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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Ribonard ferma en effet, les yeux, se laissa envahir par une douce somnolence, épuisé qu’il était, lorsque brusquement, il se redressa, plongea des regards avides vers le bas de l’église.

Deux hommes venaient d’y entrer, un prêtre, semblait-il, un sacristain aussi, qui, dans le jour blafard de l’aube, s’affairaient, traînant derrière eux de lourds rouleaux d’étoffes noires, sortant à grands fracas, des placards de la sacristie, de grands chandeliers d’argent massif.

Alors Ribonard éclata, riant d’un rire fou et qu’il avait peine à garder muet :

– Sapristi de bonsoir, gouapa-t-il, je m’en vas entendre la messe. Y a tout de même longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

***

Pâle à faire frémir, à toucher les cœurs de pitié, jolie malgré tout sous ses voiles de crêpe qu’elle relevait pour marcher d’un geste gracieux, élégante malgré elle, Antoinette de Tergall, à pas lents, vaillante en dépit de sa douleur, courageuse en dépit de l’angoisse intolérable qui lui serrait le cœur, suivait le convoi de son mari que l’on portait dans le caveau de la famille de Tergall.

L’enterrement, auquel avaient été invitées toutes les personnalités de Saint-Calais, auquel s’étaient rendues toutes les notabilités habitant le pays à dix lieues à la ronde, auxquelles s’étaient jointes bien des personnes venues de Paris, déroulait ses méandres le long de la route de campagne, entre les champs, par les vallons, dans une simplicité grandiose de décors que doublait encore le tragique apparat de la cérémonie.

Le pays ne possédant qu’un corbillard fort modeste, nulle voiture de deuil ne l’accompagnait, les proches suivaient à pied et, ainsi qu’il est coutume dans la Sarthe, la veuve marchait seule au premier rang tandis que le funèbre cortège à pas ralentis se dirigeait vers l’église et que le clergé, venu tout entier opérer la levée du corps, se tenait sur les bas côtés de la route, précédé d’un crucifix porté par un enfant de chœur et psalmodiant les graves cantiques d’espérance et de foi.

En arrière du cortège, un peu à l’écart, se groupant par sympathie naturelle, les magistrats de Saint-Calais échangeaient des propos qui n’étaient pas empreints de bienveillance exagérée.

– Vous direz tout ce que vous voudrez, monsieur le président, affirmait le procureur général, mais pour moi, ce décès demeure archi mystérieux. Il est inadmissible qu’il s’agisse d’un accident. Et d’autre part, il est impossible que l’assassin de Tergall soit le même que celui de Chambérieux. Que diable pour M. Chambérieux, nous sommes tous d’accord, maintenant. C’est de Fantômas qu’il faut parler. Chambérieux a été tué, comme conséquence directe, j’imagine, du vol des bijoux dont il avait été victime. Fantômas s’est débarrassé de lui, peut-être parce que Chambérieux le gênait. Peut-être parce que le jour du meurtre le bijoutier avait sur lui une somme importante. On n’en sait rien encore. Quelle explication, au contraire, peut-on proposer à la mort de Maxime de Tergall ? Fantômas n’assistait pourtant pas au déjeuner de chasse qui a précédé l’assassinat.

Le président, un homme doux et tranquille, haussa les épaules ennuyé.

– Mon cher procureur, répondit-il, on ne sait pas, on ne peut pas savoir. Il ne faut rien affirmer.

Après un petit instant de silence, le président questionna :

– D’ailleurs, qui soupçonneriez-vous, Roche ?

– Moi ? monsieur le président, personne. Cependant, la veuve avait intérêt.

Le juge d’instruction Pradier, qui marchait derrière le président pressa un peu l’allure pour se mettre à la hauteur du magistrat.

– Messieurs, messieurs, dit-il d’un ton grave, croyez bien que l’instruction fera tout le nécessaire pour connaître la vérité relativement au décès de M. de Tergall, mais croyez bien aussi que, si je n’ai point inculpé Mme Antoinette de Tergall, c’est qu’il m’est apparu, dès le début de mon enquête, qu’elle était parfaitement innocente, radicalement hors de cause.

