Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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27 – HEURES D’ANGOISSE
– Quoi ? fit Fantômas, d’une voix irritée et du ton d’un homme qui est excédé d’être dérangé perpétuellement.
Le brave concierge prit une mine affectée :
– Je vous demande bien pardon, monsieur le juge, ça n’est pas de ma faute, mais M. le procureur général m’envoie voir si vous êtes à votre cabinet.
– Alors, fit Fantômas, mettons que j’y suis. Que faut-il ?
– Dans ce cas, déclara le concierge, du moment que vous y êtes, monsieur le juge, M. le procureur général m’a chargé de vous dire qu’il serait très désireux de vous voir.
– Mais je sors de son cabinet.
– Je ne dis pas le contraire, monsieur le juge.
– C’est bien, je me rends à l’instant chez M. le procureur général. D’ailleurs, il est tout près de midi, et c’est le moment de s’en aller déjeuner.
Le faux magistrat, tout en revêtant en hâte son pardessus, en coiffant son chapeau, disait à Croupan, le commis-greffier :
– Vous pouvez vous en aller, mais dépêchez-vous de prendre votre repas. Il faut que vous soyez là dans une heure et demie au plus tard, nous avons à travailler, cet après-midi.
Le commis-greffier jeta un mauvais regard à ce patron décidément trop fanatique.
Fantômas, avec une hâte fébrile, s’était rendu chez le procureur.
Comme il traversait les couloirs, malgré son intention d’arriver vite, il fut arrêté en cours de route par des membres du Tribunal, des avocats, qui venaient de se produire. Depuis le matin, d’ailleurs, l’affolement régnait au Palais de Justice.
Tout le monde, dans le milieu judiciaire, savait que, la veille au soir, le fameux extradé de la prison de Louvain, l’homme qui était emprisonné dans la célèbre maison cellulaire de Belgique, qu’on amenait pour être jugé à Saint-Calais sous l’inculpation d’être l’auteur moral de tous les crimes commis ces temps derniers, avait réussi à s’évader grâce à des complicités de deux individus, que Fantômas, était libre.
Et l’on demandait au juge Pradier des renseignements, des détails, que le faux magistrat d’ailleurs s’abstenait de fournir.
– Je ne sais rien, messieurs, rien de plus que ce que vous savez vous-mêmes, affirmait-il en s’arrachant d’un groupe de curieux qui sollicitaient ses confidences.
Puis Fantômas, accélérant encore son allure, parvint enfin au cabinet du procureur général.
– Vous m’avez fait demander ?
– Oui, j’ai du nouveau à vous apprendre, mon cher Pradier.
– De quoi s’agit-il ?
– Parbleu, toujours de la même affaire, de la terrible histoire de la gare de Connerré.
– Aurait-on repincé Fantômas ?
– Non, avoua le procureur. On n’a pas repris ce bandit. Mais on a arrêté les individus qui l’ont fait évader.
– C’est déjà quelque chose.
– C’est même beaucoup, car, je suis persuadé qu’en interrogeant habilement ces individus, deux apaches, d’ailleurs, que nous connaissons, nous allons finir par découvrir la trame d’un véritable complot ourdi en faveur de l’effroyable bandit Fantômas. Mon cher Pradier, ces hommes sont en route pour Saint-Calais, je viens de l’apprendre à l’instant par une dépêche de service, et dès deux heures de l’après-midi, ils seront à votre disposition. Naturellement, je compte sur vous pour mener à bien votre enquête.
– Monsieur le procureur, vous pouvez être assuré de mon concours le plus dévoué.
– Je n’en doute pas, Pradier, je n’en doute pas.
Là dessus, Fantômas disparut. Le procureur immobile, songeur, murmura :
– Pourvu que nous finissions par en sortir.
***
Fantômas, ou pour mieux dire le juge Pradier, depuis qu’il était arrivé à Saint-Calais, n’avait pas même pris le temps de s’assurer un domicile.
Il était descendu le premier soir à l’Hôtel Européen, et il y était resté, y prenant ses repas dans une petite salle à part, couchant dans la chambre qu’il avait occupée la première fois qu’il arrivait à Saint-Calais.
