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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Автор книги: Марсель Аллен


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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

LE MAGISTRAT

CAMBRIOLEUR

12

Arthème Fayard

1912

Cercle du Bibliophile

1970-1972

1 – DES BIJOUX DISPARAISSENT

À peine un tilbury d’assez bonne mine, conduit par un cocher portant une livrée modeste, avait-il fait son apparition sur la grande place déserte de Saint-Calais, que le marquis Maxime de Tergall qui jusqu’alors fumait d’un air désœuvré à la terrasse de l’Hôtel Européen, se leva brusquement, traversa la petite salle, se dirigeant vers l’escalier qui conduisait aux étages.

Maxime de Tergall marchait à grands pas et pourtant, dans son attitude, on devinait un certain embarras.

Il mit la main sur le bouton d’une porte, parut hésiter quelques secondes, puis se décidant à ouvrir, passa la tête :

– Vous êtes prête, Antoinette ? Voilà la voiture.

Une voix répondit, maussade :

– Je suis prête. Oui.

Maxime de Tergall entra.

La chambre 30 de l’Hôtel Européen où il venait de passer la nuit en compagnie de la marquise Antoinette n’avait rien de somptueux.

C’était une pièce proprette, garnie d’un mobilier de pitchpin réduit aux pièces essentielles : lit, table de toilette, armoire à glace, commode, quelques chaises.

Il y avait une raison au séjour que les Tergall venaient de faire dans le petit hôtel de Saint-Calais. C’était une raison péremptoire, une raison d’ « affaire », et si la marquise, d’une voix maussade, invitait son mari à pénétrer dans sa chambre, c’est que précisément, la jeune femme voulait encore une fois revenir sur cette « affaire ».

– Ainsi, c’est décidé ? Vous attendez ce M. Chambérieux ?

Maxime de Tergall haussa les épaules.

– Naturellement déclara-t-il. Je ne vais pas changer d’avis à la dernière minute. Et puis, nous avons besoin de ces fonds.

– Vous avez bien réfléchi que je n’aurai plus un seul bijou ?

– Allons donc, vous exagérez.

– À peine.

– Mais si, ma chère amie.

Antoinette de Tergall alla prendre dans une valise encore ouverte et demeurée sur la commode, une grande boîte en maroquin qu’elle tendit à son mari :

– Eh bien, dit-elle d’une voix résignée, qu’il en soit selon votre désir. Tout de même, c’est dommage, que vous ne vouliez point, au lieu de vendre ces bijoux, emprunter quelque argent sur nos terres ?

Maxime de Tergall ne répondit pas.

Il avait pris l’écrin que lui tendait sa femme, il s’était assis dans un vaste fauteuil, il ouvrait la boîte et s’absorba dans la contemplation des joyaux.

Antoinette de Tergall avait, sept ans plus tôt, épousé le marquis Maxime de Tergall, plus peut-être pour la joie de pouvoir écussonner ses voitures que par amour véritable.

Mariage de convenance, où l’une apportait une dot en échange du nom de l’autre, mariage sérieux, aussi, car la bonne entente régna en général entre la marquise toujours amoureuse de son mari et Maxime de Tergall, fidèle relativement, et très conscient des avantages pécuniaires que lui avait valus son union.

Les Tergall n’étaient pas riches pourtant. Bien que le train mené au château des Loges fût somptueux et de nature à éblouir la société de Saint-Calais, les Tergall connaissaient de mauvaises passes et des soucis d’échéances comme les plus pauvres.

Or, récemment une « occasion » extraordinaire avait tenté le marquis. Attenant au parc proprement dit du château, un bois s’était trouvé à vendre. Maxime de Tergall l’avait acheté, il devait le payer dans quelques jours et, ses disponibilités étant restreintes, il en était arrivé à proposer à sa femme de vendre une collection de bijoux de famille que la marquise ne portait pas.

Antoinette d’abord, n’avait élevé aucune objection, mais à mesure que s’approchait le moment de se dessaisir de ses bijoux, elle s’était aperçue qu’elle allait en être fort privée. C’est pourquoi, considérant son mari, la marquise reprenait :

– Nous aurions pu attendre pour acheter ce bois. En vérité, je ne comprends pas du tout, Maxime, ce qui a pu vous décider subitement à cette acquisition.

On frappa à la porte de la chambre.

