Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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5 – JUVE SUR LE SENTIER DE LA GUERRE
Qui était-ce ?
Pour le savoir, il faut remonter à quarante-huit heures en arrière, c’est-à-dire à trois jours après les vols dont avaient été victimes, à Saint-Calais, Chambérieux et son client, le marquis de Tergall.
Ce jour-là vers dix heures du matin, sur la route qui conduit à Bouloire, un homme cheminait lentement, vêtu en ouvrier endimanché, avec à la main une grosse canne de bois non écorcé. Il s’avançait d’une démarche solide et sûre d’homme habitué aux longs parcours à pied.
Son visage énergique et hâlé se barrait d’une épaisse moustache brune cependant que sur son menton s’étalait une barbe taillée en éventail et minutieusement soignée, barbe dont le soin contrastait d’ailleurs avec l’apparence modeste de l’homme qui la portait.
Ce piéton, arrivé à un carrefour, parut hésiter un instant. Il consulta le poteau indicateur, le compara à une carte qu’il tenait à la main, puis, se décida en faveur d’un petit chemin encadré de verdure.
Le voyageur, tout en marchant, pensait :
– Voici décidément mon parcours sur le point de se terminer, espérons que ce voyage si bien commencé ne va pas trop mal finir.
L’homme poursuivait sa route. Au bout d’un quart d’heure environ, il arrivait à un détour du chemin, d’où s’apercevait, par une éclaircie faite dans le bois touffu, la belle propriété du marquis de Tergall.
Le piéton s’arrêta, sortit de sa poche une lorgnette et considéra longuement le château qui se dressait devant lui.
– Pas mal, murmura le voyageur.
Puis il ajoutait, non sans avoir jeté au préalable un coup d’œil circulaire :
– Le marquis de Tergall a l’air d’avoir fait une bonne affaire lorsqu’il s’est marié.
Peu de temps après, quelqu’un sonnait à la façade principale du château. C’était le personnage qui venait de parcourir à pied les quelques kilomètres séparant Saint-Calais du château des Loges.
– Que désirez-vous ? demanda un domestique en venant ouvrir.
L’homme souleva légèrement le chapeau mou qui lui couvrait la tête, et tendant une lettre au laquais :
– Je viens pour voir M. le marquis de Tergall, voulez-vous lui remettre cette lettre ?
– Attendez un instant, déclara le domestique, qui, par prudence, sans doute, refermait la porte, et laissait le visiteur à l’extérieur de la maison.
Onze heures et demie, on attendait le déjeuner. Baptiste, le valet de chambre, curieux comme tout domestique qui se respecte, avait remarqué que l’enveloppe que lui avait remise le visiteur portait l’en-tête commerciale d’une maison d’électricité d’Angers. Le marquis ordonna à Baptiste, étonné :
– Faites entrer ce monsieur, du moins cet ouvrier, dans le petit salon.
Baptiste s’inclina, retourna au perron et avec le respect que lui commandait l’attitude de son maître, il introduisit le visiteur au salon, avant de regagner la cuisine.
Une heure plus tard, le marquis, la marquise et l’électricien, se trouvaient toujours dans le salon.
À une heure moins le quart, cependant, Baptiste quitta le vestibule, pour n’avoir pas l’air d’écouter aux portes. Celle du petit salon venait de s’ouvrir.
La marquise en sortit, elle avait l’air radieux, et, comme sa femme de chambre, Rosa, passait à ce moment à proximité d’elle, Antoinette de Tergall lui annonça avec un sourire aimable :
– Vous m’aviez demandé hier à vous absenter pendant deux jours, et j’avais réservé ma réponse jusqu’à ce matin, eh bien, c’est entendu, Rosa, vous pourrez prendre ce congé. Vous partirez ce soir. Le cocher vous conduira au train, cet après-midi.
Pendant ce temps, le marquis de Tergall reconduisant son visiteur, lui disait à mi-voix :
– Je vous remercie bien sincèrement, monsieur Juve, et je vais faire comme vous le désirez.
Le marquis appuya sur un timbre, une sonnerie retentit à l’office.
– Monsieur le marquis m’a sonné ?
