Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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– Nom de Dieu, jura Fantômas, je n’arriverai donc jamais à me débarrasser de ces maudits argousins.
Le bandit sauta sur le quai, néanmoins, car, pris pour pris, il estimait avoir encore plus de chances d’échapper aux recherches des agents en se mêlant à la foule des voyageurs qui encombraient les quais qu’en restant dans le rapide.
– Ma parole, pensait le bandit, avant tout, il faut éviter d’être reconnu. Léon et Michel ont dû télégraphier un signalement succinct de ma personne. Si je puis me modifier tant soit peu, j’aurai au moins une chance sur dix d’échapper.
Fantômas, affectant l’allure tranquille d’un voyageur à cent lieues de se douter que des recherches policières sont menées avec la dernière activité contre lui, traversa les quais, avisa un employé :
– À quelle heure le premier train pour Chartres ? demanda-t-il ?
– À cinquante-quatre, répondait l’homme, qui, d’un regard venait de consulter la pendule. D’ailleurs vous n’avez pas à vous presser, monsieur, le train de Chartres part immédiatement derrière le rapide de Paris.
– Merci.
Et, moins inquiet, le bandit se dirigea vers les lavabos.
– Voici ma première chance, songea-t-il, depuis ma sortie de Louvain. Évidemment, ce serait de la dernière imprudence pour moi de vouloir sortir de cette gare dont les issues doivent être gardées. Ce serait folie aussi de remonter à bord du train qui vient de m’amener ici. Ou je me trompe fort, ou les agents de la Sûreté vont partir avec lui, et en cours de route, recommenceront à vérifier l’identité des voyageurs. En revanche, qu’est-ce qui m’empêche de sauter dans le train de Chartres ? À quelque petite station j’appellerai le conducteur du train, je lui déclarerai que je n’ai pas de billet, cela arrive journellement, cet homme ne s’en étonnera pas et, ma foi, j’en serai quitte pour descendre à une halte, à un village de petite importance où, j’imagine, nul ne sera avisé du passage de Fantômas, puisqu’en somme je ne serai plus sur la ligne où Léon et Michel doivent normalement me croire en ce moment.
Fantômas, rasséréné, joyeux presque, entra dans les lavabos. Il fit une toilette sommaire, tira de sa valise un col propre, une cravate fraîche, remplaça la casquette qu’il portait par un chapeau mou et même, par surcroît de prudence, s’embellit d’une moustache postiche.
De plus en plus confiant, Fantômas regagna à pas lents le quai où était rangé le train de « 54 », qui devait l’emmener vers Chartres.
– De mieux en mieux, pensait le bandit, s’apercevant que peu de monde prenait place dans les voitures. J’ai eu une excellente idée en songeant à sauter dans ce convoi. Jamais des agents de la Sûreté n’auront la pensée de venir me dénicher dans un omnibus.
Fantômas longea le convoi et, faisant preuve d’une tranquille audace, dépassa la locomotive pour pouvoir inspecter commodément un quai voisin, le quai sur lequel se trouvaient les voyageurs qui allaient remonter dans le rapide de Paris, le rapide qui, précisément, avait conduit Fantômas à Saumur et qui, dans quelques instants, allait repartir.
Or, Fantômas, n’avait pas jeté les yeux sur les voyageurs encombrant encore ce quai proche et se disputant pour s’engouffrer par les portières trop étroites des voitures à couloir, qu’il éclatait de rire :
– Quels imbéciles que les agents.
Il rit de plus en plus fort, amusé de constater que les agents de la Sûreté, qui en effet avaient visité de fond en comble le rapide, se décidaient, n’ayant point trouvé Fantômas, à partir à bord du train pour y continuer leurs perquisitions.
– Allez donc et bonne route, murmura le bandit. Ah, en vérité, ils ne sont pas forts. Aucun d’eux n’a songé même que je pouvais abandonner le train de Paris pour prendre le tortillard qui part pour Chartres.
Or, Fantômas n’avait même pas pivoté sur lui-même, que l’inquiétude déjà le saisissait.
À trois pas devant lui, en effet, le bandit venait d’apercevoir un inconnu élégamment vêtu, l’attitude un peu hautaine et fière, qui l’observait attentivement.
