355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » L'agent secret (Секретный агент) » Текст книги (страница 9)
L'agent secret (Секретный агент)
  • Текст добавлен: 8 октября 2016, 22:24

Текст книги "L'agent secret (Секретный агент)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 9 (всего у книги 21 страниц)

15 – L’APPRENTISSAGE DE TRAÎTRE

Bien que depuis quatre jours Fandor fût devenu le plus ponctuel des caporaux français, bien qu’il remplaçât de son mieux le malheureux Vinson, ce n’était point sans un certain effarement qu’il se réveillait chaque matin dans la vaste chambrée.

N’ayant pas fait son service militaire puisque légalement il n’existait pas, Fandor avait à peu près tout à deviner de son rôle de caporal.

Fandor ne voulait pas s’avouer à lui-même la témérité de sa conduite.

– À chaque jour suffit sa peine, pensait-il, attendons les événements !… Et il s’efforçait de vivre l’heure présente sans prendre souci de l’heure qui suit. Or, ce matin-là, Jérôme Fandor s’éveilla avec un sentiment d’inquiétude, plus précis encore que jamais.

La veille, l’adjudant de semaine l’avait attiré à part :

– Vous avez votre permission de la journée, Vinson, avait-il fait… Mes félicitations d’ailleurs ! vous n’avez pas rejoint le corps depuis quatre jours et vous trouvez déjà moyen d’obtenir votre soirée… mazette !

Fandor avait souri et était allé se coucher… Mais longtemps le sommeil avait fui ses paupières.

– Ma permission de la journée ? pensait-il. Du diable si j’ai jamais demandé une permission !… qu’est-ce que cela veut dire ? qui donc a signé pour moi ?

Et il songeait que le matin même, à la levée de dix heures, le vaguemestre lui avait remis une carte postale, dont l’adresse était libellée à la machine, qui avait été mise à la poste à Paris et qui représentait la route de Verdun à la frontière…

Vainement, Fandor avait cherché une phrase quelconque qui lui eût permis de deviner qui lui avait envoyé cette carte et ce qu’elle voulait dire : il n’avait rien trouvé qui fût capable de le renseigner !

Mais maintenant la lumière se faisait dans son esprit.

Alors qu’il recevait le caporal Vinson – le vrai caporal Vinson – dans son appartement, celui-ci ne lui avait-il pas déclaré :

– Ce qu’il y a d’effrayant dans l’espionnage c’est qu’on ne sait jamais à qui l’on obéit, de qui l’on doit suivre les ordres, qui est votre ami, qui est votre chef… un beau jour vous apprenez que vous êtes en permission… ce jour-là vous recevez d’une manière quelconque l’indication d’un lieu quelconque aussi… vous y allez, vous y rencontrez des gens que vous ne connaissez pas, qui vous posent des questions parfois insignifiantes, parfois graves… À vous de deviner si vous êtes en face de vos chefs, si au contraire vous n’êtes point tombé dans un piège, tendu par la police.

***

Il était exactement sept heures du matin lorsque Fandor tendit sa permission au sergent qui se tenait à la porte de la caserne :

– Encore un qui va s’amuser toute la journée et toute la nuit, grommela l’autre… passez, caporal…

Fandor eut un sourire joyeux… dans le fond de lui-même il était infiniment moins gai.

Fandor pensa qu’il n’était point mauvais de ruser. Au lieu de se rendre directement sur la route de Verdun, il flâna quelque temps dans la ville, revint sur ses pas, s’assura que nul n’avait suivi sa piste.

Et ce ne fut que lorsqu’il en eut la persuasion, qu’il se décida enfin à gagner la route.

Il faisait beau ; l’air frais, sans être froid, avait un bon goût de pureté. Fandor avança à grands pas.

– Ouvrons l’oeil ! ouvrons l’œil et le bon ! il s’agit de ne pas manquer mes individus, il s’agit qu’ils ne me manquent pas, eux non plus…

Et Fandor se rappelait les avertissements que lui avait donnés Vinson : – Deux indicateurs qui doivent se rencontrer et qui ne se sont jamais vus se reconnaissent, avait affirmé le caporal, à ceci : c’est que l’un et l’autre prévenus qu’ils vont à un rendez-vous causent à tous les gens qui leur semblent susceptibles d’être celui qu’ils cherchent… Ce sont autant d’alibis qu’ils se préparent, autant de preuves manifestes d’une parfaite tranquillité d’âme… et puis, enfin, c’est la certitude que la rencontre aura bien lieu…

Mais, en vérité, Fandor ne voyait personne à qui parler.

