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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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8 – A L’ALCAZAR, L’HEURE DE L’APÉRITIF

– Un bock à l’as.

Après avoir annoncé la commande, le garçon se rendait au comptoir.

– Diable, pensa le consommateur, je ne me suis pas attiré l’estime du garçon, j’ai demandé la consommation la moins chère. J’aurais dû prendre autre chose pour me faire bien voir. Enfin, je m’en vais tâcher de réparer ma sottise en le gratifiant d’un pourboire royal. Mon vieux Fandor, tu mettras cela sur ta note de frais, car, n’oublie pas que tu voyages en ce moment, pour le compte de ton journal.

Le journaliste heurta d’une pièce d’argent le bord de la soucoupe, de façon à attirer l’attention du garçon. Celui-ci, émergeant soudain de l’office, s’empressa de rentrer dans la salle, mais loin de se diriger vers le journaliste, il alla à la table voisine et s’enquit avec un air aimable et une intonation respectueuse, de la commande qu’allait lui donner un consommateur à peine assis.

Celui-ci l’interpella familièrement :

– Écoute ici, Boum-Voilà, j’ai une soif terrible et j’ai tellement chanté à la répétition qu’il faut me retaper les cordes vocales. Tu vas me servir une purée bien tassée.

– Vous pouvez être tranquille, monsieur Marius, vous allez être content.

Le consommateur, un habitué évidemment et un artiste, s’étala sur la banquette, lança son chapeau sur une chaise, puis en attendant la consommation demandée, apostropha Fandor :

– Ces gaillards-là, déclarait-il, en désignant le garçon qu’il avait surnommé Boum-Voilà, ne sont pas mauvais, mais il faut toujours les avoir à l’œil, c’est chapardeur, ficelle et compagnie.

Fandor laissa parler le cabotin, estimant que le ronron de ses paroles constituait un bercement très favorable aux réflexions qui lui venaient à l’esprit, de même qu’à l’élaboration du plan de campagne qu’il méditait.

Le journaliste, au lendemain de sa rencontre avec M. Chambérieux, avait décidé qu’il était intéressant de faire la connaissance de cette fameuse maîtresse dont le bijoutier manceau semblait faire si grand cas.

Toutefois, Fandor avait refusé de se faire présenter à Chonchon par son seigneur et maître, il estimait que mieux valait, pour se former une opinion sur la demoiselle, faire sa connaissance sans attirer sur soi une attention particulière. Et, Fandor, après avoir erré tout l’après-midi dans les rues désertes du Mans, était venu s’installer avec toutes les apparences d’un bon désœuvré, à l’Alcazar, à l’heure de l’apéritif.

Fandor, depuis une bonne demi-heure qu’il était installé à l’Alcazar, regardait avec insistance le grand portrait de couleur représentant la vedette de l’établissement : la célèbre Chonchon, corps souple, voluptueux, que surmontait une ravissante tête de poupée inexpressive mais jolie.

À la table de Fandor, après quelques hésitations, les deux petites artistes que M. Jules avait accusées d’avoir démoli le piano, étaient venues s’asseoir timidement, elles se posèrent sur l’extrémité de leurs chaises, et, soudain, feignant de s’apercevoir que la table était occupée, se levaient brusquement, lorgnant Fandor, en déclarant très haut, de façon que toute la galerie puisse avoir une haute idée de leur tact et de leur savoir-vivre :

– On vous demande pardon, monsieur, on n’avait pas remarqué que vous étiez là, nous allons nous mettre ailleurs pour ne pas vous déranger.

Mais, Fandor, galant homme, ne voulut pas laisser partir ces dames.

– Restez donc, mesdames, au contraire, et permettez-moi de vous offrir quelque chose.

Fandor, du reste, faisait une folie qui ne lui coûterait pas bien cher.

La porte, du fond de l’Alcazar, s’était ouverte sous une violente poussée, et une petite femme blonde, boulotte, emmitouflée d’un boa à longues plumes, était entrée en coup de vent. Elle annonça son arrivée, en lançant d’une voix fraîche, mais stridente et commune, un tonitruant :

– Bonsoir la compagnie.

