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L'agent secret (Секретный агент)
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Текст книги "L'agent secret (Секретный агент)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

L’AGENT

SECRET

4

Arthème Fayard

1911

Cercle du Bibliophile

1970-1972

1 – MORT SUBITE

Impatientée, la jeune femme qui achevait de s’habiller fit une moue maussade et se retournant à demi :

– Eh bien, mon capitaine, s’écria-t-elle, on voit que tu n’as pas l’habitude des femmes !

L’amant de la jolie fille, un homme de quarante ans, au front large, orné d’un cheveu rare, fumait une cigarette de tabac d’Orient, étendu sur un divan au fond de la chambre à coucher.

Il se leva comme mû par un ressort.

Il se précipita dans le cabinet de toilette et en rapporta une petite coupe en onyx où se trouvait un assortiment complet d’épingles de toutes tailles.

– Voilà, ma jolie Bobinette, dit-il.

D’un sourire, celle-ci le remercia et ayant puisé dans la coupe continua tranquillement à se vêtir.

C’était une belle rousse, aux cheveux abondants, naturellement ondulés, dont les tresses lourdes, tombant sur la nuque jusqu’à l’attache des épaules, tranchaient de leurs tons fauves sur les lignes laiteuses et blanches de la chair. Un véritable type de Rubens que cette jeune femme aux formes hardies, nettement dessinées, et que moulait, jusqu’à la taille, une jupe très simple en drap noir, entravée au-dessus du jarret, selon la dernière mode.

Il était trois heures et demie de l’après-midi et déjà, par ce jour triste de novembre, une pénombre obscurcissait le rez-de-chaussée de la rue de Lille où les deux amants se trouvaient réunis.

Depuis quelques mois déjà, le capitaine Brocq entretenait des relations intimes avec la capiteuse personne qui répondait au sobriquet gavroche de Bobinette. Elle était charmante et se sentait chez elle d’instinct, partout.

Tout au contraire, le capitaine Brocq, fils de ses œuvres, officier d’artillerie, breveté d’état-major, attaché au ministère de la Guerre, l’homme de science, le travailleur, l’être pondéré, minutieux, entêté dans ses besognes, ardent et volontaire, mais que la fréquentation du monde militaire, des cercles plus aristocratiques n’avait pas complètement affiné. Il restait toujours, en dépit de ses capacités intellectuelles et de la valeur professionnelle dont ses chefs faisaient grand cas, l’homme de modeste origine demeuré un peu gauche, timide, et dont la place évidemment était mieux indiquée à la tête d’une batterie, sur les bastions d’une forteresse que dans les parlotes officielles ou les salons mondains.

Brocq, sorti dans un excellent rang de l’École polytechnique où il avait été reçu après d’âpres études, s’était acquis, par sa valeur personnelle et sans le concours de recommandations, une situation importante que l’on avait récemment consacrée en lui accordant au ministère un poste de confiance.

Vers la quarantaine, son cœur, jeune et neuf comme celui d’un étudiant, s’était soudain enflammé lorsque le hasard des circonstances avait mis en présence le capitaine et la troublante Bobinette.

Qu’était donc cette femme ?

Mais allez demander à un polytechnicien qui est une jolie femme !

– À quoi songes-tu ? As-tu trouvé un nouveau problème ou penses-tu à une femme brune ?

Brocq sourit. Amoureusement, il passa son bras autour de la taille souple de la jeune femme, l’attirant vers lui, il plongea ses lèvres dans son épaisse chevelure parfumée, et tendrement murmura :

– Je pense à l’avenir, dit-il, à notre avenir !