Fantômas déjeunait ce jour-là sans le moindre appétit. L’effroyable bandit semblait de plus en plus inquiet sur les suites de l’aventure dans laquelle il s’était fourvoyé. La situation se compliquait pour lui. Et cependant, malgré tout, il avait confiance en son étoile. Il ne doutait pas que les choses s’arrangeraient au mieux de ses intérêts et de ses désirs.
Le Roi du Crime se trompait.
Certes, le coup audacieux qu’il avait combiné avait l’air d’avoir réussi, le personnage mystérieux qui se trouvait à sa place à la prison de Louvain avait été bel et bien mis en liberté. Mais Fantômas avait donné des instructions aux deux complices chargés d’assurer cette évasion et leur avait ordonné de faire disparaître ensuite le prisonnier arraché aux gendarmes, et de le tuer sans rémission. Or, Fantômas, s’il avait appris que la première partie de son projet était réalisée, n’avait point entendu dire qu’un meurtre eût été commis sur la personne de l’extradé. Cela le préoccupait singulièrement, car il redoutait que les bandits, ses complices, n’eussent manqué leur coup. Et puis, avaient-ils besoin de se faire arrêter ? Ce n’était pas indispensable, et même c’était maladroit, car, il n’y avait pas à en douter, le procureur venait de l’en informer. Bébé et l’Élève avaient été appréhendés.
– Enfin, se dit Fantômas après avoir consulté sa montre, d’ici une heure je serai renseigné. D’ici une heure, d’ailleurs, il se sera peut-être passé bien des choses.
Ici le bandit fut interrompu dans ses réflexions ; le garçon qui le servait à table lui apportait une lettre :
– De la part de la marquise de Tergall.
Le garçon l’interrogeait :
– Y a-t-il une réponse ?
Fantômas déchira l’enveloppe, lut :
– Non, fit-il, vous pouvez vous retirer.
Resté seul, le faux juge d’instruction, dont le front se marquait d’un pli soucieux, relut la lettre qu’il venait de recevoir :
Monsieur,
Ne comptez pas sur moi aujourd’hui, les formalités que j’ai à remplir et dont vous connaissez la nature me retiendront au Mans jusqu’à une heure avancée, mais j’irai demain, sans faute, vous trouver à votre cabinet et dès lors je me mettrai en règle vis-à-vis de vous,
Antoinette de Tergall.
Fantômas réfléchissait à la teneur de cette lettre, dont il pouvait seul comprendre le sens exact.
Depuis l’assassinat du marquis de Tergall, la situation était assez tendue entre le bandit et la malheureuse veuve qui se croyait la sœur du juge Pradier.
Tout d’abord, Antoinette de Tergall affolée autant par la mort de son mari que par les hypothèses soupçonneuses et de nature à la compromettre qu’avait intentionnellement formulées Fantômas-Pradier, s’était dit que coûte que coûte il fallait supplier le juge d’instruction de ne pas révéler sa parenté avec elle, afin qu’il ne fût pas obligé de se dessaisir de l’affaire.
Et de la sorte, l’innocente s’était en somme donné vis-à-vis de son frère, ou du moins de celui qu’elle prenait pour tel, une attitude de coupable.
Puis, les premiers jours de sa tristesse aiguë passée, la marquise avait réfléchi et s’était juré qu’il fallait absolument dissiper dans l’esprit de Pradier les soupçons qui avaient pu y naître et s’y ancrer. Et la jeune femme s’était promis d’y parvenir dans le plus bref délai.
Une autre question s’était également posée à son esprit, et, très honnête, très droite, la marquise avait décidé, puisque désormais elle était veuve, de se mettre en règle par rapport à son frère, aux intérêts si longtemps lésés du fait des circonstances.
Antoinette de Tergall avait alors informé Pradier qu’elle voulait lui rembourser les cinq cent mille francs de l’héritage maternel.
Tant mieux, s’était dit Fantômas.
