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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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28 – UN ÉTRANGE PRISONNIER

– Avancez, prisonnier.

Juve, docilement, sans paraître se soucier des regards curieux que lui lançaient les voyageurs stationnant sur le quai de la gare du Mans, avança de quelques pas, toujours escorté des deux gendarmes qui avaient charge de le conduire au Parquet de Saint-Calais.

La veille au soir, le policier, non sans une certaine inquiétude, avait vu son inséparable ami Jérôme Fandor descendre en gare de Connerré, accompagné de Léon et de Michel.

– Que diable va-t-il faire là ? avait pensé Juve… Pourquoi descendent-ils ici ? Régulièrement, je dois aller passer la nuit à la prison du Mans, et n’arriver que demain à Saint-Calais. Fandor fait une imbécillité en descendant en cours de route. Il devrait rester avec moi jusqu’à l’arrivée de mon train au Mans.

Juve, pour raisonner de la sorte, supposait – ce qui était exact – que si Fandor avait pris la peine de se déguiser en prisonnier, c’est qu’il avait l’intention de créer prochainement une confusion de personnes.

Juve, malheureusement, ne pouvait questionner son ami, ne pouvait savoir de lui le plan auquel il s’était arrêté.  Les  deux gendarmes,  qui  s’étaient  réveillés, étaient demeurés à causer dans le wagon. Il était impossible aux deux amis désormais de communiquer.

Le policier, en réalité, eût été fort rassuré s’il avait su que Jérôme Fandor avait trouvé moyen d’entrer en relation avec l’apache Bébé, et de lui persuader que l’extradé de Louvain devait descendre du train à Connerré. Il eût alors compris pourquoi Fandor descendait à cette petite station, comment de la sorte il était certain d’y attirer sur ses traces les deux apaches décidés à organiser l’évasion du prisonnier, évasion à laquelle Fandor prétendait s’opposer.

Juve conduit au Mans, ne sachant rien de ce qui survenait sur la route de Connerré, c’est-à-dire de l’arrestation de Bébé et de l’Élève, passa une nuit détestable, n’osant fermer l’œil et s’attendant aux pires calamités.

Rien ne survint pourtant, de nature à inquiéter le policier. La nuit s’écoula paisible. Au petit matin, les deux gendarmes chargés de son transfert vinrent le chercher, l’emmenèrent à la gare où immédiatement ils s’occupaient de faire viser le permis de circulation qui devait les autoriser à monter dans le train à destination de Saint-Calais.

– Avancez, prisonnier.

Juve suivit ses gardiens.

Mais, après avoir parlé à un employé galonné qui faisant de grands gestes, eut l’air de refuser une faveur extraordinaire, les gendarmes, la mine furieuse, revinrent auprès de Juve :

– Par ici, prisonnier.

Le policier, de plus en plus docile, accompagna les dignes pandores. On allait trouver un autre employé plus galonné encore, mais probablement tout aussi intraitable.

– Retournons, prisonnier.

Pendant près d’une heure, le malheureux Juve, toujours entre deux gendarmes, parcourut la gare du Mans en tous sens et s’assura qu’il y avait bien dans la respectable station de chemin de fer une vingtaine d’employés groupés en une hiérarchie savante, ce qui leur permettait en cas de difficulté avec les voyageurs, de se renvoyer les mécontents les uns aux autres jusqu’à ce que ces derniers fussent littéralement affolés, abrutis, résignés, de guerre lasse, prêts à tout plutôt qu’à obtenir justice.

Or, comme pour la cinquantième fois peut-être, les gendarmes ordonnaient à Juve :

– Demi-tour, prisonnier.

Le policier, qui commençait à être nerveux et n’avait guère l’habitude de perdre ainsi des heures entières sans résultat apparent, se décida à sortir du mutisme qu’il observait d’habitude :

– Qu’est-ce qu’il y a donc, messieurs les gendarmes ? Pourquoi allons-nous visiter successivement tous ces gens à casquette ?

Le brigadier, qui en dépit de son apparence calme amassait dans son cœur, depuis de longs instants, sa bonne dose de colère, éclata.