– Oui, tu vas encore me raser avec tes idées de mariage ? Non, mon vieux, tu sais, rien à faire, pas de chaîne…, pas de bâillon…, nous sommes indépendants tous les deux, restons comme cela… libres !… Vive la liberté…

Brocq voulut protester, mais elle poursuivait :

– D’abord, tu sais bien que tu ferais une bêtise en m’épousant ; je n’ai pas la dot réglementaire, loin de là… et puis je ne suis pas de ton monde : me vois-tu dans un salon, faisant des singeries avec la femme du colonel, la femme du général et tout le tremblement ?… zut ! je suis ce que je suis, Bobinette… une espèce de déclassée…, un carabin raté… qui n’a pu qu’être infirmière…

– D’abord, répondit le capitaine, en ce qui concerne la dot, tu sais bien, ma jolie Bobinette, que j’ai déjà pris des dispositions à ton égard… ne proteste pas… cela me fait plaisir à moi d’assurer dans une proportion aussi large que je puis le faire, ton modeste avenir ; d’autre part je ne suis pas non plus un mondain et si tu voulais…

Le capitaine se rapprocha encore de sa maîtresse dont il effleura les lèvres de sa moustache.

Bobinette s’écarta de nouveau, quitta le divan et, dressée debout devant l’officier, les bras croisés, le regard sombre :

– Non, te dis-je, je veux être libre, maîtresse de moi…

Brocq s’impatientait :

– Mais, malgré tes idées d’indépendance, ma pauvre chérie, tu es toujours en servage… tiens, pour ne citer qu’un exemple, voilà plus de deux ans que tu as consenti à occuper une situation subalterne chez ce diplomate bavarois… autrichien… je ne sais ?…

– Naarboveck ? mais ne t’imagine pas que je suis la domestique du baron de Naarboveck et quand ça serait d’ailleurs, je ne peux pas faire la fière, ni sortir les parchemins de mes ancêtres…

– Il ne s’agit pas de cela…

Bobinette était lancée, elle continua :

– C’est de cela qu’il s’agit, au contraire, tu t’imagines toujours que j’accomplis des besognes qui me rabaissent ! Cent fois je t’ai raconté comment j’étais entrée chez Naarboveck. Ce pauvre homme est venu, un jour, à l’hôpital…, il était tout bouleversé, la jeune Wilhelmine, sa fille, elle a dix-neuf ans à peine, venait de tomber malade… une fièvre typhoïde… lui, était forcé de s’absenter… personne à qui confier cette enfant… on m’a recommandée à Naarboveck, je suis venue, j’ai soigné Wilhelmine, ça a duré un mois, puis deux, puis trois… nous sommes les meilleures amies du monde maintenant. Wilhelmine est une fillette que j’aime de tout mon cœur, le baron de Naarboveck, un aimable homme plein de prévenances… Certes, je remplis désormais auprès de ces gens-là le rôle de dame de compagnie, rôle « subalterne », mais, mon cher… il y a « la manière » et je t’assure que je suis traitée comme quelqu’un de la famille. Et, d’ailleurs, tu as bien pu t’en rendre compte, puisque c’est précisément aux réceptions de Naarboveck que j’ai fait ta connaissance.

– Tu n’as pas connu que moi chez M. de Naarboveck, il y a aussi le beau cuirassier Henri de Loubersac…

Bobinette rougit, haussa les épaules :

– Tu es stupide, le lieutenant Henri ne pense pas à moi… tout au contraire, et s’il vient dans la maison…

Brocq, à son tour, interrompait la jeune femme :

– Je sais, observa-t-il, conciliant, peu désireux d’ouvrir la discussion sur ce sujet, je sais qu’il vient pour la blonde Wilhelmine…

De nouveau Brocq attira vers lui Bobinette. Tendrement, il s’efforça de l’asseoir sur ses genoux, mais la jeune femme, de plus en plus réfractaire semblait-il aux caresses du capitaine, regardait la pendule de la cheminée

– Quatre heures, fit-elle, il est grand temps que je file.

– Ma foi, moi aussi, il faut que j’aille faire un tour au Ministère.

Tous deux s’étaient levés… Bobinette chercha son chapeau puis une glace. Brocq échangea son veston d’appartement contre une jaquette noire.

– Bobinette ? appela-t-il, de son cabinet de travail.