– Miséricorde, songea Fantômas, tournant la tête pour éviter que son regard ne se croisât avec celui de cet individu. Est-ce donc encore un agent de la Sûreté ? Suis-je donc reconnu ?
Fantômas pressa le pas, mais entendit distinctement que l’homme qui venait de le dévisager se mettait, lui aussi, à marcher, et que, lui aussi, hâtait le pas.
La manœuvre était si nette qu’une sueur froide perla aux tempes de l’Insaisissable.
– Je suis pris, murmura-t-il, cette fois, je ne puis échapper à mon sort. Tenter de sortir de cette gare, c’est de la folie : je ne ferais pas trois pas sans être appréhendé par les argousins. Rester sur ce quai, c’est accepter d’avance que cet agent me mette la main au collet. Monter dans le train ne m’avancerait à rien.
Marchant droit devant lui, se mordant les lèvres au sang, un éclat de fureur dans les yeux, Fantômas avançait toujours.
Oh, il reconstituait parfaitement la marche des événements qui tournaient pour lui de si tragique façon.
Léon et Michel, de Nantes, avaient télégraphié son signalement à Saumur. Les agents avaient visité le train venant de Saumur et allant à Paris, n’y ayant pas trouvé Fantômas, ils s’étaient séparés en deux bandes.
Presque tous, ils étaient partis avec le convoi pour Paris, les autres étaient demeurés dans la gare, et maintenant surveillaient les départs des petits trains allant dans d’autres directions.
– C’est un agent, ce bonhomme-là, se répétait à satiété Fantômas, qui, cette fois, sentait une angoisse folle lui tenailler le cœur. Il va appeler ses collègues. Que faire ? Il me reste peut-être dix minutes pour agir. Hum je n’invente rien. Vais-je donc me laisser prendre de cette stupide façon ?
Fantômas, qui marchait toujours droit devant lui, arrivait au bout du quai. Prêt à tout, résigné déjà, Fantômas pivota sur lui-même.
Or, comme il revenait vers la locomotive du train, comme il recommençait à longer le convoi, il ne put s’empêcher de tressaillir.
L’homme, le voyageur élégant qui l’avait dévisagé quelques minutes avant, était toujours sur ses traces, et le dévisageait encore avec une fixité gênante.
– Parbleu, pensa Fantômas qui, à ce moment, considérait son arrestation comme à peu près faite, parbleu, ma moustache postiche me change un peu et c’est ce qui le fait hésiter. Hélas, cela, c’est l’affaire de quelques minutes. Dans quelques minutes, fatalement, l’homme se sera habitué à ma moustache, il me reconnaîtra malgré elle.
Et, pour se donner du courage, Fantômas se répétait :
– Je suis pris, bien pris.
Fantômas était même si absorbé, il connaissait si bien l’épouvante, en ce moment, lui, le Roi de l’Effroi, il fuyait si réellement au hasard, incapable de trouver une idée nette, d’inventer une ruse satisfaisante, qu’il allait heurter une théorie d’hommes qui s’avançaient vers le train en partance, surchargés de gros sacs. C’étaient des postiers.
Fantômas s’excusa, un instant, se mêla à eux. Mais, pour la troisième fois, il tournait la tête, l’homme élégant lui marchait toujours sur les talons.
15 – UN MORT SUR MESURE
– Ou je suis le dernier des imbéciles ou je n’ai plus la moindre notion de la façon dont opèrent les agents de la Sûreté ou, véritablement, il se passe ici un drame que je ne suis peut-être pas le seul, en dehors des intéressés, à soupçonner.
L’homme qui se faisait ces réflexions, en gare de Saumur, était un voyageur assez élégant, qui venait de déposer dans un compartiment de première classe de l’omnibus de Chartres, une valise en peau de vache marquée des deux initiales : C. P.
L’inconnu songeait toujours.
– Évidemment, je ne me trompe pas, car enfin comment expliquer, si ce n’est pas une recherche de police, l’étrange enquête à laquelle on s’est livré tout à l’heure, tant auprès de moi qu’auprès des autres personnes qui se trouvaient dans mon compartiment ? Si l’on ne recherchait pas quelqu’un, pourquoi nous aurait-on demandé, aux uns et aux autres, nos qualités, noms, professions et domicile ?
