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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 16:38

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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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26 – ÉVASION COMBINÉE

Avec un grand bruit de sabres, d’éperons heurtés, de bissacs jetés à la volée sur les banquettes, au milieu d’un concours de population rassemblée dans un élan de commune admiration, les gendarmes qui amenaient Juve de Louvain à Saint-Calais, le considérant toujours comme étant le redoutable Fantômas, venaient de s’installer dans le wagon de deuxième classe réservé. C’étaient de braves gendarmes, respectueux des consignes qu’on leur confiait. Ils se montraient, à l’égard de leur prisonnier, d’une scrupuleuse et savante méfiance.

– Mettez-vous là, ordonna l’un des pandores, désignant à Juve le coin du wagon. Mettez-vous là, prisonnier, et ne vous avisez pas de vouloir faire le malin.

Juve sourit, s’assit avec une docilité parfaite à la place qu’on lui indiquait.

Depuis le temps qu’il croupissait en prison, Juve avait pris l’habitude de ne jamais se révolter, de ne jamais récriminer. Il acceptait tout avec une parfaite quiétude d’âme. Aussi bien, à quoi aurait-il donc servi à l’excellent policier de se plaindre ? S’il était prisonnier, si c’était lui que ramenait en France l’ordonnance d’extradition enfin signée, c’était parce qu’il l’avait voulu et rien n’arrivait jusqu’ici qui n’eût été combiné, machiné par Juve. L’inspecteur de la Sûreté pouvait bien pour mieux jouer son personnage, feindre une âme de résignation, prendre une attitude apitoyante. En réalité, au fond de lui-même il était radieux.

– Dans quelques heures, pensait le policier, je serai à Saint-Calais et une fois à Saint-Calais, bien malin sera celui qui m’empêchera de débrouiller toutes les affaires qui m’intriguent en ce moment. Bien malin si Fantômas ne finit pas en me retombant entre les mains.

Or, tandis que Juve se plongeait dans des réflexions que la certitude d’une victoire proche faisait joyeuses, tandis que les gendarmes qui l’accompagnaient, s’étendaient à leur tour sur les banquettes, en des poses nonchalantes, tandis que les voyageurs commençaient à monter dans les compartiments voisins, car le train allait bientôt partir, un employé essoufflé sautait sur le marchepied du wagon, appelait :

– Hé, messieurs les gendarmes.

– Présents, qu’est-ce qu’il y a ?

– Il y a, continuait l’employé, que je ne comprends rien du tout à ce qui arrive. C’est bien vous qui ramenez un prisonnier de Belgique ? C’est bien pour vous que l’on a retenu ce wagon ?

Le gendarme, chef de convoi chargé du transfert de Juve, exhiba un papier crasseux, jaunâtre, déchiré, et le tendit au fonctionnaire :

– Voilà notre réquisition, commençait-il, il y a tous les cachets voulus et vous pouvez lire qu’il y est dit qu’à la gare Montparnasse, on nous réservera un wagon, ainsi…

– C’est exact, bizarre tout de même cette aventure. Figurez-vous qu’il y a deux autres gendarmes et un prisonnier qui vont comme vous jusqu’à Connerré et qui réclament le wagon réservé.

– Alors ? interrogèrent les deux gendarmes, très inquiets et s’attendant à ce qu’on les fit descendre. Alors qu’est-ce que vous allez faire ?

– Dame, je ne sais pas. Je ne peux pas réserver un wagon de mon autorité pour l’administration pénitentiaire. D’ailleurs, au service du mouvement, on n’a indiqué qu’un seul wagon réservé.

L’employé souleva sa casquette, se gratta le front, mâchonna un porte-plume qu’il finit par poser sous son couvre-chef en un équilibre instable, puis il proposa :

– Des fois, messieurs les gendarmes, vous verriez un inconvénient, à ce que je fasse monter vos collègues avec vous ? Ça arrangerait tout, vous comprenez.

Déjà les deux pandores s’étaient consultés du regard.

Il ne leur déplaisait pas, à vrai dire, d’avoir des compagnons de route appartenant comme eux à la maréchaussée. Et puis, ils étaient imbus de cette timidité spéciale qui est la timidité des gendarmes. Comme tous ces braves militaires, ils avaient un respect infini pour les lois et règlements et aussi une crainte superstitieuse d’être, malgré eux, en contravention.

