Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
сообщить о нарушении
Текущая страница: 13 (всего у книги 23 страниц)
19 – JUVE, BAGNARD
– Vous avez une permission de M. le bourgmestre ? Vraiment c’est étonnant. Voilà qui est curieux. En tout cas vous me ferez grand plaisir en me la montrant. Depuis que je suis directeur de la maison d’arrêt de Louvain je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un du dehors, fût-ce le bourgmestre, le ministre de la Justice ou Sa Majesté elle-même, puisse donner à un tiers venant de l’extérieur la permission de visiter un prisonnier.
Le personnage qui prononçait ces mots paraissait sûr de son fait.
C’était un homme jeune, distingué, à l’aspect froid et correct qui adressait ces mots à Jérôme Fandor assis en face de lui dans un élégant cabinet de travail meublé avec goût, voire même avec recherche et qui aurait paru le boudoir coquet d’une jolie femme ou le cabinet de travail d’un poète, n’eussent été les fenêtres grillagées et les murs sinistres que l’on apercevait par celles-ci.
Fandor était gêné de ce début. Non sans peine il avait réussi à s’introduire dans la prison de Louvain et à se faire admettre auprès du directeur. À la vérité il possédait une lettre de recommandation pour ce personnage et cette lettre lui avait été donnée deux mois auparavant ; il l’avait obtenue alors qu’il était en France par l’intermédiaire d’un ami habitant Bruxelles et qui lui avait écrit en lui faisant parvenir ce document :
Mon cher monsieur Fandor, le directeur du bagne de Louvain, M. Van den Goossen est un brave homme, simple et cordial, mais très timoré et la recommandation signée du procureur que je vous joins sera insuffisante si vous n’arriviez auprès du directeur avec beaucoup d’aplomb et si, jouant sur les mots et le sens de la lettre, vous ne commencez pas par lui affirmer avec la plus parfaite audace que cette lettre de recommandation constitue une véritable autorisation de vous laisser communiquer même par-dessus la tête du directeur. M. Van den Goossen sera surpris, mais convaincu sans doute et vous réussirez.
Or, dans l’intervalle qui s’était écoulé entre l’envoi de cette recommandation à Fandor et la venue du journaliste à Louvain, M. Van den Goossen avait obtenu son changement, s’était vu remplacer par M. Huguelmans. Or, autant le premier directeur était un homme susceptible de se laisser intimider, autant M. Huguelmans avait conscience du rôle important qu’il jouait, de l’autorité absolue dont il disposait et Fandor qui ignorait non seulement la mentalité du nouveau chef, mais même qu’il ne s’adressait plus au précédent directeur, avait fort mal engagé son affaire et devant l’accueil qui lui était fait, tout en maudissant sa gaffe, il tenta prudemment de battre en retraite.
– Oh, une permission, je me suis mal expliqué, monsieur le directeur. C’est une recommandation simplement. Je sais en effet que vous êtes le maître chez vous et que nul n’a qualité pour intervenir dans votre administration sans votre assentiment préalable. Voici d’ailleurs cette recommandation.
M. Huguelmans lut la lettre :
– Je comprends, fit-il avec un sourire énigmatique, cette lettre est vieille de deux mois. Elle était adressée à mon prédécesseur, je ne sais pas si je dois la prendre en considération.
Fandor saisit l’occasion pour insister et obtenir la faveur sollicitée.
– Je n’ai pas de veine, pensait-il, il faut que juste au moment où je me présente je me trouve en présence d’un bonhomme imbu de sa personnalité. Mauvais ça.
Et le visage du journaliste trahissait son anxiété.
Fandor, s’il avait su le fond des choses, se serait au contraire félicité de se trouver en face de M. Huguelmans. Car Fandor demandait à voir le prisonnier D. 33. Or, M. Huguelmans, nouveau venu dans la prison, n’avait pas encore eu le loisir d’étudier les dossiers relatifs aux détenus et à ses yeux vraisemblablement le D. 33 n’avait ni plus ni moins d’importance que le A. 32 ou le C. 34, que n’importe quel autre prisonnier.
