait la rejoindre. À cette heure avancée, la chaussée était entièrement déserte. Nul passant ne croisait la jeune femme qui, s’enfonçant dans l’obscurité de la voie silencieuse, évitait avec soin de traverser les taches de lumière que jetaient, de loin en loin, les devantures encore éclairées de bouges analogues au Veau-qui-Pleure. Il y avait déjà cinq minutes que la jeune femme marchait. Bobinette avait pris soin de ne point tourner la tête pour ne pas risquer d’éveiller l’attention d’un observateur, d’ailleurs problématique, lorsqu’elle sentit que quelqu’un qui pressait le pas et venait derrière elle allait la rejoindre. Une main sèche sur son épaule : Vagualame était aux côtés de sa complice. Le bandit ne perdit point de temps en formules de politesse :

– Cette espèce de géant, c’est ton frère ?

Bobinette fit « oui » de la tête, puis elle demanda à son tour, la voix haletante :

– Vous êtes donc libre ?

– Probable !

– On vous a donc relâché ?…

Vagualame parut hésiter quelques secondes… Devait-il dire à la jeune femme, ce qu’il savait pertinemment, qu’il n’avait jamais été arrêté ? qu’il y avait deux Vagualame ? Devait-il ruser, au contraire ? Le bandit essaya de tergiverser.

– Pressons le pas, dit-il, il fait un temps du diable, allons nous mettre à l’abri…

– Où ça ?

– Tu verras bien… chez des amis…

Bobinette répéta :

– On vous a donc relâché ?

– Bobinette, tu n’es qu’une sotte, dit le vieux joueur d’accordéon. L’homme que l’on a arrêté chez toi était un agent de police qui s’était fait ma tête pour te cuisiner… tu t’es laissée prendre à son manège comme une imbécile…

Interdite, Bobinette considérait le bandit.

– Mais alors, dit-elle subitement, si un agent s’est grimé en Vagualame, c’est que l’on sait que vous êtes coupable !… C’est que l’on vous poursuit ? et c’est une imprudence folle que vous faites en venant me rejoindre ainsi habillé… Pourquoi ne vous êtes-vous pas camouflé ?

– Probablement ai-je un plan, une raison que tu ignores, Bobinette ? fit-il… Mais laissons cela. Comment n’as-tu pas deviné la supercherie, rien qu’à la voix, à l’enrouement ?… Comment, depuis, n’as-tu pas compris la vérité ? Tu aurais dû tout saisir lorsque tu as reçu ma dépêche à Rouen… hein ?… Enfin, ne revenons pas sur le passé !… Par bonheur, ton extraordinaire naïveté n’a pas eu trop de conséquences… sauf la stupide façon dont tu as laissé reprendre le débouchoir, et dont tu as fait échapper le faux caporal Vinson… nous en reparlerons !

– Mais… est-ce que je pouvais agir autrement ?

Elle n’insistait pas, toutefois. Vagualame venait de lui jeter un tel regard qu’elle ne pouvait plus douter : elle se trouvait bien en face de son maître. Et le maître n’admettait pas les discussions…

À peine osa-t-elle interroger encore :

– Comment avez-vous appris mon adresse à la Chapelle ? Je ne l’ai donnée à personne…

– Cela, c’est mon affaire, tu devrais t’être aperçue que je sais, toujours ce que j’ai besoin de savoir ?

– Mais comment êtes-vous venu aujourd’hui au Veau-qui-Pleure ? Geoffroy ne vous connaît pas et lui seul savait que je devais le voir !… Vous m’avez suivie ?

– Mettons que je t’ai suivie… As-tu bientôt fini de me poser des questions ? Je suppose que c’est un peu mon tour de te demander ce que tu deviens ?

– Vous devez le savoir, murmura-t-elle. Quand, en revenant de Rouen, j’ai décidé de ne pas rentrer chez le baron de Naarboveck, je me suis enfuie à la Chapelle. Vous m’avez écrit immédiatement de déménager, d’aller me présenter comme demoiselle de compagnie chez Mme Olga Dimitroff. J’y ai été : cette dame m’a engagée… je suis encore chez elle…

– Il était idiot, fit-il enfin, idiot de ta part d’aller te réfugier à l’hôtel. Pour peu qu’elle l’ait voulu, la police t’aurait immédiatement pincée, c’est pourquoi je t’ai envoyée chez une de mes vieilles amies… ou, du moins, chez une personne à qui je pouvais te recommander… Eh bien, Bobinette, il va falloir quitter cette maison…

– Pour aller où ?