Puis, à petits pas précipités, tournant la tête à droite et à gauche, pour s’assurer que les rares personnes se trouvant dans la salle, l’avaient bien remarquée, la nouvelle venue gagna le pied de la scène en fredonnant des paroles stupides, sur un air d’une sinistre vulgarité.

– Et voilà, ajouta-t-elle, ponctuant la fin de son refrain, de ce commentaire, et voilà le truc avec lequel je les emballe tous les soirs.

Un jeune homme, aux vêtements râpés, au visage blafard, avait surgi de derrière le piano :

– Veux-tu répéter, Chonchon ? demanda-t-il.

Et, sans attendre la réponse, il s’installa au piano, plaqua quelques accords.

Chonchon commençait à chanter, sans se préoccuper le moins du monde de la mesure. Mais, le pianiste se garda bien d’en faire l’observation à une vedette aussi notable que Chonchon, et de toute la rapidité de ses doigts déliés et nerveux, il s’efforçait de la rattraper :

– Rendez-vous au point d’orgue, avait d’ailleurs prévenu la chanteuse.

Elle avait ajouté :

– Les premiers arrivés attendront les autres.

Soudain, après quelques vocalises plus ou moins échevelées, Chonchon s’arrêta net. Elle venait de penser à quelque chose d’important et, se tournant vers la porte de l’office, elle s’écria :

– Boum-Voilà, au lieu de rester à bâiller, tu ferais mieux de me servir mon vermouth. Allez, grouille-toi, va-t’en porter ça à la table, où sont les copains.

Puis Chonchon reprit la phrase interrompue tout en regardant discrètement autour d’elle, non pour voir ceux qui l’entouraient, mais toujours pour s’assurer qu’elle ne passait pas inaperçue.

À vrai dire, les camarades de la vedette se préoccupaient relativement peu d’elle. Mais au milieu du groupe qu’ils formaient, se trouvait quelqu’un qui, depuis l’arrivée de Chonchon, ne l’avait pas quittée des yeux, n’avait pas perdu un seul de ses gestes ni même négligé d’écouter un seul de ses propos.

Le journaliste, dès qu’il avait vu entrer la grosse petite femme, l’avait reconnue.

– Voilà Chonchon, s’était-il dit.

Et Fandor ne doutait pas un seul instant qu’il parviendrait à faire sa connaissance. Le hasard le servait, Chonchon avait ordonné au garçon de lui porter une consommation à la table de Fandor. Il n’avait donc plus qu’à l’attendre.

La chanson terminée, Chonchon, avec une parfaite désinvolture, se dirigea vers le groupe, serra familièrement quelques mains, puis son regard tombant sur Fandor :

– Tiens, dit-elle, comment ça va depuis dimanche dernier ?

– Ah ? fit Fandor.

– Ne te frappe pas, si je t’ai dit ça, c’est l’histoire de rigoler. C’est mon habitude de demander aux gens comment c’est qu’ils vont depuis dimanche dernier.

– Très drôle, en effet.

– Je ne te connais pas, tu n’es pas d’ici. Qu’est-ce que tu fais ?

– Je… commença Fandor.

– Non, fit-elle en protestant du geste, ne me le dis pas, je m’en vais le deviner.

Familièrement, la vedette examinait Fandor :

– Toi, déclara-t-elle, tu es un voyageur de commerce.

– Peut-être, consenti le journaliste, qui ne tenait pas autrement à faire connaître, pour le moment, son identité et sa profession.

– Peut-être ? reprit la grosse fille, sûrement même. Ça se voit tout de suite à ton air et à ta façon de ramasser les soucoupes pour payer les consommations. Dans quoi es-tu ?

– Tu l’as deviné répliqua Fandor, dans le commerce.

– Parbleu, je le sais bien, mais quel commerce ? La pommade ? l’épicerie ? les machines à battre ?

– Ma foi non, répliqua Fandor, qui, au hasard répondait : je suis dans les draps.

– Eh ben, mon vieux, s’écria Chonchon, en tapant un vigoureux coup de poing sur la table, ça doit pas être un métier embêtant que de vivre dans les draps, surtout si on n’y couche pas tout seul.

Et, effrontément, la grosse fille clignait de l’œil en regardant Fandor.

Le journaliste était de plus en plus stupéfait, surpris.