Or, si Fandor avait rencontré dans ce cabinet directorial celui qui l’occupait précédemment, c’est-à-dire M. Van den Goossen, l’ancien directeur n’aurait jamais au grand jamais, autorisé, malgré son caractère accessible aux recommandations, une communication avec un prisonnier tel que le D 33, dont M. Van den Goossen savait qu’il n’était autre que…
Somme toute, Fandor n’était pas trop mal tombé.
M. Huguelmans, après avoir lu et relu la lettre de recommandation, questionna le journaliste :
– Pourquoi, monsieur, demanda-t-il, désirez-vous voir le D. 33 ?
Fandor avait préparé toute une petite histoire et décidé au préalable de cacher au directeur de la prison sa qualité de journaliste :
– Mon Dieu, monsieur le directeur, voici ce qui m’amène : je suis professeur de langues vivantes et attaché à l’Université de New York, où je fais des études sur l’anglais du Moyen Âge. J’ai eu l’occasion, me trouvant à Rome, de découvrir chez un bouquiniste le manuscrit d’un auteur écossais, qu’il m’a été à peu près impossible de traduire. C’est en vain que j’ai cherché quelqu’un de capable de le faire et ce n’est qu’à Berlin que j’ai rencontré un savant. Il n’a pu le traduire non plus, mais du moins m’a appris qu’il existait à la prison de Louvain un homme, un érudit, traducteur distingué et que seul cet homme pourrait me donner satisfaction.
– Et ce traducteur ? c’est le prisonnier D. 33 ?
– Oui, monsieur.
M. Huguelmans avait appuyé sur un timbre :
– Pourvu, pensa le journaliste que le renseignement que j’ai obtenu soit exact et qu’il soit vrai qu’on occupe le D. 33 à des travaux de traduction.
À l’appel du directeur, le gardien était apparu. M. Huguelmans fit demander le chef des travaux techniques, qui, quelques instants plus tard, pénétrait à son tour dans le cabinet :
– Est-il exact, demandait le supérieur à son subordonné, que le D. 33 soit un traducteur distingué ?
– Mon Dieu, je ne sais pas s’il est traducteur distingué, mais je sais qu’il y a quelques semaines, il faisait en effet des traductions. Depuis lors, toutefois, sous prétexte qu’il était fatigué, il a demandé à être remis aux travaux manuels, mais il alterne volontiers, et fait aussi des copies.
– C’est bien, monsieur, interrompit le directeur, vous pouvez vous retirer.
Quelques instants après, Fandor poussait un soupir de satisfaction. M. Huguelmans avait tracé sur un imprimé à l’en-tête de la prison quelques lignes qu’il lui remit.
– Étant donné, monsieur, fit-il, qu’il s’agit d’un travail destiné à faire progresser la littérature et que d’autre part, vous êtes seulement de passage en Belgique, et en Europe, je vous accorde l’autorisation demandée. Toutefois je vous préviens que votre entretien ne pourra dépasser dix minutes et qu’en aucun cas je ne pourrai vous accorder une autorisation semblable avant qu’une période de six mois ne se soit écoulée entre la visite que vous allez faire et celle que vous seriez tenté de solliciter à nouveau.
Fandor s’inclina :
– Je vous remercie, monsieur le directeur.
Un gardien se tenait à l’entrée du cabinet de M. Huguelmans. Son chef lui donna l’ordre de conduire Fandor au parloir. À travers les interminables couloirs de la prison, le journaliste suivit son guide. Bientôt Fandor se trouvait dans une vaste salle très sombre, éclairée seulement par des vasistas haut placés et qui ne laissaient pénétrer qu’une lumière avare dans cette cave.
Le parloir était coupé en deux par une lourde barrière de chêne. De part et d’autre, un grenadier, baïonnette au canon.
Fandor qui s’était documenté sur les règles du bagne de Louvain, savait en effet que pendant tout le temps qu’il s’entretenait avec des visiteurs, le détenu était surveillé. Le journaliste savait aussi que, par condescendance et discrétion, gardiens et militaires avaient l’ordre de ne pas écouter les propos qui s’échangeaient et cela lui suffisait, car peu lui importait qu’on le vît. Ce qu’il fallait surtout c’est qu’on ne comprît pas que dans l’entrevue qui allait avoir lieu entre lui et le D. 33, il ne serait nullement question d’ancien écossais.