– Loin d’ici…

– Pourquoi ?

– Parce que Juve a de bons yeux, parce que Fandor, lui aussi, commence à y voir clair… Le filet se resserre… Moi, je ne crains rien, je trouverai bien le moyen de passer au travers…, je ne suis pas de ceux qui se laissent prendre à une souricière… mais toi, vu ta simplicité, il est vraiment tout à fait temps de te mettre à l’abri des recherches de la police… Je vais te donner de l’argent… et, tu m’entends, Bobinette, dans cinq jours tu feras en sorte d’être, à onze heures du soir, déguisée en bohémienne, sur la route de Sceaux à Versailles, à la première borne kilométrique qui se trouve sur le bas côté gauche après les hangars d’aviation… Tu as bien saisi ?

– Déguisée en bohémienne, Vagualame. Pourquoi ?

– Cela ne te regarde pas… Tu n’as qu’à faire ce que je t’ai dit : je te donne des ordres, et pas d’explications !…

Vagualame fouilla dans ses poches. Il ajouta, en tendant à la jeune femme un carnet :

– Dans les pages de cet agenda, tu trouveras deux billets de banque de cent francs, c’est plus qu’il ne te faut pour te grimer convenablement. Je te redonnerai de l’argent au moment de ton départ, car je vais t’envoyer à l’étranger…

Tout en causant, Bobinette et Vagualame s’étaient éloignés du Veau-qui-Pleure.

Par un dédale de petites rues noires et mystérieuses, le bandit avait conduit sa compagne jusqu’à une sorte d’impasse fermée à l’un de ses bouts par une haute maison. Au rez-de-chaussée, une large boutique occupait la moitié de la façade, et, bien que la devanture de fer fût descendue, on pouvait voir, à des rais de lumière, qu’on veillait à l’intérieur.

Brutalement, ainsi qu’il faisait toujours, Vagualame mit la main sur l’épaule de Bobinette.

– Attention ! recommanda-t-il, il ne s’agit plus de plaisanter maintenant !… Tu vas venir avec moi ; je vais l’introduire, parce que cela est nécessaire, chez de nombreux amis que j’ai ici… des amis qui d’ailleurs me connaissent depuis peu de temps et qui, par conséquent, te diront peut-être des choses qui t’étonneront… Inutile d’en avoir l’air… Si je te mène là, c’est pour que tu saches dorénavant, et pendant les cinq jours qui te restent encore à demeurer à Paris, où me joindre si besoin en était… Tu me comprends ? Tu n’aurais qu’à écrire une lettre et à venir la porter à la patronne de cette librairie…

– De cette librairie ? interrogeait Bobinette.

– Oui. C’est une librairie… Donc, tu saisis ce que je te conseille ? En cas de besoin, tu écris une lettre à mon nom, au nom de Vagualame, tu la remets directement à la patronne… elle me la fera parvenir…

Tout en parlant, Vagualame avait frappé trois coups espacés, puis encore deux autres coups au volet de fer de la boutique. Une clé grinça dans la serrure, la porte s’ouvrit. Le bandit, d’une bourrade, fit passer devant lui Bobinette, qui, subitement éblouie, se demandait si elle ne rêvait point lorsque, abandonnant la rue obscure, fouettée d’un vent glacial où la pluie s’était reprise à tomber en lourdes averses, elle pénétra dans une boutique brillamment éclairée.

– Bonjour, Sophie, dit Vagualame à une jeune femme qui venait au-devant de lui, rien de nouveau, ce soir ?

– Rien de nouveau, Vagualame…

– Sophie, reprenait Vagualame, je vous amène une nouvelle amie… qui, peut-être, pourrait avoir un de ces jours à vous apporter une lettre pour moi…

La patronne de la boutique, dévisageant curieusement Bobinette, se contenta de répondre :

– Les frères sont-ils prévenus, Vagualame ?