– Ce qu’il y a, répondit-il, il y a que notre permis n’est soi-disant valable que sur les lignes de l’État. C’est idiot, mais c’est ainsi. Et par conséquent, on refuse de nous le viser pour la ligne, pour le tronçon de ligne Mamers-Saint-Calais, que régulièrement nous devrions prendre à Connerré.

– Je ne comprends pas, faisait Juve.

– Mais c’est pourtant bien simple, repartait le brigadier qui mettait maintenant, à convaincre le malheureux Juve la même fougue impétueuse qu’il mettait depuis une heure à vouloir convaincre les employés de la station du Mans. Notre permis comporte « Paris-Saint-Calais ». Bien ! nous pouvions aller à Saint-Calais par Paris, Bessé-sur-Braye, changement de train, Bessé-sur-Braye-Saint-Calais, pour gagner du temps et obéir aux instructions administratives, nous avons pris la ligne Paris-le-Mans, si du Mans nous voulons rejoindre Saint-Calais, il faut maintenant que nous prenions la route :

Le Mans-Connerré, à Connerré, changement de train, Connerré-Saint-Calais. Or, l’embranchement Connerré-Saint-Calais ne dépend pas de l’État et l’on nous refuse le passage.

Juve, pour toute réponse, se contenta de sourire. Il n’était pas fâché outre mesure, le policier, à l’idée que des difficultés s’élevaient au sujet de son arrivée à Saint-Calais. Dans la pensée où il était toujours, que Fandor avait dû rater son coup, ne point trouver moyen d’empêcher l’évasion projetée, Juve songeait qu’il était toujours exposé à tomber dans une embuscade. N’était-il pas excellent dès lors que l’itinéraire prévu pour son voyage fût à l’improviste modifié ?

Juve, qui connaissait sa carte de chemin de fer sur le bout du doigt, ne paraissait d’ailleurs pas très embarrassé par le problème que lui soumettait implicitement son gendarme.

– Eh bien, brigadier, répondait Juve avec une parfaite tranquillité, puisque nous ne pouvons pas emprunter la ligne Mamers-Saint-Calais, il n’y a qu’à changer l’itinéraire.

À cette proposition inattendue, le gendarme, mis hors de lui, trépignait presque sur place :

– C’est cela, faisait-il, tremblant de colère, vous me proposez d’aller à pied de Connerré à Saint-Calais, eh parbleu, il y a longtemps que ce serait fait si je n’avais pas un ordre formel de l’administration pénitentiaire. On doit vous transférer par le train, je ne puis pas changer quoi que ce soit à cette consigne. Ainsi…

Juve ne laissa pas le gendarme achever :

– Transférez-moi par le train, proposa-t-il, faisant preuve d’une amabilité extraordinaire, mais passons par un autre itinéraire, vous dis-je, du Mans allons à La Châtre, de La Châtre à Bessé-sur-Braye, de Bessé-sur-Braye à Saint-Calais.

Juve avait soudainement trouvé le moyen de ramener la tranquillité dans l’âme du gendarme.

– Ah parbleu, ma foi, oui, s’exclama le brigadier, je ne pensais pas à cette combinaison. Elle est tout simplement merveilleuse. Ma parole, prisonnier, c’est très fort, ce que vous venez de proposer là. Très fort.

Le brave homme n’en dit pas plus. Mais il était évident qu’il était très satisfait d’avoir enfin découvert un procédé qui lui permît, sans bourse délier, de transiter son prisonnier en respectant les ordres administratifs. Ce contentement de gendarme se manifesta bientôt d’une façon sensible que Juve apprécia fort. Comme après deux heures de trajet, le petit groupe composé du policier et des deux gendarmes roulait aux environs de Bessé-sur-Braye, le brigadier autorisa son prisonnier à fumer une cigarette.

– Décidément, prisonnier, je crois que maintenant, dans trois quarts d’heure nous serons rendus à destination.

– Je le crois aussi, brigadier.

Après de multiples changements de train, fatigués, mais satisfaits, les deux gendarmes et le policier venaient, à Bessé-sur-Braye, d’embarquer dans le tortillard qui mène à Saint-Calais.

Ils avaient encore trois quarts d’heure de route à faire, mais trois quarts d’heure de route facile puisque maintenant aucun changement de train n’était plus nécessaire, puisque le compartiment dans lequel ils se trouvaient allait directement jusqu’à Saint-Calais.