Or, comme le rapide avait démarré, comme il disparaissait au lointain, Fantômas se retourna, regarda l’inconnu qui se trouvait derrière lui, puis s’éloigna à grands pas.
Il était à coup sûr naturel que les deux hommes se fussent regardés, ils étaient tous deux dans un endroit désert du quai, fortuitement aussi bien que volontairement, ils pouvaient avoir échangé un coup d’œil. Fantômas, cependant, ne s’y était pas trompé.
– Bigre, avait murmuré le bandit, cet homme observe.
En fait, Fantômas n’était pas loin de la vérité. L’esprit mis en éveil par l’enquête à laquelle il venait d’être soumis, le voyageur, en effet, n’avait pas vu sans un mouvement de vive surprise le visage du bandit.
– Ah ça, avait pensé le voyageur, si étonné qu’il demeurait immobile, puis qu’il s’était précipité sur les traces de Fantômas, ah çà, je ne me trompe pas ? ce monsieur, c’est bien le compagnon de route que j’avais tout à l’heure en quittant Nantes, à quelques tables de moi au wagon-restaurant ? Et pourtant.
Certes, il lui semblait que l’individu qu’il venait de croiser était bien le consommateur du wagon-restaurant, il en avait l’allure, la démarche, la taille, la corpulence, les cheveux, et pourtant il en différait par quelques détails difficiles à préciser.
– C’est le même visage et pourtant.
À ce moment, Fantômas, parvenu au bout du quai, devait pivoter sur ses talons, croiser à nouveau l’homme qui le suivait.
Cela suffit au voyageur pour, tout d’un coup, avec une netteté évidente, deviner ce qui l’intriguait si fort.
– Oh, oh, pensa l’inconnu, si je ne me trompe, ce serait bigrement grave. Non seulement, cet individu a changé quelque chose à sa tenue, son faux col, sa cravate, son chapeau, je ne sais quoi, mais encore, si je ne m’abuse, il s’est mis une fausse moustache. Est-ce que, par hasard, les recherches que l’on opérait tout à l’heure…
Le voyageur n’acheva même pas sa pensée.
– Ma foi, songeait-il, j’en aurai le cœur net. Je vais dépasser encore une fois cet individu et si je suis certain qu’il s’est grimé, j’avertis le commissaire spécial.
Pressant le pas, le voyageur voulut rejoindre celui qu’il soupçonnait, mais qu’il était certes fort loin d’identifier pour le redoutable Fantômas. Mais, à ce moment, malheureusement, les voyageurs commençaient à arriver. Le quai, de plus, fort étroit, était momentanément encombré par un groupe de postiers qui déchargeaient sur le sol les lourds sacs du courrier, si bien que le voyageur n’avait pu rejoindre le mystérieux inconnu.
– Ah çà, où est-il passé ? se demandait-il.
Vexé de s’être laissé jouer, le voyageur qui, de plus en plus, se passionnait pour la recherche bénévolement entreprise, revint sur ses pas, longeant le convoi prêt à partir depuis la locomotive jusqu’au fourgon de queue.
– Peut-être est-il déjà monté en wagon ?
Il fouilla d’un regard avide tous les compartiments, il n’y aperçut pas la silhouette de l’homme qu’il cherchait.
– En voiture, pressons un peu, messieurs, dames.
Les portières claquaient, les employés pressaient leur monde, le train allait s’ébranler et le voyageur, de plus en plus intrigué, continuait toujours ses recherches. Soudain, il tressaillit :
– Eh là, pensa-t-il, je vais rater mon train.
Cette crainte était justifiée, en effet, le convoi venait de siffler, s’ébranlait, lentement, par bonheur.
– Sapristi, songea encore le voyageur furieux, ce serait trop bête de manquer ainsi cet omnibus.
En même temps il prit sa course, prêt à sauter sur le marchepied de la dernière voiture de troisième classe et comptant bien, à la première station, rejoindre le compartiment de première dans lequel il avait déposé ses bagages.