– Les frères ne sont point encore prévenus, mais je leur présenterai mon amie au premier jour…

Au moment où Vagualame terminait, on frappait à la devanture. Une voix :

– Police, ouvrez.

Le bandit, cependant, ne semblait nullement ému…

– Tiens, fit-il simplement et d’un ton quelque peu narquois, voilà que vous avez été encore une fois signalée comme n’obéissant pas aux prescriptions de la loi sur le travail.

Et, tout en parlant, Vagualame, qui menaçait du doigt la femme qu’il avait appelée Sophie, se dirigea vers la porte de la boutique, où, collant son œil à la serrure, il regarda ceux qui se présentaient chez la libraire à cette heure indue.

Mais Vagualame avait à peine appuyé son visage à ce trou de serrure que l’accordéoniste se prenait à pâlir.

– Bougre, ce n’est pas ce que je croyais… c’est la brigade des recherches… L’inspecteur Juve ! l’agent Michel !… Du sang-froid, Sophie, ils ne peuvent connaître votre maison… Si ils agissent en vertu d’une dénonciation, ils en seront pour leurs frais.

En deux enjambées, Vagualame rejoignit alors Bobinette, interdite et blême de frayeur. Il prit la jeune femme par le bras, l’attira violemment vers le fond de la salle, gagna un recoin de la boutique, dont le sol, par exception, n’était pas encombré de piles de livres… Et, une fois là, Vagualame ordonna à Bobinette :

– Serre tes jupes entre tes jambes… N’aie pas peur !…

Le bandit ne se trompait pas : c’était bien la brigade des recherches qui cernait l’entrée de la boutique.

Sans bruit, glissant au long des maisons comme de véritables ombres, sur la pointe des pieds, le revolver d’une main, une lanterne sourde de l’autre, une quinzaine de bourgeois s’étaient groupés.

Juve, qui les commandait, donnait ses derniers ordres :

– Faites attention, Michel, nous avons vu entrer les oiseaux, donc ils sont là… Il ne faut pas qu’ils nous échappent… Dès que je vais être entré dans la boutique, ne quittez plus cette porte… Il n’y a pas d’autre issue… ne laissez sortir personne.

– Soyez tranquille, Juve, personne ne sortira.

À peine s’était-il écoulé trois minutes entre la première sommation de Juve et le moment où la libraire ouvrait sa porte… Mais ces trois minutes, le bandit les avait mises à profit.

– Ne crie pas ! n’aie pas peur ! souffla Vagualame en poussant Bobinette… Ce n’est pas encore ce coup-ci qu’ils nous prendront !…

Bobinette se sentit bousculée, entraînée dans un coin de la pièce… et soudain le sol se déroba sous ses pas. Elle roula sur une sorte de plan incliné, un véritable toboggan…

Bobinette, glissant dans le vide, cramponnée à Vagualame, entendit au-dessus de sa tête le claquement sourd d’une trappe qui se refermait…

– Silence, répétait le bandit, tandis que la jeune femme, parvenue à l’extrémité de la glissière, roulait sur le plancher d’une sorte de cave où s’entassaient encore des piles de volumes…

Déjà Vagualame avait tiré de sa poche une boîte d’allumettes. À la lueur clignotante de la brindille de bois, il faisait signe à sa compagne d’écouter.

– C’est bien cela, dit-il, les agents perquisitionnent dans la boutique et, en ce moment, bousculent les piles de livres en s’imaginant que nous sommes cachés derrière eux… Quels imbéciles… Tel que je connais Juve, d’ailleurs, dans trois minutes au maximum, il aura trouvé la trappe secrète et descendra ici par le chemin que nous avons pris… car il ne sera jamais assez bête pour imaginer que nous avons fui tout bonnement par l’escalier qui débouche dans la boutique.

– Mon Dieu ! gémit Bobinette, si vous croyez qu’il trouve la trappe, qu’allons-nous faire ?

Vagualame ne semblait nullement ému. Il haussa les épaules et, ayant tiré de sa poche un rat-de-cave, l’alluma.