La grande route était déserte et les champs eux-mêmes s’étendaient à perte de vue, désolés. Aucun paysan ne travaillait.

Fandor marcha plus d’une heure, droit devant lui, entêté dans sa décision de pousser jusqu’au bout l’aventure, lorsqu’au détour d’un vallon, en haut d’une côte, il aperçut une automobile arrêtée.

– Ce ne sont pas mes gens, pensa le caporal, qui de loin, reconnaissait de riches touristes, mais, enfin je suis content de rencontrer des êtres humains… Et puis je vais flâner près de leur voiture, s’ils sont en panne, cela me fera prendre patience…

Traînant un peu les pieds, car il était fort gêné par les godillots réglementaires, le jeune journaliste s’avança vers l’automobile… Deux personnes l’occupaient : un monsieur, très chic, tout engoncé dans une pelisse de fourrure et un abbé assez jeune, emmitouflé dans plusieurs couvertures.

Au moment où Fandor approchait, il entendit l’abbé qui disait d’une voix aigrelette au chauffeur :

– Alors, mon cher ami, qu’est-ce qui se passe ? qu’a-t-elle encore votre voiture ?

Sombrement, sur un ton de désespoir comique, l’élégant voyageur répondait au prêtre :

– Mon cher abbé, ce n’est plus le pneu avant droit, c’est le pneu arrière gauche qui vient de crever !…

– Dois-je descendre ?

– Nullement ! ne bougez pas !

Fandor n’était plus qu’à quelques mètres de l’automobile, le chauffeur ajoutait, se tournant à demi vers ce passant :

– Malheureusement, mon cric fonctionne mal et je me demande si je vais pouvoir tout seul réussir à le glisser sous l’essieu…

– Évidemment, pensa Fandor, d’après les principes que m’a donnés Vinson, je n’ai pas à hésiter…

Il proposa :

– Si je peux vous donner un coup de main ?

Le chauffeur se retourna souriant :

– Vous êtes bien aimable, caporal… je ne refuserai pas votre aide…

D’un coffre de la voiture, il trouva un cric de fonte qui ne semblait point, à première vue, à l’œil exercé de Fandor, devoir fonctionner si mal que cela… Fandor, d’un coup de main, en homme expérimenté, l’aida à soulever la roue dont le pneumatique, en effet, venait de rendre l’âme…

– Voilà, monsieur, dit-il…

Le journaliste ajouta :

– Dommage tout de même que l’automobile ça ait besoin de pneumatiques… c’est toujours avec les crevaisons des retards à n’en plus finir…

L’abbé demeuré dans la voiture eut un petit haussement d’épaules et répondit au jeune soldat.

Le chauffeur cependant étalait sur le sol une chambre à air dont il dévissait le chapeau de valve afin de pouvoir l’introduire à la place de la chambre éclatée qu’il venait, très expertement de dégager.

– Sommes-nous loin de Verdun ? interrogea-t-il…

– Cinq ou six kilomètres, répondit Fandor…

– Seulement ?…

– Seulement, monsieur…

– Ah ! bon !… bon !… et dites-moi le long de la route que nous suivons, il n’y a pas un chemin de fer ?…

– Non, monsieur, on projette bien une voie stratégique, mais les travaux ne sont pas encore commencés…

Le chauffeur sourit et approuva :

– C’est toujours si long les projets avec l’administration française !…

– Ça, oui !…

Un petit silence pesa.

Fandor songeait, très intéressé, que, tout de même, il était bien possible que ce touriste fût…

– Ouf ! fit le chauffeur en se relevant soudain. Il ne va plus y avoir qu’à rentrer cette enveloppe avec toute cette série de leviers, et si vous voulez bien encore me prêter votre aide ?…

– Mais certainement…

– Oh, pas tout de suite… laissez-moi me reposer… j’ai les reins brisés d’être resté accroupi…

L’inconnu parcourut quelques pas sur la route et montrant encore à Fandor l’horizon :

– On a un joli point de vue ici… vous connaissez la région, caporal ?