C’était là une déclaration péremptoire.

Les deux magistrats s’inclinèrent d’autant plus volontiers que, depuis son arrivée au Tribunal, Fantômas avait trouvé le moyen de s’attirer la sympathie universelle.

Tout en devisant, d’ailleurs, ceux qui accompagnaient Maxime de Tergall à sa dernière demeure venaient de faire le long trajet séparant le château de l’église.

Le cortège, au moment précis où Charles Pradier intervenait entre le procureur général et le président pour innocenter Antoinette de Tergall, s’immobilisait brusquement. Le corbillard arrêté devant l’église de Bouloire était déchargé des couronnes entassées sur le cercueil, le drap noir recouvrant la bière, apparaissait, puis de robustes campagnards – les quatre plus vieux fermiers dépendant du château des Loges – chargèrent sur leurs épaules le cercueil, qu’ils déposèrent à l’entrée de l’église où le clergé, groupé, entonnait les prières de la bénédiction.

Or, au moment même où, d’une voix de basse, le curé de la paroisse lançait vers le ciel les paroles traditionnelles qui crient si bien le désespoir, la douleur humaine, et aussi l’espérance et la confiance chrétiennes, tandis qu’en haut du clocher le glas résonnait, lourdement sonné par le battant de la grosse cloche, soudain ce fut un long hurlement. Puis la ruée folle de ceux qui étaient encore massés sous le porche de l’église, et qui voulaient pénétrer dans la nef, bousculade insensée derrière Antoinette de Tergall elle-même qui perdait l’équilibre.

Sur le cercueil, tombant du haut du clocher, crépitant sur le chêne de la bière, une pluie étrange s’abattit. Pluie de diamants, pluie de rubis que l’on vit scintiller dans les rayons de lumière descendant des vitraux.

Et maintenant, oubliant la tragique horreur du moment, poussant des cris que le glas dominait avec peine, les assistants se bousculèrent presque pour ramasser les pierres précieuses. Chacun voulait voir, savoir, chacun voulait toucher les joyaux extraordinaires tombés du ciel. Puis stupeur nouvelle. On avait vu tomber des diamants et des rubis. On ne ramassait que des diamants. Mais non les rubis que l’on avait aperçus. C’étaient des gouttes de sang qui tachaient le sol, qui tachaient le cercueil, qui marquaient de rouge les vêtements noirs de la foule accourue à l’enterrement du marquis de Tergall.

***

Réveillé par les préparatifs d’un desservant et d’un sacristain, Ribonard, qui sommeillait, toujours attaché au battant de sa cloche, dominant ainsi le chœur même de l’église, assistait à toute une mise en scène qui, d’abord, lui parut incompréhensible.

Le prêtre et le sacristain balayèrent avec un soin extrême un espace qu’ils venaient de dégarnir de chaises. Ils étalèrent alors sur le sol de lourdes étoffes noires, semées de larmes d’argent, sur lesquelles bientôt ils disposèrent des chandeliers garnis de longs cierges, puis deux tréteaux, qu’une housse recouvrit.

– Qu’est-ce que c’est que tout ça ? se demandait Ribonard, une messe noire ? Ah, c’est rien farce.

Mais soudain, une grimace s’ébaucha sur le visage de l’apache :

– Une messe noire, oui, ronchonnait-il, mais pas une messe noire à la blague. Eh bien, ça va être gai. C’est un enterrement qui se prépare.

Ribonard ne se trompait pas. Il venait en effet d’être le témoin des dispositions prises pour l’enterrement du marquis de Tergall.

– Ça va bien. Ça va de mieux en mieux. Cet enterrement-là, c’est la certitude que Fantômas ne pourra pas venir me décrocher avant cet après-midi ou même ce soir. Il y aura du monde dans l’église tout le temps d’ici là. Le patron ne pourrait pas opérer.

Ribonard d’abord, s’intéressait à surveiller de son observatoire les manœuvres des gens d’église, mais bientôt il se lassa, et, s’arrangeant au mieux sur les liens qui le maintenaient, se disposa à faire un nouveau somme.

