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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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6 – OÙ LES TÉNÉBREUX APPARAISSENT EN CLAIR

Ainsi que l’avait annoncé Bébé à ses sinistres camarades, les membres de la Bande des Ténébreux, l’insaisissable Fantômas pour une fois avait été pris.

Le bandit, arrêté sur l’indication de Juve, et même par les soins du célèbre policier, au moment où il se faisait passer pour l’empereur de Russie, avait été appréhendé à la frontière franco-belge.

Le monstre, toutefois, faisant preuve d’une stupéfiante présence d’esprit, avait eu le soin de se faire arrêter en territoire belge, et même, de s’accuser d’un crime qu’il n’avait pas commis, ceci uniquement pour se rendre justiciable des tribunaux belges, qui continuent de condamner à mort mais tout en sachant pertinemment qu’on n’exécute plus dans le Royaume, depuis bientôt un demi-siècle.

C’est ainsi que Fantômas, sitôt les formalités de la commutation de peine effectuées, avait été conduit à la prison réservée aux coupables de son espèce, à la maison d’arrêt de Louvain, généralement connue sous le nom de « Bagne de Louvain ».

***

Un matin du mois d’avril, le directeur de la prison, M. Van den Grossen, était avisé par son courrier volumineux qu’il dépouillait, dès sept heures, qu’un lot de prisonniers assez important allait lui être livré dans l’après-midi, et en effet au moment indiqué, la grosse porte de la prison s’était ouverte à deux battants pour laisser pénétrer, entre une haie de gendarmes, sabres au clair, une vingtaine de misérables enchaînés qui étaient envoyés au bagne par les différentes prisons belges, où ils avaient été détenus en attendant leur condamnation définitive.

Parmi ces prisonniers se trouvait un homme d’une quarantaine d’années, à la silhouette robuste, au visage énergique.

Lorsqu’on appela le D. 33, M. Van den Grossen releva la tête et le considéra attentivement. Le D. 33 c’était l’homme au visage énergique.

Le directeur appela le gardien-chef de la division D.

– Major, dit-il, je vous recommande tout particulièrement le 33.

Le gardien-chef feuilleta les papiers qu’il avait à la main.

– Compris, monsieur le directeur. Eh bien, soyez tranquille, on l’aura à l’œil. D’ailleurs, les plus mauvaises têtes sont vite matées ici.

– Je sais, major, je réprouve toute brutalité, car les prisonniers après tout sont des hommes, mais il faut avoir une main de fer.

Quelques instants plus tard, un sergent de section posait la main sur l’épaule du 33.

– Allons en route, et à la douche.

Le 33 ne broncha pas, mais on lut dans son regard comme un éclair de révolte. Il baissa les yeux. Toute résistance était inutile.

Quand il eut pris le bain obligatoire, il voulut regagner la sorte de cabine dans laquelle il s’était dévêtu, son gardien l’en empêcha :

– Pas de ce côté, mais en face, droit devant vous.

Le 33 alla droit devant lui, pénétra dans un vestiaire, le long des murs duquel pendaient des vêtements tous identiques.

Sans un mot, sans un geste de protestation, l’homme endossa la livrée d’infamie. Mais ce n’était pas tout. On l’introduisit chez le coiffeur qui, en l’espace de quelques secondes, d’une tondeuse négligente, fit tomber chevelure, barbe et moustache.

Une voix hurla :

– Le 33 à sa cellule, division D.

Un gardien se présentait :

– C’est pour moi, fit-il, mais auparavant, ne faut-il pas le conduire à M. le directeur des ateliers ?

– Vous avez raison, répliqua le surveillant, qui avait donné l’ordre. Nous avons tellement de monde en ce moment qu’on ne sait plus où donner de la tête.

Sous la conduite de son gardien, le 33 parcourut un long couloir, puis il arriva dans une grande pièce, où se trouvait un bureau, derrière lequel un petit vieillard à lunettes d’or trônait dans un amoncellement de paperasses.

– Qu’est-ce que c’est ? interrogea-t-il de la voix énervée de quelqu’un qu’on dérange perpétuellement.