– Entrez.

– La voiture du château est là, madame la marquise, dit l’hôtelier.

– Merci, je descends. À ce soir, Maxime.

– À ce soir, ou à tout à l’heure, ma chère amie. Je pense que je n’en aurai pas pour longtemps, nous sommes à peu près d’accord sur le prix, Chambérieux et moi. Je reviendrai dès que je serai en possession des fonds. En bicyclette, vous le savez, je n’en ai pas pour plus d’une demi-heure.

Maxime de Tergall, sa femme partie, regagna la chambre 30 et, posant l’écrin sur le lit, se plongea dans la lecture du journal.

Le marquis était soucieux, ennuyé évidemment de la vente qu’il s’apprêtait à faire, si ennuyé même qu’à deux reprises il se leva, alla à l’écrin, l’ouvrit,  contempla  encore  la  richesse  des  bijoux  qu’il contenait, mais chaque fois il renferma les joyaux, haussant les épaules, tapant du pied, se déclarant :

– Après tout, Antoinette est insupportable. Elle ne porte jamais ces diamants-là !

À dix heures exactement, M. Chambérieux, le bijoutier convoqué par le marquis, arrivait à l’Hôtel Européen.

M. Chambérieux était un gros homme, de taille moyenne mais d’allure importante. Il arborait un veston de mauvaise coupe et une chaîne de montre d’or massif, de travail compliqué, et à laquelle pendait une véritable petite trousse : crayons, miroirs, canifs, brosses à moustaches, qui attestaient la richesse de leur propriétaire et témoignaient, mieux encore, de son mauvais goût. Bijoutier ? D’aucuns ajoutaient qu’il était usurier surtout ; et s’il possédait sur la place de la République au Mans, à quelque distance de la poste et de la célèbre Taverne Grüber, un magasin somptueux, le plus clair de son revenu n’en provenait pas moins des trafics, prêts d’argent, avances d’hoiries, nantissements, qu’il consentait volontiers.

– Monsieur Moutin, dit Chambérieux, en saluant de loin l’hôtelier, il faut une heure et quart pour venir du Mans à Connerré, et deux heures pour venir de Connerré à Saint-Calais. C’est inimaginable. Il est impossible que la Compagnie ne s’arrange pas pour nous faire des trains plus pratiques. On devrait pétitionner.

M. Moutin, ancien cabaretier de Paris, venu à Saint-Calais par le fait du hasard, avait le calme résigné des provinciaux de vieille souche.

– Mon Dieu, oui, notre train n’est pas très rapide. Mais enfin, faut encore s’estimer satisfait de l’avoir.

– Ah, vous êtes tous les mêmes. Personne de vous n’est capable de s’agiter un peu. Enfin. Dites-moi, monsieur Moutin, le marquis de Tergall est là ?

– Oui, monsieur Chambérieux, il vous attend ?

Quelques instants plus tard, Maxime de Tergall recevait Chambérieux.

– Nous sommes bien d’accord, demanda-t-il, avançant un siège à Chambérieux qui se débarrassa de son chapeau en l’accrochant à l’un des candélabres vide de bougies qui garnissaient la cheminée, nous sommes bien d’accord sur le prix ? Vous m’offrez deux cent cinquante mille francs.

– Hum, je vous offre. Permettez. Je vous ai dit que j’étais disposé à traiter aux environs de cette somme, mais encore faudrait-il voir vos bijoux ?

– En effet. Eh bien, monsieur Chambérieux, les voici. Examinez-les.

De l’air infiniment dédaigneux de l’homme qui ne peut souffrir un marchandage et qui trouve que ces questions d’argent sont indignes d’être traitées par lui, Maxime de Tergall venait de prendre sur le lit l’écrin des diamants. Il l’ouvrit, il le tendit à Chambérieux.

– Voyez, répéta-t-il, estimez chaque pierre. Je vous préviens, en tout cas, que je ne descendrais pas au-dessous du prix de deux cent cinquante mille francs. J’ai besoin de cette somme et par conséquent…

– Bon, fit-il en se levant. Nous avons l’habitude de traiter ensemble, monsieur de Tergall, ce n’est pas la première fois que nous faisons affaire, nous agirons donc cartes sur table. Vous voulez deux cent cinquante mille francs ? Je vais vous dire si je puis vous les donner. Cela va me demander une dizaine de minutes. Ah, s’il vous plaît, où pourrais-je poser ces pierres ? il faut que je les sépare les unes des autres, et j’ai précisément apporté pour les étaler, un morceau de velours noir.