Or, le gendarme n’avait pas fini sa phrase, Juve était encore en train de répondre, que brusquement le train s’arrêta. Il s’arrêta, non pas comme un train s’arrête d’ordinaire, lentement, prudemment, dans le bruit des grincements de frein, mais au contraire brusquement, net, avec une soudaineté qui amena les wagons à se heurter, à s’entrechoquer, et cela si violemment que Juve et les deux gendarmes furent précipités les uns contre les autres, avant qu’ils eussent eu le temps de se reconnaître.

– Crédibidsèque, cria Juve.

– Bougre de bougre, s’exclamèrent les gendarmes.

Puis, les représentants de la maréchaussée, d’une voix pleine de sollicitude, s’informèrent :

– Vous n’avez rien, prisonnier ?

– Rien, répondait Juve, qui déjà se penchait à la portière, mais je crois bien que si moi je n’ai rien, notre train, lui, a quelque chose.

– Bon Dieu de bon sang de bonsoir, commença le brigadier, on n’y arrivera donc jamais à Saint-Calais.

Le simple gendarme était tout aussi furieux que son chef :

– Sapristi de sapristi, dit-il, des aventures comme celle-là, ça suffirait à vous dégoûter de porter l’uniforme.

Juve était toujours penché à la portière. Les deux gendarmes, un genou sur la banquette, abaissaient les petits carreaux du wagon, regardant eux aussi sur la voie.

Le long du train, un employé courait au loin. Près de la locomotive, on voyait le mécanicien qui s’affairait. Or, plus Juve approchait de Saint-Calais, et moins, en vérité il paraissait avoir conscience des obligations afférentes à sa qualité de prisonnier. Après leur avoir donné le moyen d’atteindre sans trop de longueur le but de leur voyage en passant par La Châtre, il avait acquis la sympathie de ses gardiens et il en profitait.

Juve, en dépit des menottes dont ses mains étaient garnies, ce qui le signalait à l’attention des voyageurs du petit train qui tous étaient aux portières, héla un employé :

– Hé là-bas, mon ami, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ?

L’employé haussa les épaules, et avec un grand geste de doute, répondit :

– Je ne sais pas, il y a une avarie à la machine.

Mais déjà du compartiment voisin, lassés d’attendre, les voyageurs s’empressaient de descendre, désireux de se rendre compte du motif imprévu qui venait d’immobiliser le convoi. Au surplus nul n’ignorait, parmi ceux qui se trouvaient dans le petit tortillard, que les itinéraires de la compagnie étaient complaisants, la discipline tolérante et, qu’en conséquence, le train n’était pas prêt de repartir à l’improviste.

Juve pourtant s’impatientait.

– Ils sont assommants, que diable, murmura-t-il, ces sacrés trains de province.

Puis, brusquement, une idée vint au policier : Ah çà est-ce que l’arrêt du train, par hasard, ne concorderait pas avec les projets d’évasion dont Fandor lui avait parlé ? Il fallait le savoir.

Juve le plus naturellement du monde, comme s’il se fût adressé non pas à deux gendarmes chargés de le mener en prison sous l’inculpation d’être le plus terrible bandit, mais bien comme s’il eût, en réalité conversé avec deux camarades, proposa :

– Dites donc, si nous allions voir ce qui se passe ?

La proposition était faite d’un ton si simple, que les deux gendarmes surpris, ne pensaient même pas à la refuser.

– Si vous voulez, ça passera le temps.

Juve, déjà, ouvrait la portière, et toujours menottes aux mains, suivi de ses deux gardiens, se dirigea vers la tête du train, où s’étaient rassemblés les voyageurs.

– Qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda le policier, faisant preuve d’un incontestable toupet et feignant de ne pas remarquer les regards apeurés dont les personnes présentes considéraient ses menottes.

Le mécanicien qui, grimpé sur la machine, une machine de forme préhistorique, apparaissait de temps à autre avec un visage noir de charbon, couvert de sueur et complètement affolé, répondait à la cantonade :

– Ce qu’il y a, nom de Dieu ? Ah, saloperie, je voudrais bien le savoir. Il y a que l’admission au tiroir est bouchée. La vapeur ne passe plus. Cré nom d’un chien. Justement aujourd’hui le feu tire merveilleusement. Si la soupape ne marche pas, tout à l’heure ça va sauter.