Soudain, un bruit de pas retentit. Fandor bondit en avant et s’arrêta net, stupéfait. Le détenu qui venait vers lui avait le visage couvert d’un voile noir. Il portait sur la tête une véritable cagoule et Fandor éprouvait une émotion considérable à la vue de cet uniforme cependant légal et obligatoire pour tout prévenu dès qu’il sortait de sa cellule, mais auquel Fandor n’avait pas pensé.
Or, si cette cagoule avait ému Fandor à un tel point, c’est qu’elle lui rappelait l’effroyable silhouette de Fantômas, l’uniforme adopté par le monstre qu’il ne manquait jamais de revêtir dans les circonstances les plus effroyables. Et Fandor, machinalement, se disait qu’il y avait là une coïncidence curieuse, quelque chose de bizarre, d’étrange dans ce fait que la livrée du crime adoptée par l’insaisissable bandit n’était autre que la tenue d’uniforme des prisonniers incarcérés dans l’une des plus rudes prisons existant au monde : la maison d’arrêt de Louvain, celle que l’on appelle communément « le Bagne » et où les prisonniers vivent pendant toute leur peine soumis au régime rigoureux de l’isolement et du silence.
Fandor néanmoins se ressaisit, se rapprocha du prisonnier, demeuré immobile devant lui de l’autre côté de la grille.
Fandor articula :
– Juve est-ce vous ?
Une voix grave, une voix caverneuse presque, une voix que semblait paralyser l’émotion répondit lentement :
– Oui, Fandor, c’est moi. Merci d’être venu. Voici longtemps que je t’attendais.
Or, la voix de Juve était si transformée, si changée, elle avait un ton si douloureux, si sépulcral, que Fandor un instant se demanda s’il n’était pas le jouet d’une abominable hallucination, s’il n’était pas encore victime d’un tour de Fantômas, si l’homme revêtu de la cagoule noire avec lequel il s’entretenait était réellement son ami.
Mais cette hésitation ne dura pas. Juve de son côté, triomphant de son émotion première, interrogeait le journaliste :
– Fantômas, demanda-t-il, d’une voix pleine d’anxiété, a-t-il été arrêté au sortir de prison ? Léon et Michel ont-ils réussi dans la mission que je leur ai confiée ?
– Je ne puis pas vous le dire, Juve, je ne le sais pas.
– Comment, tu n’as vu personne ? tu n’es au courant de rien ?
– Je connaissais votre projet, votre plan, Juve, mais je n’ai vu ni Léon ni Michel.
Et après une hésitation Fandor ajouta :
– Ni Fantômas.
Cependant que Juve se taisait, atterré, semblait-il, se cramponnait aux barreaux comme pour ne point défaillir, Fandor secoué par une anxiété terrible, interrogeait à son tour :
– Juve, comment se fait-il que vous soyez encore ici ? N’aviez-vous pas tout prévu pour vous faire reconnaître, s’il y avait lieu ?
– Si, mais les affaires les mieux préparées ne réussissent pas toujours, hélas. Tu savais mon projet : passer pour Fantômas le plus longtemps possible, me faire extrader à sa place et le démasquer ensuite. Je me disais en outre que si l’extradition ne venait pas, il me serait toujours facile de me faire reconnaître, j’avais des vêtements que Fantômas devait dissimuler. Je comptais même sur les gardiens pour les appeler en témoignage au jour dit et leur faire déclarer que le D. 33 que j’incarnais, n’était pas le D. 33 qui avait été amené ici au lendemain de la condamnation prononcée par la Cour de Bruxelles. Tous ces moyens-là, d’ailleurs, Fandor, je ne voulais les employer qu’en dernier lieu, qu’en cas où l’extradition ne serait pas accordée. Ne voyant pas venir cette extradition et commençant à m’inquiéter, j’ai fait une enquête discrète et j’ai acquis la certitude, non seulement que mes vêtements ne se retrouveraient pas, (ils ont été brûlés), mais encore que les gardiens seraient bien incapables de distinguer entre Fantômas et moi, pour la bonne raison que ces hommes changent perpétuellement et ne connaissent pas les prisonniers dont ils ont la garde. Je suis donc bouclé, Fandor, irrémédiablement, si on n’obtient pas l’extradition.