La marquise avait promis à son frère de venir ce jour-là et Fantômas y comptait avec d’autant plus d’impatience que la nature des événements qui se produisaient lui faisait envisager très sérieusement la perspective d’un prochain et rapide départ. Et le bandit tenait à s’assurer, au préalable, la possession de cet or.
Au reçu de la lettre d’Antoinette de Tergall, le faux Pradier eut peur. Est-ce que par hasard ce prétexte ne signifiait-il pas en réalité un changement dans les idées de la jeune femme ?
– Après tout, se dit-il, il ne faut pas se frapper. J’ai encore du temps devant moi, et pour peu qu’elle vienne demain avec les cinq cent mille francs, tout s’arrangera pour le mieux.
Fantômas, ayant achevé son café, alluma un cigare et sortit. Il était une heure à peine et le faux magistrat avait encore quelques bonnes minutes devant lui avant de regagner le Palais de Justice.
Il s’en alla à pied dans la direction des faubourgs, histoire de faire une petite promenade hygiénique. Bientôt il fut dans la campagne. Il cheminait sur la route déserte, les yeux baissés, l’esprit préoccupé, lorsque soudain deux individus surgirent de derrière un bouquet d’arbres. Fantômas, en les apercevant eut un sursaut d’étonnement. C’étaient Bec-de-Gaz et la mère Toulouche, que le faux juge d’instruction, deux jours auparavant, avait fait relâcher en leur intimant officiellement l’ordre de quitter le pays.
Or, ils n’avaient pas obéi.
– Comment se fait-il, interrogea Fantômas, que vous soyez encore là ? Je vous avais pourtant ordonné de disparaître d’ici.
– Ouais, sans doute, mais ça c’était un ordre du juge d’instruction, et comme le « curieux » de ce patelin c’est toi, Fantômas, tu comprends qu’on a mis tes ordres dans sa poche et qu’on s’est assis dessus sans plus y faire attention.
– Comprends bien ce que je vais te dire, Bec-de-Gaz, je veux que tu t’en ailles, toi, les autres, tous ceux que j’ai mis en liberté et tous ceux que je lâcherai encore. J’ai des raisons pour ça.
De sa voix nasillarde et chevrotante, la mère Toulouche intervint :
– Ça se peut que Fantômas ait ses raisons pour se débarrasser des aminches, mais les aminches comme Bec-de-Gaz et la mère Toulouche ne veulent pas se débiner sans avoir eu leur part de fête. Faudrait voir à raquer avant de nous tirer ta révérence. Et puis, c’est pas des acomptes qu’il nous faut, c’est le partage.
– Vous savez bien, déclara Fantômas, que j’ai très peu d’argent et que le moment n’est pas encore venu.
– Blagueur, tu as la galette que tes flics ont barboté à cette pauvre Mirette la nuit des arrestations dans le bal public.
– Cet argent, je ne peux pas en disposer, il est consigné au greffe.
Mais la mère Toulouche n’admettait pas ces explications.
– Inutile, commença-t-elle, de nous faire du boniment, ça ne colle pas. Ça ne colle plus, tu nous as eus bien trop souvent pour que tes histoires de l’autre monde prennent encore chez les vivants, chez les costauds de la bande des Ténébreux. Il nous faut de l’argent.
Bec-de-Gaz surenchérit :
– Il nous faut aussi les copains. Rosa doit sortir de prison, tu l’as promis.
– Comme c’est commode, s’écria Fantômas, de vous relâcher tous, je ferai de mon mieux, mais je vous assure que c’est difficile. Voyons, soyez raisonnables et d’ici quelques jours je vous donne ma parole d’honneur que tout le monde sera satisfait.
– Fantômas, répondit la mère Toulouche, on veut bien te faire crédit quarante-huit heures encore. Sûr qu’on ne rentrera pas à Paris d’ici là, comme tu l’as commandé, mais on restera bien tranquilles, bien sages dans la région. Tu vas nous donner un peu de pèze pour qu’on se cale les joues, en attendant, comme des bourgeois.
– Soit, fit Fantômas, qui dissimulait mal la colère qui grondait au fond de son âme.
Le bandit tira néanmoins quelques billets de banque de sa poche et les tendit à la vieille receleuse :
– Tiens, voilà pour toi, tu nourriras Bec-de-Gaz avec.