Cette créature était assurément la plus stupide et la plus vulgaire qu’il eût jamais rencontrée. Vraisemblablement, elle devait être bonne fille avec sa grosse face blonde, toute peinturlurée, ses cheveux teints comme une perruque, mais elle devait être bonne fille à la manière des oies, trop bêtes pour imaginer la moindre méchanceté.

Éclipsées par la diva, les deux petites femmes à qui Fandor avait galamment offert une consommation s’étaient discrètement retirées et le gros Marius lui-même, qui, pourtant ne brillait pas par le tact, avait jugé délicat, quelques instants après, de s’en aller aussi.

Évidemment, le nouveau venu qui payait si largement les apéritifs, et Chonchon la vedette allaient avoir à causer de choses qui ne regardaient pas les camarades.

Boum-Voilà en eut rapidement, d’ailleurs, la confirmation.

Il était allé rôder auprès du couple composé de Fandor et de Chonchon. Il revint quelques instants après à l’office, et d’un air dédaigneux, annonça au patron :

– Voilà déjà qu’ils discutent d’un rendez-vous.

M. Jules haussa les épaules.

Fandor, en effet, avait à brûle-pourpoint, posé la question décisive à Chonchon :

– Alors, avait-il dit, quand soupons-nous tous les deux ? Demain ? après-demain ?

La bonne grosse figure de Chonchon devint tout d’un coup sérieuse. Il ne s’agissait plus de plaisanter :

– Ma foi, dit-elle, ce serait avec plaisir, mais demain j’ai mon ami.

– Ah, fit Fandor dépité, il n’y a pas moyen de le lâcher ?

– Oh, s’écria Chonchon très choquée, vous n’y pensez pas.

– Et après-demain ? poursuivit Fandor.

– Après-demain, c’est la même histoire. J’ai mon amant.

– Votre ami ? votre amant ? interrogea Fandor, n’est-ce donc pas le même ?

– Vous êtes trop curieux.

Fandor prit la main de la jeune femme.

– Alors, dit-il, ce sera entendu pour ce soir.

Le journaliste espérait que devant son attitude décidée, la chanteuse allait céder. Évidemment, Chonchon était très ennuyée d’opposer un refus aux demandes si flatteuses de son compagnon de rencontre.

– Je suis désolée, avoua-t-elle sincèrement, mais justement, ce soir, j’ai un rendez-vous et…

– Alors zut, grommela Fandor, qui, faisant mine d’être très vexé, se leva brusquement.

Chonchon le rattrapa par le bras :

– Vous fâchez donc pas, après tout, cela pourrait peut-être s’arranger. Écoutez. Je ne vous promets pas absolument pour ce soir, parce que, comme je vous l’ai dit, j’ai déjà un rendez-vous avec quelqu’un, mais je ne connais pas plus que ça cette personne, et si des fois c’était une blague, qu’elle ne vienne pas, eh bien, nous pourrions passer la soirée ensemble. Venez toujours au spectacle, vous m’applaudirez, et puis, on se verra avant minuit et on décidera de ce qu’il y a à faire.

***

Fandor, à sept heures et demie, errait seul et désemparé, dans les rues du Mans.

Il avait rendez-vous sans avoir rendez-vous, il était obligé d’aller passer la soirée à ce café-concert qui ne l’intéressait que médiocrement, et il n’était pas sûr de pouvoir finir utilement sa soirée en interrogeant, comme il en avait l’intention, la fameuse Chonchon, sur ses relations avec Chambérieux. Car c’était là le but que se proposait Fandor.

Machinalement, Fandor s’était arrêté devant une boutique brillamment illuminée et considérait à travers la glace un assortiment superbe de fleurs de luxe.

– Si j’étais galant, se dit le journaliste, j’entrerais dans ce magasin et je marcherais de vingt francs pour envoyer à ma future conquête une corbeille de fleurs !

Le journaliste entra dans le magasin. Une petite employée vint au-devant de lui :

– Sapristi, pensa Fandor, en voilà une qui est rudement plus gentille que la grosse Chonchon. Qu’elle va me trouver bête de faire de semblables dépenses pour un pareil tableau.

Fandor fit part à la vendeuse de ses intentions.