Or, comme ce voyageur courait de toute la vitesse dont il était capable le long du train, voilà que, dépassant un wagon de marchandises dont la porte était demeurée entrebâillée, il poussa un cri de surprise.
En même temps, avec une extrême précipitation et sans tenir compte des exclamations furieuses des employés, le voyageur sauta dans ce wagon de marchandises.
Toute cette petite scène n’avait duré que quelques instants, déjà le train omnibus sortait de la gare de Saumur, déjà il prenait de la vitesse, déjà il se trouvait en rase campagne.
***
– Que me voulez-vous ?
– Qui êtes-vous ?
– Si vous bougez, si vous appelez, je vous jette par la fenêtre.
– Vous n’oseriez pas.
– Ah çà, vous plaisantez ? Vous devez savoir que j’ose tout ?
– Je ne sais rien du tout.
– Alors pourquoi êtes-vous monté ici ?
– Et vous pourquoi vous êtes-vous mis une fausse moustache ?
– Je vous ai dit déjà de ne pas vous occuper de moi.
– Je n’ai pas d’ordres à recevoir.
– Eh bien je vous en donne quand même.
– Taisez-vous.
– Non.
– Décidément, vous avez mauvais caractère. Je vais vous en guérir.
Un bras se tendit, un bras menaçant, armé d’un revolver.
– Je vous l’ai dit : encore un mot et je vous tue.
À peine le voyageur avait-il sauté dans le wagon de marchandises, que le drame s’engageait. Mais que s’était-il passé ?
Au moment où le voyageur inconnu, courant à toute vitesse le long du convoi, avait longé le compartiment de marchandises, désespérant presque de pouvoir rejoindre les voitures de voyageurs, car le train accélérait son allure, il avait aperçu dans l’obscurité même de ce wagon de marchandises deux yeux qui luisaient étrangement dans une face pale, blafarde presque, puis la silhouette à demi visible dans la pénombre de l’inconnu qu’il recherchait.
Sauter dans ce wagon de marchandises, autant pour ne point manquer le départ du train que pour avoir l’explication de la conduite curieuse de l’homme à la moustache postiche avait été pour le curieux voyageur un geste machinal.
Bondissant sur le marchepied, s’agrippant à la porte à coulisse du wagon, le voyageur s’introduisit dans le fourgon, assez adroitement, mais avec tant de précipitation qu’emporté par son élan, il tituba, manqua choir, se heurta aux tonneaux qui chargeaient le wagon.
Et tout de suite, alors que le train filait, l’homme caché dans le wagon, bondit vers son poursuivant :
– Que me voulez-vous ? demandait-il, d’une voix âcre, rauque, furieuse.
C’était à coup sûr un bandit.
Le malheureux voyageur qui venait si inconsidérément de se lancer à sa poursuite, n’en douta pas une seconde. Mais, comme c’était un homme brave, il répondit lui aussi par une question, s’efforçant d’intimider son adversaire, payant d’audace.
– Qui êtes-vous ? demandait-il.
– Vous devez savoir que j’oserai tout.
– Hé hé, pensa le malheureux voyageur avec la folle rapidité que l’on met à penser en de pareilles circonstances, hé, hé, pourquoi me dit-il : « Vous devez savoir » ? Il me prend pour un autre. C’est certainement l’homme que l’on poursuivait. Il s’imagine sûrement que je suis un agent de la Sûreté.
C’est alors, que payant d’audace, le malheureux voyageur demanda de nouveau :
– Pourquoi vous êtes-vous mis une fausse moustache ?
C’est peut-être ce qu’il pouvait dire de plus maladroit en la circonstance.
– Qui est cet homme ? se demandait justement Fantômas. Pourquoi me poursuit-il ? Il n’a pas l’air de se douter de ma personnalité, et cependant il me parle sur un ton de commandement, à la façon d’un agent de police.
– Une fausse moustache, répondit l’Insaisissable, ah çà, vous rêvez, vous êtes fou. Savez-vous que je suis ici pour accompagner ces marchandises, que ce compartiment est chargé de tonneaux qui m’appartiennent et que vous n’avez pas le droit de vous y trouver ?