– J’m’en vas toujours roupiller le plus longtemps possible. J’ai grande chance de ne pas déjeuner, tâchons de dormir. Qui dort dîne.

Il était dit que Ribonard se verrait contrarié dans tous ses projets. L’apache n’était pas reparti au pays des songes, qu’il en était brusquement tiré par le bruit fait par un homme gravissant le petit escalier conduisant au plancher inférieur du clocher.

– Crédié, songea Ribonard, qui frissonna en voyant la porte s’ouvrir, je n’avais pas pensé à celle-là. Ce type qui s’amène, c’est assurément le sonneur. Bon sang de sort, s’il vient carillonner, mon affaire est claire, je suis frit.

Ribonard se trompait. Il était six heures du matin. Si le sonneur avait rejoint son poste, c’était pour l’angélus du matin qui se sonnait sur une petite cloche, plus facile à manier que la lourde savoyarde où l’apache était enfermé.

– J’ai de la veine, pensa Ribonard, faut croire que mon habitation, à moi, ne sert qu’aux jours de grande cérémonie ?

Et il se tint coi, évitant de respirer, terrifié à la pensée qu’il pouvait être pris d’une quinte de toux. Finalement, il vit avec satisfaction le sonneur raccrocher son câble, l’angélus fini, et redescendre à l’intérieur de l’église.

– De mieux en mieux, songeait Ribonard, maintenant, je pense que me voilà tranquille ?

Tenace dans ses projets, Ribonard ferma les yeux, se rendormit.

Mais alors qu’il était au pays des songes, un grand coup sur le crâne lui rouvrit les yeux.

Il n’eut pas le temps de pousser un nouveau juron. Une formidable sonorité l’assourdit. En même temps, avec une force plus grande encore, on lui assénait un nouveau coup sur la tête.

– Aïe, commença-t-il, au secours.

Un troisième coup, si violent qu’il crut que son cerveau allait éclater, l’étourdit en même temps.

Et alors, tandis que le vacarme grandissait autour de lui, contre lui, au point que ses cris désespérés ne devaient pas s’entendre à un mètre, Ribonard comprit qui l’assommait à moitié, qui produisait ce bruit assourdissant. Dans un brouillard, car ses yeux se congestionnaient sous la violence des coups qui le meurtrissaient, Ribonard aperçut, semblant se balancer en-dessous de lui, l’église, où des cierges brûlaient, un catafalque sur lequel reposait un cercueil, des prêtres qui chantaient, une foule recueillie, et puis, entre cela et lui, visible par moments, caché en d’autres, par l’étrange balancement, l’être difforme qu’était le sonneur, le sonneur qui le tuait sans s’en douter, le sonneur qui se suspendait au câble commandant la grosse cloche, qui lançait d’un mouvement régulier, s’étonnant de la peine qu’il éprouvait, le battant de fer où était attaché Ribonard contre le bronze sonore de la cloche.

– Il va me fracasser le crâne, nom de Dieu, hurla Ribonard qui, déjà, ne songeait plus qu’avec peine, tant il était étourdi.

Et il râla :

– Au secours, au secours.

Ces appels, personne ne les entendit. De la cloche, les ondes sonores tombaient avec tant de force qu’elles assourdissaient ses cris. Ribonard, prêt à tout, songea que mieux valait encore risquer le saut périlleux que de se laisser ainsi écraser. Il voulut s’élancer au vide. Impossible. Les liens qui lui avaient permis de rester attaché au battant s’étaient resserrés sous son poids, il ne put les défaire.

– Nom de Dieu de nom de Dieu. Je ne vais pourtant pas crever là.

Une idée lui vint. Dans sa poche, il saisit, tant bien que mal, de sa main gauche, car maintenant, son bras droit pendait inerte, brisé peut-être, les bijoux volés. Il les lâcha, il les jeta, espérant ainsi attirer l’attention. Mais ou moment précis où Ribonard ouvrait la main, lançant les diamants volés, le sonneur venait de réussir à donner toute son amplitude au mouvement de la cloche.