– Comme ça… pas trop mal…

– Alors vous allez pouvoir me donner quelques renseignements… Qu’est-ce que c’est là-bas cette grande cheminée ?…

– C’est la cheminée de la fonderie de cloches…

– Ah oui, c’est vrai, j’ai entendu parler de cette usine… oh ! mais ça a l’air tout près…

Fandor secouait la tête :

– Ça a l’air, remarquait-il… par la route il y a bien encore onze kilomètres…

– Tant que ça !… À vol d’oiseau c’est à côté…

– Oui, ça semble…

Le chauffeur insistait :

– Mais combien, croyez-vous donc, caporal, qu’il peut y avoir d’ici là-bas en droite ligne ? On doit vous apprendre au régiment à évaluer les distances ?

Cette fois Fandor ne doutait plus. L’homme qui lui parlait était assurément l’espion qu’il cherchait à rencontrer. Qu’aurait signifié sans cela cette série de questions ?

Et Fandor se rappelait encore que le caporal Vinson lui avait dit :

– Quand on a affaire à un nouveau chef espion, on est toujours certain que celui-ci vous fait passer une sorte de petit examen, histoire de se rendre compte de vos capacités…

Mais le jeune homme ne réfléchit qu’une minute ; il répondit :

– À vol d’oiseau j’estime qu’il n’y a pas plus de quatre kilomètres, la route fait un long détour…

– Bien !… bien !.. approuvait le chauffeur, vous ne devez pas vous tromper de beaucoup…

Il semblait à Fandor que ce touriste hésitait quelques secondes, comme sur le point de lui poser une question plus précise. Mais déjà il revenait vers l’automobile et appelant Fandor :

– Tenez, caporal, puisque vous êtes si obligeant, aidez-moi donc en tenant ce levier… Il y a longtemps que vous êtes en garnison à Verdun ?

– Ma foi non, quelques jours seulement…

– Vous n’êtes pas trop ennuyé ?

– Pourquoi donc ?

– Je veux dire, la discipline n’est pas trop sévère ?…

– Oh ! répondit-il, moi je n’ai pas encore trop à me plaindre, j’ai assez facilement des permissions…

Mais le mystérieux touriste ne saisissait pas l’allusion, ou feignait de ne pas la comprendre :

– Et cela fait toujours plaisir ! dit-il…, ah ! le diable, pour les jeunes soldats dans les villes de garnison c’est, n’est-ce pas… que même les jours de permission ils ne savent comment se distraire ?… Mais vous avez sans doute des relations, caporal ?

– Hélas ! non, monsieur…

– Eh bien, puisque vous êtes si obligeant, riposta le chauffeur, je me ferai un plaisir, si vous le voulez bien de vous présenter à des gens qui vous amuseront…

– Vous avez des amis, monsieur, à Verdun ?

– Je connais quelques personnes.. ; et l’abbé qui m’accompagne aussi… tiens ! une idée !… monsieur le caporal, venez donc ce soir à sept heures me demander à l’imprimerie des Frères Noret. Ce sont de bons camarades, vous trouverez là des jeunes gens de votre âge avec qui vous sympathiserez sûrement et qui, je n’en doute pas, vous seront utiles…

– Vous êtes trop aimable, répondit-il, je ne voudrais pas…

– Du tout ! du tout ! c’est bien la moindre des choses que je vous propose… venez à sept heures… Encore merci, caporal, pour votre aide… Je ne vous offre pas de vous ramener à Verdun, ma voiture n’ayant que deux places, mais je vous répète… à ce soir.

– À ce soir.

Et pour lui seul, il monologuait :

– Pas de doute !… voilà bien le chef espion de la région, mais du diable si je suis plus avancé maintenant qu’il y a une heure !…

***

À sept heures très précises, Fandor se présenta à l’imprimerie Noret, dont il avait relevé l’adresse dans un des annuaires de la ville.

Il sonna, fut introduit dans un salon d’attente, modestement décoré, ayant une vague allure de parloir de couvent. L’homme qui était venu lui ouvrir demandait :

– Qui dois-je annoncer à ces messieurs ?