Quand la jeune femme, répondant sans empressement à l’invitation, entra dans la pièce où l’officier l’avait précédée, elle trouva celui-ci installé devant son bureau, fouillant un vaste tiroir où des papiers de toute nature étaient entassés dans un grand désordre :

– Tu sais, ma petite Bobinette, que je t’ai instituée ma légataire universelle, s’écria le capitaine. Je voudrais te montrer… c’est au sujet de l’orthographe exacte de ton nom, car en somme tu t’appelles Berthe…

Mais la jeune femme s’était avancée et, prestement subtilisait sur le buvard une feuille de papier mauve où quelques lignes étaient tracées :

– Ah ! canaille ! s’écria-t-elle, tandis qu’elle parcourait la lettre, simulant une colère, je t’y prends, tu écrivais à une femme ! Hé ! ça commence bien :

« Ma petite chérie adorée, comme les heures me paraissent longues lorsque j’attends… »

– Mais comprends donc, grosse sotte, que c’est à toi que j’écrivais, il y a deux heures de cela… Tu sais, j’ai perpétuellement peur que tu ne viennes pas à nos rendez-vous et comme tu arrives toujours en retard…

Bobinette, rassurée, aida Brocq à inventorier son tiroir. Décidément le capitaine manquait d’ordre. Pêle-mêle, voisinaient des lettres de famille, des pages entières de chiffres, des documents militaires autographiés, et même quelques billets de banque.

Mais bientôt Bobinette remarquait quelques lignes de son écriture sur des feuillets qu’elle connaissait bien !

Elle feignit l’indignation :

– C’est abominable, s’écria-t-elle, de me compromettre comme tu le fais… Vois mes lettres… des lettres d’amour… des lettres intimes qui traînent… n’importe où !… Non, décidément…

Brocq rectifiait :

– Tu fais erreur, ma chatte, tes chères épîtres sont précieusement conservées par moi… réunies… tiens, les voilà toutes ensemble… oh, elles sont peu nombreuses… mais il n’en manque pas une !

– Tu en es certain ?…

– Je te jure…

Cependant le capitaine, poursuivant son idée fixe, retournait dans la chambre à coucher espérant y trouver l’acte de donation sur lequel il ne pouvait remettre la main dans son bureau.

– Viens avec moi, Bobe, fit-il.

L’officier, passé dans l’autre pièce, ouvrait un petit secrétaire. Il se croyait suivi de sa maîtresse, mais celle-ci demeura dans le bureau.

– Bobinette ? appela-t-il de nouveau, étonné d’être seul.

Brocq rebroussa chemin.

Il se heurta à la jeune femme qui d’un geste furtif cachait quelque chose dans son manchon.

– Eh bien ?

– Eh bien ?

Ils se regardèrent un instant silencieux…

– Que faisais-tu donc ? interrogea Brocq, soupçonneux.

– Rien ! déclara froidement Bobinette.

Mais le capitaine lui prit les mains, inquiet, courroucé presque…

– Dis-le moi ?…

La belle rousse bondit en arrière et d’un air de défi :

– Eh bien oui ! je les ai reprises, mes lettres, elles sont à moi… je les voulais… Ça me dégoûte qu’elles traînent partout dans ton appartement… Tu trouves ça drôle que ton ordonnance les lise à sa payse ?… que ta concierge soit au courant… Vraiment, vous autres hommes vous n’avez aucun tact, aucune délicatesse…

– Bobinette, supplia le capitaine.

– Non, non et non.

Et comme l’officier pâlissait, pris d’un scrupule, elle ajouta, un peu plus douce :

– Mais grosse bête, ça n’a aucune importance… te voilà troublé comme un collégien… plus tard… je te les rendrai… quand tu seras sage… allons, embrasse-moi… ! Dis-lui à ta petite Bobe de ton cœur que tu n’es pas lâché… ou sans cela je pleure…

Le capitaine Brocq, interdit, la considéra tristement.

L’aimait-elle vraiment, cette femme aux allures fantasques, indépendantes, cette femme insaisissable, qui jamais ne s’abandonnait toute ? était-il dupe, lui Brocq, d’une comédie, consentait-elle par pitié, sympathie seulement, ou encore habitude ou pis encore, intérêt, ces rendez-vous trois fois la semaine ?… alors que Brocq aurait tout abandonné pour ne point les manquer…

Brocq, sitôt sa maîtresse partie, allait à la fenêtre, la voyait tourner au bout de la rue de Lille, s’engager dans la rue des Saints-Pères, prendre la direction des quais.