D’autres gendarmes réclamaient le wagon qu’ils occupaient, avaient-ils raison d’exiger un compartiment réservé ou étaient-ils dans leur tort ? Les gendarmes de Juve flairant une erreur du service de la place songeaient que peut-être bien tout cela pourrait finir par leur causer des ennuis. Dans le doute, mieux valait assurément accepter la compagnie des collègues.

– Qu’ils viennent, qu’ils viennent, nous serons tout simplement six en route. Et pas plus malheureux pour ça.

L’employé se gratta encore le front, geste qui, chez lui, témoignait d’une indécision profonde, aussi bien que d’une résolution subitement arrêtée :

– Je vais les chercher, dit-il.

Trois minutes plus tard, au moment précis où le train commençait à siffler discrètement pour inviter le mécanicien au départ, au moment où les portières claquaient, où les adieux s’échangeaient, deux nouveaux pandores, encadrant un prisonnier, se présentaient à l’entrée du compartiment où Juve, toujours absorbé par ses réflexions, rêvait à Fantômas.

– Bien le bonjour, messieurs, dit le chef des deux nouveaux gendarmes.

Puis il se retourna vers le prisonnier qu’il amenait :

– Allons, monte, toi.

Et comme l’individu s’était exécuté, il ordonna encore :

– Mets-toi dans le fond. Et ne bouge pas, nom de Dieu.

Les deux prisonniers, dès lors, étaient l’un en face de l’autre, les quatre gendarmes se faisaient des grâces, en s’aidant à caser leur sabre dans le filet, en se débarrassant de leur képi, en débouclant leur ceinturon.

Le train démarrait qu’ils avaient déjà fait connaissance, qu’ils échangeaient des réflexions sur la sévérité relative des maréchaux des logis qui étaient leurs chefs respectifs. Or, tandis que les quatre gendarmes en confiance, heureux d’échanger des potins de métier, nouaient entre eux des relations empreintes de la plus grande cordialité, Juve, bien qu’il eût l’air d’avoir les yeux fermés, examinait à la dérobée le prisonnier qui venait de s’asseoir en face de lui, et son naturel reprenant le dessus, il sentait en ce moment tous ses instincts de policier s’éveiller en lui.

Tandis que le train, petit à petit, prenait de la vitesse, tandis qu’il forçait son allure, ayant fini de traverser les voies resserrées qui sont les voies d’accès à la gare Montparnasse, Juve songeait :

– Quel âge peut-il avoir ? Peuh, de vingt-cinq à trente ans, c’est de la graine de prison, du bétail de bagne, de la chair à guillotine.

Et de fait, il semblait bien à première vue que l’apache qui venait de s’asseoir dans le coin opposé à celui qu’occupait Juve fût l’un de ces jeunes voyous qui n’attendent pas le nombre des années pour tenter de réussir quelque gros coup qui classe les maîtres dans l’esprit du milieu. Vêtu d’un complet à carreaux effiloché, graisseux, dont le col remonté ne laissait apparaître aucun linge, chaussé de bottines à boutons, dont la plupart manquaient, dont le cuir comportait de multiples crevasses, coiffé d’une casquette de jockey rabattue sur le visage, il offrait le spectacle lamentable du vice crapuleux et misérable.

– Moi, songeait Juve, avec un sourire amusé, on me ramène de Belgique et par conséquent il est tout naturel, étant donné la haute personnalité que j’incarne en passant pour Fantômas, que l’on me fasse l’honneur d’un transport par voie ferrée, mais lui, s’il n’avait qu’une peccadille à expier, on l’enverrait par la route, de brigade en brigade. Pour que les deux gendarmes l’escortant prennent ainsi place dans le train, il faut que ce soit un coupable d’importance.

Juve, ayant suffisamment examiné son voisin, passa à l’observation toute naturelle des deux gendarmes qui l’accompagnaient, et qui, maintenant, discutaient fort avec ses deux propres gardiens.