– Dites-leur que c’est le caporal Vinson…

Quelques minutes d’attente. Un grand jeune homme, mince, à barbe rousse, entra bientôt dans la pièce :

– Bonjour, caporal ! nos amis communs m’ont annoncé votre visite… ils ne sont pas encore arrivés, mais il est bien inutile, j’imagine, que nous attendions pour faire connaissance, des présentations régulières ?…

– Vous êtes trop aimable, monsieur, un modeste caporal comme moi est bien heureux de trouver dans une ville de garnison des camarades…

– Allons donc, laissons cela, je suis très content aussi de faire votre connaissance… tenez ! en attendant nos amis… voulez-vous visiter les ateliers, vous verrez, c’est une visite intéressante… et utile…

Le plus naturellement du monde, l’imprimeur venait de faire entrer le journaliste dans de très vastes ateliers :

– Voici la rotative sur laquelle se tire Le Phare de Verdun, expliquait-il, vous pouvez vous rendre compte que c’est une rotative dernier modèle… vous connaissez le fonctionnement de ces machines ?

– Du diable, pensa Fandor, si ce brave jeune homme s’imagine qu’il parle à un professionnel de l’imprimerie !

Mais Fandor dissimulait son dédain et s’extasiait :

– C’est admirable ! déclarait-il, pour un ignorant comme moi en mécanique, c’est en tous points merveilleux… ah ! je voudrais bien voir fonctionner une machine comme celle-là ?

– C’est un désir facilement réalisable, déclarait-il ; vous n’aurez qu’à vous présenter ici un prochain après-midi, je vous montrerai les ateliers en plein fonctionnement…

Et il entraîna le journaliste dans un autre coin de l’imprimerie :

– Vous connaissez les linotypes ?

Fandor dut admirer de nouveau, bien qu’à la vérité, en homme du métier, il n’appréciait pas énormément les machines que son hôte lui soumettait.

– Pourquoi diable cette visite ? songeait-il…

Fandor devait bientôt avoir le mot de l’énigme : L’imprimeur, en effet, l’entraîna vers une sorte de petite pièce dissimulée, presque un cabinet de débarras…

– Tenez, faisait-il, voici une presse qui, j’en suis sûr, vous plaira…

Et comme Fandor, assez intrigué, cette fois, considérait une housse grise, sous laquelle il devinait un bâti métallique, l’imprimeur interrogeait :

– Vous savez ce que c’est, caporal ?

– Pas du tout…

– Une machine à faire des billets de banque…

– Hein ?

L’exclamation de surprise avait échappé à Fandor… Ah ça, est-ce qu’en plus d’espionnage, ces gens-là s’occupaient aussi de fausse monnaie ? Il reprit :

– Vraiment, vous fabriquez des billets de banque ?…

– Vous allez voir… oh, bien entendu, des billets pour rire… mais enfin ils peuvent être utiles…

Une fois encore l’intonation faisait l’intérêt du mot ! De faux billets de banque qui pouvaient être utiles ?… Fandor décida d’éclaircir ce mystère :

– Je serais curieux, dit-il, de voir fabriquer ces billets de la sainte farce… Est-ce que vous…

– Mais j’allais vous le proposer…

Le jeune imprimeur tournait la manivelle de la machine.

– Tendez les mains !…

Et Jérôme Fandor eut la surprise de recevoir un superbe billet de banque de cinquante francs, tout neuf !…

– Qu’en dites-vous, dit l’imprimeur, est-ce bien imité ?

– Certes, répondait le journaliste qui, considérant le billet de banque, demeurait fort perplexe :

– Et en voici d’autres, tenez… prenez…

Neuf autres billets tombèrent dans les mains de Fandor…

Mais le journaliste avait l’œil vif.

Et puis ça n’était pas la première fois qu’il visitait une imprimerie.

Et ce qui l’intriguait tout à l’heure ne l’intriguait plus maintenant…

– Parbleu ! comprenait-il, le truc est enfantin !… ce sont de vrais billets qui m’arrivent dans les mains… cette machine-là n’imprime rien du tout… mon nouvel ami l’a chargée tout bonnement de me donner le paiement de mes futures trahisons – cinq cents francs – et il glisse ces billets de banque sous les rouleaux… En somme, c’est un moyen de me payer, sans en avoir l’air, sans se compromettre…

– Et maintenant, caporal, proposa-t-il, il me semble que nous pourrions bien aller vider une bouteille en l’honneur de notre nouvelle connaissance ?…

Le journaliste n’avait guère envie de trinquer. Il lui fallait cependant, à peine de se singulariser, accepter avec une joie feinte l’offre qu’on lui faisait.