– Voulez-vous les étaler sur le lit ?

– Non, le jour ne serait pas bon.

– Sur une chaise ?

– Hum, ce serait bien petit.

– Attendez. Je vais débarrasser le marbre de cette commode, commença-t-il, et vous pourrez de la sorte… Au fait, ce n’est pas la peine ; nous allons ouvrir un tiroir, si vous le voulez bien, monsieur Chambérieux, vous pourrez y étaler votre velours, et y poser les bijoux.

– Et de la sorte, ils ne risqueront pas de tomber, monsieur de Tergall. Vous avez raison.

Chambérieux disposa les pièces de l’écrin à l’intérieur du tiroir de la commode, que le marquis passait une à une.

– Eh bien ?

Chambérieux était en train de songer qu’il allait faire une merveilleuse opération.

– Ma foi, monsieur le marquis, je suis fort hésitant. Deux cent cinquante mille francs. C’est votre dernier mot ?

– Mon dernier mot.

– Alors, nous allons dire que c’est une affaire conclue. Mais c’est bien pour vous faire plaisir. Deux cent cinquante mille francs, c’est une somme. Je ne dis pas que cet écrin ne les vaut pas, mais enfin je vais immobiliser un capital important, et dame…

– Bien, dit Tergall, vous avez l’argent, monsieur Chambérieux ?

– Je vais vous signer un chèque.

– Un chèque ? Non, je préférerais…

– Laissez-moi finir, je vais vous signer un chèque que vous allez toucher immédiatement.

– À Saint-Calais ?

– À Saint-Calais. J’ai fait envoyer, il y a huit jours, les fonds nécessaires à la Banque Roche.

– Mon Dieu, fit-il enfin, si les fonds sont disponibles et s’il ne doit pas y avoir de difficultés.

– Dites tout de suite que vous doutez de ma parole. Eh bien, calmez vos craintes, je vais rester dans cette chambre avec vos bijoux. Voici le chèque, allez le toucher immédiatement : je vous attends.

Maxime de Tergall, qui n’avait en réalité qu’une confiance très limitée en la parole de Chambérieux, prit son chapeau, glissa dans son portefeuille le chèque que lui avait tendu le bijoutier.

– Eh bien, puisque vous avez cette complaisance, monsieur, je cours à la Banque, je touche les fonds, et je reviens.

***

Vingt minutes après le départ du marquis de Tergall, Chambérieux, qui avait ramassé par terre le journal abandonné par son client, se mit à trouver le temps long.

Et comme il n’avait rien de mieux à faire, le bijoutier, indiscrètement, commença d’examiner les objets qui traînaient encore dans la chambre d’hôtel.

Son examen achevé, le bijoutier bâilla, lut pour la dixième fois, dans le journal qu’il tenait toujours à la main, le récit d’un assassinat.

Chambérieux, cinq minutes plus tard, se leva, alla considérer par la fenêtre l’aspect tranquille de la grand-place, puis tout naturellement revint vers la commode, désireux sans doute d’examiner encore les bijoux qu’il venait d’acheter.

Le bijoutier introduisit donc la clé dans la serrure du meuble, ouvrit le tiroir.

***

Maxime de Tergall sortit de la Banque et se dirigea vers l’Hôtel Européen.

Or, le marquis avait à peine mis le pied dans la salle commune qu’il était profondément surpris par l’apparition de Chambérieux surgissant, apoplectique, de l’escalier.

– Eh bien ? cria le bijoutier, vous avez touché mon chèque ?

– Mais oui, pourquoi me demandez-vous cela ?

– Ah, monsieur le marquis, gémit l’hôtelier, M. Moutin, où avez-vous donc mis les bijoux ?

– Où ai-je mis les bijoux ? comprends pas, monsieur Moutin ?

Chambérieux s’avança vers lui, l’empoignant au collet et ne se contenant plus :

– Eh bien, je vais vous le dire, moi, cria-t-il, dans votre poche ! Vous les avez mis dans votre poche. Vous êtes une crapule. Rendez-moi mon argent !

D’une saccade, le jeune châtelain se débarrassa du bijoutier.