Le malheureux Ribonard était précipité avec tant de force contre l’intérieur de la grosse savoyarde, qu’il se brisait le crâne, qu’il se rompait les os, qu’il mourait dans une atroce agonie.

À peine sur le sol, les diamants furent suivis d’une pluie de gouttes de sang.

***

Deux heures plus tard, tandis que les obsèques du marquis de Tergall, tragiquement troublées, s’achevaient au cimetière voisin, tandis que les psaumes ultimes résonnaient sous la voûte du ciel bleu, Charles Pradier, demeuré à la sacristie en compagnie du médecin, examinait le cadavre de Ribonard que l’on venait de descendre du clocher.

Et Charles Pradier disait :

– Mon Dieu, mon Dieu, c’est à devenir fou. Quel peut donc être cet individu ? qui nous dira jamais son nom ? Comment deviner par quel hasard il était suspendu à l’intérieur de la grosse cloche, et tenait dans ses mains les bijoux volés à M. Chambérieux ?

Le médecin ne répondait rien.

– Au fait, mon cher praticien, dit alors le juge d’instruction, je vais vous demander une seconde de patience. Dans l’intérêt de la justice, je vais emporter, pour les remettre au greffe, les perles et les diamants que l’on a retrouvés dans l’église. Vous voudrez bien signer le procès-verbal à titre de témoin ?

– Mais certainement.

Pradier eut peine à dissimuler un sourire ironique, cependant qu’il enfouissait dans sa poche les bijoux retrouvés.

– À coup sûr, songeait Pradier-Fantômas, Ribonard, hier soir, s’est moqué de moi, mais ce matin, je me suis bien vengé.

Ce fut toute l’oraison funèbre du misérable.

24 – RAFLE AU BAL CHAMPÊTRE

– Sicoche.

– Oui, brigadier.

– Sicoche, je vous dis, qu’il va s’agir d’ouvrir l’œil et le bon. Nous nous rendons par la grand-route jusqu’à la limite de l’octroi de la localité de Bouloire, vous vous en êtes aperçu ?

– Oui, brigadier, je m’en suis rendu compte en marchant derrière vous à la distance que doit s’imposer tout bon gendarme à l’égard de son supérieur.

– Sicoche, vous avez raison, et je suis convaincu qu’avec les excellentes notes trimestrielles qui vous ont été données, vous ne tarderez pas à devenir brigadier comme moi. C’est-à-dire presque mon égal, car j’aurai toujours sur vous, n’est-ce pas, la supériorité de l’ancienneté ?

– Évidemment, brigadier.

Les deux représentants de la maréchaussée cheminèrent quelques instants en silence. Il faisait une nuit noire, froide et pluvieuse, et les gendarmes, en petite tenue, avaient relevé le collet de leur capote sombre. Il était environ neuf heures, et depuis une demi-heure environ ils marchaient. Le brigadier Boulinard et le gendarme Sicoche avaient reçu l’ordre de l’adjudant de quitter la gendarmerie sitôt après le dîner et de rejoindre leurs collègues de la brigade de Bouloire que renforceraient encore des agents en civil de la Sûreté du Mans.

Pourquoi faire ?

Les deux gendarmes n’étaient pas très renseignés et n’éprouvaient d’ailleurs à ce sujet qu’une curiosité relative, bien qu’on leur eût dit de faire très attention à leurs personnes, de se munir de menottes et de garnir les étuis de leurs revolvers.

– M’est avis, reprit le brigadier, que nous allons procéder à une opération importante. Peut-être même à des arrestations.

– C’est aussi mon avis.

Le chef poursuivit :

– Hein, tout de même, ça remue, dans le pays, depuis le commencement de l’hiver, et surtout depuis quelques jours, depuis l’installation à Saint-Calais de M. Pradier, le nouveau juge d’instruction. En voilà un qui n’a pas l’air de badiner et qui se donne du mal. Tout ce qu’il entreprend a l’air de lui réussir.

– C’en est un, proféra Sicoche, qui veut arriver et se faire une belle carrière ; peut-être qu’un jour il sera procureur général.