– Évidemment, pensait-il, un caporal n’a pas le droit de ne pas vider une bouteille !

Fandor, une fois encore, imposa silence à ses propres désirs, il gardait une mine souriante, charmée, tandis que le verre en main il continuait à causer avec son interlocuteur.

Il se leva enfin, s’excusant :

– Il va falloir que je vous quitte, monsieur… ma permission de minuit n’est pas expirée, certes, mais j’ai des courses à faire…

Fandor avait hâte de se retrouver seul, de pouvoir réfléchir, de pouvoir coordonner ses pensées.

– Je suis, maintenant, songea-t-il, définitivement introduit dans les milieux d’espionnage de Verdun… il faut que j’avise aux meilleurs moyens à employer pour y découvrir des choses intéressantes…

L’imprimeur ne le retint pas, semblait au contraire apprécier l’intelligence du jeune soldat qui devinait que l’entrevue était terminée…

16 – AU BAL DE L’ÉLYSÉE

Dans les salons brillamment éclairés de l’Élysée, une foule élégante se pressait, foule assez mélangée d’ailleurs où l’on comptait les grands noms du Parlement, de la diplomatie, où l’on rencontrait aussi les membres du haut commerce parisien et pas mal d’inconnus, d’anonymes ayant obtenu une carte d’invitation pour cette réception officielle.

Quinze jours avant, le prince Io avait présenté ses lettres de créance, s’était vu accrédité de façon définitive. C’était en son honneur que le président de la République recevait ce soir-là, et on se montrait curieusement, au centre du dernier salon, le noble Japonais en costume national tout chamarré de broderies, l’air subtil, les traits fins, un sourire aux coins des lèvres…

Le vieux diplomate considérait, en effet, avec un amusement assez dédaigneux le public composite qui, réuni dans les salons de l’Élysée, devait lui donner une piètre impression de l’aristocratie de la Troisième République.

Un peu à l’écart des salons en quelque sorte publics où se pressait la foule des invités du Président, se trouvaient de graves personnages causant d’un air ennuyé, des affaires de l’État. Ceux qui passaient se les montraient du doigt et les regardaient curieusement. Ces personnages étaient en quelque sorte l’une des attractions de la fête :

– Regardez, ce sont les ministres !…

Le président de la République, debout contre la cheminée, causait avec l’un d’eux. Et lui aussi gardait un air ennuyé, excédé, l’air d’un homme qui se voit obligé de respecter les formalités stupides du protocole.

Or, dans le salon où se trouvait le prince Io qui, lui, dédaigneux de rites que sa qualité d’étranger pouvait lui permettre de feindre ignorer, avait trouvé bon de ne point converser avec les ministres, deux hommes causaient avec animation.

L’un parlait sur un ton de commandement, l’autre répondait humblement.

– Voyons, lieutenant, disait le premier – le colonel Hofferman – j’ai eu si peu de temps aujourd’hui au ministère que je n’ai pas pu vous voir… et Dieu sait cependant que je n’oublie pas les affaires dont je vous ai chargé, j’en ai le plus grand souci…

Le lieutenant de Loubersac inclinait la tête en signe d’assentiment.

– Je le conçois, mon colonel… ce ne sont point des affaires à négliger.

– Avez-vous du nouveau ?

– Non, mon colonel. C’est-à-dire : je dois vous répondre : Non…

Le colonel Hofferman regarda assez intrigué le brillant officier :

– Que diable voulez-vous exprimer ? demanda-t-il.

Et prenant familièrement le lieutenant de Loubersac par le bras, le colonel Hofferman l’entraîna :

– Venez donc faire un tour de jardin, il ne fait pas froid du tout ce soir, et tant qu’à causer sérieusement, j’aime mieux causer à l’écart…

– Vous avez raison, mon colonel, prudence est mère de la sûreté.