– Ah ça, vous devenez fou ? hurla-t-il à son tour, je ne sais ce qui me retient.

Mais M. Moutin s’interposa :

– Du calme, vous allez vous expliquer.

Et comme Chambérieux déboutonnait son faux col, M. Moutin ajouta :

– Figurez-vous, monsieur le marquis, qu’il y a dix minutes, en ouvrant le tiroir de la commode où paraît-il vous aviez enfermé vos bijoux, M. Chambérieux ne les a plus retrouvés, alors…

– Si ces bijoux ne sont plus dans le tiroir, parbleu, c’est que M. Chambérieux les en a retirés ?

Chambérieux suffoquait :

– Si les bijoux n’étaient plus dans le tiroir, dit-il, monsieur de Tergall, c’est que vous les avez subtilisés au moment ou vous vous en alliez. Vous avez touché mes deux cent cinquante mille francs. Je veux vos bijoux.

Le marquis de Tergall s’élança sur le commerçant. L’hôtelier perdant la tête, hurla :

– Allez chercher les gendarmes ! Allez chercher les gendarmes ! Ils vont se tuer !

2 – LE SECRET DU CONFESSEUR

– Mon cher Morel, disait le procureur, cela ne vous servirait à rien de vous lamenter. Les faits sont ce qu’ils sont et il convient de les prendre pour tels. D’après le rapport du lieutenant de gendarmerie que je viens de recevoir à la minute, il appert qu’un vol important a été commis à l’Hôtel Européen. Ce vol, je vous le répète, paraît devoir être imputable, soit au bijoutier Chambérieux, soit au marquis de Tergall. Il faut tirer cette affaire au clair. Voici mon ordonnance, ou plutôt mon réquisitoire d’ouverture d’instruction. Allez.

Malheureusement, autant M. Anselme Roche était un esprit décidé, autant le juge était un esprit timoré.

– Mon Dieu, mon Dieu, monsieur Roche, répondit-il au procureur, comme c’est contrariant cette affaire, comme c’est contrariant. Quand je pense…

M. Roche ne voulut pas savoir ce que pouvait penser le juge d’instruction.

– Allez, allez, insista-t-il, dépêchez-vous, monsieur Morel.

Sur la place, déserte d’ordinaire, les groupes s’étaient rassemblés qui regardaient, avec l’intérêt passionné de gens avides de saisir la moindre distraction, la façade qui ne disait rien de l’hôtel où il s’était passé quelque chose.

M. Morel se sentit tout ragaillardi en constatant cette affluence.

– Montons dans la chambre du crime, proposa-t-il.

Le greffier arriva bientôt.

C’était un jeune homme maigre fort occupé à tirer de son greffe un maximum de rapport. Aussi bien, ancien clerc d’avoué, il ne cachait pas qu’il n’avait guère l’intention de demeurer toute sa vie à Saint-Calais. Greffier, magistrat, gendarmes, témoins, quelques minutes après, tout le monde était réuni dans la chambre

– Voyons, monsieur Chambérieux, demanda le magistrat instructeur, comment les choses se sont-elles passées ?

– De la façon la plus simple, monsieur le juge, répondit Chambérieux. Et d’ailleurs toute cette affaire est limpide. Nous avons fixé le prix de ces bijoux d’un commun accord, M. de Tergall et moi. J’ai payé M. de Tergall avec un chèque, M. de Tergall est parti le toucher. Il l’a touché. Avant de partir, M. de Tergall avait fait semblant d’enfermer les bijoux dans le tiroir.

Tergall déjà avait bondi.

– Monsieur le juge d’instruction ! hurla-t-il, je ne puis laisser passer de telles paroles. Je n’ai pas « fait semblant » d’enfermer ces bijoux. Je les ai effectivement placés dans ce tiroir. Par conséquent, s’ils n’y sont plus, c’est que la personne qui était dans cette chambre, la seule personne qui y était, les a pris.

– Vous me traitez de voleur ?

C’est au tour de Chambérieux de s’emporter. Dressés l’un en face de l’autre, se fixant avec des yeux qu’une commune colère rendait flamboyants, le marquis et le bijoutier paraissaient décidés à en venir aux mains.

M. Moutin, heureusement, sauva la situation :

– Eh bien, dit le brave homme, puisque M. Chambérieux ne les a pas pris, ces bijoux, puisque M. de Tergall ne les a pas emportés, qu’est-ce qui prouve qu’ils ne sont pas tout simplement tombés derrière le meuble ?