Mais tandis qu’il la regardait il tressaillait.

Du manchon de Bobinette sortait un rouleau de papier… Brocq connaissait ce papier, son aspect, sa couleur lui étaient familiers… Si grandes cependant étaient alors ses préoccupations amoureuses qu’il oublia aussitôt ce détail.

Les événements devaient l’obliger à y repenser un peu plus tard.

***

– Nom de Dieu ! hurla le capitaine Brocq qui, d’un coup de poing assené sur son bureau avait fait trembler les papiers qui gisaient alentour… Nom de Dieu ! c’est impossible !…

Cinq heures ! Il était plus que temps d’aller au ministère. Revêtant, en hâte son pardessus, coiffant son chapeau, le capitaine était allé dans son bureau chercher la grande serviette de cuir qu’il emportait habituellement avec lui pour transporter ses travaux du Bureau à son domicile.

Brocq, qui, vu ses connaissances toutes particulières de l’artillerie de forteresse, avait été chargé de mettre au point un travail confidentiel sur la défense des forts de l’Est de Paris et la répartition des effectifs des compagnies d’ouvriers en temps de mobilisation, avait cherché fiévreusement son rapport relativement peu volumineux dans ses tiroirs.

Or, depuis dix minutes déjà il fouillait avec anxiété et ne trouvait rien.

– C’est impossible… avait-il crié, jurant tout haut, comme pour mieux se convaincre lui-même ; le titre est en grosses lettres, j’ai écrit « Confidentiel » en rouge sur le côté et c’est deux fois souligné. Impossible que ces papiers me passent inaperçus sous les yeux…

Brocq à plusieurs reprises bouleversa ses documents, secoua sa serviette, retourna son sous-main. Il haussa les épaules, agacé :

– Cette excellente Bobinette, se dit-il, en farfouillant par ici a complété mon désordre déjà bien grand !

Mais il s’arrêtait soudain. Il tomba dans un fauteuil, une sueur d’angoisse lui perlait au front.

Le souvenir du rouleau de papiers qui sortait du manchon de sa maîtresse lui revenait soudain à la mémoire.

– Mon Dieu, proféra-t-il, pourvu que ?…

Il n’acheva pas sa pensée…

Un instant il venait d’avoir l’idée que, par étourderie, par maladresse involontaire assurément, Bobinette avait pu prendre ce document pour envelopper ses lettres, sans même s’en douter.

Oui, la jeune femme emportait, peut-être à son insu, un plan secret de mobilisation… ah ! c’en était une aventure… et si le plan s’égarait ?… tombait dans la rue ?…

Brocq maudissait de plus en plus son désordre, mais l’instant n’était pas aux réflexions, il fallait agir, retrouver à toute force la pièce égarée. Brocq en était sûr, le document n’était plus chez lui…

***

– Bonjour, mon capitaine !

Le gardien de la station des fiacres du quai des Saints-Pères, au coin du pont, saluait, d’un accueil cordial, l’officier qu’il connaissait bien de vue.

Le capitaine Brocq l’interrogea, haletant :

– Dites-moi ! tout à l’heure, il y a dix minutes, cinq minutes… n’avez-vous pas vu une femme… une femme jeune… un peu rousse… passer par ici ?…

Le gardien de la station interrompit l’officier :

– Ma foi, mon capitaine, ça tombe à pic, il n’y a pas deux minutes qu’une femme, comme vous dites… et même plus jolie que ça… ma foi, est montée dans un taxi, celui de tête…

– Ah ! savez-vous quelle adresse…

– Ma foi, oui, j’étais tout près… à la toucher, quand elle a parlé au mécanicien…

– Eh bien ? interrogea Brocq.

– Ma foi, qu’elle a dit, conduisez-moi au Bois ! Et la voiture a tourné par le pont des Saints-Pères, probable qu’elle a pris le quai des Tuileries ensuite ?…

Le capitaine coupa la parole au gardien :

– Le numéro… le numéro de ce taxi ?