Fantômas essayait de mentir avec le vague espoir de duper son interlocuteur. L’homme que Fantômas menaçait de son revolver braqué, apparaissait en effet comme de moins en moins intimidé, de moins en moins effrayé.
– Assez, venait-il de crier. Vous vous perdez en voulant vous sauver, mon ami. Je vous dis que je vous ai parfaitement reconnu. Vous avez, à Saumur, quitté le train de Nantes, et, j’en suis certain, à Saumur, où l’on vous recherchait, vous avez mis cette moustache postiche qui vous change un peu.
Or, en même temps qu’il parlait, le voyageur tentait une manœuvre désespérée. Négligeant la menace du revolver toujours braqué sur lui, il se précipita en effet sur Fantômas pour lui décocher en plein visage un coup de poing. Il sauta sur le bandit et il lui arracha sa moustache. Pour une fois que Fantômas n’était pas sur ses gardes, il venait d’être joué par un adversaire qu’il ne connaissait même pas.
– Mort de ma vie, jura le bandit, qui n’avait même pas tressailli sous la violence du coup que lui avait porté l’extraordinaire voyageur. Vous venez de vous condamner. Nul avant vous n’avait frappé Fantômas. Vous ne pourrez aller vous vanter de ce coup de poing auprès de personne.
Et en même temps qu’il parlait, en même temps qu’il hurlait ces mots, Fantômas laissant tomber son revolver sur le plancher du wagon, se fiant à sa force herculéenne, empoignait son adversaire à la gorge, l’étranglait à demi, le renversait sur le sol, où, lui mettant un genou sur la poitrine, il l’immobilisait. Fantômas, à coup sûr, allait tuer le malheureux voyageur. Déjà il se penchait à l’oreille de sa victime, qui les yeux dilatés d’effroi, râlait presque, déjà il lui hurlait :
– Apprends que je suis Fantômas, apprends que Fantômas te condamne à mort.
Or, à cette minute même les freins du train se bloquaient, un grand heurt lançait les uns contre les autres les wagons, le convoi venait d’entrer dans une petite gare, faisait halte.
Fantômas alors vécut d’épouvantables secondes.
Il tenait toujours immobile l’homme qu’il pensait étrangler. Mais il le tenait de telle façon que l’une des jambes de la victime était étendue au travers du fourgon, qu’on devait apercevoir du quai, ses pieds qui dépassaient.
– Si un employé passe, songeait Fantômas, s’il tourne la tête dans la direction du fourgon, je suis perdu.
Il ne pouvait pas en effet sans risquer de faire du bruit, traîner sa victime plus loin. Une de ses mains maintenait l’homme à la gorge, de l’autre, il lui bâillonnait la bouche sous peine de laisser à son prisonnier la possibilité de crier ou de se débattre. Fantômas devait attendre, pour achever son crime que le train eût repris sa marche.
La halte ne dura que quelques instants.
Lentement, le train repartit, Fantômas, respira, soulagé.
– Nul ne m’a vu pensa-t-il. Cette fois, je puis opérer en toute tranquillité.
L’affreux bandit desserra un peu l’étreinte dont il entourait le cou du malheureux qu’il allait tuer. Il prit un secret plaisir à torturer sa victime. Il lui laissa le temps de se remettre. Il lui laissa happer tranquillement une large bouffée d’air, et c’était seulement quand l’homme paraissait reprendre conscience de lui-même, que Fantômas, qui venait de ramasser son revolver, l’appuya sur la tempe de l’adversaire.
– Allons, as-tu entendu ? Je suis Fantômas, et c’est Fantômas qui va te tuer.
Ah, certes, le malheureux avait compris. Sur sa face décomposée, sur sa face, où l’épouvante poussée à son paroxysme posait son masque, un rictus douloureux passa :
– Fantômas ? Vous êtes Fantômas ?
C’était un râle indistinct qui s’échappait des lèvres exsangues de l’homme qui allait mourir.
– Parfaitement, je suis Fantômas. Fantômas échappé de prison, Fantômas sauvé.