– Nous allons voir, dit M. Morel. Il n’y a qu’à écarter la commode.

M. Moutin tira violemment en avant le tiroir dans lequel les bijoux avaient été enfermés. Le tiroir était vide.

– C’est curieux, remarqua M. Moutin, qui, dans sa naïveté et sa parfaite bonne foi, s’attendait presque à retrouver les bijoux, c’est curieux.

L’excellent hôtelier continua avec une parfaite tranquillité à chercher l’explication du mystère.

– Puisque personne n’est entré dans la chambre, dit-il, puisque M. Chambérieux n’a pas pris les bijoux, puisque le marquis ne les a pas emportés, il faut bien qu’ils soient quelque part.

Et, fort de cette évidence, M. Moutin continuait à déménager la fameuse commode. Il l’écarta du mur, l’avança de biais.

– Rien sur le plancher, fit-il.

Puis, par acquit de conscience, et comme s’il eût supposé que ces bijoux avaient pu glisser sous la commode, M. Moutin se pencha, se baissant entre le meuble et le mur. À coup sûr, l’hôtelier de Saint-Calais avait les meilleures intentions du monde. Il n’en devait pas être récompensé.

À peine M. Moutin s’était-il baissé, en effet, frôlant à la fois la muraille et la planche formant le fond de la commode, qu’une nuée d’exclamations s’échappa des lèvres de toutes les personnes présentes.

– Bougre de bougre ! avait dit le lieutenant de gendarmerie.

– Fichtre ! s’était écrié Chambérieux.

– Oh, oh ! avaient fait en même temps le juge d’instruction, le greffier et le marquis.

M. Moutin, lui, ne disait rien. Il se frottait la tête.

Il avait reçu sur le crâne, en effet, alors qu’il se tenait sur les genoux, tombant pêle-mêle, une planche qui n’était autre que le fond du meuble, deux briques, une pluie de morceaux de plâtre.

Et immédiatement M. Moutin se frotta les mains, réjoui :

– Parbleu, dit-il, mais la voilà l’explication. On a percé la muraille, on a percé le tiroir. Les bijoux ont été volés par quelqu’un qui se trouvait dans la chambre voisine.

Il était évident, en effet, que par le trou béant qu’il venait de démasquer dans le mur, en faisant tomber sans le vouloir les briques remises en place par le voleur, par ce trou qui communiquait avec la brèche pratiquée dans la commode, il avait été très facile d’enlever les bijoux de la chambre voisine. Mais où M. Moutin se trompait, c’est quand il croyait, ayant précisé la façon dont le vol avait été opéré, qu’il expliquait le vol lui-même.

Chambérieux triomphait :

– Ah, voilà qui doit enlever tous les soupçons. On ne pourra plus dire que c’est moi qui ai volé ces bijoux. L’escroc est évidemment la personne qui, ayant occupé cette chambre pendant toute la nuit, a pu tranquillement truquer le meuble, truquer la muraille d’à-côté, a mis les bijoux dans le tiroir, puis, en sortant, est passé dans la chambre voisine et a opéré son vol en toute sûreté.

Le marquis de Tergall l’interrompit :

– Assez. Si je ne respectais le magistrat qui nous accompagne, je vous rentrerais vos mensonges dans la gorge.

Le juge intervint :

– Du calme, monsieur le marquis. En effet, n’oubliez pas que je suis là.

– C’est moi qui ne l’oublie pas, monsieur le juge d’instruction, reprit Chambérieux, j’imagine que maintenant vous allez décerner un mandat d’arrêt.

– Pardon, interrompit le greffier, M. Moutin, qui occupait la chambre d’à côté ?

– Au 29, dit l’hôtelier, accablé, il y avait cette nuit l’abbé Jeandron, oui, le vicaire de Poncé.

– Peu importe, dit le juge, une seule chose est certaine, le vol a été commis de sa chambre. S’il était dans sa chambre au moment du vol, c’est lui qui l’a commis. Dites-moi, Moutin, savez-vous à quelle heure M. l’abbé Jeandron est sorti ?

M. Moutin disparut dans l’escalier, en criant :

– Je vais le demander à ma femme.

Il reparut traînant derrière lui Mme Moutin.