La vieille empocha l’argent :
– À la bonne heure ! Fantômas, je te reconnais… et d’ailleurs il vaut mieux que nous restions bien ensemble. Car, suppose que tu viennes à nous monter le coup, il pourrait y avoir à la suite de ça des indiscrétions fâcheuses pour toi dans le pays. Suppose que quelqu’un vienne à raconter que M. le juge d’instruction Pradier n’est autre que le célèbre Fantômas, on se demanderait peut-être comment il se fait que le prisonnier de Louvain a obtenu une aussi belle situation. On ferait des enquêtes, des histoires. Est-ce bien la peine ? Tandis que si tu t’arranges avec nous.
– J’ai compris. Vous auriez bien tort de bavarder sur cette question, car vous pouvez être tranquilles, ce n’est pas moi qui vous ferai du tort.
Bec-de-Gaz, voyant que l’implacable bandit temporisait, empêcha la mère Toulouche d’insister :
– Mais oui, mère Toulouche, dit-il, d’un ton conciliant, tu vois bien que Fantômas est sincère. Tenons-nous tranquilles pendant deux jours, comme on l’a proposé. D’ici là, le patron est bien assez costaud pour sortir Mirette et les copains de la tôle, comme il nous en a sortis. Il s’en ira lui-même avec la bonne galette du marquis de Tergall, et dès lors, on s’arrangera tous ensemble. Pas vrai, Fantômas ?
Fantômas avait acquiescé, serré les mains des deux bandits, puis était revenu à pas précipités, dans la direction du Palais de Justice.
– Ah les salauds, grommelait-il, ils veulent me faire chanter, je suis dans une situation telle qu’il m’a fallu leur donner l’impression que je cédais à leurs menaces. Mais rira bien qui rira le dernier. Ce n’est pas impunément que l’on tient tête à Fantômas. Et je crois que ces pygmées ont voulu se mesurer avec le Géant. Soit. Il leur en coûtera chaud. La vengeance de Fantômas sera formidable.
Tout en nourrissant ainsi de funestes projets, le faux magistrat arrivait au Palais de Justice, avait pénétré dans son cabinet.
– Monsieur le juge, déclara en se levant, le brave commis-greffier Croupan, ils sont arrivés, ils sont là.
– Ils sont là ? qui donc, expliquez-vous, que diable !
– Mais, je croyais que vous le saviez, monsieur Pradier, ce sont les bandits de l’autre jour que l’on a rattrapés, vous savez bien, ceux qui, la nuit dernière, ont fait évader Fantômas, mais qu’on a fort heureusement pu arrêter.
– Bon, nous allons procéder immédiatement à leur interrogatoire.
Quelques instants plus tard, dans le cabinet du juge instructeur, au milieu duquel Fantômas, s’étant composé un visage impassible, siégeait avec la dignité convenable, deux gendarmes introduisaient ceux qu’ils avaient arrêtés la nuit précédente.
Fantômas leva les yeux sur les représentants de l’autorité, leur désignait de la main deux sièges, pour y faire asseoir leurs prisonniers.
Il parcourut des yeux le procès-verbal rédigé par l’un des deux gendarmes et, ayant achevé sa lecture, il commença son interrogatoire…
– Je résume les faits, commença-t-il :
« Les gendarmes ici présents, qui avaient pour mission d’amener à Saint-Calais un détenu confié par la police belge aux autorités françaises, ont été victimes d’un guet-apens, d’une attaque au cours de laquelle ils ont laissé échapper l’individu confié à leur garde, lequel s’est sauvé et n’a pu être repris, individu que l’on désigne, d’ailleurs, sous le nom de Fantômas.