Le colonel haussait les épaules :

– Je ne voudrais pas faire un jeu de mot, mais enfin puisque vous parlez de la Sûreté, je ne peux pas m’empêcher de noter qu’elle gaffe terriblement dans les affaires qui nous préoccupent… Nom d’un chien ! ces maudits policiers ne peuvent donc jamais se tenir tranquilles ?…

– Ils ont encore enquêté ? s’informait le lieutenant de Loubersac.

– Non, l’avertissement que j’ai fait donner, et que j’ai donné moi-même au fameux Juve a dû servir de leçon. Ils se tiennent en repos maintenant. Mais je peste toujours à propos des incidents de l’autre jour…

Le colonel Hofferman fit une pause, s’interrompit, et respectueusement, le lieutenant de Loubersac se garda d’interrompre son chef.

– Enfin, lieutenant, reprit subitement le colonel Hofferman, croyez-vous que nous en sortirons jamais, de ces aventures ? que disiez-vous tout à l’heure ? vous avez du nouveau, tout en n’en ayant pas ! c’est une réponse de Normand, ça, vous ne m’avez pas habitué à tant de circonlocutions ?…

– Mon Dieu, mon colonel, répondit en riant le lieutenant de Loubersac, ce n’est point seulement une réponse de Normand, c’est la réponse de quelqu’un qui hésite à se prononcer, et qui cependant…

– Qui cependant, quoi ? lieutenant ?… Avez-vous une idée de l’endroit où peut être le document perdu ?

– Non…

– Vous avez des renseignements sur la mort de Brocq ?

– Hum !

– Sur la mort de Nichoune, peut-être ?

– Mon colonel, avez-vous remarqué que depuis quelques jours je ne vous ai transmis aucun rapport de l’agent Vagualame ?

– Diable qu’allez-vous chercher là….

– Je ne cherche rien, mon colonel… je constate. Nichoune est morte assassinée, cela ne fait pas de doute, mon colonel… Nichoune, c’était la maîtresse du caporal Vinson. Le caporal Vinson était sur le point de trahir, s’il n’avait pas trahi déjà. C’était de plus l’amie du capitaine Brocq, et le capitaine Brocq est mort au moment où disparaissait le document… autant de constatations !

– Je ne vois pas où vous voulez en venir ?

– Mon Dieu, mon colonel, à ceci : Nichoune a été trouvée morte le samedi 19 novembre… la veille, Nichoune avait reçu la visite de notre agent Vagualame.

– Eh bien, lieutenant ?

– Eh bien, mon colonel, je n’aime pas beaucoup cela, mais ce que j’aime moins encore, c’est qu’il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de voir Vagualame. Or, il a paru, au premier moment, vouloir nier qu’il avait été à Châlons.

– Oui… en effet… c’est assez symptomatique… Vagualame… mais dites-moi, lieutenant, comment saviez-vous que Nichoune avait reçu la visite de Vagualame ?

– Depuis quelque temps, mon colonel, Vagualame était sous la surveillance de l’officier chargé de surveiller nos agents. Vagualame avait été pris en filature par le capitaine Loreuil, travesti en tante Palmyre, qui a découvert, le lendemain du jour de la visite de Vagualame, l’assassinat de Nichoune dont il avait eu le soupçon, trouvant que Vagualame avait à l’endroit de la jeune femme une attitude surprenante…

– Oui, dit le colonel Hofferman, tout cela est grave, mais enfin, il faudrait admettre que Vagualame a joué double jeu, qu’il ait été à la fois espion et traître ? mais vous n’avez, somme toute, lieutenant, pour incriminer cet agent que nous connaissons depuis longtemps qu’un bien vague indice… l’espèce de réticence que vous avez cru qu’il mettait à reconnaître son voyage à Châlons ?…

– En effet, mon colonel, si je n’avais que cela…

– Vous savez autre chose ?