– Veuillez dire à la caisse, monsieur, conclut celle-ci avec un gracieux sourire l’adresse de la personne à qui il faut porter ces fleurs.

Fandor se rapprochait du bureau où trônait une majestueuse personne, et à la manière d’un écolier en faute, il balbutia :

– C’est pour Mlle Chonchon.

Mais la caissière s’arrêta interdite : au moment où Fandor, placé à sa droite, venait de lui nommer la destinataire du bouquet, un autre acheteur s’approchait d’elle du côté gauche et d’une voix nette articulait :

– Les fleurs que je viens d’acheter sont destinées à Mlle Chonchon.

Les deux hommes s’étaient entendu donner leurs ordres respectifs.

Ils levèrent les yeux, se regardèrent et demeurèrent un instant interloqués.

Puis, à l’ahurissement de la caissière et de la vendeuse, ils déposèrent simultanément un louis sur le comptoir, et confirmaient pour ainsi dire ensemble, leurs instructions :

– C’est pour Mlle Chonchon, de l’Alcazar, avait répété Fandor.

Et l’autre client avait répété lui aussi :

– À l’Alcazar, pour Mlle Chonchon.

Imperturbable, la caissière, dont la main tremblait cependant un peu – car elle était désolée de cette coïncidence fâcheuse, qui faisait se rencontrer au même moment, devant elle, deux adorateurs de la chanteuse – nota l’adresse.

Lorsqu’elle releva le nez, les deux clients avaient disparu, mais ils n’étaient pas loin, et, tous deux, dans la rue, dissimulaient mal un inextinguible rire.

– Fandor.

– Juve.

– Eh bien, mon petit Fandor, je t’y pince à envoyer des bouquets à des chanteuses de beuglant.

– Je vous conseille de parler. N’essayez pas de dissimuler, Juve. Je constate que vous êtes en train de vous plonger dans la plus sombre débauche. Est-ce raisonnable de la part d’un homme de votre âge, de faire de semblables folies ?

– Soit, conclut le policier, allons dîner ensemble. J’ai deux heures à te consacrer, après, je te quitterai.

– Juve, s’écria Fandor, vous me quitterez peut-être, mais moi, je ne vous lâche pas. J’ai besoin de savoir comment vous allez passer votre nuit.

– Gros malin, tu t’en doutes peut-être.

– Parbleu, Juve, si je m’en doute. Vous avez invité Chonchon à souper.

Juve sourit :

– Et après tout, pourquoi pas ? Mais comment diable le sais-tu ?

– Je le sais, répliqua le journaliste, parce que je l’ai moi-même invitée et qu’elle viendra avec moi, si elle ne vient pas avec vous.

– À moins que…

Les deux hommes se regardèrent en riant :

– À moins que, reprirent-ils l’un et l’autre, nous soupions tous les trois ensemble.

9 – CHONCHON ET SES AMANTS

M. Morel, juge d’instruction à Saint-Calais, était un homme pacifique et paisible, qui n’aimait pas les émotions, cela tenait, comme il le disait lui-même, à ce qu’il avait le cœur délicat et à ce fait également qu’il commençait à être d’un âge où les passions humaines et leurs conséquences ne font plus sur nous qu’une impression très superficielle.

M. Morel allait être bientôt remplacé. Sur sa demande, on liquidait sa retraite, on lui cherchait un successeur et il n’en éprouvait pas d’amertume. Bien au contraire. Respectueux toutefois de son devoir, et résolu à le remplir avec la plus parfaite correction, sinon avec le plus grand enthousiasme, jusqu’à l’heure du repos, M. Morel cependant ne négligeait rien de ses affaires. Et c’est pour cette raison que ce matin-là, dès huit heures moins le quart, on le vit dans les rues de Saint-Calais, se rendant à petits pas au palais de justice.

Un pli barrait son front. M. Morel était soucieux. Ses préoccupations étaient nées depuis le jour du vol de bijoux, commis à l’Hôtel Européen.

Ce jour-là, précisément, M. Morel prévoyait une grosse matinée, car il avait convoqué à son cabinet, pour complément d’enquête, le bijoutier Chambérieux, le marquis de Tergall et l’abbé Jeandron.