Puis apercevant le gardien et son prisonnier :

– Encore un nouveau, ça fait le trentième, que je vois aujourd’hui.

Le petit vieillard se redressa, toisa le détenu.

– Approchez, dit-il. Que savez-vous faire ?

– Monsieur j’ai fait un peu tous les métiers, et je m’efforcerai de faire celui qui vous conviendra le mieux.

Le directeur technique grommela :

– Moi ça m’est parfaitement égal, je n’ai pas à choisir. Vous savez que tout le monde doit travailler ici, décidez-vous pour l’une des professions suivantes.

Le vieillard, alors, prit un carton sur lequel quelques lignes étaient tracées, d’une belle écriture de ronde, très administrative :

– Voici les métiers que l’on peut exercer ici : cordonnier, serrurier, relieur, tailleur, fabricant d’engins de pêche, copiste ou traducteur. Nous manquons un peu de serruriers. Savez-vous tenir la lime ?

– Oui, monsieur.

– Eh bien, alors, vous serez serrurier.

Puis, heureux d’en avoir terminé, il ordonna au gardien :

– Emmenez-le.

Au second étage d’un des six corps de bâtiments, à droite en allant vers l’extrémité, après avoir passé devant une quantité de portes fermées, le gardien qui pilotait le numéro 33 dans cette immense demeure, lui ouvrit une cellule et l’invita à y pénétrer :

– Voici la règle de la maison, expliqua-t-il, réveil à cinq heures, toilette et déjeuner. De la chicorée avec du lait et du pain sec. Puis, travail jusqu’à midi, une soupe pour dîner, reprise du travail de une heure jusqu’à cinq heures, souper : pommes de terre avec un autre légume. À cinq heures et demie, reprise du travail jusqu’à neuf heures du soir, puis, extinction des feux et coucher. Ah, j’oubliais de vous demander : êtes-vous fumeur ?

– Pourquoi ?

– Parce que, déclara le gardien, l’administration vous autorise le matin, pendant que vous vous promenez dans le préau, à y fumer la pipe. La journée est trop avancée, pour qu’on vous occupe aujourd’hui. Demain, vous recevrez votre tâche.

Puis il se retira, verrouilla la porte. Son pas s’atténua. Puis ce fut le silence. Le 33 était seul dans sa prison.

La cellule avait environ deux mètres cinquante de large et trois mètres de haut. Elle était éclairée par une fenêtre grillée pourvue d’un petit vasistas. Au plafond, une lampe électrique dont un commutateur général pour toutes les cellules commandait la lumière. La porte, épaisse et lourde, ne s’ouvrant que de l’extérieur, était en bois doublé de fer, au centre se trouvait un guichet permettant de passer les aliments. Au-dessus, un trou, sorte de monocle appelé « espion », percé à hauteur d’homme et permettant de surveiller le détenu du dehors.

Le 33 étudia son mobilier : un lit qui, replié, formait une véritable table ; une chaise, un paillasson, une gamelle et un couvert. C’est tout.

Le 33, ayant rapidement terminé cet inventaire, se prit la tête entre les mains et soupira :

– Est-ce le tombeau ? Est-ce la fin ? Fantômas, es-tu désormais retiré du monde des vivants ?

Un éclair d’espoir brillait dans les yeux du prisonnier.

– J’en ai, pensa-t-il, au moins pour quatre mois encore.

Et si Fantômas émettait cette opinion en son for intérieur, c’est qu’il avait, pour cela, ses raisons.

Comme on le transférait de Bruxelles à Louvain, dans le convoi de prisonniers dont il faisait partie, il avait remarqué un certain gaillard à la mine éveillée. Fantômas le connaissait pour l’avoir déjà rencontré dans les bouges de Paris, alors que le sinistre malfaiteur était à la tête de bandes dont les membres ne lui cédaient en rien sous le rapport de l’audace ou de la férocité. Le gaillard avait reconnu Fantômas.

Sans pouvoir échanger de paroles, ils avaient correspondu par signes.

Fantômas avait compris que le détenu qui s’entretenait avec lui, n’avait que quatre mois à faire à la prison de Louvain, et qu’après cela, il s’occuperait des intérêts du Roi de l’Épouvante, du Maître de l’Effroi.