Brusquement, le bandit s’interrompit :
– Et puis, en voilà assez, fit-il, avec une intonation volontairement faubourienne, je te donne une seconde pour te repentir, pour te repentir de tes péchés d’abord, pour te repentir, aussi de cette sottise que tu as faite en t’occupant de ce qui ne te regardait pas. Allons, mon camarade, c’est fait ? Oui ? Adieu.
Dominant une seconde le fracas produit par le roulement du train, la détonation sèche du revolver.
La tempe trouée, la cervelle jaillissant, l’homme, la victime de Fantômas, mourut, sans un cri.
Alors, Fantômas se releva.
Cyniquement, il se frotta les mains.
– C’est une bonne chose de faite, songeait le bandit. Cet individu était bavard, curieux. C’était un gêneur. Il était de trop. J’ai eu raison de le supprimer.
Fantômas, toutefois, avait trop l’habitude du meurtre, il était trop accoutumé à joncher sa route de cadavres pour perdre son temps à se réjouir du crime qu’il venait de commettre.
Déjà, il envisageait les conséquences de son acte, il songeait à en tirer tout le parti possible.
– Maintenant, murmurait le bandit, se parlant à lui-même, presque sans s’en apercevoir, comme il arrive souvent à ceux qui réfléchissent profondément, maintenant, il faut aviser. J’ai tué cet individu, c’est bien. Mais ce n’est pas suffisant, il faut que je me débarrasse de son cadavre. Il serait mauvais, j’imagine, de jalonner ma route.
Or, soudain, Fantômas éclata de rire.
– Mais je suis un enfant, songeait-il, je suis un étourdi. Je suis un imbécile. Ce cadavre, au contraire, va m’être de la plus grande utilité pour éviter que l’on me piste. Parbleu, je m’en vais troquer ma personnalité, plutôt gênante, contre la sienne, qui, je l’espère, est honorable.
Dans le fourgon chargé de ballots, de caisses et de tonneaux, alors ce fut une horrible scène.
Il faisait juste clair, car maintenant il était près de sept heures du soir, et sur le ciel chargé de nuages, la nuit tombait.
Fantômas, pourtant, paraissait agir avec méthode et sans se presser.
Ayant constaté en effet que la plupart des colis disposés dans le fourgon étaient étiquetés à destination de Chartres, le bandit s’était dit qu’il n’avait aucune chance d’être découvert avant l’arrivée.
C’était donc sans se presser, en toute tranquillité, qu’il pouvait agir. Fantômas dépouilla le mort de son pardessus, sa veste, son gilet.
– Parbleu, c’est une chance extraordinaire, répéta-t-il, tandis que, sans la moindre horreur, il s’habillait des vêtements du mort. Tout cela me va comme un gant. Hé, hé, j’améliore mes procédés, je tue les gens qui sont à ma pointure.
Il rit, boutonna ses vêtements, puis, fit la toilette de sa victime, à laquelle il passa les habits qu’il venait de quitter.
– Là, voilà qui est fait. Si ce voyageur a été vu en gare de Saumur, si l’on a enquêté, quand on me verra sortir de la gare tout à l’heure, car je n’irai naturellement pas jusqu’à Chartres, on me prendra pour lui. Surtout dans l’obscurité et si j’ai le temps d’aller chercher dans le compartiment de première classe où je l’ai vu monter en gare de Saumur, les bagages qu’il a dû y déposer.
Fantômas, tout en parlant, se félicitant du résultat de la macabre opération à laquelle il venait de se livrer, continuait à contempler le corps de sa victime, maintenant revêtu des habits qu’il portait il y a quelques minutes.
– Sapristi, c’est tout de même ennuyeux de laisser derrière moi ce cadavre. Si je le lance sur la voie, il sera retrouvé rapidement. Si je le laisse dans ce fourgon, on le découvrira à Chartres. Qu’en faire ? Décidément, il y a un voyageur de trop dans ce train.
Or, pour résister aux cahots amenés par la vitesse du train, Fantômas venait de s’appuyer à un énorme tonneau posé de champ, au milieu du fourgon. Ce fut pour lui la source d’une inspiration soudaine que d’en lire l’étiquette : « Chaux éteinte ».