– Oui, Baptiste, voici ce dont il s’agit : Monsieur – et le marquis désignait l’homme avec lequel il venait de s’entretenir pendant si longtemps, – monsieur vient pour étudier un projet d’éclairage du château. Il faut que vous le fassiez déjeuner, puis, vous vous mettrez à sa disposition pour lui montrer toutes les pièces de la maison, les communs et le parc afin qu’il puisse choisir l’endroit où installer le moteur qui nous donnera la lumière électrique. Tenez-vous à sa disposition.
L’ouvrier électricien s’inclina respectueusement devant les châtelains des Loges, puis disparut avec le domestique dans la direction de la cuisine.
Le marquis de Tergall avait dit « monsieur Juve ».
Comment Juve se trouvait-il là ?
Rien de plus simple.
Le Parquet de Saint-Calais avait informé la Sûreté générale, et M. Havard, estimant qu’il s’agissait d’une affaire importante avait aussitôt décidé d’envoyer sur place le plus fin limier de ses services.
Juve était donc parti pour Saint-Calais. Il était arrivé à la gare de la petite ville, par l’express du matin. Ce n’était pas le policier Juve qui avait débarqué, mais un ouvrier endimanché.
Une fois en présence du marquis de Tergall, Juve lui avait déclaré :
– Permettez-moi de faire une enquête chez vous, autour de vous, et ne vous étonnez de rien. Je passerai pour un ouvrier électricien, qui vient étudier l’installation de la lumière électrique dans votre château.
Le marquis de Tergall, ainsi que tout le monde, connaissait Juve de réputation, aussi s’était-il empressé de souscrire au désir de l’éminent policier.
À présent, le policier, démocratiquement installé dans la cuisine, faisait honneur au repas, avec un appétit que sa promenade à pied avait rendu redoutable. En quelques instants, le faux électricien s’était assuré la sympathie de tout le personnel de l’office. Il avait eu le mot pour rire avec Baptiste, le compliment qui touche pour la cuisinière, et le propos galant à l’adresse de Rosa, la femme de chambre.
– Alors, demanda Baptiste, une fois le café avalé, nous allons balader dans le jardin ?
– Ma foi, répliqua Juve, ça n’est pas de refus. Un cigare ?
– Merci bien, monsieur Doublon, dit Baptiste en acceptant le londrès.
– Pourquoi m’appelez-vous M. Doublon ?
– Ce n’est pas votre nom ? Je l’ai lu sur l’enveloppe que j’ai remise au marquis de Tergall,
– Nullement, fit Juve, Doublon c’est mon patron, Doublon et Cie, la grande maison d’Angers. Moi je ne suis que le contremaître, on m’appelle simplement Charlot. Faites donc comme tout le monde.
– Je n’y vois pas d’inconvénient. Charlot, je vous remercie. Un peu de feu ?
Les deux hommes, ayant allumé leurs cigares, quittèrent la maison et se perdirent dans les allées du parc.
De temps à autre, Juve, pour justifier du rôle qu’il jouait, prenait des mesures, notait des chiffres sur son carnet.
De temps à autre, il posait des questions indiscrètes.
– Une bonne place, Baptiste ?
– Peuh, pas mauvaise. On est régulièrement payé et il y a des pourboires au moment de la chasse.
– Le marquis reçoit beaucoup de monde ?
– Cela dépend, suivant la saison. En automne par exemple, ça ne désemplit pas d’invités.
– La grande vie, quoi, mais ça doit coûter joliment cher. Le marquis est riche ?
– Surtout la marquise.
– D’ailleurs le patron m’a dit qu’on pouvait y aller largement pour l’installation électrique. C’est égal, le vol, ça doit faire un trou dans son budget.
– Oh vous savez, ces gens-là, ça se retourne toujours. L’eau comme on dit va à la rivière. Le marquis n’en est heureusement pas à quelques centaines de mille francs près.
– Heureux homme.