– Attendez donc ?… on va le demander au sergent de ville du kiosque ; il l’a sûrement inscrit comme d’habitude !

***

Trépignant d’impatience au fond d’un landaulet dont il avait fait abaisser la capote afin de mieux voir autour de lui, le capitaine Brocq, à tout hasard s’était élancé à la poursuite, plus ou moins hypothétique, du 249-B Z, le taxi-automobile où était montée Bobinette.

L’officier, frémissant, qui serrait sous son bras sa serviette de cuir dans laquelle se trouvaient tous les documents qu’il désirait soumettre au ministère, moins, hélas, le plan des forts de l’Est égaré, scrutait la place de la Concorde, l’avenue des Champs-Elysées.

Pourquoi Bobinette, si pressée de partir, se faisait-elle conduire au Bois comme les gens qui n’ont rien à faire ?… Cela troublait l’amant autant que le militaire ! Brocq n’avait en somme aucune raison précise de s’élancer ainsi à la poursuite de sa maîtresse.

Et cependant le capitaine avait le pressentiment, plus encore la conviction, l’instinctive certitude qu’il fallait rattraper Bobinette… qu’il le fallait absolument.

Pourquoi ?

Brocq n’aurait pu le dire. Il ne raisonnait pas. Il sentait.

– Mais marchez donc, nom du diable ! avait-il crié à maintes reprises à son conducteur, stupéfait, car le taxi roulait aussi vite que le permettait l’encombrement.

Soudain comme on franchissait le Rond-Point des Champs-Elysées, Brocq eut un cri de joie !

Son œil perçant avait découvert à cinquante mètres en avant le taxi-automobile de Bobinette, il venait d’en identifier le numéro.

– La voilà !…

Il conjura le mécanicien de pousser coûte que coûte.

– Si vous ramassez une contravention, je vous la ferai lever ! assura-t-il.

Le mécanicien accéléra.

– Encore un instant, pensait Brocq et nous aurons rattrapé le 249…

En effet, on gagnait du terrain ; toutefois les pronostics du capitaine Brocq ne se réalisèrent pas aussi rapidement qu’il l’espérait.

L’encombrement des voitures, les barrages des agents au passage des rues transversales ralentissaient le mouvement.

Brocq s’exaspérait véritablement, incapable de demeurer immobile au fond de son taxi.

Enfin on arriva place de l’Étoile. Les véhicules se conformant au règlement contournaient tous à droite le monument, ralentissant sensiblement l’allure, vu l’encombrement de plus en plus considérable.

Mais le capitaine se rassurait : seul un fiacre attelé le séparait désormais du taxi dans lequel se trouvait Bobinette et assurément ce véhicule et le sien seraient de front, côte à côte, dès l’entrée de l’avenue du Bois de Boulogne.

Ah ! Brocq aimait bien sa maîtresse, mais franchement, il ne lui cacherait pas sa façon de penser, si la jeune femme par plaisanterie ou inadvertance avait emporté le document. Il lui apprendrait qu’on ne joue pas avec ces choses-là…

Une grande angoisse toutefois étreignit le cœur de l’officier.

Si Bobinette ne s’était aperçu de rien, si le document était tombé dans la rue ?

Soudain, le capitaine vit que le taxi de Bobinette coupait la file des voitures et, obliquant à droite, tournait dans l’avenue de la Grande-Armée.

Le mécanicien de Brocq qui ne paraissait pas s’en apercevoir continuait vers la direction de l’avenue du Bois de Boulogne :

– Ah ! l’imbécile ! s’écria l’officier…

Et pour donner des instructions rapides, il se pencha presque entièrement hors du véhicule…

***

Deux secondes à peine s’étaient écoulées que le mécanicien arrêta net pour regarder dans l’intérieur de la voiture ce qu’était devenu son client…

Celui-ci, au cours des indications qu’il donnait, s’était tu subitement. Brocq, brusquement, était retombé sur les coussins du taxi, demeurait immobile…

D’autres voitures entouraient l’auto. Des dames qui passaient dans une Victoria remarquèrent l’officier :

– Regardez donc, ma chère, fit l’une d’elles, comme ce monsieur est pâle ! on dirait qu’il se trouve mal…

Au même moment, des piétons étaient frappés de l’étrange posture du voyageur. Brocq, soudainement affaissé comme une masse, effondré sur le coussin, la tête inclinée sur l’épaule, la bouche ouverte, les yeux clos, paraissait évanoui.