– Eh bien, monsieur le juge, je puis vous renseigner. Comme je fais attention à ce que ma maison soit bien tenue, je m’arrange toujours pour être à la caisse le matin. J’ai fait la remarque justement que M. l’abbé Jeandron s’était levé fort tard, il est parti d’ici à onze heures dix.

– À onze heures dix, vous en êtes sûre, madame ?

– Absolument.

M. Morel se tournait vers M. Chambérieux :

– Et le vol a eu lieu, à quelle heure exactement ?

– À onze heures, M. le marquis de Tergall n’était pas revenu. À onze heures et quart j’ai ouvert le tiroir et j’ai découvert le vol, donc, monsieur le juge d’instruction, le voleur peut très bien être ou le marquis de Tergall, ou l’abbé Jeandron.

– Retenez cette déclaration, monsieur le juge d’instruction, dit le marquis, elle est capitale. Je puis en effet prouver qu’entre onze heures et le quart, j’étais à la Banque, occupé à toucher les fonds. Par conséquent, je ne pouvais pas me trouver dans la chambre voisine. Je m’empresse, d’ailleurs, d’ajouter, monsieur le juge, que les deux cent cinquante mille francs qui m’ont été versés à la banque, je suis tout prêt à les consigner entre vos mains. Jusqu’à ce que cette affaire soit éclaircie.

– C’est cela, dit Chambérieux.

– Monsieur le marquis, déclara le juge d’instruction, votre procédé vous honore, mais je n’ai pas qualité malheureusement pour accepter cet argent. Si je vous entends bien, vous voudriez le déposer entre mes mains ? Cela ne se peut pas. Un tel dépôt aurait l’air d’une restitution. D’ailleurs, j’ajoute, monsieur de Tergall, que vous n’êtes en somme pas directement intéressé à cette affaire. Au point de vue juridique, au moment où vous avez accepté le chèque de M. Chambérieux, et où vous avez remis les bijoux à sa garde, la vente était « parfaite ». Ce ne sont pas vos bijoux qui ont été volés, ce sont les bijoux de M. Chambérieux.

Chambérieux approuva :

– On m’a toujours dit en effet que le Code protégeait les escrocs.

« Écoutez, reprit le gros bijoutier, de deux choses l’une, monsieur le juge, ou le marquis a volé et il faut le boucler, ou c’est cet abbé Jeandron. Et il faut le boucler lui aussi.

Tergall l’interrompit :

– Voyons, monsieur le juge, il y a quelque chose qui m’innocente entièrement, c’est que, si, à la rigueur, on peut admettre que je sois venu dans la chambre de l’abbé Jeandron pour y voler les bijoux, il est bien certain que je n’aurais pas eu le temps suffisant pour percer le mur, percer la commode, entre le départ de l’abbé et la découverte du vol, en cinq minutes. Or, d’autre part, comme je suis arrivé à l’hôtel, hier soir, vers vingt-trois heures trente, comme à cette heure l’abbé Jeandron occupait la chambre, je n’ai pas pu y venir percer la muraille.

– Mais alors, ce serait l’abbé Jeandron qui serait le coupable ? s’exclamèrent en même temps M. et Mme Moutin.

Sur ce, un pas pesant se fit entendre dans l’escalier.

– Mais le voilà, s’écria Mme Moutin, c’est précisément l’abbé Jeandron qui rentre.

Dix minutes plus tard, l’abbé mis au courant de l’affaire, protestait énergiquement.

– Monsieur l’abbé, lui dit l’excellent juge d’instruction, vous comprendrez la gravité des charges qui pèsent contre vous ? Voyons, pouvez-vous nous donner votre emploi du temps ? Et d’abord, vous êtes vicaire à Poncé, qu’étiez-vous venu faire hier soir à Saint-Calais ?

– Je suis venu hier soir, coucher à Saint-Calais, parce que j’étais appelé par dépêche à la chapelle qui se trouve sur la route du Mans et que vous connaissez certainement, parce que j’y avais rendez-vous aujourd’hui à midi et quart.

– Vous avez cette dépêche ?

– Non. Je ne l’ai pas.

– Elle est au presbytère ?

– Non, monsieur le juge. Elle est dans ma poche.

– Dans votre poche, mais alors.

– Pourquoi vous ai-je dit que je ne l’avais pas ? Mon Dieu, tout simplement parce que je ne voulais pas la montrer.