À la déclaration de l’homme de l’art, naturellement un recul sensible se produisit parmi ceux qui entouraient la locomotive.

Les deux gendarmes eux-mêmes tirèrent Juve par la manche :

– Venez donc, proposaient-ils, venez, prisonnier. Si des fois…

Juve haussa les épaules :

– S’il y a danger d’explosion, continuait toujours avec calme l’extraordinaire policier, qui de plus en plus paraissait oublier sa situation de prisonnier, il faut faire le nécessaire, mécanicien. Ouvrez une sûreté.

Et le mécanicien, rageusement répondit :

– Y en a pas sur ces vieux chaudrons.

– Alors, ouvrez le sifflet.

– Pour qu’on ne s’entende plus ?

– Mettez un linge mouillé autour de l’ouverture, ou dévissez votre dôme.

Juve parlait avec une telle autorité que le mécanicien, brusquement, sortit de la chaudière où il était à demi enfoncé.

– Tiens, fit-il, vous avez raison. Ma foi, je n’y pensais pas. Vous êtes donc du métier ?

Puis, considérant Juve, le voyant entre deux gendarmes, le mécanicien sursautait :

– Ah bougre, c’est vous qui venez de parler ?

Juve montra ses menottes :

– Ne faites pas attention à cela, si mon conseil est bon, suivez-le.

Le mécanicien fit oui de la tête, il dévissa en effet à l’aide d’une énorme clé le haut du sifflet. La vapeur dès lors put s’échapper. L’accident n’était plus à craindre. Son travail fini, d’ailleurs, il se tourna encore vers Juve :

– Des fois, faisait-il, si vous êtes du métier, vous ne voyez pas comment qu’on pourrait enlever la plaque de garde du tiroir ? Moi je ne connais pas ces machines-là.

Très aimablement, Juve s’avança, après avoir d’un regard sollicité la permission des gendarmes qui, complètement abasourdis par le rôle que jouait leur prisonnier, n’osaient guère intervenir.

– C’est très simple, affirma Juve, et il ne faut pas vous énerver comme ça.

Le policier, toujours suivi des deux gendarmes, et maintenant regardé par tous avec une admiration un peu étonnée, s’approcha de la locomotive, désigna quelques écrous au mécanicien stupéfait :

– Dévissez cela, mon ami. Vous allez immédiatement pouvoir sortir votre tuyau d’admission.

Mais le mécanicien n’en voulait pas savoir plus long.

– Ça va, vous m’expliquerez après.

Juve, lui, ne put s’empêcher de sourire, tandis que l’homme exécutait le travail qu’il lui avait indiqué.

– Décidément, pensait le bon Juve, il est utile de savoir un peu de tout. Voici maintenant que pour m’être amusé jadis à étudier le fonctionnement des locomotives, je peux donner des indications à un mécanicien de chemin de fer.

Mais Juve, quelques minutes après fronçait les sourcils. La plaque de garde enlevée, le mécanisme du tiroir sous le presse-étoupe devenait visible. Et brusquement, le policier s’écriait :

– Ah çà, mais qu’est-ce qu’on y a mis dans votre machine ? Qu’est-ce que c’est que cet encrassement ? Elle est sabotée, votre locomotive, mon ami.

– Ma foi non, monsieur, elle n’est pas sabotée plus qu’une autre. Ce que vous voyez là, c’est de la chaux, tout simplement.

– De la chaux protestait Juve. Mais, bon Dieu vous êtes fou, pourquoi y a-t-il de la chaux dans vos bouilleurs ?

– Parce qu’il y en a dans l’eau du réservoir.

Après un instant de réflexion cependant, le policier sembla renoncer à comprendre comment il pouvait y avoir tant de chaux dans la tuyauterie de la locomotive. Une autre préoccupation lui vint à l’esprit. Au fur et à mesure que le mécanicien travaillait, la foule des voyageurs : braves paysans, petits fonctionnaires, humbles bourgeois, se rapprochait de plus en plus de la locomotive en panne. Or, la vapeur fusait, il y avait danger d’accident, de brûlures. Juve de nouveau intervint :

– Dites-moi, messieurs les gendarmes, fit-il en se retournant vers ses acolytes de plus en plus stupéfaits par la conduite de leur prisonnier, dites-moi, vous ne trouvez pas qu’il y a danger à laisser tous ces braves gens s’approcher ainsi ? Vous devriez les faire circuler.