« … Par contre, les deux gendarmes ici présents, s’ils n’ont pas pu rattraper leur prisonnier, se sont emparés des deux complices qui l’ont fait évader, et ils ont amené lesdits complices à Saint-Calais. Ce sont ces deux hommes qui se trouvent désormais en notre présence, dans notre cabinet de juge d’instruction. »
Ayant achevé, Fantômas leva les yeux sur les deux gendarmes et les considéra ; c’était qu’en effet le sinistre bandit avait soudain le pressentiment très net que les visages de ces hommes ne lui étaient pas inconnus. Assurément, ces gendarmes n’étaient pas des gendarmes ordinaires. Il avait vu leurs yeux quelque part, dans d’autres circonstances, et cependant qu’il les examinait, Fantômas avait l’impression que les représentants de la maréchaussée le considéraient aussi avec une insistance étrange.
Cependant, grâce à la disposition de son bureau, le faux magistrat se trouvait placé à contre-jour, tandis qu’au contraire les gendarmes étaient éclairés en plein visage. Fantômas, d’ailleurs, ne redoutait pas d’être reconnu. Il avait une telle habileté dans l’art du maquillage que rien du juge Pradier qu’il incarnait en ce moment ne ressemblait de près ou de loin au personnage de Fantômas qu’il était en réalité. Les gendarmes, d’ailleurs, ne sourcillaient point.
Soudain, Fantômas fit un faux mouvement et renversa son encrier.
Le commis-greffier se précipitait, réparant en hâte le désordre que l’épanchement de l’encre avait déterminé sur le bureau. Fantômas, une seconde, avait failli manquer de sang-froid. Il avait enfin reconnu les deux gendarmes qui se trouvaient en face de lui. Cela, il en était sûr. Ces deux gendarmes n’étaient autres que les deux agents de la Sûreté Léon et Michel qui, quelques semaines auparavant, s’étaient si activement acharnés à sa poursuite depuis Bruxelles jusqu’à Nantes et qu’il n’avait pu dépister à partir de Saumur qu’en commettant le crime auquel il devait désormais d’occuper la place où aurait dû se trouver le vrai Pradier, son infortunée victime.
Fantômas se demandait avec anxiété pourquoi ces inspecteurs étaient déguisés en gendarmes, comment il se faisait que des hommes aussi habiles qu’eux avaient pu se laisser arracher leur prisonnier par des gaillards aussi médiocres que Bébé et l’Élève ? Léon et Michel n’avaient-ils pas volontairement libéré l’homme qu’on extradait de Louvain et, dès lors, une fois de plus, le bandit cherchait à deviner quel pouvait bien être cet homme ?
Très sérieusement, à ce moment, Fantômas, qui sentait que la situation se compliquait de plus en plus, songea à s’enfuir brusquement. Il avait presque peur, il avait l’impression de se trouver au centre d’un énorme filet invisible dont les mailles, peu à peu, se resserraient autour de lui. Partir, sans doute rien n’était plus facile, mais que devenir ? Comment vivre ?
Une heure auparavant, le bandit, harcelé par les menaces de Bec-de-Gaz et de la Toulouche, leur avait remis les quelques centaines de francs qu’il avait sur lui, il était sans argent. Certes, au greffe, les deux cent cinquante mille francs repris à Rosa étaient à sa disposition en tant que juge, mais quel prétexte invoquer pour se les faire délivrer à l’instant même ? Et, d’autre part, il y avait encore pour lui cinq cent mille francs à toucher le lendemain, les cinq cent mille francs de la marquise de Tergall. Avec les bijoux rendus par le cadavre de Ribonard, et qu’il pourrait également retirer du greffe s’il en avait le temps, Fantômas aurait un million à sa disposition ; dès lors, il pourrait fuir, mais il fallait gagner quelques heures, attendre le lendemain. Coûte que coûte, il fallait arriver au lendemain. En l’espace d’une seconde, Fantômas avait envisagé la situation. Certes, elle était compliquée, presque inextricable, mais désespérée, non. Après tout, il avait l’avantage.
Certes, il ne savait pas à quelle fin Léon et Michel s’étaient déguisés en gendarmes, mais il les avait reconnus, tandis que les inspecteurs de la Sûreté n’avaient pas découvert que le juge d’instruction devant lequel ils amenaient leurs piètres captures n’était autre que Fantômas. Et Fantômas, jouant avec plus d’aplomb encore son rôle de magistrat, commença l’interrogatoire, sans plus s’inquiéter désormais des policiers :
– Vos nom, prénoms, qualité, domicile ? demanda-t-il, jetant un regard sévère sur Bébé.