– Miséricorde, s’exclama le bandit, je ne pouvais pas rêver mieux. De la chaux. Je n’ai qu’à enfoncer ce cadavre dans cette chaux, l’anéantissement sera complet. Chair, os, habits, tout sera mangé, détruit, brûlé.
Fantômas était prompt à décider, plus prompt encore à exécuter. Bien qu’il n’eût pour outil qu’une mauvaise tige de fer ramassée dans un coin du fourgon, il défonça le robuste tonneau en moins d’une heure. Prendre alors à pleine poignée la chaux qui le remplissait, l’éparpiller par la portière ouverte du wagon, un jeu d’enfant. Bientôt, Fantômas disposa d’une place suffisante pour enfouir le corps à même ce qui restait de chaux. Ce ne fut pas long. Fantômas saisit le corps, le hissa, le bascula dans le tonneau. Alors riant d’un rire sarcastique, cependant qu’il renfonçait à grands coups de poing le couvercle que l’élasticité naturelle du bois maintenait suffisamment, le bandit s’écria :
– Ma foi, il y avait tout à l’heure un voyageur en trop, je puis bien dire maintenant qu’il y a un voyageur en moins, car j’imagine que dans la chaux, c’est l’affaire de trois ou quatre jours au plus pour que le corps soit entièrement brûlé.
De plus en plus joyeux, de plus en plus rassuré par la tournure que prenaient les événements, il se félicitait lui-même lorsque soudain, pour la dixième fois peut-être depuis son crime, le train s’arrêta dans une petite gare.
– Morbleu, il me semble que voilà un endroit tout indiqué pour regagner le compartiment de première classe, où je devrais être, normalement, si toutefois je trouve moyen d’échapper aux regards soupçonneux des employés ?
Or, après avoir marqué l’arrêt, le train avant même d’entrer en gare manœuvrait sur des voies de garage.
– À coup sûr, estima le bandit, nous devons longer quelque quai où il doit y avoir des marchandises pesantes à embarquer. Bon, sachons attendre.
Le bandit avait deviné juste.
Le train dans lequel il se trouvait, manœuvra sur une voie de garage puis s’immobilisa enfin au long d’un quai surélevé où, dans le lointain, Fantômas venait d’apercevoir des hommes d’équipe s’affairant.
Le bandit se frappa le front d’un geste furieux :
– Mais c’est absolument idiot ce que je viens de faire. J’imagine que le corps de cet imbécile va être mangé par la chaux, je me trompe. Il n’en est rien. La chaux qui était dans ce tonneau qui y est encore, qui recouvre ma victime, c’est de la chaux éteinte. Ce qu’il faudrait c’est de la chaux vive. Ah diable de diable.
Puis brusquement, une joie soudaine envahit le forban :
– Si je croyais en Dieu, dit-il, tout en faisant effort pour ouvrir grande la portière à contre-voie du wagon, si je croyais en Dieu, j’en conclurais que le ciel est avec moi.
Fantômas, tout en parlant, la portière une fois ouverte, revint se saisir du tonneau de chaux où il avait enfoui le cadavre. Il l’ébranla, il le roula, il l’amena sur le bord du wagon et, de là, le précipita dans le vide. Qu’avait donc encore inventé le bandit ?
Sa dernière manœuvre, pour étrange qu’elle parût, était en réalité remarquablement ingénieuse.
Comme le train s’arrêtait, en effet, Fantômas avait remarqué à travers l’interstice des parois, que son wagon dominait un énorme bassin servant probablement de réserve d’eau aux locomotives. C’était dans ce réservoir que Fantômas venait de balancer le tonneau-cercueil. Et tandis que le train s’ébranlait pour entrer en gare, Fantômas, se tenant prêt à descendre, éclatait de rire une fois de plus.
– De la chaux éteinte jetée dans de l’eau, monologuait-il, cela fait, si je ne m’abuse, de la chaux vive. Eh parbleu, je ne pouvais pas rêver mieux, Je ne pouvais pas faire une supposition plus favorable que celle-ci : trouver, juste au moment où j’en ai besoin, le creuset gigantesque qu’est ce réservoir, où anéantir le corps de ma victime.