Le brigadier haussa les épaules et, considérant Sicoche avec un air de pitié, reprit sentencieux :

– Vous n’y entendez rien, gendarmes. Un juge d’instruction n’appartient pas à la magistrature debout comme le procureur. Par conséquent, il doit rester toute sa vie dans la magistrature assise, mais il est exact qu’un magistrat comme M. Pradier peut arriver aux plus hautes situations, tel que président du Tribunal, conseiller à la Cour d’appel, à la Cour de cassation même.

– Ça, observa Sicoche admiratif, c’est ce qu’on appelle une situation. Préférable à celle de gendarme.

– Tout dépend de la manière de voir, fit le brigadier.

Cependant, les deux hommes, au détour du chemin, voyaient s’approcher plusieurs de leurs collègues dont le galon d’argent du képi scintillait à la lueur des lanternes que portait l’un d’eux. C’étaient les délégués de la brigade de Bouloire qui venaient, avec les agents en civil du Mans, à la rencontre de leurs collègues de Saint-Calais.

Un vieux brigadier, plus ancien encore que Boulinard, commandait le petite détachement et il expliqua à ses subordonnés :

– Voici les ordres qu’il s’agit d’exécuter. Nous sommes commandés de service pour aller les uns et les autres séparément, mais sans nous perdre de vue, afin de pouvoir nous prêter main-forte, au lieu dit de la Mare-aux-Oies, à trois kilomètres d’ici. Il s’agit de surveiller une bande d’individus suspects qui, depuis quelque temps, se donnent rendez-vous au bal public qui s’est installé à proximité dudit lieu de ladite Mare-aux-Oies. Nous aurons sur place deux inspecteurs de la Sûreté du Mans, qui nous donneront les instructions définitives, et nous feront connaître les gens à arrêter s’il y a lieu.

Et le vieux brigadier, prenant familièrement le bras de son collègue Boulinard, ajouta, se penchant à son oreille :

– Je crois même que le juge d’instruction de Saint-Calais, votre nouveau juge, se trouvera présent.

– Sapristi, s’écria Boulinard, voilà ce que M. Morel n’aurait jamais fait.

– Il aurait eu bien trop peur, tout au moins pour ses rhumatismes, de s’aventurer dehors la nuit.

Puis, les chefs ayant donné encore à leurs hommes quelques instructions de détail, se remirent en marche, les précédant en direction de la Mare-aux-Oies.

***

Le bal qui s’était installé à proximité de Bouloire, à l’extrémité d’un champ, à la lisière d’un petit bois, était une nouveauté dans le pays. Des forains venus là, avec deux roulottes tramées par des chevaux étiques. Des hommes d’équipe avaient posé sur le sol une sorte de plancher qu’ils avaient surmonté d’une grande tente à peu près imperméable. Ils avaient disposé à l’intérieur un éclairage sommaire. Dans un angle de la tente, un comptoir de zinc avec quelques bouteilles de vin ou d’alcool, et de part et d’autre, ce comptoir était flanqué de barriques de cidre destinées, elles aussi, à étancher la soif de la future clientèle. Sur la porte, un écriteau : « Bal public ».

Puis, par des prospectus multicolores, les entrepreneurs avaient avisé le voisinage, à trois lieues à la ronde, que tous les soirs, de huit heures à onze heures, on pourrait venir danser à la Mare-aux-Oies moyennant un droit de dix centimes pour les cavaliers et de cinq centimes pour les dames.

Depuis quinze jours que le bal public était installé, et bien que ce fût la mauvaise saison, il faisait des affaires d’or. C’était en effet l’époque où les travailleurs de la terre ne sont pas très occupés et où celle-ci n’exige pas que l’on soit au travail aux premières lueurs du jour. Pourtant, le local où l’on conviait les danseurs à venir se réunir n’avait rien de bien engageant. Le plancher était raboteux, mal joint, l’orchestre uniquement constitué par un vieil orgue de Barbarie que tournait, le moins souvent possible, une espèce d’Arabe qui, dans la journée, allait essayer de vendre dans les fermes des peaux de biques et des tapis d’Orient. La caisse était tenue par une grosse femme à laquelle des cheveux blancs ne réussissaient pas à donner un air respectable.