Le jeune apache n’était aucunement ému de se trouver en présence de ce juge dont il ne redoutait rien (car Bébé avait une confiance aveugle dans le sinistre bandit qui incarnait pour lui la divinité du crime). Et Bébé, fier de montrer à Fantômas qu’il savait, à l’occasion, se conduire en homme intelligent, répondit, avec un profond respect, comme s’il se fût agi d’un véritable magistrat :
– Monsieur le juge m’excusera, mais j’ai jamais eu de parents, et on ne me connaît pas sous un autre nom que celui de Bébé. Vous pouvez mettre ça sur votre papier. Quant à mon âge, il doit varier entre huit et soixante-quinze ans.
Fantômas, poursuivant la comédie, s’adressa aux gendarmes :
– Vous n’avez pas d’autres renseignements sur l’identité de cet individu ?
Michel répondit :
– Ma foi, non, monsieur le juge d’instruction, il doit dissimuler son nom, et nous ne le connaissons pas.
L’interrogatoire se poursuivit, très précis en apparence, mais en fait, très vague. Fantômas menait adroitement son enquête, ne faisant dire à Bébé et à l’Élève que des choses sans importance. Il brûlait toutefois de leur poser une question : Qu’était devenu le mystérieux prisonnier qu’ils avaient fait s’évader de la gare de Connerré ? Il était douteux qu’ils eussent réussi à le tuer comme Fantômas l’avait recommandé, mais peut-être savaient-ils quel était cet homme, et pouvaient-ils fournir à Fantômas, tout en ayant l’air de répondre au juge d’instruction, des renseignements intéressants.
– Bébé, interrogea le faux juge, l’acte que vous avez commis ne me paraît guère excusable. Connaissiez-vous donc le prisonnier qu’emmenaient les gendarmes, que vous avez osé vous porter à son secours et que vous avez entrepris de lui faciliter sa fuite ? Répondez sincèrement et il vous sera tenu compte de vos aveux.
– M’sieu le juge, répondit Bébé en affectant un air hypocrite, mais en clignant de l’œil du côté de Fantômas pour bien lui faire comprendre qu’il fallait faire attention à ce qu’il allait dire, monsieur le juge, je vas vous parler en toute sincérité. Voilà l’histoire. Depuis quelques jours, on attendait un copain qui devait finir de tirer son temps à la prison de Chartres et on se disait : Il va revenir dans la région parce qu’il sait que nous y sommes. Précisément, hier soir, on était aux environs de Connerré et on parlait de lui lorsque tout d’un coup l’Élève me dit comme ça : « Regarde donc, Bébé, on dirait que c’est Julot. » « Julot ? que je lui réponds, et où donc ? » L’Élève, alors, monsieur le juge, me désigne un groupe de trois personnes et je reconnais en effet l’une d’elles qui ressemblait à notre ami Julot. Précisément, cet homme était en train de se débattre entre deux individus qui le maintenaient. Nous autres, sans réfléchir plus loin, quand on a vu qu’ils étaient deux contre un, on s’est porté au secours de l’isolé, d’autant plus qu’on croyait que c’était Julot. Or, voilà t’y pas qu’une bataille est intervenue. Ces choses-là, ça arrive sans qu’on s’en rende compte. On n’a pas résisté longtemps, l’Élève et moi, car on s’est aperçu tout d’un coup que les deux adversaires qui tombaient sur nous, ou si vous aimez mieux, sur qui on était tombé, c’étaient messieurs les gendarmes. Ils nous ont d’ailleurs arrêtés, et voilà toute l’affaire.
– Bien. Était-ce votre ami Julot qui se trouvait entre les mains des gendarmes ?
– Mais non, s’écria Bébé, mais non, monsieur le juge, et c’est ça le plus embêtant, ou le plus rigolo de toute l’affaire. C’est qu’en somme nous sommes venus nous mêler d’une histoire qui ne nous regardait pas. Car le prisonnier de MM. les gendarmes n’était pas notre ami. Il s’est sauvé sans qu’on ait de nouvelles de lui. Sans même que, par politesse, il soit venu nous donner un coup de main pour nous aider à nous débarrasser de MM. les gendarmes.