Or, Juve les voyait mal. Les deux nouveaux militaires en effet ayant trouvé les deux premiers coins opposés à ceux qu’occupaient les prisonniers pris par les deux gendarmes de Juve, s’étaient installés sur les banquettes entre les prisonniers et leurs collègues.

Comme ils discutaient, ils tournaient tout naturellement le dos à Juve qui ne pouvait voir d’eux que leurs uniformes vraisemblablement neufs et, en tout cas, superbes, aveuglants de boutons de cuivre astiqués.

Juve, ne pouvant apercevoir le visage des deux pandores, machinalement écoutait leur conversation. Les quatre gendarmes échangeaient des confidences, relativement à leurs prisonniers :

– Nous, disait le brigadier qui avait charge de Juve, nous, c’est un costaud qu’on accompagne jusqu’à Connerré, c’est le fameux Fantômas.

– Hé, hé, répondait l’un des gendarmes qui convoyaient l’autre prisonnier, paraît alors que ça va chauffer à Saint-Calais. Car nous, l’apache qu’on y conduit – car on va aussi à Connerré, – c’est comme qui dirait un complice aussi à Fantômas. Mais un petit complice, un tout petit complice en somme, et la preuve c’est que Fantômas, vous le voyez, ne le connaît pas.

Le train roulait toujours. Juve, commençant à trouver monotone d’observer alternativement le repos indifférent de l’individu qu’il avait en face de lui, et l’agitation des gendarmes, toujours occupés à causer, finissait tout tranquillement par décider de fermer les yeux, de s’endormir, de prendre un peu de repos.

– Après tout, songeait l’excellent policier, la journée de demain va être rude, il n’est pas mauvais que je m’y prépare en m’accordant un bon somme.

Juve se rencogna donc, s’étendit, commençant à s’assoupir, et cela d’autant plus béatement qu’à la même minute les quatre gendarmes, profitant de ce que le train filant à toute allure, ils ne pouvaient redouter aucune tentative d’évasion de la part de leurs prisonniers, venaient d’abaisser le rideau bleu tamisant la lumière de la veilleuse. Eux aussi allaient dormir.

Or, quelques minutes plus tard, comme Juve, éreinté par le long voyage qu’il avait fait depuis Louvain, s’assoupissait, il eut nettement l’impression qu’il rêvait et, chose curieuse, il avait en même temps conscience de son rêve. C’était une sensation si bizarre, si surprenante, que brusquement le policier se réveilla.

– Ah çà, songea-t-il, voilà que j’ai le cauchemar, il m’a semblé qu’on m’appelait, et qu’on m’appelait par mon nom.

Juve ouvrait les yeux, regardait d’un regard étonné l’aspect paisible du wagon. À coup sûr, il venait d’être victime d’un songe, car tout le monde dormait, les quatre gendarmes ronflaient à l’unisson, le prisonnier qui faisait face à Juve respirait régulièrement, lui aussi endormi, sans nul doute.

– Je deviens somnambule, murmura Juve en bâillant. Encore un signe de vieillesse.

Et Juve referma les yeux. Or, le policier n’était pas encore rendormi qu’il entendait distinctement, bien que très faiblement, une voix murmurer :

– Juve, réveillez-vous donc, marmotte que vous faites. Imbécile que vous êtes, réveillez-vous donc, Juve.

De saisissement, Juve faillit sursauter. Par bonheur, il songea que la prudence est une vertu, et il demeura immobile.

La voix reprenait d’ailleurs :

– Juve, vous n’avez pas besoin de faire des yeux ronds et de paraître complètement abasourdi, Juve, écoutez-moi donc, sapristi.

Cette fois, le policier comprit qu’il ne rêvait pas.

– Ah çà ! qu’est-ce qui m’adresse la parole ? Qui est là ?

– Moi.

– Qui ?

– Moi.

– Qui, encore ?

– Fandor.

– Où es-tu, Fandor ?

– En face de vous.

Et alors, avec un imperceptible sourire, Juve comprit que le prisonnier, l’infect voyou que deux gendarmes avaient amené dans son compartiment, n’était autre en effet que son intrépide ami Jérôme Fandor.