Quant à la défense du comptoir contre les envahisseurs trop assoiffés, elle était principalement assurée par un grand diable long et maigre, à la figure farouche, et au poing vigoureux.

La clientèle qui fréquentait le bal se composait non seulement des inévitables amoureux qui profitent de toutes occasions bonnes ou mauvaises, pour se réunir et se prodiguer des tendresses, mais encore de temps en temps de quelques familles d’honnêtes paysans qui, naïvement, venaient se fourvoyer en ce mauvais lieu, auxquels se mêlait toute une population interlope et peu recommandable de filles et de souteneurs.

Ce bal public de la Mare-aux-Oies, était inquiétant et on aurait vite compris pourquoi, si l’on avait su que les forains, ou soi-disant tels, qui dirigeaient cette entreprise, n’étaient autre que des membres de la bande des Ténébreux, qui, en venant s’installer en pleine campagne, méditaient autre chose que de donner à danser aux populations chaque soir, pour la modique somme de deux sous.

La mère Toulouche, vieille récidiviste, habituée des maisons centrales, ancienne receleuse et criminelle impunie remplissait les fonctions de caissière. Au comptoir, trônait le grand Bec-de-Gaz, l’évadé de l’île de Ré, le forçat condamné pour le meurtre de sa maîtresse, quelques années auparavant. Et enfin, le chef d’orchestre, comme il s’intitulait d’ailleurs, non sans pompe et avec exagération, n’était autre que l’Algérien Mahamoud dit Peau-de-Zébi.

Mais, si les patrons du bal public étaient connus de la police parisienne, ils n’avaient pas eu encore maille à partir avec les autorités de la province avoisinant Saint-Calais et le Mans. Naturellement, ils s’étaient affublés de noms qui ne rappelaient en rien leur existence passée, et pendant les premiers jours ils avaient exercé leur industrie avec assez de correction pour qu’on ne songeât pas à les expulser immédiatement.

Toutefois, depuis quelques soirs, on se plaignait dans le voisinage. Du bétail ou de la volaille disparaissaient des crèches ou des poulaillers. Les riverains de la Mare-aux-Oies chuchotaient qu’il devait se passer des choses peu édifiantes dans la clientèle qui fréquentait ce bal. De plus en plus les honnêtes gens s’en éloignaient, et la foule des rôdeurs et des individus sans aveu semblait en faire son quartier général.

Ce soir-là, cependant l’affluence était extrême, c’était un samedi, on pouvait donc se reposer le dimanche et malgré la mauvaise réputation de l’établissement, une clientèle locale, fort nombreuse, était venue. On s’écrasait sous la tente qui recouvrait le plancher, mais cela importait peu aux danseurs, désireux surtout de se remuer et de s’agiter, et aux amoureux qui ne trouvaient aucun inconvénient à être perpétuellement serrés les uns contre les autres.

Toutefois, dans la foule des campagnards, se glissaient de temps à autre des individus qui passaient inaperçus au premier abord, mais laissaient ensuite aux gens qu’ils avaient visés des surprises désagréables. Le père Grelot, venu lui aussi de Paris, comme les autres, exerçait volontiers sa coupable industrie de voleur à la tire dans la foule, venue là pour se distraire.

– C’est le moment disait-il à l’Élève, de faire ton apprentissage, vas-y, fils, et ne t’émotionne pas, c’est tous des poires, tu peux taper dans le tas, ils n’ont pas la peau sensible, et on peut fouiller dans leurs poches sans qu’ils s’en aperçoivent.

L’Élève était aussi fort que son maître, qui, d’ailleurs ne se contentait pas de donner des conseils. Et les deux gaillards, en l’espace d’une demi-heure, avaient fait une si ample provision de mouchoirs aux coins desquels étaient noués des pièces blanches et de gros porte-monnaie remplis de sous, que Bec-de-Gaz, qui n’ignorait pas leurs procédés, se vit dans l’obligation de leurs faire des reproches :

– Quand ils seront tous fauchés, déclarait le grand bandit, comment voulez-vous qu’ils viennent consommer à mon comptoir. Et puis, à force de les faire comme ça à l’esbroufe, ils finiront peut-être par s’en apercevoir.