– En somme, le prisonnier s’est enfui, et, par son attitude, il semble qu’il ait été très heureux de vous voir pincés à sa place.
– C’est précisément comme vous dites.
Fantômas interrogeait encore, le regardant dans les yeux :
– Et vous ne le connaissez pas du tout cet homme ? Cet évadé ? Vous n’avez aucune idée de qui cela peut être ?
Fantômas s’aperçut que Bébé avait bien quelque chose à répondre, mais qu’il hésitait à le faire, ne sachant pas si cette réponse, le juge Pradier pouvait l’entendre, ainsi que les gendarmes et le greffier, ou s’il valait mieux la réserver à Fantômas tout seul. Le faux juge comprit l’interrogation muette de son complice.
L’ayant regardé fixement, il abaissa ensuite lentement les paupières, pour lui dire qu’il pouvait parler.
Puis il déclara à haute voix :
– Bébé, si vous savez quelque chose, dites-le, la justice vous tiendra compte de votre sincérité.
– Eh bien, déclara brutalement l’apache, j’aime autant ne pas vous le cacher plus longtemps, monsieur le juge, j’ai comme une vague idée que le prisonnier de ces messieurs, c’était une personne que j’ai déjà vue ici, à Saint-Calais, un jeune homme à la petite moustache blonde, qui écrit dans les journaux, j’ai même entendu dire qu’il s’appelait Jérôme Fandor.
Fantômas ne tressaillit pas, mais il sentit soudain une sueur froide qui perlait à son front.
Certes, il n’avait qu’à s’en prendre à lui-même s’il trouvait que Bébé avait trop parlé, car c’était lui qui l’avait invité à le faire.
Fantômas ne regrettait pas cette révélation de son complice, mais il sentait que désormais il allait être obligé d’interroger les faux gendarmes et de les contraindre à déclarer pourquoi ils emmenaient dans la nuit sombre le journaliste Jérôme Fandor.
Qu’allait-il résulter de cette enquête ?
Fantômas, qui tout en écoutant parler Bébé, ne perdait pas de vue Léon et Michel, constatait qu’au nom de Fandor les deux hommes avaient tressailli, manifesté une certaine gêne. Fantômas, une seconde, hésita. Malgré toute sa perspicacité et sa présence d’esprit, il se demanda ce qu’il convenait de faire, comment orienter son instruction. La situation était désormais pour lui confondante, inextricable.
Depuis trois heures déjà l’enquête durait, trois heures pendant lesquelles Fantômas était demeuré face à face avec Léon et Michel. Il avait jusque-là bénéficié de la pénombre, restant toujours obstinément assis à contre-jour, mais la nuit arrivait. On allait allumer les lampes. L’obscurité dont profitait jusqu’alors Fantômas allait disparaître. Peut-être les faux gendarmes finiraient-ils par s’apercevoir qu’ils étaient en face de celui qu’ils poursuivaient : du terrible et du cruel bandit.
Tandis que Fantômas réfléchissait, se demandant ce qu’il allait faire, la porte de son cabinet s’entrebâilla, le procureur général passa la tête :
– Je vous demande pardon, fit-il, je croyais que vous aviez terminé.
Le faux Pradier saisit l’occasion au vol :
– J’ai terminé en effet, monsieur le procureur général.
Puis il ajouta, en considérant son entourage :
– L’instruction est achevée pour aujourd’hui. Gendarmes, faites écrouer les prévenus à la prison de Saint-Calais. Vous regagnerez ensuite votre brigade. L’instruction est close pour ce soir.
Encore une fois, Fantômas ne compromettait rien, il gagnait du temps. La journée était terminée et il restait encore une matinée pour se tirer définitivement d’affaire.
– Je suis maître du terrain, se disait le bandit. Demain, j’aurai une fortune, demain je serai enfin vraiment libre. Encore cette fois, l’avenir m’appartient.