Mais Baptiste n’arrêtait plus :
– Vous avez pu vous rendre compte, n’est-ce pas Charlot, du train de maison que l’on mène ici. C’est conséquent ? Eh bien, ça n’est pas tout, il y a autre chose. C’est pas pour le lui reprocher bien sûr. Mais M. le marquis est coureur. Dès qu’il voit un jupon, cet homme-là, ça l’affole, et tenez, depuis six mois, il s’est entiché d’une chanteuse, d’une actrice de Paris, installée au Mans et avec laquelle il doit faire danser les écus de la marquise.
– Ah, fit Juve subitement intéressé, il y a une poule quelque part ?
– Au Mans. Elle chante à l’Alcazar.
– Une poule au Mans, dites donc, Baptiste, il vaudrait peut-être mieux dire, une poularde.
– Ah ah, vous êtes rien farce vous, et vous vous y entendez pour blaguer comme un Parisien.
– Qu’est-ce qui vous dit que je ne le suis pas ? Voilà trois ans que je travaille à Angers, mais je suis tout de même né sur la butte Montmartre.
– Ah par exemple, c’est joliment chic d’être Parisien. Moi qui aurais tellement désiré servir à Paris. Mais, au fait, poursuivit-il, vous avez une payse ici même. Vous ne savez pas qui ?
– Ma foi non.
– Mais, Rosa, la femme de chambre.
Arrivé au troisième étage, le soi-disant électricien, sous prétexte de choisir un endroit pour y disposer des accumulateurs, voulut entrer dans une chambre.
Baptiste s’y opposa :
– Frappez donc d’abord, c’est la chambre de Rosa.
– Entrez.
Juve ouvrit brusquement, puis se répandit en excuses.
– Je vous demande bien pardon, mademoiselle, j’ignorais que vous étiez à votre toilette.
Rosa en effet achevait de s’habiller, et de boucler une petite valise.
– Monsieur ne m’a pas dérangée, au contraire, d’ailleurs, je lui laisse la place libre. Dans dix minutes, je prends le train pour Paris.
– J’ai cru comprendre que l’on vous conduisait en voiture à la gare, mademoiselle. Voulez-vous me permettre de profiter du véhicule. Ça m’évitera de faire la course à pied.
– Avec plaisir, M. Charlot.
***
– Monsieur Charlot, vous n’êtes pas dans le bon train. Celui dans lequel vous vous trouvez, le mien, s’en va à Paris, et non pas à Angers.
– Je le sais, mademoiselle, cela m’est bien égal, je ne rentre pas à Angers ce soir.
– Où allez-vous ?
– Je vais à Paris. Je vais d’ailleurs partout où vous irez.
– Eh bien monsieur Charlot, on peut dire que vous en êtes un type. Alors comme ça, vous lâchez votre maison, vos affaires, votre famille si vous en avez, Angers et tout.
– Pour vous suivre mademoiselle Rosa. Ça n’est pas la peine que je vous le cache plus longtemps, vous avez fait sur moi une impression telle que je sens bien qu’il me sera désormais impossible de me passer de vous. Vous êtes si jolie.
– Non mais, pour ce qui est de savoir faire le boniment, vous m’avez l’air d’être un peu là.
– Non, non, mademoiselle Rosa, vous me plaisez beaucoup, énormément. N’ayez aucune crainte en ce qui me concerne, je ne perdrai pas ma place pour deux jours de fête, et puisque vous avez quarante-huit heures de congé, je vous invite à faire la bombe avec moi.
Évidemment, la proposition que le soi-disant électricien adressait à la jeune camériste ne devait pas au premier abord lui déplaire.
Et Juve allait insister pour obtenir une promesse plus formelle, lorsque le train ralentit, s’arrêta à une petite station. La portière s’ouvrit, une famille, composée de cinq personnes, dont trois enfants tapageurs et bruyants, s’installa dans le compartiment.
– Pas de chance, murmura Juve avec une mine si déconfite que la femme de chambre en eut le fou rire pendant une heure.
La famille de campagnards resta jusqu’à Paris, et, pendant tout le trajet, Juve et Rosa ne purent échanger que des propos insignifiants.
Comme ils descendaient du train à la gare Montparnasse, Juve, avec une autorité familière, prit le bras de la jeune femme.
– Venez.
– Où cela ?
– Dîner, parbleu.
– Mais vous n’y pensez pas. Ma famille m’attend.