***
Dix minutes plus tard, le bandit était installé dans le compartiment de première classe où, à Saumur, le malheureux voyageur qu’il avait tué avait pris place.
Fantômas était radieux.
– Ouf, songeait-il, s’étirant voluptueusement sur la banquette capitonnée, me voici, je pense, définitivement hors d’affaire. J’ai des vêtements nouveaux, je suis dans un train où l’on ne sait pas que je suis. Bien fins seront Léon et Michel s’ils parviennent à me rejoindre.
Il en était là de son monologue quand, la portière de son compartiment s’ouvrit, un employé se tenant sur le marchepied lui demandait, sans d’ailleurs avoir l’air de soupçonner quoi que ce soit :
– Votre billet, monsieur ?
Fantômas n’avait pas songé à cela.
Quelques minutes avant, en sautant du wagon de marchandises, pour venir prendre place dans le compartiment de première classe, il avait négligé de regarder le nom de la station où le train arrivait.
Pour gagner du temps, machinalement, il fouillait dans les goussets de son gilet.
Aussi, fut-ce avec un étonnement voisin de la stupéfaction, qu’il entendit l’employé lui dire :
– Dans la poche de droite. Oui, dans celle-là monsieur. C’est un permis de circulation que vous avez. Je viens de l’apercevoir pendant que vous vous fouilliez.
Il y avait de quoi être saisi, mais Fantômas encore une fois, donna la preuve de son sang-froid.
– En effet, répondit-il, c’est un permis de circulation.
Et il tendit à l’homme un billet jaune, un billet qu’il avait pris en effet, dans la poche droite de son gilet, un billet qui, naturellement, était le billet de l’homme tué deux heures auparavant.
Or, l’employé de chemin de fer avait à peine jeté les yeux sur le permis que lui tendait Fantômas, qu’il sursauta à son tour :
– Ah bien, par exemple, vous avez de la veine que je sois venu vous contrôler, monsieur, sans quoi vous vous trompiez de route. C’est à Saint-Calais que vous allez ?
– À Saint-Calais, oui, c’est par ici ?
– Non. Par ici c’est Bessé, Bessé-sur-Braye.
– Alors, mon ami ?
– Eh bien, monsieur, c’est là qu’il faut changer de train pour la correspondance. Dépêchez-vous. Passez-moi votre valise. Oui. La correspondance est dans deux heures.
Fantômas n’eut pas le temps de réfléchir.
Obligeamment, l’employé qui, certainement, était fort loin de se douter de la stupéfaction du voyageur, se saisit de la valise jaune, marquée C. P. que lui tendait Fantômas et il la descendit sur le quai. Fantômas le suivit.
– Après tout, songeait le bandit, fort éloigné de deviner ce que Saint-Calais pouvait présenter de dangers pour lui, va pour ce patelin ou pour un autre. D’ailleurs, en attendant la correspondance, si j’en trouve le moyen, je prendrai un billet pour une autre destination.
Après avoir remercié l’employé, Fantômas empoigna donc sa valise et, à petits pas, s’achemina vers la gare.
Or, le bandit n’avait pas avancé de quelques mètres, qu’un homme en blouse bleue, armé d’un grand fouet, un voiturier sans nul doute, se précipitait vers lui :
– Eh monsieur, monsieur, criait-il, arrêtez-vous donc, me voilà. Parbleu, il a joliment du retard, vot’ train. Donnez-moi donc votre valise, s’il vous plaît. Et comme ça alors vous avez fait bon voyage ?
Interdit, interloqué, Fantômas ouvrit la bouche pour répondre. L’homme ne lui en laissa pas le temps :
– Ma foi, reprenait-il, c’est encore de la chance que vous ayez eu une valise marquée à vos initiales. Sans ça, savez-vous bien, monsieur, que je me demande comment nous nous serions « reconnus ». Justement aujourd’hui, voyez plutôt, il y avait deux voyageurs pour Bessé et nous sommes trois voituriers. Allons, venez, monsieur, venez. C’est maintenant l’affaire d’une demi-heure de route, pour que vous soyez « chez vous ».