Fandor s’inquiétait à l’idée qu’en effet l’extradition, qui avait semblé imminente quelques semaines auparavant, n’avait pas encore été décidée. Allait-on la refuser par hasard ? Le Gouvernement français ne voulait-il plus la demander, le Gouvernement belge refusait-il de l’admettre ? Fandor ne dit rien de ses appréhensions, mais Juve à travers sa cagoule noire lisait nettement sur le visage du jeune homme :
– Fandor, murmura-t-il, il faut absolument que je sorte d’ici. Ce régime cellulaire auquel je me suis condamné volontairement, risquant l’impossible pour reprendre Fantômas, je sens que d’ici peu je ne vais plus pouvoir le supporter. Tu ne te doutes pas de ce que c’est épouvantable, inimaginable, fou.
– Croyez-moi, Juve, je m’en doute.
Le journaliste à ce moment pensait à la voix de Juve, à cette voix si vibrante et si forte en temps ordinaire, et qui n’était désormais que l’ombre, l’écho affaibli de celle qu’il avait connue.
Il fallait tirer Juve de là, par tous les moyens. Fandor le lui dit.
– Tous les moyens. Ne t’illusionne pas, Fandor, il n’en existe qu’un, un seul, c’est l’extradition, car on ne s’évade pas du bagne de Louvain, et pour que Fantômas en sorte, il a fallu que ce soit moi qui le veuille. J’en suis cruellement puni, car, à l’heure actuelle, je crains que Léon et Michel n’aient pas réussi à arrêter le monstre et que désormais libre et me sachant en prison, car il doit savoir que je suis en prison, il n’emploie à m’y maintenir toute son activité, toute son intelligence.
Les propos de Juve n’étaient pas faits pour rassurer Fandor et le journaliste hésitait, en présence de l’abattement de son ami, à le mettre au courant des incidents de Saint-Calais.
Il commença cependant, car il connaissait l’indomptable énergie de Juve, à lui raconter les crimes survenus depuis que le policier s’était fait enfermer dans le bagne de Louvain. Mais Fandor n’osa pas le mettre au courant de l’extraordinaire affaire du chapeau de Pradier.
Au surplus, les dix minutes s’étaient écoulées, un gardien survenait :
– D. 33, s’écria-t-il, le temps est passé, rentrez.
Juve, docilement, obéit.
À peine s’il eut le temps de faire un signe de tête à Fandor. Les deux amis s’étaient vus, puis ils s’étaient quittés, sans même avoir pu se serrer la main.
20 – LA RÈGLE DU JEU
Assis derrière le bureau qui meublait son cabinet de juge d’instruction, Fantômas, définitivement devenu de façon irrévocable M. Charles Pradier, Juge au Tribunal de Saint-Calais chargé de l’instruction des affaires en cours, travaillait depuis près de deux heures d’horloge avec une ardeur compréhensible.
Le bandit qui passait maintenant aux yeux de toutes les personnalités du Tribunal pour un magistrat des plus zélés, pour un juge d’instruction remarquablement habile et merveilleusement inspiré, s’appliquait depuis son extraordinaire arrivée à Saint-Calais à étudier minutieusement le dossier déjà compliqué, déjà volumineux, de ce que l’on était convenu d’appeler au Parquet « les Affaires Fantômas ».
Certes, le bandit, en maintes pièces de l’instruction, en maints procès-verbaux, en maints réquisitoires, décelait de monstrueuses absurdités. Il constatait par exemple, que, de multiple façon, M. Morel, l’excellent juge qui l’avait précédé, avait cru pouvoir incriminer Fantômas. Il constatait aussi que d’élémentaires précautions de police avaient été négligées. Il s’apercevait enfin qu’il y avait de nombreux jours, de nombreux trous dans le filet que la Sûreté avait prétendu dresser pour capturer les auteurs des différentes tentatives de vols, commises tant au préjudice du marquis de Tergall qu’à celui de l’infortuné Chambérieux.