Le pseudo électricien haussa les épaules :
– À d’autres, votre famille. D’ailleurs, elle ne compte plus sur vous. Vous ne lui avez même pas annoncé votre arrivée par un télégramme.
– Tiens, fit Rosa, vous avez remarqué cela.
– Cela, et bien autre chose. De plus, il est neuf heures, et nous crevons de faim tous les deux.
Juve parlait avec une telle assurance que Rosa s’humanisait de plus en plus.
– Après tout, pensa-t-elle, qu’est-ce que je risque ?
Rosa était à peine revenue de son étonnement qu’elle se trouvait assise en tête à tête avec le galant électricien devant un repas délicieux.
– Je suis sûr, déclarait Juve, en versant du champagne dès le début du dîner à sa compagne, que nous n’allons pas nous embêter.
Ils en vinrent un peu avant le dessert au sujet scabreux.
– Alors, comme ça, mademoiselle Rosa, vous avez un ami ?
– Où est le mal, monsieur Charlot ?
– Oh, je ne dis pas cela pour vous le reprocher. Qu’est-ce que c’est que votre ami ?
– Il est dans le commerce. Coiffeur pour dames.
– Coiffeur pour dames ? À Saint-Calais ?
– Vous n’y pensez pas, monsieur Charlot, qu’une femme comme moi voudrait d’un type de la campagne.
– Je ne dis pas ça non plus, mademoiselle Rosa, votre ami, le coiffeur pour dames doit être un Parisien.
– Vous l’avez deviné.
– Aïe.
– Qu’est-ce qui vous prend, monsieur Charlot ? Vous vous êtes fait mal ?
– Pas précisément, mademoiselle Rosa, mais je souffre de l’aveu que vous venez de me faire. Car, si votre amoureux est à Paris, je suppose que c’est pour le voir que vous êtes venue.
– Vraiment, monsieur Charlot, pas besoin d’avoir inventé l’eau tiède pour comprendre ça.
– En effet.
– Même que d’ici vingt minutes je m’en vais vous tirer ma révérence pour aller retrouver mon amant.
– Vous ne ferez pas ça.
– Eh bien, ce serait du propre si je ne le faisais pas. Il s’en passerait des choses. Tenez, j’aime mieux vous dire tout de suite… et puis non. Vous ne pouvez pas comprendre. Pour ce qui est de plaisanter avec vous, monsieur Charlot, je ne demande pas mieux. On pourra se revoir un jour, plus tard. Mais pour ce qui est de ce que vous pensez, rien à faire.
Surmontant non sans peine la griserie du champagne, Rosa, qui, au brusque rappel du rendez-vous qu’elle avait sans doute avec son amant, se leva, entrebâilla la fenêtre pour respirer un peu d’air frais, puis alla devant une glace rectifier sa coiffure, redresser son chapeau.
Juve la regardait faire, perplexe, indécis.
Au cours de sa visite au château du marquis de Tergall, il avait étudié l’entourage des châtelains et s’était tout d’abord convaincu qu’il ne fallait suspecter personne dans leur domesticité. Il avait toutefois réservé son opinion sur la femme de chambre, qui, à certains détails, lui avait parue digne d’être étudiée.
Or, Juve n’était pas satisfait du résultat de sa ruse.
Rien jusqu’alors, dans la conduite de Rosa ne démontrait qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre qu’une petite personne gentille et coquette, faisant normalement son service de femme de chambre et égayant son existence monotone d’une affection amoureuse.
Le célèbre inspecteur de la Sûreté était cependant trop bon psychologue pour ne pas avoir remarqué à certains détails que la jeune soubrette n’avait pas tout à fait les allures d’une domestique, elle avait en elle en même temps quelque chose de plus raffiné et de singulièrement bas. Flairant un mystère dans cette vie, Juve n’avait pas hésité à accompagner la camériste jusqu’à Paris.
Tandis que le policier réfléchissait en silence, Rosa s’était préparée et se disposait à partir, Juve ne la retint pas.
– De quel côté, demanda-t-il, descendez-vous ?