Un attroupement se forma aussitôt.

Le mécanicien, descendu, secouait son client par le bras, le bras se laissait aller, inerte.

La foule augmenta :

– Un médecin ! fit une voix, vous voyez bien que cet homme est souffrant ?

Quelqu’un se détacha de la foule : un monsieur à cheveux blancs, décoré, qui venait de descendre d’un coupé de maître.

– Voulez-vous éloigner ce monde ? demanda-t-il… je suis le professeur Barrel de l’Académie de Médecine.

– Probablement qu’il faut conduire ce particulier à la pharmacie ? dit l’agent.

– À la pharmacie… mais c’est inutile… ce malheureux est mort, mort subitement.

2 – LE DOCUMENT N° 6

– Allô !… c’est bien à la Préfecture de police que je parle ?… Oui… ? au brigadier de service ?… parfait !… C’est le commissaire du quartier de Wagram qui vous téléphone… on vient d’amener chez moi le corps d’un officier, mort subitement place de l’Étoile et j’aurais besoin que vous m’envoyiez l’un de vos inspecteurs… cet officier était porteur de documents assez importants pour que je tienne à le faire remettre directement à l’Autorité Militaire… Allô !… bon ! vous m’adressez quelqu’un immédiatement ?… un inspecteur sera au commissariat dans dix minutes ?… parfait !… très bien !…

Le commissaire de police raccrochait les récepteurs du téléphone et se tournait vers l’agent, qui, demeuré immobile, debout dans son cabinet, attendait ses ordres, l’air visiblement embarrassé…

Quelques minutes auparavant, le taxi-auto tragique dans lequel le capitaine Brocq avait trouvé une mort inattendue s’était arrêté à la porte de son poste de police et les agents de garde en avaient descendu le corps du malheureux officier…

Appelé en toute hâte, le commissaire s’était penché sur le cadavre et immédiatement avait commencé une rapide enquête en examinant les documents qui se trouvaient contenus dans la serviette de la victime.

– Bigre ! s’était-il alors dit tout bas, des états de ravitaillement en munitions ! des ordres pour les forteresses de l’Est !… Voici des papiers d’importance que je ne me soucie point de garder longtemps en ma possession !…

Et, comme on l’a vu, il avait immédiatement téléphoné à la Préfecture de police pour demander un inspecteur de la Sûreté à qui confier ces documents qu’il importait évidemment de remettre au plus vite à l’Autorité Militaire afin d’éviter toute indiscrétion…

Rassuré sur ce point, le commissaire se tourna vers l’agent et d’une voix brève, l’interrogea :

– Vous avez rédigé votre rapport ?

Le brave gardien de la paix touchait son képi et perplexe, se grattait le front :

– Pas encore, monsieur le commissaire ! sitôt l’accident, nous avons ramené le corps ici, alors je n’ai pas eu le temps de le faire, mais je vais l’écrire immédiatement…

L’embarras de l’agent était visible, le commissaire en eut pitié et souriant, il proposa :

– Voulez-vous que nous le fassions ensemble ? Étant donné la personnalité du défunt, je crois que cela présente une certaine importance… Voyons, il s’agit d’un capitaine, n’est-ce pas ? les papiers trouvés dans son portefeuille et le nom écrit sur sa serviette permettent de savoir qu’il s’appelait Brocq et qu’il était attaché au ministère… voilà pour son identité… ne nous occupons pas du domicile, nous l’aurons à la Place… ah ! en revanche, précisons les conditions de l’accident… dites-moi donc, agent, comment s’est exactement produit ce décès ?

Le gardien de la paix, une fois encore, se gratta le front d’un geste anxieux :

– Monsieur le commissaire, je n’ai rien vu du tout !… déclara-t-il.