À la façon d’un dormeur qui s’installe tout tranquillement pour passer la nuit le plus confortablement possible, Fandor venait en effet de se retourner un peu ; il mettait sa casquette sur son visage, tournait la tête, les gendarmes ne pouvaient plus voir sa physionomie. En revanche, Juve, maintenant, reconnaissait parfaitement le visage de son ami.

Fandor semblait du reste s’amuser infiniment.

– Et voilà, mon vieux Juve, voilà comment on a des hauts et des bas dans l’existence. Nous nous sommes connus, il n’y a pas encore bien longtemps, voyageant dans le train de luxe pour regagner le Casino de Monte-Carlo où nous allions tous deux faire la noce. Aujourd’hui, vous et moi, nous nous retrouvons entre deux gendarmes… Que voulez-vous ? Il faut se faire une raison, Juve.

– Assez, Fandor. Dis-moi plutôt comment il se fait que tu es arrêté. La dernière fois que je t’ai vu, à la prison de Louvain, rien ne laissait supposer…

– Allons, Juve, un peu de patience, et ne m’interrogez pas. Je vais tout vous expliquer. D’abord, je ne suis pas arrêté.

– Pas arrêté ? Qu’est-ce que tu me chantes ? Ces deux gendarmes qui t’accompagnent ?

– Ces deux gendarmes, ne sont pas des gendarmes, mais bien vos excellents amis, nos excellents complices, Léon et Michel, déguisés en gendarmes, tout comme je suis déguisé, moi, en prisonnier.

– Léon et Michel ? Ah çà, mais je deviens fou.

– Le fait est, avoua le journaliste, que vous pouvez être surpris. Bon, écoutez-moi, Juve, les minutes pressent, car, après tout, on ne sait pas ce qui peut arriver. Vos deux gendarmes peuvent se réveiller, il faut que je vous mette au courant. Mon bon Juve, quand je vous ai vu à Louvain, vous m’avez dit : « Obtiens coûte que coûte que je sois rapidement extradé. » Bien. Je me suis démené. L’ordonnance d’extradition a été signée il y a cinq jours. C’est pourquoi vous êtes extradé.

– En effet. J’ai parfaitement deviné que c’était à tes démarches que je devais d’être enfin extrait de la prison de Louvain.

– Bougre de nom d’un chien, ne m’interrompez pas. Votre ordonnance d’extradition signée, Juve, je rapplique immédiatement à Saint-Calais pour surveiller la marche des événements. Or, savez-vous ce que je découvre à Saint-Calais ?

– Non. Quoi ?

– Que le juge Pradier a la tête trop petite.

Et comme Juve se taisait, l’air abruti, par l’extraordinaire affirmation de Jérôme Fandor, le journaliste poursuivit :

– Parfaitement. Mais il faut que j’éclaire ma lanterne. Mon bon Juve, quand les affaires de Saint-Calais ont commencé, il y avait un juge d’instruction qui s’appelait M. Morel. À ce juge d’instruction mis à la retraite a succédé un autre juge d’instruction nommé Charles Pradier. Je ne vous cacherai pas que, les premiers jours, ce Charles Pradier a été extrêmement sympathique. Une semaine pourtant après sa nomination, je ne pouvais plus le sentir.

– Je ne comprends rien du tout à ce que tu me racontes.

– Ça ne fait rien, écoutez-moi toujours. Donc ce Charles Pradier m’est devenu antipathique, et cela pour deux raisons : la première, qu’il refusait de se laisser interviewer par moi, qu’il me fuyait presque, la seconde, qu’il mettait une mauvaise grâce extrême à presser votre extradition. Comprenez-vous, Juve ?

– Je vais peut-être comprendre.

– De là à me méfier de ce Pradier, il n’y avait qu’un pas. Ce pas, si j’ose dire, je l’ai sauté à pieds joints. À ce moment, dans l’ombre, sans avoir l’air de rien, j’ai multiplié les enquêtes. On m’a vu à Mont-de-Marsan, poste précédent du nommé Pradier, où j’ai appris bien des choses intéressantes.

– Quoi ?

– Oh, ce serait trop long à raconter. Qu’il vous suffise de savoir ceci : hier, au moment même où votre ordonnance d’extradition était définitivement mise en règle, je suis arrivé à prendre un chapeau melon ayant incontestablement appartenu au juge d’instruction Pradier. Or, Juve, ce chapeau, ce chapeau truqué, ce chapeau que j’ai ramené à sa véritable dimension en enlevant des bandes de papier qui en garnissaient la coiffe, ce chapeau m’a convaincu que le Pradier, le Charles Pradier de Saint-Calais, avait la tête plus petite que le Charles Pradier de Mont-de-Marsan.

– Mon Dieu, tu vas me rendre fou avec tes histoires, Fandor, qu’est-ce que tu veux dire ? Parle.

Mais Fandor ne répondit pas.

L’un des gendarmes venait de se remuer, d’ouvrir les yeux. Juve et Fandor, toutefois, après quelques minutes d’intense émotion, se rassurèrent. Le gendarme ayant jeté un regard soupçonneux autour de lui n’avait rien aperçu de suspect, referma les yeux, se remit à ronfler.

Jérôme Fandor reprit :

– Voilà, Juve. C’est quelque chose de grave, de terrifiant, et je vous prie de noter que je n’en suis pas certain. Toutefois, il était bon de vous prévenir.

– Parle.

– Eh bien, Juve, je suis persuadé que le Pradier, le Charles Pradier qui est à Saint-Calais, est un faux Charles Pradier. Qui est-ce ? Je n’en sais rien, je n’ose pas l’imaginer.

– Pourtant, ça ne peut pas être…

– Juve, retenez bien ceci : le Pradier qui est à Saint-Calais a tout fait au monde pour que vous ne soyez pas extradé, ce qui est déjà grave. Ensuite, il a remis hier en liberté, j’ai pu m’en assurer, deux individus qui sont en ce moment en train de vous attendre à Connerré, et qui n’ont qu’un but : tenez-vous bien, Juve, vous empêcher de parvenir jusqu’à Saint-Calais.

– Mais tu parles chinois, sapristi.

– Je ne parle pas chinois du tout, je parle français. Juve. Je vous dis que, soupçonnant Charles Pradier d’avoir des raisons spéciales pour ne point vouloir que vous soyez extradé, je me suis arrangé pour surveiller ses faits et gestes. Il a remis en liberté, hier, l’apache Bébé et l’autre que nous connaissons sous le sobriquet de l’Élève. Ces deux individus sont décidés à vous faire évader d’abord, à vous tuer ensuite, et si moi je suis ici, mon brave Juve, c’est tout simplement parce qu’il me semble absolument nécessaire que nous évitions votre évasion d’abord, votre assassinat ensuite.

– Mais enfin, comment vas-tu faire ? comment pensent-ils me faire évader ?

– Ne vous inquiétez de rien.

Le journaliste ne put ajouter un autre mot, le train s’immobilisa à l’entrée d’une station, les gendarmes se réveillèrent, les gendarmes de Juve, hélas, car ceux de Fandor n’eussent pas été gênants, ils se réveillaient si bien que les deux amis ne purent plus échanger la moindre parole.

***

– Cavale voir un peu, mon poteau, viens-t’en jusque sous ce wagon ; d’abord on sera à l’abri, et ensuite on pourra surveiller l’arrivée du train, sans se faire remarquer. T’as toujours ton rigolo ?

– Bien entendu, Bébé, t’occupe pas des détails. Jaspine-moi plutôt c’que t’as fini par décider.

On arrivait en gare de Connerré.

Il était à peu près onze heures et demie, rares étaient les voyageurs qui attendaient le rapide de Paris.

Or, tandis que les rares personnes qui pensaient prendre le rapide de Paris faisaient les cent pas, luttant péniblement contre le froid et la pluie sur le quai, deux nommes, à une centaine de mètres de la gare, venaient d’enjamber la haie longeant la voie et se dirigeaient, ainsi que l’avait proposé l’un d’eux, vers un wagon de marchandises qui allait leur servir à la fois à se dissimuler et à se mettre à l’abri.

Ces deux hommes n’étaient autres que Bébé et l’Élève, les deux envoyés de Fantômas, chargés de faire évader, puis de tuer Juve, Juve arrivant entre les deux gendarmes de la prison de Louvain.

Comment étaient-ils là ?

– Jaspine-moi donc ton plan, répétait l’Élève, qui, tout comme son compagnon Bébé, venait de s’étendre à même le ballast, sous le wagon de marchandises d’une voie de garage.

Bébé ne se fit pas prier. Il était d’ailleurs très fier de la façon dont il avait combiné l’exécution des ordres de Fantômas.

– Mon vieux, répondait-il, j’m’en vas te cracher la chose en deux secs et raide comme balle encore. Tu vas voir si c’est du fumier de moineau, et si on est à la hauteur, quand y s’agit d’travailler.

– Vas-y, jaspine.

– Mon vieux, sitôt lâché par Fantômas, par ce vieux copain de juge d’instruction, je me suis dit : « Faut que je me rancarde ». Bon écoute voir comme j’ai été malin. Y avait à Saint-Calais le journaleux Jérôme Fandor. J’ m’abouche avec lui, je lui paie une fine, il m’en paye une autre. Bref, mon vieux, sans avoir l’air de rien, j’obtiens tous les renseignements que je voulais. « Fantômas, qu’il m’a dit, va arriver ici venant de Paris. Il arrivera soit par le train de onze heures, soit au train de onze heures trente. » S’il arrive par l’express d’onze heures, ma foi, mon poteau, les gendarmes le feront descendre. Il prendra la correspondance du train de Saint-Calais et nous n’aurons qu’à nous débrouiller pour le faire filer et le zigouiller, entre Connerré et Saint-Calais. S’il arrive, au contraire, par le train de onze heures trente, c’est-à-dire s’il n’est pas dans le train de onze heures, comme il n’y aura plus de correspondance pour Saint-Calais, les gendarmes le conduiront jusqu’au Mans, où il passera la nuit. D’où demain matin, on le dirige sur Saint-Calais. Dans ce cas, mon vieux poteau, faudra que nous l’évadions, soit ce soir avant qu’il arrive au Mans, soit demain, dans le trajet du Mans à Saint-Calais. T’as compris ?

– C’est bon. T’es bien renseigné, seulement on ne sait pas avec tout ça si ça sera bien commode pour le tirer des gendarmes.

– Oh ça va bien, pour ce qui est de le faire évader, c’est pas la mer à boire, mon vieux, puisqu’on se fout d’être arrêtés, étant donné qu’on sera conduits devant Fantômas, pardon, devant m’sieur Pradier, et que ça sera comme qui dirait une arrestation pour la frime.

Du train de onze heures, nul prisonnier, nul gendarme n’était descendu. Il était maintenant onze heures vingt. Bébé, qui sommeillait toujours étendu à côté de l’Élève, sous le wagon de marchandises, réveilla son copain :

– Hé l’Élève, faudrait voir à radiner maintenant vers la station. Puisqu’y avait personne dans le train de onze heures, nous sommes sûrs de le trouver dans le onze heures trente, on a pus que dix minutes, faut se grouiller, mon vieux.

En effet l’Élève et Bébé réussissaient tout juste à parvenir sur les quais de la gare de Connerré, étant obligés de faire un long détour pour ne point être remarqués des employés de la station, car le rapide de onze heures trente apparaissait au loin. Il entrait en gare. Il s’arrêtait, crachant la vapeur, sifflant, s’époumonant, et soudain emplissant de vie et de mouvement la petite station, quelques minutes auparavant déserte et silencieuse.

– Magne-toi, hurla Bébé à l’Élève, tout en courant le long du convoi. Faut qu’on zyeute le wagon ousque sont les gendarmes. Histoire de monter dans le compartiment d’après. On fera le coup en pleine marche, en passant à contre-voie.

Les deux apaches coururent à perdre haleine, le long du rapide, et puis soudain. Bébé empoigna l’Élève, le jeta de force presque dans un coin d’ombre de la gare.

– Hé pas de blague, zyeute-moi ça. V’là les pandores qui se gourent.

Du doigt, Bébé désignait à l’Élève, qui ne comprenait plus rien à l’aventure, deux gendarmes occupés à faire descendre un prisonnier d’un wagon de seconde classe.