– Je vais prendre l’autobus. Oui, je descends dans le centre de Paris, mais, je vous en prie, n’essayez pas de me suivre.
Et comme pour donner une compensation à Juve, elle ajouta presque suppliante :
– Promettez-moi que nous nous reverrons. Tenez, par exemple, demain soir, ici même, si vous voulez. Nous dînerons encore ensemble, et je serai moins méchante.
– Soit, à demain, surtout ne manquez pas de venir.
***
Rosa s’était à peine éclipsée que Juve s’élança dans la rue.
Le policier se retrouvait assez à temps devant la gare Montparnasse, pour suivre des yeux la gracieuse silhouette de Rosa. Dissimulé derrière un kiosque à journaux, il la vit contourner l’autobus, puis, au lieu de monter dans un des véhicules en station, elle revint sur ses pas et s’engagea délibérément dans la rue de la Gaîté, qui longe la voie du chemin de fer et est célèbre, comme on sait, par les bars interlopes qui s’y trouvent. Juve sentit le cœur lui bondir dans la poitrine. Cette attitude nouvelle de Rosa paraissait tout à fait concluante.
Qu’allait donc faire la jeune femme dans ces régions mal famées ? Il importait de le savoir. Avisant un couloir obscur dont la porte qui donnait sur la rue de la Gaîté était entrebâillée, Juve y pénétra brusquement. En une seconde, il avait retourné son vêtement, jeté son chapeau à terre, avait remplacé celui-ci par une casquette graisseuse prise dans sa poche, puis, enlevant son faux col et ramenant les cheveux sur les tempes, il avait modifié complètement l’aspect de sa physionomie. L’honnête électricien, subitement, s’était transformé en un individu sinistre habitué à fréquenter les quartiers du crime : le Montparnasse et l’Avenue du Maine.
Sous ce nouvel aspect Juve s’élança à nouveau dans la rue et se heurta presque dans un groupe de jeunes voyous qui commentaient à haute voix le passage auprès d’eux, quelques instants auparavant, de la jeune femme de chambre :
– Mince alors, disait l’un d’eux, la voilà joliment requinquée la dénommée Mirette.
– Penses-tu que c’est Mirette ?
– Si c’est elle, j’en mettrais ma main au feu. Je parie une chopine que j’ai raison.
Et sans attendre la réponse, l’apache courut derrière la jeune femme, suivi de ses acolytes, auxquels Juve emboîta le pas.
Le policier venait d’entendre les propos échangés par les rôdeurs et il était ému au plus haut point de la révélation qu’il avait surprise, il pensait :
– Rosa est connue de ces individus ; d’après eux, elle s’appelle Mirette. S’ils ne se trompent pas, c’est la piste.
Il fut vite édifié. Les jeunes apaches avaient entouré Rosa. Et le plus jeune lui lançait à brûle-pourpoint :
– Dis-le voir sans blaguer, que tu n’es pas Mirette ?
– Caltez, vous autres, dit la jeune femme, j’ai pas le tempérament à me faire attiger par des zigues de votre espèce. Débinez, ou je fais du foin.
Ils s’écartèrent et Rosa en profita pour bondir hors du cercle et fuir à toutes jambes.
– Zut alors, lança l’un des apaches, on l’a changée, la Mirette. Sûr qu’elle ne faisait pas la mariolle comme ça quand Bébé était à l’ombre.
– Il est donc sorti, son homme ?
– Il y a déjà une quinzaine de ça, dit un autre. Laisse tomber.
Quelqu’un cependant s’était élancé à la poursuite de la jeune femme de chambre. Ce quelqu’un-là, c’était Juve. Mirette et Bébé n’étaient pas des inconnus pour Juve. Au contraire. Juve, depuis déjà plusieurs mois, était renseigné par les services de la Préfecture sur les exploits d’une bande de malfaiteurs connue sous le nom de « La Bande des Ténébreux ».
Il y avait dans cette association, fort bien organisée d’ailleurs, puisque nul ne connaissait son repaire, quelques anciens clients tels que Bec-de-Gaz, la Mère Toulouche, le Père Grelot, et des nouveaux venus, parmi lesquels : Fleur-de-Rogue, la maîtresse de feu Jean-Marie, Ribonard, l’ancien forçat, et deux jeunes gens : Mirette et Bébé.