– Je sais, mon colonel, que j’avais donné rendez-vous hier à cet agent, au Jardin, comme d’habitude, que je l’y ai attendu… qu’il n’est pas venu…

Le colonel Hofferman reprenait le bras du lieutenant, et revenait vers les salons :

– On nous observe peut-être, fit-il. Je vous le répète : dans ces maudites fêtes, on ne sait jamais au juste qui vous voit et qui ne vous voit pas. Dites-moi, lieutenant, c’est infiniment grave ce que vous m’apprenez là… Si Vagualame était véritablement en fuite, c’est que Vagualame serait l’assassin de Nichoune, et dans ce cas, rien n’empêcherait de le soupçonner d’une infinité de choses que je n’ai pas besoin de vous préciser…

Le colonel Hofferman, en achevant ces mots, désignait à l’officier qui l’accompagnait un personnage qui se tenait à l’entrée de la grande salle :

– Passons de l’autre côté, dit-il, voilà M. Havard, je ne tiens pas du tout à me rencontrer avec lui… Lieutenant, toute affaire cessante, retrouvez-moi Vagualame dans les trois jours, sinon donnez un mandat au service des recherches… Je vous verrai demain à dix heures, au ministère…

Tandis que le colonel Hofferman s’entretenait avec le lieutenant de Loubersac, Jérôme Fandor, qui assistait – en Jérôme Fandor naturellement – au bal de l’Élysée, s’occupait de la même affaire.

Arrivé de bonne heure à l’Élysée, Fandor se disait que c’était bien le diable si, parmi les invités de la Présidence, il n’apercevait point quelque ami susceptible de lui fournir des renseignements intéressants sur l’opinion que se formait actuellement le Deuxième Bureau, quant au caporal Vinson… Fandor, qui se trouvait toujours à Verdun, n’était pas sans inquiétude sur la substitution de personne qu’il avait risquée. Se doutait-on de quelque chose au Deuxième Bureau ?

Le jeune homme était depuis quelque temps à son poste d’observation, lorsque quelqu’un lui frappa familièrement sur l’épaule :

– Alors, Fandor, vous faites maintenant le compte rendu des fêtes officielles ?

– Vous, Bonnet ? ah ! par exemple ! s’exclamait le journaliste, quelle bonne surprise !

– Ce que je suis devenu, mon cher ? hé ! je viens d’être nommé juge d’instruction à Châlons…

– Vous êtes juge à Châlons ? j’ai précisément des renseignements à demander au juge d’instruction de Châlons.

Et Jérôme Fandor, passant son bras à celui du juge d’instruction Bonnet, entraîna son ami à l’écart.

– Dites-moi, mon cher Bonnet, demanda Fandor lorsqu’ils furent arrivés dans une sorte de petit fumoir, dites-moi, n’est-ce pas vous qui vous êtes occupé de la mort d’une petite chanteuse, nommée…

– Nichoune ? si parfaitement…

– Eh bien, vous allez me dire…

– Mon cher ami, je ne vous dirai pas grand-chose, pour la bonne raison que cette affaire est des plus mystérieuses et qu’elle me donne beaucoup de tintouin… Vous connaissiez Nichoune, Fandor ?…

– Oui et non… mais je donnerais beaucoup, en revanche, pour connaître son assassin.

Bonnet sourit et, se croisant les bras plaisamment :

– Et moi donc !

– Vous n’avez pas une idée sur l’auteur possible de l’assassinat ?

– Peuh ! fit-il, une idée, si, à la rigueur… Cette chanteuse avait reçu la veille de sa mort, paraît-il, la visite d’un vieillard, un vieux mendiant que je n’arrive pas à identifier et qui a mystérieusement disparu… Je me demande si ça ne serait pas… en tout cas, c’est de ce côté que je vais chercher… Voulez-vous que je vous tienne au courant ? C’est toujours rue Richer qu’il faut vous écrire ?

– Vrai, dit-il, vous seriez tout à fait gentil, en effet, de m’écrire rue Richer dès que vous aurez du nouveau dans cette affaire. Je ne peux pas vous expliquer toute l’importance que j’y attache, mais elle est énorme…

– Eh bien, entendu… comptez sur moi ! Vous venez faire un tour dans les salons, Fandor ?

– Si vous voulez…

Soudain, Fandor quittait son ami :

– Mon cher, je vous dis au revoir, vous m’excusez ? voici quelqu’un qu’il faut que j’interviewe…

Quelques minutes après, le journaliste abordait respectueusement un habit noir qui, solitaire, appuyé contre une porte, considérait, une moue de dédain aux lèvres, les couples tournoyant au milieu de la pièce…

– Je peux vous dire deux mots, monsieur Havard ?