Le père Grelot et l’Élève sourirent, ne parurent pas vouloir tenir compte des observations de l’apache, alors celui-ci se fâcha :

– D’abord, c’est très simple, fit-il, au prochain porte-monnaie que vous barbotez l’un ou l’autre, je vous sors de la tôle jusqu’à la fin du monde. Ici je suis venu pour faire du commerce, c’est pas la peine que vous attiriez l’attention de la police et me fassiez venir des histoires.

– Ça, reconnut le père Grelot, j’avoue que t’as raison. L’Élève va se tenir tranquille, moi je vais me faire la main encore deux ou trois fois, et puis j’irai boire la moitié de la recette à ton comptoir, mon vieux Bec-de-Gaz.

Cette promesse satisfaisait l’apache, qui n’insista plus pour que sa clientèle fût tenue en respect par les voleurs.

Au surplus, ses fonctions de débitant l’absorbaient, car les buveurs étaient légion. À deux ou trois reprises, Bec-de-Gaz quitta la tente pour aller dans un petit appentis voisin chercher celle qui l’aidait dans ses fonctions, et particulièrement lavait la vaisselle.

– Fleur-de-Rogue, appela-t-il, Fleur-de-Rogue.

Mais il n’obtint pas de réponse, et ce fut seulement lorsqu’il se rendit pour la troisième fois dans la soupente qu’il aperçut la personne tant recherchée, qui gisait accroupie sur le sol, entre deux baquets d’eau sale.

Bec-de-Gaz la secoua rudement par l’épaule…

– Fleur-de-Rogue, fainéante, ah, on peut dire que t’en as une cosse. Comment, t’es encore là à dormir, quand il y a du travail à ne pas savoir où donner de la tête.

La femme interpellée, secouée, ne résistait pas, se laissait aller.

Bec-de-Gaz, machinalement, lui prit le menton, releva sa tête, la regarda les yeux dans les yeux. Ses yeux étaient rouges et vagues.

– Bon Dieu, grogna Bec-de-Gaz, elle est saoule comme une bourrique. Y a rien à foutre, pour la sortir de là.

Cependant, la femme essayait de remuer. En vain. D’une voix pâteuse et pénible elle protestait :

– Saoule que tu dis, Bec-de-Gaz, c’est pas vrai, et d’abord je défends qu’on dise que je suis saoule.

– Ça va, fit Bec-de-Gaz conciliant, car il ne respectait qu’une chose : l’ivresse.

Mais Fleur-de-Rogue l’avait attrapé par le bas de son pantalon tout effiloché et l’empêchait de retourner à ses occupations.

– C’est pas que je suis saoule, reprenait la femme, mais j’ai du chagrin, et j’ai bu pour m’étourdir. Comprends-tu, Bec-de-Gaz, qu’ils ont démoli Ribonard, mon homme. Il est crevé. Encore un. Décidément j’ai pas de chance.

– Un homme, conclut Bec-de-Gaz, ça se remplace. Faut pas te faire de bile.

Mais la pierreuse secoua la tête, sans souci de ses cheveux dénoués qui trempaient dans le baquet d’eau sale.

– C’est toujours à moi qu’il arrive des histoires de ce genre-là. T’as bien connu Jean-Marie, dis voir, Bec-de-Gaz ?

– Probable, fit l’évadé, Jean-Marie, l’aide du bourreau ?

– Oui, approuva Fleur-de-Rogue, eh ben, c’était mon amant, mon premier, il est mort, c’est la « Veuve » qui l’a zigouillé, et dire qu’il n’avait rien fait pour ça.

– Ça, reconnut Bec-de-Gaz, toujours conciliant, on peut dire que c’est vrai. Y a des gens qu’ont de la chance, d’autres qui n’en ont pas. Jean-Marie avait la poisse, il a été fadé. Qu’est-ce que tu veux y faire ?

– Après Jean-Marie, j’ai pris Ribonard. On s’aimait bien tous les deux. Celui-là c’était un homme dans le genre de mon premier, un costaud qui connaissait pas la peur. Voilà-t-y pas qu’il est mort, lui aussi, et crevé comme un chien, avec le crâne défoncé par une cloche. Ah, c’est des trucs à la manque, qu’est-ce que je vais devenir ?