M. Morel, en arrivant au Palais de Justice, fut assez étonné de ne pas trouver son fidèle greffier en train d’épousseter la banquette sur laquelle attendaient d’ordinaire les personnes citées par le magistrat.

– Suis-je donc très en avance ? se demanda M. Morel, qui savait son greffier homme exact.

Mais, l’étonnement de M. Morel devait s’accroître de plus en plus, et quelques secondes après, le magistrat demeura figé de stupéfaction à l’entrée de son cabinet.

Dans le petit salon qui attenait au bureau dans lequel se tenait d’ordinaire le magistrat, régnait un grand désordre et un tapage épouvantable. M. Morel s’avança et constata que, dans la pièce, se trouvaient, à côté du procureur général, deux inconnus qui s’occupaient activement à ranimer une jeune femme évanouie gisant sur le canapé.

– Monsieur le procureur, balbutia le magistrat, lorsqu’il put enfin dire une parole, qu’est-ce que cela signifie ?

Le procureur se retourna, il aperçut le juge :

– Ah vous voilà, mon cher Morel, dit-il, eh bien, je suis content que vous arriviez. Voilà une histoire extraordinaire, figurez-vous que…

Le procureur s’arrêta :

– Mais au fait, reprit-il, il faut d’abord que je fasse les présentations.

Les deux inconnus qui soignaient la femme évanouie venaient en effet de se retourner et regardaient le magistrat.

Le procureur les désigna et s’adressant au juge :

– Je vous présente, dit-il, M. Juve, inspecteur de la Sûreté, et son collaborateur. Ces messieurs ont eu l’occasion, cette nuit, de faire connaissance avec la jeune femme que vous voyez étendue sur ce canapé. Ils ont cru devoir vous l’amener, car elle peut être, paraît-il, d’un gros intérêt pour l’enquête que vous poursuivez en ce moment dans l’affaire Chambérieux-Tergall.

– Ah véritablement, est-ce possible ? Mais je ne comprends rien du tout.

– Vous allez comprendre, ces messieurs vous expliqueront.

Puis, comme s’il avait hâte de disparaître, le procureur général salua le magistrat :

– Votre bureau, monsieur Morel, n’était pas fermé à clef, c’est pourquoi nous nous y sommes introduits pour donner les premiers soins à cette personne, vous nous excuserez de cette violation de domicile.

Le procureur général s’était à peine retiré que la femme évanouie reprenait peu à peu ses sens.

Elle se redressa lentement, comprima ses tempes de ses deux mains, tapota ses cheveux d’un geste naturel et instinctif, puis son regard abasourdi s’arrêta sur Juve. Il prit une expression de haine.

– Eh bien, nom de Dieu, hurla-t-elle, vous avez une drôle de manière de traiter les gens que vous invitez à souper. Espèce de brute, lâche, cafard. C’est ça que vous appelez inviter les gens à déjeuner à la campagne. Mais soyez tranquille, ça ne se passera pas comme ça.

Juve, impassible, laissa passer l’orage des propos que tenait à son égard l’irascible Chonchon. Moins pacifique et moins calme, M. Morel sentit soudain une grosse colère monter en lui.

– Madame ou mademoiselle, déclara-t-il, je vous invite à modérer votre ton.

Chonchon considéra une seconde le nouveau venu, puis avec la plus parfaite désinvolture :

– Toi, fit-elle, je ne sais pas ce que tu viens faire là-dedans, mais nous sommes déjà assez sans toi. Tâche de la boucler et débine-toi, si tu n’as rien de mieux à faire.

– Madame, dit-il, la gorge serrée par l’indignation, vous ignorez donc qui je suis : je suis le juge d’instruction.

– Ah, dit Chonchon, calmée subitement, je vous demande pardon, je ne vous connaissais pas.

Puis, regardant Juve d’en dessous :

– Racaille de mouchards, cria-t-elle, vous en êtes, des mufles.

Fandor avait tiré son compagnon à l’écart :

– Juve, lui demanda-t-il, m’expliquerez-vous enfin pourquoi vous avez amené ici cette malheureuse Chonchon ?

– Je t’expliquerai. Ce n’est pas le moment.