C’était en cette conversation silencieuse que Fantômas, plaçait désormais tout son espoir.

***

Avec une monotonie désespérante, car les jours succédaient aux jours selon une uniformité absolue, quatre mois et demi s’écoulèrent.

Le 33, comme les autres prisonniers, maté par le régime rigoureux de la prison cellulaire, effectuait ponctuellement son travail quotidien. De Fantômas, il n’était plus question, et le directeur lui-même avait cessé de renouveler aux gardiens, qui sans cesse se succédaient, suivant l’usage, à la division D, ses recommandations, relativement au forçat. 33.

Fantômas en effet avait une conduite exemplaire, et faisait preuve d’une intelligence qui lui valait la considération de ceux qui surveillaient son ouvrage.

Fantômas, néanmoins, devenait de plus en plus sombre, et de plus en plus préoccupé, encore qu’il dissimulât ses appréhensions et ses impressions.

Fantômas s’exaspérait de voir passer le temps et de n’entendre point parler de Bébé, de l’apache incarcéré en même temps que lui au bagne de Louvain, et qui devait avoir achevé sa peine.

À quoi pensait-il donc ? et dans la pègre de Paris, avait-on décidé de se passer désormais de Fantômas ? Et peu à peu, Fantômas sentait avec terreur que ses facultés intellectuelles allaient diminuant, que sa santé dépérissait. Il voyait approcher l’hébétement, la folie. Pour peu que cela continuât, Fantômas, le Roi de l’Épouvante, le Génie du Crime, terrassé par la solitude et l’incarcération, ne serait plus qu’une loque.

– Le 33 au préau.

Comme tous les matins, à sept heures et demie, cet ordre venait d’être formulé d’une voix sèche et brève, par le gardien qui avait dans sa section les numéros de 30 à 40 de la division D.

Fantômas appréciait particulièrement cette heure de la journée car, pendant vingt-cinq minutes, il respirait l’air libre, l’air directement venu du ciel. Il faisait ce matin-là un clair soleil d’automne, et le temps était frais.

Fantômas contemplait machinalement le mur en face de lui, mur élevé, rébarbatif, maussade, mur d’une des ailes de la prison, mur haut de vingt-cinq mètres, et large d’autant, lorsque soudain il réprima un tressaillement.

Sur ce mur noyé d’ombre, car il était orienté vers l’ouest, venait de se projeter un rayon lumineux et ce rayon disparaissait, et réapparaissait. Soudain, le rayon décrivit un cercle, et cette fois, Fantômas poussa un long soupir, cependant que ses yeux s’écarquillaient. Il n’y avait pas de doute, c’était un signal : quelqu’un s’occupait de lui.

Fantômas, sans paraître s’hypnotiser dans la contemplation de ce mur, ne le quittait pourtant pas des yeux. Il avait compris non seulement qu’on s’occupait de lui, mais encore que l’on tentait de le renseigner au moyen de l’alphabet lumineux que Fantômas lui-même avait imaginé pour la Bande des Ténébreux.

Chaque projection devait indiquer un chiffre, à ce chiffre correspondait une lettre et dès lors, lettre par lettre, on pouvait reconstituer un mot. C’était long sans doute, mais avec de la patience n’arrive-t-on pas à tout ?

Le rond lumineux signifiait attention, et Fantômas n’avait garde de se laisser distraire.

Quelques instants après, il notait quatre projections successives. Puis, après un intervalle, il en notait encore neuf, puis vingt-trois.

– La quatrième lettre de l’alphabet, se dit-il, c’est la lettre d, la neuvième, c’est i, la vingt-troisième c’est x :

Ce message signifiait : dix heures soir.

Puis, tout s’éteignit et le mur resta plongé dans l’ombre. Le temps de la récréation, d’ailleurs, était terminé, et le gardien, par un signe, rappelait au prisonnier que le moment était venu de rentrer dans sa cellule. Fantômas, impassible, obéit. Il était transfiguré. En lui bouillonnait une impatience fébrile, une ardeur nouvelle. Oh, du moment qu’on s’occupait de lui, et qu’on allait l’aider, il ferait l’impossible et réussirait à s’arracher du bagne. Le lendemain, Fantômas à la même heure, revenait dans son préau. Il faisait toujours un temps splendide et le soleil brillait.