Alors, si Rosa était Mirette, la camériste-pierreuse, le fil n’était pas rompu entre Saint-Calais et Montparnasse, entre les Ténébreux et les vols dont Chambérieux, et Tergall avaient été les victimes.
Il fallait risquer le tout pour le tout.
Filer Mirette jusqu’au bout du monde, au besoin.
Ne se doutant en aucune façon de la piste dont elle était l’objet, Rosa dite Mirette, effectuait un étrange parcours. Elle avait gagné les fortifications, puis se penchant sur la tranchée dans laquelle passait le chemin de fer de Ceinture, entre la gare de Montrouge et le tunnel de Montsouris, elle avait longuement attendu.
Juve, dissimulé non loin d’elle, épiait chacun de ses gestes. C’est ainsi qu’il avait vu Rosa se pencher du côté de la tranchée du chemin de fer, puis, au bout de quelques instants, tandis que d’une horloge voisine, douze coups s’égrenaient, le policier avait distingué des ombres suspectes le long de la voie ferrée. Il les avait vues s’aborder, se parler mystérieusement, puis s’enfoncer nous le tunnel.
Cette fois, plus de doute.
Rosa se rendait à un rendez-vous, elle allait à une réunion de malfaiteurs. Juve, désormais, en avait l’absolue certitude.
Avec son beau courage, son admirable mépris du danger, Juve avait murmuré :
– Il n’y a pas à hésiter. Risquons le tout pour le tout. À la grâce de Dieu.
Franchissant la petite clôture de la voie du chemin de fer, le policier s’élança derrière Rosa dite Mirette, parvint en même temps qu’elle au bas de la tranchée, au niveau de la voie, et se dressa soudain devant la pierreuse :
– Mirette, écoute-moi, déclara-t-il brusquement.
La jeune femme, réprimant un cri de surprise, se retourna, s’arrêta net, considéra l’homme qui venait vers elle, ne le reconnut pas tout d’abord. Mais Juve s’étant approché, l’énigmatique femme de chambre ouvrit des yeux hagards, et d’une voix qu’étranglait l’émotion, elle s’écria :
– Ah, par exemple, que faites-vous ici ? Où voulez-vous aller ? Vous m’avez donc suivie ?
– Non, déclara Juve sombrement, je suis ici parce que je devais y être.
Le policier prononçait ces paroles au hasard. Il avait une idée : il sondait le terrain.
Par bonheur cela devait réussir à merveille.
– Vous deviez y être, et pourquoi ?
– J’ai à causer avec Bébé.
– À mon amant, s’écria Mirette, tu ne vas pas lui faire une histoire au moins.
– Penses-tu, c’est pour les affaires sérieuses que j’ai besoin de le voir, dit Juve.
– Les affaires ? interrogeait encore la maîtresse de Bébé, as-tu donc des combines à lui proposer ? Tu m’as l’air d’un drôle de type. Qu’est-ce que tu faisais à Saint-Calais ? Pourquoi es-tu venu me relancer ?
– Pauvre gosse, fleur de tourte que tu es, si je me suis amené, et si je t’ai collé au train, c’est rapport à la police qu’avait les yeux sur toi. Je ne voulais pas qu’il t’arrive du mal, et c’est ce que je leur dirai aux autres tout à l’heure si des fois on m’interroge.
– Aux autres, tu es donc des… des…
– Des Ténébreux, c’est évident.
Rosa dite Mirette, sembla rassurée, et, c’est même avec sympathie qu’elle regarda ce beau gars qui lui avait fait une cour empressée si galante et pendant toute la journée.
Peut-être, si elle avait eu son sang-froid absolu, Rosa, dite Mirette, se serait-elle rendu compte de l’invraisemblance des affirmations de son compagnon. Mais Mirette était encore sous l’impression un peu grisante des deux choses qui troublent le plus les femmes : les vapeurs du champagne et les propos d’amour.
Quelques instants plus tard, Juve suivait Mirette qui s’acheminait vers le fond du tunnel où devait avoir lieu la réunion des Ténébreux.