Fantômas, néanmoins, tirait grand profit du dépouillement qu’il accomplissait en vérifiant, une par une, les différentes pièces de procédure. Averti comme il l’était des procédés des criminels, des voleurs, des assassins, au courant de leurs bandes, connaissant un peu toute la pègre, il pouvait avec plus de facilité que quiconque trouver dans l’instruction hésitante les indications qui n’y étaient pas. Cela était même si vrai, que, petit à petit, au fur et à mesure qu’il prenait une connaissance plus minutieuse du dossier, Fantômas qui se voyait à chaque page incriminé, accusé d’être l’auteur des méfaits dont on recherchait les coupables, arrivait à se former une idée au moins approximative de qui devaient être les coupables.
– Jamais un isolé, songeait Fantômas, n’aurait réussi le vol des bijoux. Puis le vol du marquis de Tergall. C’est assurément une bande, qui a « travaillé » dans ce coup-là. Bon, si je veux être renseigné, j’imagine qu’en cherchant du côté de la domesticité de Chambérieux ou de la domesticité du marquis de Tergall, je parviendrai facilement à découvrir un indicateur ou une indicatrice. Le premier vol a été longuement préparé. D’ailleurs ce n’était pas mal combiné. Hum, tout de même je voudrais bien savoir comment il se fait que l’on ait mêlé mon nom à ces différentes affaires ?
Fantômas, avec la gravité d’un véritable juge d’instruction, car rassuré maintenant sur l’impunité avec laquelle il pouvait jouer son rôle, il s’efforçait de s’acquitter au mieux de ses délicates fonctions, continuait à étudier le dossier.
Il feuilletait encore les pages de papier timbré, parcourait de nombreuses feuilles à en-tête du Parquet, parvenait enfin aux procès-verbaux de gendarmerie, dressés sur son ordre, relativement au récent assassinat du bijoutier Chambérieux.
– Ma parole, pensait le bandit, qui, se renversant en arrière sur le dossier de son fauteuil, fermait à demi les yeux pour mieux s’absorber dans ses réflexions, ma parole, je ne comprends plus rien du tout à ce qui est arrivé à partir de ce moment-là. À moins que…
Et, sans doute, Fantômas formulait en ce moment, une hypothèse assez plaisante, car un sourire railleur vint lui caresser le visage.
Fantômas toutefois, sortit vite de cette songerie.
– J’arriverai à savoir cela, murmurait-il, en questionnant « ma » chère sœur. Cette excellente Antoinette, qui fait preuve à mon endroit de si beaux scrupules. Bon, laissons donc de côté l’explication des motifs du meurtre de Chambérieux qui ne m’intéressent pas. Je devrais tâcher, pour être logique avec ma ligne de conduite habituelle, de découvrir maintenant un moyen de rattraper le premier voleur et, surtout, l’objet de ce premier vol. Ce n’est pas facile.
Fantômas sourit derechef. D’un coup d’œil il embrassa la petite pièce aux murs tendus de papier vert, ornés de panoplies démodées, qui était devenue, par la subtile ironie des circonstances, son cabinet de travail.
Il considéra, goguenard, entre la fenêtre grillagée et la glace surmontant la cheminée où brûlait un confortable feu de bois, le grand placard dont les portes entrouvertes laissaient entrevoir une collection d’imprimés de toutes formes et de toutes dimensions.
– Moi qui, depuis des années, suis sous le coup d’un mandat d’arrêt, dit-il, voilà maintenant que je dispose de tous les pouvoirs d’un juge d’instruction : mandat de comparution, mandat de dépôt, mandat d’emprisonnement, permis de visite, ordonnance de mise au secret. J’ai là toutes les formules légales, et à portée de ma main, voici le sceau destiné à les rendre exécutables par toutes les autorités civiles et militaires. Parbleu, mon intérêt est d’arriver à retrouver rapidement les auteurs des différents vols pour arriver à m’emparer, plus rapidement encore, du produit de leurs forfaits. Mais c’est là une tâche qui m’est bien facilitée par les fonctions que j’exerce à cette heure. Je suis juge d’instruction, c’est en juge d’instruction que je vais opérer.