– Bah, tu en trouveras ben un troisième.

– À quoi bon. Sûr qu’il crèvera, lui aussi, c’est sûr comme je te le dis, et pis les hommes vont dire que je leur porte la guigne. Ah, c’est bien fini, j’ai plus qu’à me détruire.

Soudain le père Grelot écarta la toile qui séparait cette sorte d’office de la grande salle de bal.

– Bec-de-Gaz, murmura-t-il, rapplique voilà Bébé.

Bec-de-Gaz accourait. Depuis quelques jours, on n’avait pas vu l’apache. Ribonard avait raconté dans l’entourage de Bec-de-Gaz l’extraordinaire entretien que Bébé et lui avaient eu quelques jours auparavant avec le Maître.

Le bruit avait couru que Fantômas allait avoir des monceaux d’or en sa possession, qu’un partage ne tarderait pas à avoir lieu.

– Eh ben, quoi de neuf ?

Bébé prit un air narquois :

– Du neuf ? y en a probablement. Mais qu’est-ce que t’attends, Bec-de-Gaz, pour me verser une chopine ? Il fait plutôt humide dehors, et un verre de rouge n’a jamais fait de mal à un honnête homme.

Le père Grelot, qui profitait de l’occasion pour se faire servir à boire, interrogeait curieusement :

– Dis voir. Bébé, connais-tu des détails sur le coup de Ribonard ? Il a été zigouillé, pas vrai ?

– ’Turellement, on y a fait son affaire, et c’est ben de sa faute aussi. Il a voulu monter le coup à Fantômas, et c’est pas des combines dans le genre de celle-là qui peuvent réussir. Faut pas le regretter, c’était en somme, un faux frère, il avait garé à côté tous les bijoux de Chambérieux. Ça lui apprendra.

– Les bijoux ? interrogea Bec-de-Gaz, qu’est-ce qu’ils sont devenus ?

– Ça, reconnut Bébé en baissant la tête, c’est ce qu’il y a de plus toquard dans cette affaire. Lorsque Ribonard est claqué, c’est arrivé à un si mauvais moment que les bijoux sont tombés de ses poches juste devant le nez du « curieux » de la localité. Oui, le juge d’instruction n’a eu qu’à étendre les mains pour les ramasser, et je vous prie de croire qu’il n’a pas perdu son temps avant de le faire.

– Où c’est, demanda le père Grelot, qu’il les a donc foutus ?

– Dans la tôle des jugeurs probablement, répondit Bébé. Ils ont des coffres-forts blindés et des armoires secrètes dans leurs boutiques. Ce serait un foin du diable, maintenant pour les rattraper.

– Tu comptes donc aller les reprendre ?

– Probable.

Mais comme le père Grelot lui demandait encore :

– Iras-tu tout seul ?

Bébé, modestement, avoua :

– Tout seul, non. Je n’ai pas le trac et je sais vous descendre un pante tout comme n’importe qui, mais dans c’t’affaire-là, je marcherai avec un copain.

– Je suis ton homme, suggéra Grelot, tu sais que je sais travailler.

– J’ai mieux que ça.

– Qui donc ? demandèrent ensemble, le professeur de vols et l’apache Bec-de-Gaz.

Bébé, à ce moment, regardait un coin obscur de la salle et semblait examiner minutieusement un personnage qui, tournant le dos, était accroupi derrière un amoncellement de barriques et dont on ne voyait que l’extrémité des membres.

– Je marche, fit-il tout bas, avec Lui.

Et Bébé désignait du doigt l’individu dissimulé dans cette sorte de cachette, il avait dit : « Lui » avec une telle emphase que ses deux interlocuteurs se regardèrent. Quel pouvait être ce personnage dont Bébé paraissait tant respecter la personnalité et en qui, cependant audacieux et capable, il semblait avoir une si grande confiance ?

Les apaches ne devaient pas tarder à le savoir. Bébé leur murmura à l’oreille :


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