Le policier d’ailleurs se rapprochait de Chonchon : La malheureuse chanteuse pleurait à chaudes larmes, balbutiant des paroles entrecoupées :

– C’est dégoûtant, absolument dégoûtant de profiter de ce qu’une femme est grise pour la faire causer, pour lui faire raconter des choses. Qu’est-ce que j’ai bien pu leur dire, cette nuit, lorsque j’ai tant parlé, sans même savoir avec qui j’étais ?

– Aviez-vous donc, mademoiselle, quelque chose à cacher que vous redoutiez maintenant d’avoir parlé d’une façon intempestive ?

Pendant que Juve parlait à l’oreille du magistrat, Fandor se rapprocha de la chanteuse, qui lui faisait pitié.

– Ne vous emballez pas comme ça, Chonchon, lui murmura-t-il à l’oreille, croyez bien que ce n’est pas pour le plaisir de vous embêter qu’on vous a amenée ici. Tenez, je suis sûre que Juve, qui n’est pas un méchant homme, va se contenter de vous demander quelques renseignements, et si vous lui répondez gentiment, vous serez libre de vous en aller.

Chonchon redressa la tête à ces dernières paroles :

– Libre de m’en aller ? fit-elle, mais ne le suis-je donc pas en ce moment ? Je suis arrêtée, n’est-ce pas ? Vous m’avez arrêtée tous les deux ? On va me jeter en prison ?

– Mais non, vous n’êtes pas arrêtée, pourquoi avez-vous donc si peur ? Auriez-vous par hasard une raison qui vous fasse redouter…

– Rien du tout, mais est-ce qu’on sait jamais avec vous autres, car on la connaît la police. On sait bien ce qu’elle vaut.

Chonchon s’animait de nouveau. Mais brusquement elle se tut.

M. Morel venait de frapper un coup sec sur l’acajou de son bureau.

– Silence, mademoiselle, je vous ordonne de faire silence. J’ai besoin de vous interroger, en présence de témoins. Veuillez vous asseoir et vous taire, sinon je serai obligé de sévir.

M. Morel, après avoir obtenu le silence, appuya sur un timbre, son greffier apparut.

– Faites venir les témoins, ordonnait-il, appelez ensemble Chambérieux et Tergall. L’autre attendra.

À ces mots, Chonchon devint toute pâle. Elle avait compris, on allait la mettre en présence du bijoutier et du marquis. Mais pourquoi ? La chanteuse parut atterrée et sans qu’on pût comprendre pourquoi, elle murmura :

– La gaffe, ça c’est la plus grosse gaffe qui puisse arriver.

Chonchon s’était tournée à contre-jour, elle avait pris dans son sac à main un petit flacon d’eau de Cologne dont elle humectait son mouchoir dans le sévère cabinet du juge. Chonchon avait étalé son manteau doublé de soie, son écharpe de fourrure, on se serait cru dans un boudoir. Et cet aspect inattendu du bureau occupé par le magistrat instructeur ne fut pas fait pour peu surprendre Chambérieux et Tergall lorsqu’ils y pénétrèrent.

Après avoir d’une légère inclinaison de tête salué M. Morel, les deux hommes virent Chonchon et parurent abasourdis. Juve, sans se préoccuper des nouveaux venus était allé se placer à côté de Chonchon. Il lui avait pris la main doucement et la jeune femme intriguée, résignée, s’était laissée faire sans comprendre. Juve, toutefois, avait un but : il enleva de l’annulaire de la main droite de Chonchon une fort belle bague qu’elle portait au doigt, puis il lâcha la main de la jeune femme et, déposa le bijou sur le bureau du magistrat au beau milieu du buvard.

– Mademoiselle, demandait M. Morel, vous avez cette nuit, en soupant avec ces messieurs…

Et le magistrat, d’un geste large de la main, désignait Juve et Fandor.

Mais à ce moment deux exclamations étouffées l’interrompirent. Elles émanaient de Chambérieux et de Tergall :

– Comment Chonchon ? avaient murmuré l’un et l’autre.

– Silence, messieurs.