Sur le mur, se projetèrent encore des éclats lumineux, Fantômas lut : Toussaint, chemin infirmerie.

Le bandit en savait assez ce jour-là pour comprendre ce que signifiait cette phrase synthétique : dix heures du soir, Toussaint chemin infirmerie. Cela voulait dire, sans la moindre hésitation : que le jour de la Toussaint, c’est-à-dire dans une quinzaine de jours, à dix heures du soir, sur le chemin de l’infirmerie, il se passerait quelque chose, qui lui faciliterait tout au moins ses projets d’évasion. Quelque chose ? mais quoi ?

Fantômas attendait anxieusement tout le jour, puis toute la nuit, la récréation du lendemain, et les vingt-cinq minutes heureuses qu’il allait vivre dans son préau.

Hélas, le lendemain, Fantômas eut une désolante surprise qui le plongeait dans le désespoir. Aucune projection ne fut faite sur le mur.

Mais Fantômas, soudain, comprit pourquoi.

Pour pouvoir projeter sur le mur de la prison des rayons de soleil, il faut que le soleil soit visible. Or, le temps était couvert, des nuages obscurcissaient le ciel.

Ferait-il beau demain ?

Telle fut, pendant vingt-quatre heures, sa préoccupation dominante.

Le lendemain il pleuvait.

Mais le troisième jour, ses vœux furent exaucés, le temps se remit au beau, le soleil brilla d’un éclat resplendissant dans le ciel, et deux jours de suite, Fantômas, au moyen des signaux lumineux, reçut encore ces indications : Cavale par corde lisse, serons là.

7 – CHERCHEZ LA FEMME

En chemise, pieds nus, claquant des dents au contact du parquet glacé, Fandor entrouvrit la porte du petit appartement qu’il habitait depuis de longues années déjà, rue Richer.

Fandor avait les cheveux ébouriffés, les yeux gros de sommeil, on devinait qu’il venait de se lever, qu’il était encore mal éveillé, et peu disposé à éterniser sa station dans le vestibule de son logis.

– C’est vous, madame Angélique ? demanda le journaliste. Oui. Cela va bien. Donnez-moi les lettres et les journaux. Merci. Décidément, vous êtes la femme la plus exquise que je connaisse, et, si ça peut vous faire plaisir, je vous déclare que vous embellissez chaque jour, si bien que d’ici une trentaine d’années, vous pourrez remplacer la Joconde, au Louvre. Là-dessus, adieu. À tout à l’heure. Je me recouche.

Un claquement sec, et la porte de Fandor se refermait sur les lamentations de la brave Angélique Oudry, concierge du journaliste, qui gémissait scandalisée :

– Si c’est pas malheureux de tourner en dérision une femme de mon âge et de ma situation. Le Diable vous punira, monsieur Fandor.

Sans l’écouter, Fandor se hâta de traverser l’étroit corridor qui conduisait à sa chambre, puis de se rejeter sur son lit. Avec une volupté satisfaite, il retrouvait la tiédeur des draps et des couvertures, et, psalmodiant un air connu, il s’écriait :

– La chaleur, n’y a que ça.

Tout de même, si paresseux qu’il fût, Fandor était curieux plus encore.

Ce matin-là comme d’ordinaire, Jérôme Fandor, après avoir éprouvé la satisfaction de se replonger dans le lit tiède, abandonné quelques minutes avant, au coup de sonnette de la concierge, se décida à se tirer définitivement de la somnolence où il était encore.

– Tu dors, Brutus, se déclarait à lui-même Fandor, et tu ne sais pas si Paris est dans les fers. Lève-toi donc, animal. Il y a peut-être une révolution. Peut-être te recherche-t-on pour succession aux annonces notariales. Enfin, tu ne peux pas savoir ce que les journaux de ce matin vont t’apprendre d’extraordinaire ou d’inouï. Lève-toi, Fandor.