– Et le mécanicien du taximètre ? vous avez sa déposition ?…

– Il n’a rien vu non plus, monsieur le commissaire !… Il m’a dit comme ça que son client était en train de lui parler par la portière pour lui indiquer le chemin à prendre, lorsqu’il s’était tout à coup renversé à l’intérieur de la voiture… il était mort, monsieur le commissaire !…

– Appelez-moi ce chauffeur, cependant…

Mais, quelques instants après, le commissaire de police renvoyait l’honnête conducteur, le court interrogatoire qu’il venait de lui faire subir l’avait, en effet, convaincu que ce dernier n’avait rien vu, ne pouvait en rien l’aider dans ses recherches…

Le commissaire de police rappela l’agent :

– Voyons, précisait-il, vous êtes certain que la victime est morte immédiatement ?

– Dame ! monsieur le commissaire, pendant que je dissipais l’attroupement qui s’était formé, un médecin est venu et c’est lui qui m’a dit comme ça que le mort était mort…

– Bien !… Ce médecin ne vous a pas indiqué la cause du décès ?

– Non, monsieur le commissaire, mais il m’a donné sa carte de visite…

L’agent fouillait dans la poche de sa tunique, en tirait un calepin crasseux entre les feuillets duquel il prenait en effet une carte qu’il tendait à son chef :

– Voilà, monsieur le commissaire…

Le magistrat regarda le nom : « Professeur Barrel, de l’Académie de Médecine », puis, tournant le bristol, lut à haute voix une indication au crayon :

« Mort subite attribuable à un phénomène d’inhibition… »

Il demeura troublé :

– Ce professeur ne vous a pas expliqué ce qu’il entendait par « mort due à l’inhibition » ?

– Non, monsieur le commissaire…

– C’est ennuyeux… j’ignore ce que cela veut dire… enfin nous reprendrons le mot dans le rapport…

Le commissaire de police allait continuer son enquête, lorsqu’on frappa à la porte de son cabinet.

– Monsieur le commissaire, il y a un inspecteur de la Sûreté qui vous demande d’urgence… il affirme que vous l’avez fait appeler ?…

– Qu’il entre !…

Le personnage que l’agent annonça sous cette qualité toujours impressionnante : « Inspecteur de la Sûreté » était à peine apparu dans l’encadrement de la porte que le commissaire de police se leva et, les deux mains tendues, s’avança vers lui :

– Vous, Juve ! Ah ! je suis content de vous voir… Comment allez-vous ?

C’était, en effet, le célèbre inspecteur, le policier Juve que les hasards du service amenaient au commissariat de police ! Juve n’avait guère changé. C’était toujours le même homme, un peu trapu, un peu fort, mais étonnamment vif, agile, resté jeune, malgré sa moustache grisonnante, malgré la voussure des épaules qui, par moments, semblaient plier sous le poids des fatigues passées…

– Juve !

Lorsque à la suite de la terrible affaire Dollon, connue dans le public sous le nom de « le mort qui tue » Juve avait été blâmé officiellement par M. Annion, l’inspecteur de la Sûreté n’avait pu se défendre d’un sentiment de mauvaise humeur que les circonstances justifiaient. Après tout, s’il avait échoué, on ne pouvait lui en faire grief ! Nul n’aurait deviné la fin de cette affaire, l’invraisemblable procédé dont l’extraordinaire, le redoutable, le subtil Fantômas avait fait choix pour échapper à la dernière minute aux menottes que Juve s’apprêtait à lui passer aux mains… Et le policier, désespéré, mais nullement désireux d’abandonner la lutte contre le sinistre bandit qu’il poursuivait depuis des années, avait demandé quelques semaines de congé, s’était tenu coi, puis avait repris son poste à la préfecture de police, cherchant à se faire oublier, à attirer le moins possible l’attention sur son personnage, se bornant à guetter une occasion qui lui permettrait de rentrer en scène, de pourchasser à nouveau son ennemi personnel…

Depuis lors, rien n’avait pu le mettre sur la piste de Fantômas. Aucun crime ne s’était produit dans des circonstances pouvant permettre de supposer la participation de l’insaisissable meurtrier…