Le magistrat poursuivit :

– … En soupant cette nuit avec ces messieurs, mademoiselle, vous leur avez fait une déclaration des plus graves, si grave même qu’elle a déterminé M. l’Inspecteur de la Sûreté ici présent à vous amener en mon cabinet. Je vais vous demander de la confirmer de la façon la plus précise. Cette bague – et le magistrat désigna le bijou – vous la portiez il y a un instant. M. Juve en vous interrogeant, sur son origine, cette nuit vous a dit : « D’où tenez-vous donc cette bague ? »

« Vous lui avez répondu : « C’est un cadeau de mon amant ». Voulez-vous confirmer ? »

Mais cette fois le magistrat fut encore interrompu. Deux protestations violentes avaient retenti :

– Ça n’est pas vrai, dit le bijoutier.

– C’est faux, dit le marquis.

Or, ces deux protestations émanaient, l’une du bijoutier Chambérieux, l’autre du marquis de Tergall…

Et l’infortunée Chonchon, baissant la tête, se répétait in petto : la gaffe la voilà bien. Ah, il n’y manque rien.

Fandor et Juve avaient compris, et malgré le sérieux de la situation, ne pouvaient s’empêcher de sourire.

Chambérieux et le marquis de Tergall s’apostrophaient déjà :

– Qu’avez-vous donc à dire, monsieur ?

– Et vous-même, monsieur, de quel droit répondez-vous lorsqu’on demande à mademoiselle le nom de son amant ?

Les deux hommes s’arrêtèrent soudain, ils avaient compris l’un et l’autre, et ils s’en prirent à Chonchon :

– Chonchon, demandait Chambérieux, qu’est-ce que cela signifie ? Tu es la maîtresse du marquis de Tergall ? Réponds, dis la vérité. Ah, je m’en doutais bien que tu me trompais.

Le marquis de Tergall avait croisé les bras, furieux il considérait la chanteuse, grommelant à part :

– Parbleu, j’en étais sûr, elle me le cachait, mais elle était la maîtresse de cet usurier.

Sur un signe de Juve, M. Morel n’avait pas interrompu cette petite scène de ménage – ou pour mieux dire de faux ménage – et il espérait que de cette discussion allait peut-être jaillir la lumière.

Quelques instants auparavant, Juve en effet avait dit à M. Morel :

– La bague de cette femme est l’un des bijoux volés à l’Hôtel Européen. Elle l’ignore évidemment, sans quoi elle ne l’aurait pas portée de façon ostentatoire. Il faut savoir d’elle quel est le donateur de ce bijou, et puisqu’elle m’a déclaré que c’était son amant, étant donné qu’elle en a deux, il faut l’obliger à préciser.

Mais non, ce n’était ni l’usurier-bijoutier, ni le gentilhomme. M. Morel récapitula :

– La situation me paraît très simple : Mlle Chonchon a formellement déclaré que cette bague lui avait été offerte par son amant. Or, nous venons d’apprendre, de l’aveu même des intéressés, que mademoiselle à deux amants. Je lui repose donc la question : lequel de ces deux messieurs…

Juve l’empêcha de terminer.

Depuis quelques instants, il échangeait des signes avec l’infortunée Chonchon.

– Je vous serais très reconnaissant, monsieur le juge, dit-il, de faire sortir pendant quelques instants M. Chambérieux et M. de Tergall.

Ils protestèrent à grand bruit, mais M. Morel s’inclina.

– Je vous en prie, messieurs, n’insistez pas et sortez, leur dit-il. Toutefois, demeurez à la disposition de la Justice, j’aurai peut-être besoin de vous tantôt.

Baissant la tête, Chambérieux se retira, suivi du marquis.

Chonchon remercia Juve d’un sourire.

Quant au policier, il expliquait au magistrat :

– Mademoiselle m’a fait signe, il y a un instant, qu’elle avait une révélation intéressante à nous faire, mais qu’elle préférait ne pas s’expliquer devant « ses amis ».

M. Morel comprenant qu’avec de la douceur on obtiendrait tout ce qu’on voudrait de Chonchon, la regarda d’un air bienveillant.

– Venez auprès de moi, mademoiselle, lui dit-il, et ne craignez rien. Vous voyez que nous ne demandons qu’à arranger les choses, qu’à vous être agréables.