Fandor ne s’obéissait pas tout à fait. À coup sûr il était indulgent pour lui-même. À coup sûr il cherchait une transaction entre ce qu’il considérait comme son devoir et ce qui était incontestablement son désir.

Il ne se leva pas. Il s’assit dans son lit.

– Diable, cela va mieux, constata-t-il, achevant de s’éveiller. Et maintenant, au travail.

Fandor, bien entendu, recevait une dizaine de journaux, qu’il lisait à la façon spéciale employée par tous les rédacteurs de quotidiens. Il parcourait les titres, inspectait les manchettes. En une seconde, il eut donc dépouillé tout ce qui pouvait l’intéresser dans les feuilles. Un journal demeurait intact sous sa bande.

– Hé, hé, soliloquait Fandor, je n’ai plus que La Capitale à « borgnoter ». Parbleu, j’imagine bien que je n’y trouverai rien de sensationnel, car, hier soir, la rédaction était fort calme, mais enfin je vais pouvoir me délecter à la lecture de ma propre prose, tout comme un orgueilleux m’as-tu lu. C’est qu’après tout, j’imagine qu’il va faire un certain potin, mon article complètement idiot.

À la première page, un titre flamboyait sur deux colonnes, un titre qui fit sourire le journaliste :

– Dieu que je suis bête, murmura-t-il et il regardait amusé, se détachant sur le texte du quotidien, les gros caractères gras de ce titre : « Cherchez la Femme ». Fandor s’était amusé, la veille, par pur dilettantisme, et parce qu’il n’avait rien de mieux à faire, à proposer une explication au vol mystérieux de Saint-Calais, qui, de la paisible petite ville de la Sarthe, commençait à éveiller des échos jusque dans la haute société parisienne.

« Cherchez la Femme » avait écrit, en substance, Fandor, qui n’était pas éloigné d’être un adorateur dévot de l’éternel féminin. Cherchez la Femme… la femme qui, certainement, que ce soit du côté du marquis de Tergall, ou surtout du côté de Chambérieux, a dû être mêlée à ces intrigues. »

Et Fandor, avait développé ce thème :

« Du moment qu’il s’agit d’un vol de bijoux, ce vol a dû être commis pour une femme ou par une femme.

« Du moment qu’il s’agit d’un vol incompréhensible, ce vol a dû être commis par ce qu’il y a de plus incompréhensible au monde, par l’être énigmatique par excellence, par une femme.

« Du moment que sont seuls soupçonnables, deux individus d’honorabilité parfaite, M. Chambérieux et le marquis de Tergall, il est certain que ces personnes n’ont pu être entraînées à un acte indélicat que par un affolement passionnel, que par un amour, que par une femme. »

Et après avoir envisagé toutes les conséquences de ces axiomes, Fandor avait terminé son article par des phrases lapidaires :

« Le marquis de Tergall est marié, avait précisé Jérôme Fandor ; le bijoutier Chambérieux est célibataire. Nous ne voulons pas supposer que le marquis de Tergall ait une maîtresse, nous serions fort étonnés que le bijoutier n’en eût pas. Or, ce n’est pas pour une femme légitime que l’on vole après trente ans d’honorabilité, c’est pour une maîtresse. Il semble donc bien que M. Chambérieux soit la personnalité la plus incriminable. Cherchez la femme. Cherchez la femme de Chambérieux. »

Fandor, toujours couché dans son lit, continuait à rire en lisant son papier :

– Ma foi, murmurait le journaliste, ce que j’ai écrit là dépasse, en crétinisme accumulé, tout ce que j’avais osé écrire jusqu’ici. Je n’ai oublié qu’une seule chose, j’aurais dû mettre le curé hors de cause, en établissant qu’un curé ne peut pas avoir de femme. Hum. Enfin, cela ne fait rien. Si j’étais M. Chambérieux, je prendrais le train aujourd’hui même et je viendrais flanquer une paire de gifles à l’excellent Jérôme Fandor.

Jérôme Fandor s’apprêtait à se rendormir tout tranquillement, lorsqu’il sursauta violemment. On carillonnait à sa porte.