– Quatre si vous voulez, mon bon Fandor, je m’ennuie à mourir dans cette fête, et j’aime encore mieux subir vos questions de journaliste que de continuer à broyer du noir tout seul…

– Mon Dieu ! monsieur Havard, vous broyez du noir ? Quel est donc votre affreux chagrin ?…

– Mon affreux chagrin, dit-il, n’exagérons pas, tout de même, je suis ennuyé… Oh ! je n’ai pas de motif de vous taire le pourquoi de ma mélancolie… vous êtes assez intime avec Juve…

– Vous avez de ses nouvelles ?

– Non, justement…

– Vous êtes inquiet, alors ?

– Mais non, mais non, rassurez-vous… Tenez, puisque vous êtes si bien avec Juve, je voudrais vous charger d’une commission.

– Pour Juve ?

– Oui, pour lui… Vous savez, Fandor, n’est-ce pas ? c’est notre meilleur inspecteur… eh bien, il gâche sa carrière… il s’interdit tout avancement en s’obstinant toujours à chercher son insaisissable Fantômas…

– Je ne vous comprends pas, monsieur Havard ?…

– Vous allez me comprendre… Savez-vous où est Juve en ce moment, Fandor ?…

– Non ! avouait le journaliste…

– Eh bien, moi non plus… et cela est inadmissible ! Juve en prend trop à son aise. Il m’a affirmé l’autre jour qu’il était certain que la mort du capitaine Brocq devait être imputée à Fantômas et, clac !… depuis ce temps-là je n’ai plus de ses nouvelles… Juve est à la poursuite de Fantômas !… Voyons, Fandor, entre nous, puis-je tolérer cela ?…

Assez embarrassé, le journaliste évitait de répondre.

– Si, cependant, fit-il, Juve avait raison ?

– Raison !… reprenait M. Havard, mais précisément, il se trompe. J’en ai la preuve.

– Vous en avez la preuve ?… mais qui donc, d’après vous, a tué le capitaine Brocq ?

M. Havard était de si mauvaise humeur que lui, l’homme rebelle aux interviews par excellence, il se laissa aller à renseigner Fandor.

– Mon cher, fit-il, pour un esprit logique qui raisonne de sang-froid, qui ne se perd point dans des hypothèses à la Fantômas, celui qui a tué Brocq est assurément celui qui a tué Nichoune… Brocq, j’imagine, a été assassiné par un individu quelconque, embusqué sur le haut de l’arc de Triomphe… un complice, pendant ce temps, a dérobé le document que recherche le ministère… Brocq connaissait le caporal Vinson… vous savez cela, Fandor ?

– Oui… oui… allez toujours !

– Bien. Le caporal Vinson avait pour maîtresse cette Nichoune, qui vient de périr assassinée… C’est lié.

– Mais tout cela ne dit pas que Fantômas ne soit pas le coupable ?

– Vous allez trop vite, Fandor, je sais qui a tué Nichoune…

– Allons donc !

– Si… Parbleu, je ne m’en suis pas tenu à l’enquête que faisaient ces officiers du Deuxième Bureau… Ils s’imaginent qu’ils sont policiers !

– Vous allez bien loin, il me semble ?…

– Eh non, je ne vais pas trop loin. Qui a fait le coup ? je le sais par les enquêtes de mes propres agents, par les renseignements du Parquet… eh bien, c’est Vagualame, un vieux faux mendiant qui avait des accointances avec le ministère…

En entendant la déclaration extraordinaire de M. Havard, Jérôme Fandor ne put s’empêcher qu’à grand-peine d’éclater de rire.

Vagualame coupable, l’idée lui semblait bonne… M. Havard, assurément, était incomplètement renseigné… il imaginait que Vagualame avait de vagues accointances avec le ministère… il ne savait pas que c’était, en réalité, l’un des agents réguliers du Deuxième Bureau, l’un des hommes de confiance du colonel Hofferman…

En un éclair, Jérôme Fandor vit l’intérêt de la conversation…

Jérôme Fandor se disait :

– Que la Sûreté paralyse l’action de Vagualame, et je serai, moi, faux caporal Vinson, d’autant plus libre pour agir…


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю