Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Mais nullement, mademoiselle, je ne suis pas plus habitué à faire du pied comme vous dites que je ne suis accoutumé à ce qu’on m’en fasse. Poursuivez votre récit.
– Bref, de fil en aiguille, je lui raconte ma vie, il me raconte la sienne, soi-disant qu’il était un fils de famille, voyageant pour son plaisir, qu’il avait beaucoup d’argent, et patati et patata. Toujours est-il qu’en arrivant au Mans, j’avais plus grand’chose à lui refuser. Je dois reconnaître que ce garçon-là s’est très bien conduit avec moi. Il y en a qui, après avoir obtenu ce qu’ils voulaient, m’auraient laissée là sur le quai de la gare, à me dépêtrer toute seule. Eh bien, non, il a été plus chic que ça. « Vous venez déjeuner avec moi ? qu’il m’a dit. On va faire une petite noce ». Ma répétition n’était qu’à quatre heures du soir, il était midi et demi, vous pensez si j’ai accepté. À la fin du déjeuner, il m’a donné cette bague, et voilà toute l’histoire.
– Je voudrais bien, mademoiselle Chonchon, que vous nous reparliez de ce prêtre qui était monté dans le train à Connerré.
– Le prêtre, vous n’avez pas deviné que c’était lui ? Ce jeune homme, mon amant, l’homme à la bague quoi. Vous pensez bien que je l’ai reconnu. Il avait des yeux c’t’homme-là, quand on les voit une fois, on ne les oublie jamais. Seulement, vous comprenez, avant de venir me faire du boniment, il est probable qu’il avait changé de costume. Car, bien entendu, j’aurais tout de même pas été déjeuner avec un prêtre en soutane.
Juve demanda :
– L’avez-vous revu ce monsieur ?
– Non, dit Chonchon. Mais il a promis de m’écrire. Seulement, vous comprenez, c’est fort embêtant pour moi d’aller raconter cette histoire devant Chambérieux ou devant Tergall qui se figurent qu’ils sont les seuls.
Juve réfléchissait :
– Naturellement, demanda-t-il, vous reconnaîtriez cet homme, je veux dire l’homme à la bague, si on vous le montrait. Même habillé en prêtre ?
– Comment donc, si je le reconnaîtrais.
– Oui, dit Juve à mi-voix, au juge, il faut faire comparaître l’abbé Jeandron. Il est cité si je ne me trompe.
– Introduisez l’abbé, ordonna M. Morel.
Quelques instants plus tard, le prêtre pénétrait dans le cabinet du juge. Il s’inclina devant Chonchon, toute troublée, salua Juve, et Fandor, puis s’adressant au magistrat :
– Monsieur le juge, j’ai oublié la dernière fois que vous m’avez fait l’honneur de me recevoir, de vous signaler un détail qui peut-être aura de l’importance à vos yeux : lorsque je suis revenu coucher à l’Hôtel Européen, j’en suis reparti, comme vous le savez – comme je vous l’ai déclaré du moins – le lendemain matin, de fort bonne heure. J’ai laissé dans ma chambre quelques menus bagages. Notamment une soutane et un chapeau de rechange dont j’avais fait emplette le jour précédent et que je rapportais à la cure. Or, je me suis aperçu, il y a deux ou trois jours seulement, que cette soutane et ce chapeau me manquaient. J’ai interrogé ma mémoire, et acquis la certitude que j’avais laissé ces vêtements dans la chambre de l’hôtel et que je ne les avais pas revus depuis.
– De mieux en mieux, s’écria Juve.
Le prêtre s’arrêta, dévisagea le policier :
– Ma déclaration vous intéresse, monsieur ?
– Énormément, répondit le policier.
Cependant, M. Morel s’adressait à Chonchon :
– Voici M. l’abbé Jeandron, persistez-vous dans vos déclarations ?
– Quelles déclarations ?
– Le prêtre qui est monté dans le train du Mans à Connerré avec lequel vous avez passé l’après-midi, est-ce monsieur ?
Le juge désigna l’abbé Jeandron.
– Mais non, fit Chonchon, je le connais bien, monsieur, c’est M. l’abbé Jeandron, le vicaire de Poncé.
– Alors, ce que vous nous avez raconté est inexact ?
– Pas du tout. C’est d’un autre qu’il s’agit, voilà tout. Je vous dis que c’était un curé, ou tout au moins un bonhomme habillé avec une soutane.
Juve intervint :
– J’attire votre attention, monsieur Morel, sur la réticence que vient de formuler mademoiselle. « Ou tout au moins ». Retenez bien cette opinion…
– Je ne comprends pas, fit le magistrat.
– Pour moi, fit Juve, la chose est claire comme de l’eau de roche.
Le magistrat passa dans la pièce voisine en compagnie du policier. L’abbé Jeandron, la chanteuse, et Fandor, restaient à se regarder dans le blanc des yeux.
– Monsieur, expliqua Juve au magistrat instructeur, la situation s’éclaircit. Il résulte des déclarations de Chonchon qu’un homme habillé en prêtre a pris le train à Connerré et s’est dirigé vers Le Mans. Cet homme habillé en prêtre est parti de Saint-Calais par le train de onze heures dix. Nous savons qu’un billet lui a été délivré. Il paraît être le voleur des bijoux. Le fait qu’il ait offert à la chanteuse une bague provenant du vol le confirme. La question était de savoir comment notre voleur a pu revêtir un vêtement d’ecclésiastique, pourquoi et comment il se l’est procuré ? Tout s’explique depuis la déclaration de l’abbé Jeandron. J’en conclus donc : l’abbé Jeandron vous a dit la vérité, monsieur le juge, lorsqu’il a déclaré avoir quitté l’Hôtel Européen de fort bonne heure le jour du vol ; les témoins, qui assurent avoir vu un prêtre sortir précipitamment de l’hôtel quelques instants après onze heures n’ont pas menti non plus. Ils ont vu en effet sortir le voleur, et le voleur qui s’était affublé de la soutane et du chapeau dérobés à M. l’abbé Jeandron. Reste donc à découvrir l’auteur de cette audacieuse supercherie, mais il nous faut le chercher hors d’ici et écarter définitivement tout soupçon au sujet des personnes incriminées jusqu’ici.
Fandor, sans vergogne, s’était introduit dans la pièce où les deux hommes s’entretenaient :
– L’abbé, interrompit-il, demande s’il peut se retirer ?
– Mais certainement, fit le magistrat, qui abandonna un instant Juve pour aller rendre la liberté au prêtre.
– Bravo, mon cher, disait Fandor à son professeur de police, voilà qui est bien raisonné. Je viens de vous entendre et j’ai admiré une fois de plus la logique de votre esprit.
– C’était simple, fit Juve, voilà tout.
– Joli tout de même le tour. Bien exécuté, pas vrai ?
– Pas trop mal, déclara Juve, quoique ne cassant rien, à vrai dire. Mais où veux-tu en venir ?
– À ceci, Fandor : si Fantômas n’était pas en prison, s’il n’était pas enfermé dans une cellule de la maison d’arrêt de Louvain, ça pourrait bien être, j’en mettrais ma main au feu, un coup à la Fantômas.
– Et pourquoi est-ce que ce n’en serait pas un ? On pourrait toujours voir.
– Au fait, poursuivit Fandor, on pourrait voir à télégraphier une insinuation de ce genre à La Capitale.
– Oui, fais donc un article dans ce sens.
Mais soudain un cri. C’était M. Morel qui venait de le pousser. Au moment où il rentrait dans la pièce, il avait surpris les dernières paroles de Juve.
– Un journaliste, hurla le magistrat terrifié, monsieur Juve, vous vous êtes permis d’introduire un journaliste dans mon cabinet ?
– N’ayez aucune crainte, monsieur le magistrat, mon ami Jérôme Fandor n’est pas un journaliste comme les autres, il ne bavarde pas. D’ailleurs, voyez, il se retire.
– Parbleu, quand tout est terminé.
Cependant Fandor s’était éclipsé, riant sous cape des émotions du brave magistrat.
Au passage, il prit par le bras la malheureuse Chonchon, abandonnée de tous, qui, profitant d’un petit miroir, avait remis son chapeau et réparé le désordre de sa toilette.
– Allons, ces émotions ont dû vous creuser. Venez avec moi, je vous invite à déjeuner.
– Ma foi, je veux bien, dit Chonchon, vous êtes le seul à peu près propre dans toute cette bande de mufles.
Elle poussa un gros soupir :
– Comment diable est-ce que je vais m’en tirer avec mes deux numéros ? Qu’est-ce que je vais dire à Chambérieux et à Tergall ?
10 – PLAN INFERNAL DE JUVE
Il y avait dix minutes à peine que Juve et Fandor venaient de regagner l’appartement que le policier occupait depuis des années et des années rue Bonaparte.
Fandor qui pour une nuit, sur l’invitation de son compagnon, s’apprêtait à dormir chez Juve, avait en souriant fait le tour de toutes les pièces, fureté un peu partout, regardé sous les lits, secoué les tentures, ouvert les placards, cela, disait-il, froidement, afin d’être certain qu’il n’y avait pas « d’embusqué ».
Juve ne restait pas inactif. Lui aussi parcourait l’appartement en tous sens, lui aussi cherchait. Mais de son examen ni de celui de Fandor rien ne résultait en fin de compte qui fût le moins du monde inquiétant.
– Allons, viens, Fandor, cria Juve, regagnant son cabinet de travail et tirant d’un placard une petite cave à liqueurs. J’imagine que nous aurons la paix cette nuit et que nous pourrons dormir.
– Mon bon Juve, dit Fandor tout en trinquant d’enthousiasme avec le policier, j’ai pour vous l’affection la plus inébranlable, le respect le plus absolu, la sympathie la plus ardente, mais vous vous enfoncez l’obélisque dans l’œil si vous croyez vraiment que vous vous reposerez cette nuit.
– Ah çà, qu’est-ce que tu me chantes ? Tu prétends m’empêcher de dormir ? Eh là, Fandor, si je t’ai invité à venir coucher ici, je te prie de croire que ça n’est pas pour que tu viennes déranger mes habitudes de célibataire rangé. Enfin, vas-tu m’expliquer pourquoi je ne me reposerai pas cette nuit ?
– Ah ça, Juve, est-ce que vous vous foutez de moi ? oui ou non ? J’aimerais à le savoir.
– Et pourquoi veux-tu que je me moque de toi, Fandor ?
– Parce qu’il me semble que votre conduite…
– Ma conduite ? qu’est-ce que tu lui reproches ?
Fandor s’était installé à califourchon sur une chaise, appuyant son menton au dossier, se balançant, au grand risque de perdre l’équilibre.
– Ce que je reproche à votre conduite, digne Juve, c’est tout et rien. Vous êtes énigmatique comme le sphinx, assommant comme une mouche, muet comme une taupe.
– Explique-toi.
– Je m’explique : Juve, vous êtes dormeur comme une marmotte, parce que de Saint-Calais à Paris, aussi bien dans le wagon du tortillard que dans le compartiment de l’express, vous avez roupillé sans arrêt. Vous êtes muet comme une taupe parce que, quand vous dormez, vous ne fournissez aucune explication. Vous êtes énigmatique comme le sphinx parce que tout dans vos attitudes est incompréhensible. Vous êtes assommant comme une mouche, enfin, parce qu’à chaque minute à chaque instant, quelque effort que l’on fasse pour vous comprendre, on demeure stupide devant l’ingéniosité de vos pensées. Voilà, c’est clair ?
– Ça n’est pas clair du tout. Très sérieusement, je ne te comprends pas, Fandor ?
– Oui ou non, Juve, vous moquez-vous de moi ?
– Oui ou non, répondait Juve, vas-tu m’expliquer ce qui t’intrigue si fort ?
– Juve, quand je vous ai rencontré au Mans, je vous ai dit que j’avais reçu deux avertissements de Fantômas et que Fantômas, par conséquent, était mêlé aux affaires de Saint-Calais. Là-dessus, vous m’avez traité d’idiot. Est-ce exact ?
– Très exact, Fandor.
– Alors, pourquoi, Juve, hier soir, parlant à la personne même de M. Morel, avez-vous déclaré que Fantômas était le coupable du vol ? Et pourquoi ce matin m’avez-vous fait prendre à Saint-Calais le train de Paris en me déclarant, sans autre explication, que nous allions nous occuper de Fantômas ?
– Allons, Fandor, un peu de calme. J’avoue que tu peux être furieux à bon droit et je t’annonce que je vais t’expliquer tout ce qui te paraît incompréhensible. C’est simple comme bonjour.
– Juve, je suis sur le gril.
– D’abord, Fandor, tu es un serin.
– C’est admis. Voyons la suite ?
– Non. Arrêtons-nous au contraire à cette première évidence. Tu es un serin, mon petit Fandor, car tu n’as pas été capable d’inventer qu’il était fort possible que, pour toi et pour moi, Fantômas n’était nullement mêlé aux affaires de Saint-Calais alors qu’il y était directement mêlé pour M. Morel, le procureur général, et consorts.
– Ce qui veut dire, Juve ?
– Mais ce qui veut dire, parbleu, que j’ai menti hier soir quand j’ai dit que je croyais Fantômas le coupable !
– Pourtant, mes télégrammes, le coup de téléphone ?
Juve, à nouveau, hoqueta de fou rire :
– Mon pauvre ami, cela ne prouve pas grand-chose. Le coup de téléphone de Fantômas, c’était quelque chose d’absolument idiot destiné à quelqu’un de rigoureusement imbécile. La dépêche était du même goût.
Puis, comme Fandor ouvrait des yeux abasourdis, comme il paraissait ahuri, Juve expliqua :
– Mais naïf que tu fais, voyons, Fandor, c’est moi, moi, Juve, qui t’ai donné le coup de téléphone de la part de Fantômas. Et c’est moi, moi, Juve encore, qui t’ai envoyé la dépêche signée Fantômas.
– Vous, Juve, c’est vous l’auteur de ces mystérieuses communications ? ah çà, par exemple, je ne m’en serais jamais douté.
– C’est ce que je te reproche, Fandor. Mais, sapristi, si tu avais réfléchi deux minutes, tu te serais dit qu’il était impossible que Fantômas eût reçu en prison ton article intitulé : « Cherchez la Femme » à l’heure où l’on t’adressait un télégramme. Rien que ça aurait dû te faire penser que tu étais la victime d’un imposteur.
– J’ai parfaitement songé que Fantômas n’avait pas pu avoir mon article à sa prison de Louvain, mais j’ai immédiatement admis qu’il s’était évadé, qu’il n’était plus là-bas. Or, d’après vous, Juve, Fantômas est toujours en prison ?
Juve haussa les épaules, ricana, puis lentement, appuya sur les mots il déclarait :
– Oui. Fantômas est encore en prison. Mais pas pour longtemps.
– De plus fort en plus fort, Juve. Que diable voulez-vous dire ? Si vous saviez – et vous le saviez – que Fantômas était en prison, par conséquent hors d’état d’agir, pourquoi, Juve, m’avez-vous envoyé un coup de téléphone de la part de Fantômas, une dépêche signée Fantômas. Pourquoi avez-vous dit hier : « Fantômas, c’est le coupable » ?
– Parce que je n’entends pas que Fantômas reste trop longtemps à la prison de Louvain…
– Mais, mon Dieu, où voulez-vous donc qu’il aille ?
– À l’échafaud.
Il ne plaisantait plus.
– Écoute, Fandor, voici mon plan de guerre : il est incontestable que Fantômas nous a roulés, m’a roulé, lorsqu’il s’est fait arrêter en Belgique, en Belgique où l’on ne guillotine pas. Fandor, tant que Fantômas sera en Belgique détenu à la prison de Louvain, détenu à perpétuité en raison de sa qualité de condamné à mort dont la peine a été commuée, il sera hors d’atteinte. Donc, coûte que coûte, il faut faire revenir Fantômas en France. En France, où l’échafaud saura rendre ce bandit inoffensif définitivement. Tu comprends cela, je suppose ?
– Sans doute, Juve, je comprends que nous ne pouvons rien contre Fantômas tant qu’il est en Belgique, mais…
– Laisse-moi parler. Quand j’ai appris les vols de Saint-Calais, je me suis immédiatement rendu sur les lieux. J’y ai enquêté, j’ai interrogé, à droite et à gauche, les personnalités susceptibles d’éclairer ma religion, bref, et je te l’ai raconté, je suis arrivé à établir de la façon la plus certaine que le vol avait été commis par des individus appartenant à une bande d’apaches, la bande des Ténébreux, composée d’anciens complices de Fantômas. Bon. Que penses-tu que j’aie fait alors ?
– Juve, j’imagine qu’immédiatement vous avez été faire part de vos découvertes au Parquet de Saint-Calais, qu’immédiatement vous avez pris les mesures nécessaires pour que l’on coffre le plus rapidement possible la bande des Ténébreux en entier.
– Eh bien, répondait-il, je n’ai rien fait de tout ça. Non. Sachant que les Ténébreux étaient des complices de Fantômas, mon petit Fandor, j’ai pensé que, de sa prison de Louvain, Fantômas devait avoir organisé cette affaire. Je supposais, pour tout dire, que Fantômas entretenait toujours des intelligences avec les apaches groupés dans la bande des Ténébreux. De là à me dire que je ne devais rien tenter contre les Ténébreux, de peu d’importance en somme, tant que je n’aurais pas pu m’emparer de Fantômas, et cela afin que le bandit ne soit pas informé de mes projets, il n’y avait qu’un pas. Mon petit Fandor, persuadé que les Ténébreux étaient les auteurs du vol, j’ai laissé les Ténébreux tranquilles. J’ai même fait autre chose.
– Quoi ?
– Est-ce que tu le devines ?
– Ma foi, non, Juve.
– C’est pourtant bien simple. Je t’ai téléphoné de la part de Fantômas. Je t’ai envoyé une dépêche signée Fantômas.
– Et pourquoi faire Juve ?
– Pour commencer, par ton intermédiaire, Fandor, à faire parler de Fantômas à propos des vols de Saint-Calais. J’ajoute que je n’ai pas eu à me repentir de cette ruse. Tu n’étais pas depuis vingt-quatre heures au Mans et à Saint-Calais, mon bon Fandor, que, malgré ta discrétion, hum, ou à cause de ta discrétion, comme tu voudras, l’opinion publique « parlait » en effet de la culpabilité possible de Fantômas. Est-ce juste, Fandor ?