Fantômas, quelques minutes encore, se replongea dans l’étude des paperasses qu’il avait sous les yeux et dans lesquelles, à travers toutes les erreurs du précédent juge, toutes les ignorances des magistrats honnêtes qui étaient devenus ses collègues, il découvrait les indices précieux devant lui faciliter la tâche qu’il s’assignait.
– Ma foi, songeait Fantômas, quand je n’étais que bandit, j’arrivais toujours à mes fins. Il serait drôle que, disposant maintenant d’appuis officiels, je ne réussisse plus.
Mais, force était à l’Insaisissable d’interrompre sa vaniteuse songerie.
À la porte de son cabinet, on venait de frapper un coup discret.
– Entrez, commanda Fantômas, d’une voix assurée.
C’était un gendarme, qui, ayant fait respectueusement le salut militaire, s’immobilisa dans la position réglementaire, les talons joints, la main sur la couture du pantalon, le regard au sol.
– Monsieur le juge, commença respectueusement le digne serviteur de l’ordre, je viens, rapport aux instructions que vous avez sans doute à me donner relativement aux interrogatoires ?
– Attendez, gendarme.
– Bien, monsieur le juge.
Fantômas éprouvait un secret plaisir à commander les gendarmes. Il feignit donc par luxe pur de s’absorber dans la lecture de différents documents, au bas desquels il signait un Charles Pradier, merveilleusement imité sur la marque du vrai Pradier dont il avait découvert le modèle dans une lettre personnelle adressée à l’hôtelier de Saint-Calais pour annoncer son arrivée.
Ayant terminé, Fantômas daigna lever la tête vers le gendarme :
– Qu’est-ce que vous vouliez, mon ami ?
– Monsieur le juge, je venais voir si vous aviez des inculpés à entendre ce matin ?
– Non, j’étudie des dossiers en ce moment, je ne suis pas encore assez au fait des instructions en cours pour procéder aux interrogatoires. Ah, j’entends même, à ce sujet, vous donner des ordres.
Fantômas se leva, gagna l’armoire aux formules, prit quelques-unes de celles-ci, dont il remplit les blancs, puis qu’il tendit au gendarme :
– Portez cela au gardien-chef de la prison, ordonna-t-il, ce sont des ordonnances de mise au secret. Je veux et j’entends que les prévenus, dorénavant, ne puissent jamais recevoir de visite sans que j’en sois averti. Allez, gendarme.
– Bien, monsieur le juge.
Le gendarme, pourtant, ne se retirait pas encore.
– Vous avez quelque chose à me dire ?
– Monsieur le juge, c’est pour le rapport ?
– Mais cela concerne le procureur ?
– Le procureur m’a dit, monsieur le juge, de venir trouver M. le juge parce que M. le juge aurait peut-être des choses intéressantes à relever dans mon rapport.
Fantômas sourit, d’un sourire qu’il s’efforçait de faire à la fois blasé et fatigué, puis, il se renversa sur le dossier de son fauteuil :
– Parlez, gendarme, je vous écoute.
À ce moment, on frappa encore à la porte du cabinet du juge d’instruction.
– Entrez.
C’était la concierge du Palais de Justice :
– Monsieur Pradier, commença-t-elle, je ne vous apporte pas le courrier.
– C’est insupportable, je vous ai déjà prévenue, madame la concierge, que je voulais mon courrier tous les matins dès mon arrivée au Palais. Pourquoi ne m’apportez-vous pas le courrier ?
– Je ne vous apporte pas le courrier, monsieur le juge, parce qu’il n’y a rien pour vous ce matin.
Il y avait de quoi être désarmé. Fantômas ne le fut aucunement, car il lui plaisait de se montrer désagréable pour mieux se faire respecter.
– Alors, ce n’était pas la peine de venir me déranger. Allez, madame, allez.