Chonchon ne l’entendait pas de cette oreille :

– Eh bien, merci, vous pouvez me passer de la pommade maintenant et me casser du sucre sur le nez, cela n’empêche qu’avec vos sacrées questions de tout à l’heure, vous m’avez brouillée avec mes amants, et des amants par le temps qui court, généreux comme ces types-là, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.

– Ça s’arrangera voyons.

– Non, mais c’est vous qui allez réparer la casse ?

Le magistrat redevint sérieux :

– Voyons, assez plaisanté. Nous voulons bien avoir à votre égard, mademoiselle, de la condescendance et de la familiarité, mais il y a des limites, que l’on ne saurait dépasser sans porter atteinte au prestige de la magistrature. Maintenant, dites-nous vite comment les choses se sont passées dans la réalité.

Chonchon se décida à parler, plus libre, plus confiante désormais, depuis qu’on l’avait éloignée de son couple d’amants.

– Voilà, commença-t-elle, un peu gênée, mais s’enhardissant à mesure, voilà : ce que j’ai dit à monsieur, cette nuit, est exact. On m’a bien donné cette bague, et c’était bien un amant, bien mon amant, mais ni Chambérieux, ni Tergall.

– Alors, un troisième ?

– Et reprit M. Morel, voulez-vous nous dire qui ?

Chonchon parut gênée, rougit, balbutia.

– Vous dites ?

– Je dis, répéta Chonchon, que c’est le curé.

– Le curé ?

– Le curé, à vrai dire, je ne sais pas s’il est curé, mais enfin c’est un prêtre.

– Ce que vous venez de dire est très important. Mais il faut préciser, mademoiselle, n’oubliez pas un seul détail, racontez-nous comment la chose s’est passée. Comment s’appelle ce prêtre ?

– Ça, je ne sais pas.

– Comment, c’est votre amant, et vous ne connaissez pas son nom ?

– Dame, vous devez comprendre, surtout quand il s’agit d’un monsieur prêtre. Ils n’aiment pas crier sur les toits comment ils s’appellent.

– Vous le connaissez depuis longtemps ?

– Moi ? pas du tout, fit Chonchon, je l’ai vu pour la première fois mercredi dernier.

– Mercredi, le jour du vol.

– Mercredi vers midi moins un quart. Je sais que c’est un prêtre mais, naturellement, il ne s’en est pas vanté.

– Voyons, voyons, fit M. Morel en tapant de son geste familier sur la table avec son porte-plume, si nous procédons de la sorte, nous n’en finirons jamais. Je vous en prie, mademoiselle, racontez-nous de a à z vos relations avec ce prêtre, qui, assurez-vous, vous a donné cette bague. Surtout, n’omettez pas un seul détail.

– Donc, voilà, recommença Chonchon, je revenais de Paris par le train du matin, qui s’arrête à Connerré. J’allais au Mans pour rejoindre la boîte où je débutais le soir même, pour la saison d’automne. J’étais montée dans le wagon à couloir première classe, et je crois bien que j’étais seule depuis La Ferté-Bernard. Voilà t’y pas, qu’à la gare de Connerré, je vois quelqu’un qui monte dans le compartiment à côté du mien. Tiens, que je me dis, en voyant que c’était un homme habillé d’une grande robe noire, un curé. Et naturellement je pense à l’accident.

– Quel accident ?

– Vous savez bien comme ça que de voir des curés, ça porte la guigne. Alors tout de suite, pour conjurer la guigne, voilà que je touche du fer.

– Je vous en prie, Mademoiselle, épargnez-nous vos superstitions et vos plaisanteries ridicules. Vous dites que ce prêtre est monté dans le compartiment voisin du vôtre ?

– Oui, monsieur le juge.

– Continuez.

– Donc, voilà le train qui se débine dans la direction du Mans et moi qui avais acheté les journaux illustrés, je me mets à regarder les images, et je ne pense pas plus à mon voisin le curé qu’à Jules César. Tout d’un coup, je vois quelqu’un qui entre dans mon compartiment (car il faut vous dire qu’il y avait dans mon wagon un couloir faisant communiquer les compartiments entre eux). C’était un type très chic, bien habillé, avec de belles manières. Le voilà qui se met à me faire du boniment, me faire de l’œil, du pied, toute la lyre, vous connaissez ça, pas vrai, monsieur le juge ?


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