– Tiens, mon poteau, continuait Bébé, c’est du nanan pour nous, tu comprends l’histoire, les gendarmes se gourent, mon vieux, que j’te dis, ils font descendre leur Fantômas ici, en s’imaginant qu’il y a encore une correspondance pour Saint-Calais. Mon vieux, quand le rapide va être parti, ils vont être en carafe dans le patelin, et si jamais ils ont l’idée de s’en aller à pied, tu parles qu’on aura des facilités pour réussir notre combine.

Bébé avait-il deviné juste ?

Tandis que l’Élève, qui avait l’esprit lent, réfléchissait aux paroles de son complice, tandis qu’il serrait dans sa poche, d’une main qui tremblait un peu, la crosse d’un revolver tout neuf, cadeau du juge Charles Pradier, le rapide, après s’être immobilisé quelques instants dans la gare de Connerré, démarrait, s’enfuyait à nouveau.

Et alors, tout comme l’avait prévu Bébé, les deux gendarmes empoignèrent chacun par un bras leur prisonnier, sortirent de la gare et d’un pas méthodique, grave, lent, s’éloignèrent sur la route déserte qui va de Connerré à Saint-Calais.

– Évidemment, murmurait Bébé à l’oreille de l’Élève, évidemment, mon vieux, ces types savent qu’ils ont manqué la correspondance. Ils s’apprêtent à rejoindre à pinces leur destination. Cavalons sur leurs chausses. Tu parles qu’on va rigoler.

On devait rigoler, en effet.

Une demi-heure plus tard, Bébé et l’Élève, usant de ruses savantes, ayant suivi les deux gendarmes et le prisonnier, se concertaient du regard :

– V’là l’instant, v’là le moment, dit Bébé.

De fait, l’endroit était désert ; gendarmes, prisonnier et apaches se trouvèrent en plein champ le long d’une route obscure. On voyait mal, car la nuit était noire, le ciel bas et il pleuvait à torrents.

– Marche, dit Bébé.

– Allons, dit l’Élève.

Les deux apaches, de plus en plus, s’étaient rapprochés, et tout à coup les deux gendarmes se retournaient :

– Tu y es, Bébé ?

– J’y suis.

Avant que les dignes serviteurs de l’ordre eussent eu le temps de se reconnaître, l’Élève et Bébé s’étaient élancés, leur sautaient à la gorge :

– À bas les gendarmes.

– Mort aux flics.

Certes, à ce moment, les deux lieutenants de Fantômas ne doutaient pas de la victoire. Tombant à l’improviste sur les deux pandores, ils allaient, pensaient-ils, les réduire à l’impuissance en moins de rien.

Ils se trompaient.

À peine les deux crapules s’étaient-elles élancées en effet, le couteau à la main, prêts à un massacre qui plaisait à leurs instincts sanguinaires, que les deux gendarmes, déjà, se retournaient, sur la défensive.

– Hardi, Léon.

– Hardi, Michel.

Le prisonnier s’était enfui sans avoir véritablement l’air de se presser.

Quant aux deux gendarmes, en un clin d’œil, avec l’habileté consommée de deux agents de police qui n’en sont pas à leur première arrestation, ils désarmaient leurs agresseurs, les renversaient sur la route, leur passaient les menottes, et demeurés maîtres du terrain, se relevaient alors, et, à la stupéfaction de Bébé et de l’Élève,

– Ma foi, mon vieux Michel, ça s’est passé comme sur des roulettes.

– Exactement comme M. Fandor l’avait prévu, mon bon Léon.

Comme M. Fandor l’avait prévu, se répétait le malheureux Bébé… Qu’est-ce que tout cela signifie ? Est-ce que, par hasard, Fantômas nous aurait trahis. Est-ce que, par hasard ?

Bébé n’eut pas le temps de réfléchir plus avant.

– Allons, debout, ordonna l’un des gendarmes. On va vous emmener à Saint-Calais.

D’une voix où Bébé croyait deviner un fou rire contenu, le gendarme ajouta :

– Vous venez de faire évader notre prisonnier, votre affaire est claire, vous verrez ce qu’on vous comptera demain. En route.

Pendant ce temps-là, d’un fourré voisin, Fandor, heureux et satisfait de la réussite de sa ruse, surveillait le départ de Léon et de Michel emmenant l’Élève et Bébé qui faisaient piteuse mine.


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