Puis, la concierge une fois sortie, se retournant vers le gendarme, Fantômas interrogea encore :
– Le rapport, mon ami, et vite.
– Monsieur le juge, il n’y a rien au rapport, sauf, cependant, une petite chose.
Au terme de ce préambule, le gendarme prit la voix officielle pour débiter : « Il a été perdu et retrouvé par le gendarme Polydore Marasquin, une chambre à air d’automobile appartenant vraisemblablement à une automobile ayant circulé sur la route de Bessé-sur-Braye à Saint-Calais, portant le numéro apparent 3208 E-7. Cette chambre à air est avariée et en mauvais état, mais pouvant encore faire un long service. »
Fantômas interrompit à cet endroit précis le rapport du brave gendarme :
– Passez. Cela n’a pas d’intérêt pour moi.
Le gendarme, pourtant, ne se démonta pas :
– Faites excuse, monsieur le juge, M. le procureur a dit comme ça que c’était essentiel pour vous, rapport à ce que cette chambre à air avait été perdue à quelque distance de l’endroit du corps de M. Chambérieux, assassiné, et aussi que la voiture étant du Mans.
Fantômas, ahuri, car il ne comprenait pas très bien pourquoi le procureur semblait prendre intérêt au rapport du gendarme, coupa d’un ton sec :
– Il suffit, gendarme. Attendez-moi ici. Je vais voir M. le procureur.
Fantômas abandonna son cabinet personnel, se dirigea vers le Parquet du Tribunal.
M. Anselme Roche suspendit son travail pour accueillir familièrement son collègue.
– Ah, vous voilà, mon cher Pradier ? votre santé est bonne ce matin ? Oui ? vous êtes remis des émotions de votre arrivée ? Allons, tant mieux. Et quoi de neuf ?
– Cher monsieur, répondit Fantômas en serrant amicalement la main de M. Roche, je viens vous voir au sujet du rapport de la gendarmerie. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de chambre à air retrouvée ?
– Une histoire très intéressante, mon bon, affirma le procureur, visiblement convaincu. Une histoire extraordinaire. On a retrouvé sur la route de Bessé une chambre à air d’automobile, perdue par une automobile venant du Mans, et cela le jour même où vous arriviez et où Chambérieux était assassiné. J’ai immédiatement pensé que ce pouvait être une piste intéressante pour votre instruction, d’autant qu’en vérité, si je ne m’abuse, la voiture est connue. J’ai pu faire préciser aux gendarmes la chose, c’est une voiture qui est mise en location par un garage du Mans.
– En effet, monsieur le procureur, répondit Fantômas du ton le plus sérieux, c’est peut-être une piste. Et, de toutes façons, rien n’est à négliger. Qui a cette chambre à air ?
– Le gendarme. Il ne vous l’a pas remise ?
– Je vais la lui demander immédiatement…
– C’est cela. Voyez s’il n’y a rien d’intéressant à chercher de ce côté. Au besoin, vous pourriez envoyer une commission rogatoire au parquet du Mans ?
– Soyez tranquille. Je fais le nécessaire, monsieur le Procureur.
Fantômas, de plus en plus amusé par les multiples occupations incombant à sa charge de magistrat instructeur, retourna auprès du gendarme qui, patiemment, l’avait attendu, debout, immobile, n’osant pas s’asseoir.
– Gendarme, vous avez la chambre à air en question.
– La voici, monsieur le juge.
De son bissac, le gendarme tira en effet une chambre à air qu’il tendit au magistrat.
***
– Toi, mon vieux, j’aime autant ne pas te mâcher la viande, tu commences à me corner dans les oreilles. Et, sûr de sûr, si tu fais encore le malin, je m’en vas être amené à te mesurer la figure avec mes cinq phalanges.
– Tais-toi donc. Bébé. Tu sais bien que ce que je te dis, c’est la raison même. Au juste poids.
– Eh ben, t’as pas peur.
– Sûr que non, que j’ai pas peur.
– Oui, mais ça va bien mon colon. Tu veux faire le malin ? Eh bien, je te dis : j’en ai ma claque. Ah mince alors. C’est pas la règle du jeu, ça. Tu poses un et tu retiens tout.