Le policier commençait à se demander si, bien que n’ayant pas été assez heureux pour arrêter ce roi des assassins, ce génie du crime, il n’avait pas toutefois réussi, en le démasquant une fois encore, à l’obliger à la fuite, à le mettre dans l’impossibilité de nuire ?…

C’était du moins ce qu’il disait, ce qu’il prétendait, ce qu’il s’efforçait de persuader à ses chefs, qu’il tentait de faire considérer comme vrai par l’opinion publique qui, sachant que Juve était un héros, continuait à se passionner pour ses moindres faits et gestes.

Rapidement le commissaire du quartier Wagram mit l’inspecteur au courant des incidents qui l’avaient conduit à téléphoner à la Préfecture :

– Vous comprenez, mon cher Juve, fit-il, que dès que je m’aperçus que ce malheureux officier portait dans sa serviette des documents secrets, intéressant la Défense Nationale, je ne me suis pas soucié de confier cela à un agent ordinaire. C’est pourquoi je me suis permis de demander à la Préfecture…

Juve interrompit le magistrat :

– Vous avez bien fait, monsieur le commissaire, de pareilles choses sont excessivement graves et on ne saurait trop prendre de précautions. Vous avez la serviette de ce mort ?

– La voici, mon bon ami…

Juve se saisit du portefeuille et l’ouvrît :

– On ne sait jamais ce qui peut arriver, déclara-t-il, si vous le voulez bien, monsieur le commissaire, je m’en vais dresser un bordereau des pièces que vous me remettez, je vous laisserai ce bordereau et j’en prendrai un double que je donnerai contre reçu au bureau de l’État-Major… De la sorte ma propre responsabilité ainsi que la vôtre seront parfaitement dégagées…

Juve et le commissaire s’occupaient depuis quelques minutes à ce rapide travail de dépouillement, lorsque soudain, l’inspecteur se leva, et tenant un papier à la main, marchait de long en large dans le cabinet du commissaire de police, puis se tournant vers le magistrat, interrogeait :

– Vous avez lu cela ?

– Quoi donc ? Non…

– Lisez-le…

Le magistrat prenait le document que lui tendait l’inspecteur. Il lut :

« État des pièces qui m’ont été soumises par le Deuxième Bureau de l’État-Major dont j’ai signé le reçu et que je m’engage à rapporter et à remettre contre décharge au Deuxième Bureau de l’État-Major, le lundi 7 novembre… »

– Eh bien ? interrogea-t-il…

– Eh bien, reprit Juve, comparez les documents qui sont mentionnés sur cette liste, monsieur le commissaire, avec ceux qui se trouvent dans cette serviette… ce sont les mêmes…

– Naturellement ! ce sont les mêmes ! je le pense bien… cela prouve tout simplement, j’imagine, que cet officier est mort au moment où il se rendait à son bureau pour restituer les papiers et documents qui lui avaient été confiés ? Que voyez-vous de surprenant à cela ?

Juve hocha la tête :

– Je vois, fit-il, – il donnait ainsi sans s’en douter une extraordinaire preuve du flair merveilleux dont il était doué, – je vois, monsieur le commissaire, que ce que je craignais est vrai… oui, cette liste est bien celle des documents qui sont contenus dans cette serviette, mais…

– Mais quoi ?…

– Mais il en manque un…

Les deux hommes, fébrilement, compulsèrent les papiers du capitaine Brocq. Juve avait dit vrai : il manquait en effet un plan, le document N° 6…

– Sapristi… murmura le commissaire, pourvu que cela ne fasse pas encore un scandale désagréable… Comment savoir si ce document a été perdu en voiture, s’il a déjà été restitué par le capitaine, ou bien si…

– Ou bien s’il a été volé, ponctua la voix de Juve.

Et la supposition que le policier formulait ainsi – lui qui ne pouvait se douter cependant des craintes que le capitaine Brocq avait eues pendant ses dernières minutes de vie, – était si grave, si terrible, si lourde de conséquences, que le commissaire de police, a son tour, se prit à trembler :


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