– Dame, dit-il, en haussant la lumière, il y a plusieurs partis à prendre : tu peux, si tu le veux, Bobinette, choisir un volume dans tous ces livres et attendre tranquillement… Tu peux, si tu le préfères… mais assez !

Vagualame soudain s’approchait du tas que formait dans un angle de la réserve où il se trouvait une importante collection de journaux illustrés… Du poing, il frappa trois coups sur le dos des brochures, disant à voix basse :

– Ouvrez ! ce sont des frères !…

Et Bobinette, stupéfaite, vit l’énorme pile de volumes osciller sur sa base, puis, sans bruit, se diviser en deux, se séparer… Les journaux démasquaient une porte secrète… Mais la jeune femme n’eut pas le temps de réfléchir à ce nouveau mystère. Vagualame déjà l’entraînait.

– Tu vois, ma chère amie, railla-t-il, qu’il n’est point inutile d’avoir des relations dans tous les mondes, et que ton excellente patronne, Olga Dimitroff, a été fort bien inspirée en me racontant jadis où et comment se réunissaient à Paris les tchékistes qui complotaient contre l’État.

Bobinette croyait rêver. Vagualame venait de la faire passer dans une sorte de grande salle éclairée par des torches de résine, et dans cette salle une vingtaine de jeunes gens, debout, saluèrent avec vénération Vagualame, s’avançant vers eux la main tendue…

***

À peine Juve avait-il pénétré dans la librairie qu’il s’était convaincu qu’à part « Sophie » nul n’était plus dans la pièce…

– Parbleu, dit-il à mi-voix, je sais où les prendre…

Il s’apprêtait déjà à traverser la boutique lorsqu’il revint sur ses pas :

– Ne laissez sortir personne ! répéta-t-il aux agents demeurés sur le seuil de la porte, sauf moi, bien entendu… Ah ! autre chose : déménagez-moi toutes ces piles de volumes, derrière lesquelles il est possible, à la rigueur, que mes lascars se soient dissimulés… surveillez aussi l’orifice du petit escalier qui débouche ici, c’est le seul chemin par où une évasion puisse être tentée… Pour moi, je vais faire le tour des caves et je rabattrai le gibier par cet escalier…

Sophie, la libraire, protestait :

– Mais il n’y a rien dans mes caves ! Je ne comprends pas ce que la police vient faire chez moi !…

Juve n’avait cure d’une pareille affirmation, et, le plus naturellement du monde, se dirigeait vers un des angles de la boutique…

Il y avait beau temps, en effet, que le policier, renseigné sur tous les bouges de Paris, comme sur toutes les sociétés secrètes, politiques ou autres qui y tiennent de mystérieux rendez-vous, connaissait l’existence de la trappe mystérieuse et de la glissière qui conduisait aux caves de la librairie où il se trouvait. Ne voyant ni Vagualame ni Bobinette, il avait immédiatement compris de quel côté les deux misérables avaient fui.

– Allons chez les Russes ! s’était-il dit.

Et, n’écoutant que son courage, serrant la crosse de son revolver, prêt à faire le coup de feu s’il en était besoin, Juve, sous les yeux étonnés des simples agents de la Sûreté, moins bien renseignés que lui, fit fonctionner la trappe qu’un contrepoids referma sur sa tête. Ainsi que l’avait prévu Vagualame, Juve tomba donc dans la cave quelques secondes à peine après la sortie du bandit et de sa complice.

Juve, à vrai dire, ne connaissait pas la salle des réunions secrètes, non plus que la porte dissimulée derrière la pile des journaux illustrés. Encore tout étourdi par la glissade (la glissière tombait en effet dans le deuxième dessous des caves), Juve haussa sa lanterne et ne fut pas peu surpris de se trouver dans un réduit complètement vide…

– Ah çà ! murmura-t-il, qu’est-ce que cela veut dire ? Ils ne sont pas ici ?…

Et il songea immédiatement qu’à coup sûr Bobinette et Vagualame devaient s’être cachés derrière un amas de livres au moment où ils l’avaient entendu ouvrir la trappe, dans la boutique. Mais alors même qu’il faisait cette supposition, Juve, dont l’esprit d’observation était toujours en éveil, se rendit compte, non sans stupeur, qu’une pile de journaux illustrés fortement inclinée se redressait lentement… Le policier bondit et, introduisant son revolver dans la fente subsistant encore entre les volumes, empêcha ceux-ci de se joindre complètement…

Que se passait-il de l’autre côté de cette collection truquée, de cette collection qui, sans aucun doute, venait de s’ouvrir pour laisser passer Bobinette et Vagualame ?