– Non, je retiens pas tout, je prétends voir seulement à ce que tu ne me rafles pas le magot.
– Traite-moi de voleur, alors ?
– Parbleu, Bébé, je m’en priverai.
– Ribonard, mon vieux, ça va tourner mal. J’ai le caractère doux, mais faut pas m’agacer les dents.
– Calme-toi, Bébé. Inutile de me la faire « à l’oseille ». Tu ne m’avaleras pas, tout de même.
– J’te piquerai bien.
– Oh ! faudrait voir, on est deux.
– J’dis pas le contraire, mais je crois tout de même qu’en face de mézigue, tu pèserais pas lourd. Et puis, c’est pas tout ça, où ce qu’est l’argent, où ce que sont les bijoux.
– L’argent ? j’l’ai pas. Tu l’sais bien. Pour ce qu’est des bijoux, j’t’en donnerai ta part. Et voilà tout.
– Autant dire que tu me conseilles de me brosser ? Eh bien, mon vieux, je ne marche pas.
Depuis une heure déjà, Bébé et Ribonard échangeaient des propos aigres, nichés – c’est le terme exact – sur le toit d’une sorte de hangar dressé dans l’un des faubourgs de la ville.
Bébé était de plus en plus furieux. Ribonard s’obstinait.
Bébé, à bout d’argument, répéta :
– Non, je ne marche pas. Plutôt que d’être « fait » par toi, mon poteau, j’aimerais mieux faire parler le petit bijou que voici.
L’apache montrait un revolver. En proie à une colère froide, il compta :
– Si, à trois, tu ne m’as pas renseigné, fais tes prières, Ribonard, c’est sérieux. Allez, parle, un, deux.
– La paix.
Alors, entre les deux complices stupéfaits, un homme se précipita, un homme grand, mince, bien découplé, dont le visage était recouvert d’un masque noir.
Si subite avait été l’arrivée de cet inconnu que Ribonard et Bébé, l’un comme l’autre, demeurèrent quelques secondes incapables d’un mouvement, littéralement figés sur place.
Ribonard, le premier, reprit son sang-froid.
– Qu’est-ce que tu veux, toi ? commença-t-il.
Mais déjà Bébé s’était redressé :
– Ah, nom de Dieu faisait le bonimenteur qui parlait d’une voix tremblante, ah, nom de Dieu, si je m’attendais à celle-là. J’en cracherai ma langue. C’est toi, Fantômas ? Toi ?
– C’est moi.
– Mais t’es donc cavale dé prison ? t’as donc joué la fille de l’air ? Ah, cré nom, en v’là une histoire, vrai, elle me reste sur l’estomac. J’peux pas croire ce que mes yeux voient. Excusez du peu. Fantômas ici, au Mans, à deux pas de Saint-Calais. Ah, mince alors, c’est toi Fantômas ? Dis, vrai Dieu, c’est toi ? j’en suis comme deux ronds de flan. La sueur m’en coule, au long de la gouttière. Ah, pour une surprise, c’en est une. Mais qu’est-ce que tu viens foutre là tout de même ? C’est bien toi Fantômas ?
– Eh oui, Bébé, si étrange que cela te paraisse, c’est bien moi. Tout ce qu’il y a de plus moi.
L’Insaisissable se tut, puis changeant de voix, il reprit :
– C’est moi, le Maître, Bébé. Et je ne te cacherai pas que je ne suis pas très satisfait de la façon dont toi et Ribonard vous vous disputiez tout à l’heure. Suffit-il maintenant que je sois absent quelques heures pour que les Ténébreux en viennent à se menacer les uns les autres ?
Ribonard voulut intervenir :
– Hé là, cherre pas tant, Fantômas, tu dis que tu as été absent « quelques heures », mince, combien qu’il t’en faut, de campagne, pour que tu comptes un jour ?
– Assez, tu parleras quand je te le dirai.
Fantômas se retournait vers Bébé :
– Qu’aviez-vous à vous disputer tous les deux ? qu’exigeais-tu de Ribonard ?