– C’est juste, mais je ne vois pas…
– Tu vas voir. Jusque-là, mon cher Fandor, j’avais bien soin, chaque fois que l’on citait Fantômas, de hausser les épaules. Hier, au contraire, l’opinion publique étant tout à fait décidée à considérer que l’Insaisissable seul avait pu oser les deux vols, je pouvais lancer mon ballon d’essai. Tu l’as vu, hier, Fandor, froidement j’ai déclaré au juge d’instruction et au procureur général qu’à mon avis, il n’y avait pas de doute, Fantômas était le coupable. Or, comme l’opinion publique m’avait préparé les voies, ni le procureur général ni le juge d’instruction n’ont même sursauté à cette hypothèse. Maintenant, tu vas saisir en vertu de quel plan j’ai agi. Fandor, je me suis dit ceci, qui est bien simple : les vols de Saint-Calais sont aux yeux de la justice très mystérieux. Je vais les grossir. Je me garde de les expliquer. Puis, en coup de théâtre, brusquement je déclare que Fantômas est le coupable. « Fantômas », c’est la réponse que je fais à la perplexité des magistrats. Et ces mêmes magistrats seront si heureux de posséder cette réponse qu’ils adopteront immédiatement ma thèse, qu’immédiatement ils m’accorderont de faire les démarches nécessaires pour obtenir l’extradition du bandit.
– Mais cette extradition ne vous avance à rien.
– En effet. Mais compte sur moi, Fandor, pour compliquer un peu les choses. Suppose donc qu’avant le moment où l’extradition sera opérée, Fantômas ait fichu le camp de sa prison et ait été, par exemple, secrètement arrêté par deux policiers français, Léon et Michel, pour ne pas les nommer. Suppose qu’en même temps, au moment précis où Fantômas aidé par des complices de bonne volonté sera sorti de sa prison, un personnage ait pris sa place dans sa prison, de telle façon que nul ne se soit aperçu de l’évasion du vrai Fantômas. Vois-tu ce qui va se passer, Fandor ?
– Dites.
– Il se passera ceci : le faux Fantômas ayant remplacé dans la prison de Louvain le vrai Fantômas sera extradé et conduit à Saint-Calais. À ce moment, ce faux Fantômas se fera reconnaître. Il dira par exemple : « Je suis Juve… » Oui. Ne sursaute pas. Il dira : « Je suis Juve. Il y a trois mois, on m’a arrêté sous le nom de Fantômas et à la place de Fantômas en m’accusant d’avoir tué le prince Nikita. C’est moi qui ai toujours été dans la prison de Louvain. En Belgique, on ne voulait pas en convenir. En France j’espère qu’on va le reconnaître. » Tu devines la suite ?
Fandor, enthousiasmé, fit le geste d’applaudir.
– Eh oui, parbleu, je devine la suite. À ce moment, n’est-ce pas, on relâche le faux Fantômas et, à ce moment encore, comme par hasard, on apprend que le vrai Fantômas a été arrêté en France. Le vrai Fantômas, dès lors arrêté par des agents français, est considéré comme n’ayant jamais été prisonnier belge, jamais été extradé, et par conséquent on l’envoie sur l’échafaud. C’est tragique au possible, et farce comme tout, en même temps. Faire évader Fantômas de force. S’arranger pour le faire reprendre immédiatement. Trouver moyen d’organiser un procédé légal de rompre les effets d’une extradition, Juve, c’est tout simplement génial. C’est infernal aussi.
– Peuh, ce n’est pas trop mal, voilà tout. Dans cette histoire, tu devines le rôle de chacun des personnages, j’imagine ? Toi, Fandor, tu vas dès demain retourner à Saint-Calais, histoire de surveiller les agissements de la bande des Ténébreux qu’il ne faut tout de même pas oublier. Moi, je vais partir en Belgique, pour prendre à Louvain la place de Fantômas. Léon et Michel m’accompagneront et à la sortie de prison de Fantômas, ils pisteront le bandit qu’ils arrêteront dès qu’il sera en France et qu’ils amèneront à Saint-Calais au moment où j’y serai moi-même conduit, en tant que Fantômas, entre deux gendarmes, en exécution de cette ordonnance d’extradition. Tout de même, en a-t-il, de la chance, le petit tribunal de Saint-Calais. Si jamais on m’avait dit que ce serait dans sa modeste salle d’audience qu’auraient lieu les premiers interrogatoires du roi des criminels !
Mais brusquement, Juve s’interrompit :
– Et puis, zut, en voilà assez, Fandor. Il est trois heures du matin, il est grand temps d’aller au lit.