Juve, avidement, colla son oreille à l’étroite fissure qui marquait les bords de la porte dissimulée… Des voix d’hommes en train de discuter.

– Vous avez raison, disait un interlocuteur invisible… c’est Fantômas qui nous vaut toutes ces perquisitions, toutes ces tracasseries… Ce sont ses crimes qui énervent les policiers, qui leur donnent envie, pour triompher aux yeux de l’opinion publique, de nous traquer plus rigoureusement que jamais.

– Oui, je sais que c’est Fantômas que les argousins recherchent aujourd’hui… disait un autre.

– Eh bien, puisque Fantômas est indirectement notre persécuteur, nous nous vengerons de Fantômas !… Qu’importe une vie auprès d’une cause comme celle que nous défendons… la cause de tout un peuple… Si Fantômas nous gêne, nous le tuerons… Trokoff sera là demain, ce soir peut-être… Trokoff nous conduira… Trokoff nous mènera vers ce bandit mystérieux qui nous fait tant de mal… c’est un vaillant, Trokoff. Nous ne le connaissons pas, mais nous savons ce qu’il a fait…

Juve n’écoutait plus…

Un rire sardonique soudain détendit sa figure.

Usant de toute sa force il introduisit ses doigts entre les volumes, il écarta les bords de la porte secrète, une porte à coulisse, il l’ouvrit et pénétra dans la salle de réunion…

– Dieu sauve la Russie…

Juve prononça ces mots d’une voix onctueuse, grave, inspirée.

Le plus âgé des assistants s’avançait à pas lents vers le policier :

– Qui es-tu ? demandait-il.

Sans sourciller, Juve affirmait :

– Celui que tu attends et qui vient diriger ton bras. Je suis Trokoff.

Certes, Juve à ce moment-là se demandait ce qui allait arriver… Et le policier, serrant dans sa poche son revolver qu’il y avait dissimulé, songeait tout en gardant son attitude sereine :

– Qu’un seul de ces individus devine que j’appartiens à la Sûreté et, sans la moindre hésitation, quand même ils sauraient que dix agents sont là-haut à m’attendre, prêts à me venger, ils me tueront sans merci.

Juve s’était avancé d’un pas. Il reprit :

– Mes frères, l’heure est grave. Vous ignorez sans doute que la police est en train de perquisitionner dans la boutique ?…

L’un des Russes s’avança :

– Nous ne l’ignorons pas, Trokoff, déclarait-il. Notre frère Vagualame, accompagné d’une jeune disciple, est venu nous en avertir…

Et faisant une pause, le tchékiste, loin de se douter de l’intérêt que présentaient ses paroles pour le faux Trokoff, ajouta :

– Mais rassure-toi, frère, ce n’est point nous que les agents pourchassent ce soir, il s’agit du misérable Fantômas, un bandit que nous avons condamné à mort et nous ne serons pas inquiétés… Vagualame, d’ailleurs, vient de nous quitter, il va détourner les soupçons de la police… il a, nous a-t-il dit, le moyen d’arrêter les recherches…

Juve écoutait son interlocuteur en se demandant tout bas s’il ne rêvait pas…

Ah ça ! voilà que Vagualame avait trouvé moyen de sortir… voilà qu’on lui annonçait qu’il se faisait fort de détourner les recherches des inspecteurs demeurés au rez-de-chaussée…

Juve songea :

– Pourvu que Michel ne le laisse point échapper !

Et Juve affirma :

– Vagualame se trompe, frère, il faut que j’aille immédiatement lui prêter main-forte ou sans cela c’en est fait de nous tous. Je ne connais que la porte secrète. guide-moi vers l’autre sortie, que je n’attire pas l’attention des agents…

Le Russe s’inclina :

– Il sera fait selon tes désirs, frère. Suis-moi, mais sois prudent…

Juve marchant sur les talons du conspirateur fut mené, après bien des détours, à un escalier très ordinaire.