Évidemment, il fallait le beau toupet de Juve pour que, menottes aux mains, il osât de la sorte, donner des instructions à ses gardes. Les gendarmes, pourtant, ne se formalisèrent pas.

– Vous avez raison, prisonnier.

Et, étendant le bras, ils firent reculer tout le monde, laissant toutefois Juve demeurer près de la locomotive. Le policier, alors, s’accroupit pour examiner, après le mécanicien, la tuyauterie de la locomotive. Il n’avait pas commencé d’inspecter le mécanisme, que brusquement, il éclata de rire :

– Eh bien, dit-il, je comprends que la vapeur ne passe pas, regardez dans ce tuyau, mécanicien, vous allez voir qu’il y a quelque chose qui le bouche hermétiquement.

Le mécanicien, deux minutes après, se rendait compte que l’observation du prisonnier était justifiée.

– Ça va, fit-il d’un air satisfait. Maintenant que l’on sait ce qui arrête la machine, y en a pas pour longtemps.

L’homme s’arma d’une tringle de fer, l’introduisit à force, gratta, fourgonna. Au bout de quelques instants, l’objet malencontreux qui s’étant engagé dans la tuyauterie avait occasionné la panne, tomba sur le ballast. Il n’y avait là rien que de très ordinaire, et pourtant, Juve n’eut pas plutôt aperçu, tombé sur le ballast, l’objet qui avait formé bouchon à la circulation de la vapeur, qu’il pâlit, qu’il poussa un juron :

– Ah crédibidsèque, qu’est-ce que cela veut dire ?

Et, en dépit des étincelles, des morceaux de charbon incandescents qui tombaient des grilles du foyer, en dépit des jets de vapeur qui fusaient, au risque de se brûler atrocement, Juve se précipita, s’engagea sous la locomotive, alla ramasser quelque chose de brillant, de rond, de plat qu’il examina avec des yeux et une mimique d’extrême surprise.

Juve toutefois n’avait pas encore eu le temps de se relever que les deux gendarmes rappelés au sentiment des choses, intervenaient :

– Prisonnier, qu’est-ce que vous avez ramassé ? Qu’est-ce que vous mettez dans votre poche ?

L’inspecteur de la Sûreté prit un ton d’autorité pour répondre :

– Venez à l’écart.

Domptés par son air sérieux, les deux gendarmes le suivirent à quelque distance, cependant que dans la foule les commentaires montaient. Il semblait extraordinaire que ce fût un prisonnier qui commandât de la sorte à ses gardiens.

– Qu’est-ce que vous avez ramassé ?

Juve froidement, avec un sourire extraordinaire, tendit aux gendarmes, une médaille d’argent :

– Ceci. Vous savez ce que c’est, gendarmes ?

– Ma foi non. Pas du tout.

– Eh bien, messieurs les gendarmes, c’est une médaille de magistrat, une médaille de juge d’instruction. Parfaitement. Et si vous voulez prendre la peine de lire l’inscription gravée, vous pourrez lire le nom suivant : Charles Pradier. Ce qui arrêtait la locomotive tout à l’heure, c’est tout bonnement la médaille de magistrat du juge d’instruction de Saint-Calais.

– Mais, qu’est-ce que cela veut dire ? commença le brigadier.

– C’est incompréhensible, affirma le simple gendarme.

Quarante minutes plus tard, le train en détresse, à deux kilomètres de Bessé était enfin refoulé jusqu’aux quais de la gare. Force avait bien été à la direction de la voie de prendre cette mesure, à peine d’interrompre complètement la circulation sur la ligne Bessé-Saint-Calais. Or, le convoi n’était pas plutôt arrivé en gare de Bessé-sur-Braye, définitivement, sans panne cette fois, grâce à une locomotive de secours, que Juve, nerveux, rageur, obtenait de ses deux gendarmes l’autorisation d’être conduit auprès du commissaire chargé de la surveillance de l’embranchement.