– Pourquoi ?

– Elle est de nature confidentielle.

– Monsieur l’abbé je ne vous comprends pas du tout.

L’abbé Jeandron réfléchit quelques secondes, puis déclara :

– Monsieur le juge, je suis venu à Saint-Calais pour pouvoir me rendre, ainsi que je vous l’ai déjà dit, à midi et quart, à la chapelle pour y écouter, en confession, un pécheur qui m’y avait donné rendez-vous. Ce pécheur je l’ai entendu. Je sais, maintenant, que si je vous fournissais le moindre renseignement, je manquerais gravement au secret. Je dois donc me taire, sur tout ce qui le concerne. Je puis en revanche, être moins discret sur ce qui ne regarde que moi. Vous me demandiez tout à l’heure l’emploi de mon temps. J’ai quitté Poncé hier soir, je suis arrivé à vingt heures, ici. Je me suis couché tout de suite. Ce matin, je me suis levé à sept heures, je suis tout de suite sorti. Je me suis rendu à la chapelle dont je vous ai déjà parlé, j’y ai dit ma messe. À midi et quart je recevais mon pénitent, que je quittais à deux heures et demie, puis je suis revenu à pied à l’hôtel. Et me voici. Je puis vous donner ma parole que je n’ai rien remarqué d’anormal dans la chambre voisine, ce matin à sept heures, sept heures trente, moment où je l’ai quittée. Après mon départ, je ne sais ce qui a pu se passer.

– Greffier, dit M. Morel, veuillez donc relire la déclaration faite tout à l’heure par Mme Moutin.

Le greffier tourna et retourna des pages, ânonna des débuts de phrases, puis, enfin, lut la déposition de l’hôtelière :

« Comme je fais attention à ce que ma maison soit bien tenue, je m’arrange toujours pour être à la caisse dans la matinée, j’ai remarqué que M. l’abbé Jeandron s’était levé fort tard, il est parti d’ici à onze heures dix, j’en suis absolument certaine… »

– Expliquez-nous, monsieur l’abbé, comment il se fait qu’on vous ait vu ici à onze heures dix alors que vous prétendez en être parti à sept heures et demie du matin ?

– Je ne comprends rien à la déposition de Mme Moutin. On a cru me voir sortir de l’Hôtel Européen à onze heures. J’affirme que j’en suis parti à sept heures et demie et que par conséquent…

– Parbleu, fit le bijoutier, voilà bien la preuve que nous cherchions. Mme Moutin ne peut pas se tromper, quand elle dit qu’elle a vu le « Curé » sortir à onze heures dix. Donc le « Curé » ment, quand il affirme être parti à sept heures trente. C’est lui le voleur.

***

Deux heures plus tard, l’excellent M. Morel quittait la prison de Saint-Calais, soucieux. M. Morel n’avait pu se refuser à décerner un mandat de dépôt contre le vicaire de Poncé.

– Évidemment, songeait M. Morel, évidemment, il semble bien que ce prêtre soit le coupable. Et cependant, comme c’est étrange. L’abbé Jeandron. Quel dommage qu’il se retranche derrière le secret de la confession. Si seulement j’avais cette dépêche, qu’il prétend avoir reçue.

Or, de songer à la dépêche mystérieuse que le prêtre s’était refusé à communiquer, une idée lumineuse venait à l’esprit du magistrat. Le magistrat se précipita vers le bureau de poste d’où, avait affirmé le prêtre, avait été expédié le télégramme.

– Madame la receveuse, demanda M. Morel, voulez-vous me communiquer, en vertu de ma qualité de juge d’instruction, l’original de la dépêche expédiée à l’abbé Jeandron ? Vous conservez les originaux ? n’est-ce pas ?

La receveuse fouilla dans ses cartons, ne trouva rien.

– Oh, oh, pensa M. Morel, voilà qui tend à prouver que l’abbé Jeandron a menti. J’ai bien fait de l’arrêter.

Mais la receveuse brandissait une formule. M. Morel lut le télégramme suivant :

Un malheureux pécheur qui ne veut pas être reconnu, qui doit craindre d’être aperçu de quiconque, vous supplie, monsieur l’abbé, de l’entendre en confession à la petite chapelle qui s’élève sur la route du Mans. Je vous attendrai à midi un quart.


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