– Tu n’as plus qu’à monter, frère Trokoff, ces marches mènent tout juste à la boutique… si les agents te demandent d’où tu viens, tu n’auras qu’à dire que tu remontes de la première cave où tu étais en train de chercher un volume… aussi bien peu importe qu’ils visitent les caves… ils ne trouveront pas la porte dissimulée…

Juve s’inclina :

– Merci, frère… sois en paix…

Le Russe était à peine revenu dans la salle secrète, que Juve, perdant subitement calme et gravité, se rua dans l’escalier pour regagner la boutique et arrêter Vagualame et Bobinette…

***

L’agent Michel, sur les instructions précises de Juve n’avait pas quitté la porte de la librairie.

Il était là depuis une demi-heure environ et commençait à s’inquiéter du moment où il serait relevé de sa garde lorsque Juve, blême, défait, des gouttes de sueur perlant au front, bondit vers lui et le saisissant aux épaules, le secouant brusquement, demanda :

– Vous les avez laissés sortir, Michel ?

L’agent se dégageait de l’étreinte de Juve :

– Personne n’est sorti, chef, je vous en donne ma parole… personne n’est sorti, ni avant vous, ni après vous…

– Ils ne sont plus à l’intérieur du magasin…

Très calme, l’agent Michel eut un geste d’incompréhension :

– Ça, je ne sais pas, dit-il : je ne peux vous affirmer qu’une chose, chef, c’est que vous et votre prisonnière, vous êtes les seuls que j’aie laissé passer…

– Moi et ma prisonnière ?…

De quelle prisonnière lui parlait Michel ?

– Mais sans doute, reprit Michel… voyons chef, je ne rêve pas ? vous êtes venu il y a dix minutes, ici, vous m’avez dit : « Ne bougez pas, Michel ! laissez-moi passer ! je suis Juve… j’emmène cette femme au poste et je reviens… »

Juve en entendant ces mots baissa la tête, accablé.

– J’étais grimé, n’est-ce pas ? demanda-t-il enfin.

– Oui ! vous aviez pris votre costume de Vagualame…

– C’était le vrai Vagualame ! hurla-t-il ! ce n’était pas moi déguisé en Vagualame… comme vous l’avez cru, Michel, c’était Vagualame en personne ! Je vous dis que c’est Vagualame lui-même que vous avez laissé échapper.

– Alors, chef ?

– Alors, mon pauvre Michel, que voulez-vous que je vous dise ? Vous n’y êtes pour rien.

Juve qui se rendait compte du chagrin de son subordonné, l’ayant pris familièrement sous le bras, calmait Michel, cependant que tous deux, mélancoliques, marchaient le long de la rue Monge, à la tête de la petite colonne d’agents de la Sûreté qui, tête basse, ne comprenait pas exactement ce qui s’était passé, sinon que Juve avait fait buisson creux.

Juve, toutefois, gardait un faible espoir :

– À propos, Michel, dites-moi, vous n’avez surpris aucune conversation suspecte ? Cette Mme Sophie n’a rien dit d’intéressant ?…

L’agent Michel secoua la tête :

– Rien du tout, chef !…

– Vos agents ne se doutent de rien ? Ils ne savent pas qui nous poursuivons ?

– Oh ! figurez-vous, monsieur l’inspecteur, dit Michel, qu’ils sont à cent lieues de supposer qu’ils marchaient ce soir sur les traces de Fantômas !… Cet après-midi, il y a eu une plainte déposée à la Sûreté à propos du vol d’un ours commis à la foire du Trône… ils sont persuadés que c’est à ça qu’ils doivent la perquisition de cette nuit… et cela d’autant plus que justement l’un de mes hommes qui habite Sceaux, quelques minutes avant le début de notre expédition, racontait que son frère, voiturier là-bas, a été chargé d’aller dans cinq jours, avec deux chevaux, prendre à cinq heures du matin, sur la route de Robinson, une roulotte qu’il doit conduire à vingt kilomètres de là… Ce rendez-vous lui a paru bizarre…

Juve, soudain parut fort intéressé…


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