Là, avec un sang-froid extraordinaire, paraissant de plus en plus oublier qu’il était un prisonnier les menottes aux mains, Juve commençait une vraie enquête.

Il procédait d’ailleurs, avec une telle habileté, il donnait dès ses premières phrases une telle preuve de son intelligence, que le commissaire de surveillance, tout comme le chef de gare, tout comme les deux gendarmes, finit par oublier presque complètement qu’ils avaient à faire à un prisonnier. Et Juve, forçant ainsi le destin, redevenait, malgré lui policier, apprenait de la sorte de forts intéressants détails. Il questionnait le fonctionnaire :

– D’où vient, disait-il, qu’il y a de la chaux dans les foyers de locomotives ?

En substance, le chef de gare lui répondait que c’était en effet, fort regrettable, mais qu’on ne pouvait pas l’empêcher.

– Figurez-vous, ajoutait le brave homme, qu’il y a de cela quelque temps, un tonneau de chaux est tombé d’un wagon en manœuvre dans le réservoir d’eau qui sert à alimenter les locomotives. En ce moment, il y a pénurie d’eau ici, nous n’avons pas encore pu vider le réservoir, on se sert donc de cette eau dans laquelle il y a de la chaux en dissolution. De là vient l’encrassement que vous avez constaté.

Or, Juve à ces détails, parut pris d’une véritable frénésie d’enquêteur.

– Un tonneau de chaux est tombé dans le réservoir, murmura-t-il, tout en fronçant les sourcils, ce qui était l’indice chez lui d’un profond énervement. Quand cela ? Où ça ?

– C’était le jour même de l’installation du nouveau juge Pradier dans la nuit de son arrivée, que le tonneau était tombé dans le réservoir.

Juve, du sérieux, passa à la plus folle gaieté.

– Je comprends, murmura-t-il.

Et comme le chef de gare le regardait stupéfait, Juve proposa :

– Menez-moi, monsieur, à ce réservoir. Vous verrez que ce ne sera pas une démarche inutile.

Quelques minutes après, gendarmes et commissaire se penchaient à qui mieux mieux sur le bord du bassin.

Et Juve, Juve qui de plus en plus dirigeait l’expédition, expliqua :

– Il faut draguer ce réservoir, il faut le draguer immédiatement, coûte que coûte. C’est très grave.

Il parlait avec une telle assurance, une certitude si indiscutable, qu’entraînés par sa conviction, on céda à ses caprices. Des hommes d’équipe arrivèrent, armés de tous les instruments qu’ils purent découvrir, ils fouillèrent le réservoir d’eau, d’abord sans succès.

– Enfin, commençait le chef de gare, qui, petit à petit, se ressaisissait, enfin, sapristi, qu’est-ce que vous pensez donc, que nous allons retrouver ?

– Cela, déclara froidement Juve.

Et tandis qu’avec un ah de stupeur, le chef de gare, les gendarmes, les hommes d’équipe, reculaient, Juve montra du doigt au bout d’une perche qu’un des compagnons soulevait avec peine quelque chose d’épouvantable, de hideux : un squelette presque entier, un squelette rongé, brûlé, impossible à identifier, mais cependant, un squelette humain. Et Juve, flegmatiquement, conclut :

– On tue un homme, on le met dans un tonneau de chaux, ce tonneau on le renverse dans un réservoir d’eau. La chaux brûle le cadavre, mais n’attaque pas les objets métalliques qu’il a dans ses poches. Parmi ces objets se trouve une médaille de juge d’instruction. Cette médaille est découverte dans les rouages d’une locomotive, cette locomotive est encrassée de chaux. Le policier Juve, tout imbécile qu’il est, fait une petite enquête et retrouve le squelette. Hé hé, tout de même, on dirait que je n’ai pas trop mal travaillé.

À ce moment, les deux gendarmes, les hommes d’équipe, le chef de gare, le commissaire de surveillance, tous ceux qui étaient là, considéraient Juve avec des regards affolés, apeurés, inexpressifs, à force de stupéfaction. Ce prisonnier qui, les menottes aux mains, parvenait à amener de si étranges découvertes commençait à leur apparaître comme un personnage diabolique.


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