– Allons, bon, grommela le reporter, voilà encore quelqu’un qui s’imagine que j’ai des habitudes matinales.

Le visiteur devait « se l’imaginer » en effet car il s’était remis à carillonner.

Pour toute réponse, Fandor se retourna dans son lit.

– On n’a pas idée de ça, maugréait le journaliste, venir me voir à huit heures du matin.

Un troisième coup de sonnette, prolongé, lui coupa la parole.

– Zut, cria le journaliste, rigoureusement décidé à ne pas se lever. On verra bien qui se lassera.

Mais une idée soudain agitait Fandor :

– Si c’était de la part du journal ?

Fandor chassa vite cette supposition :

– Non, du journal on ne viendrait pas me voir à cette heure-ci, on téléphonerait.

Fandor, malheureusement, n’avait pas formulé cette supposition, qu’un nouveau carillon retentissait dans sa chambre.

Il provenait précisément de l’appareil téléphonique placé à la tête de son lit, et cette fois, le journaliste bondit :

– Ah çà, ils ont juré de se donner rendez-vous. En voilà des raseurs.

On continuait de carillonner à la porte.

– Bon Dieu, hurla Fandor, qui, soudain, venait de se décider à quitter sa nonchalante torpeur : Patientez, que diable, je vais vous ouvrir tout de suite. On m’appelle au téléphone.

La sonnerie de la porte s’arrêta. Fandor décrocha le récepteur de l’appareil téléphonique et, maussade, hurla :

– Allo ?

C’était une voix inconnue qui lui demandait :

– C’est bien à M. Jérôme Fandor, auteur de l’article « Cherchez la femme » que j’ai l’avantage de parler ?

– À lui-même, répondit Fandor, qui, en même temps grimaça en songeant :

– Voilà le nommé Chambérieux qui rouspète.

Mais ce n’était pas Chambérieux.

– C’est Fantômas qui vous parle, et Fantômas vous ordonne de ne pas vous occuper des affaires de Saint-Calais.

Un déclenchement sonore suivit immédiatement la fin de la phrase.

Le correspondant avait raccroché son téléphone.

– Nom de Dieu, murmura le journaliste. Fantômas ! Fantômas m’ordonne. Fantômas est mêlé aux affaires de Saint-Calais.

Puis avec son insouciante gaieté habituelle, Fandor soudain éclata de rire :

– Eh bien, il en a un culot, Fantômas, de me réveiller à huit heures du matin pour me flanquer des ordres.

L’éclat de rire de Fandor, toutefois, fut brusquement interrompu.

– Est-ce que vous ouvrez, monsieur ? ou est-ce que vous n’ouvrez pas ? criait à travers la porte de l’appartement, le visiteur qui, quelques minutes auparavant, sonnait de toutes ses forces.

– J’ouvre.

Fandor se trouva en présence d’un petit télégraphiste :

– M. Jérôme Fandor ?

– Lui-même.

– Une dépêche pour vous.

– Donnez.

Il lut.

La dépêche qu’il venait de recevoir était explicite et brève :

« Fantômas vous ordonne de ne pas vous occuper des affaires de Saint-Calais. »

***

Brusquement, une grande colère avait envahi le journaliste.

– Ah, Fantômas m’ordonne de ne pas m’occuper des affaires de Saint-Calais, avait hurlé Jérôme Fandor, eh bien, on va voir et on va rire. L’imbécile. Je n’imaginais pas qu’il fût en cause. Mais puisqu’il se dénonce lui-même, puisqu’il m’invite à me tenir tranquille, je m’en vais encore une fois lui déclarer la guerre.

Malheureusement, si Fandor se sentait envahi d’une ardeur belliqueuse, il ne savait trop comment agir.

C’était très bien de vouloir relever le défi porté par Fantômas, c’était superbe de vouloir lutter encore une fois contre le Maître de l’Épouvante. Mais c’était difficile.

Fantômas, Jérôme Fandor ne pouvait l’oublier, était en prison, en Belgique. Les tribunaux l’avaient condamné à mort, en raison de l’assassinat du prince Nikita, tué au moment où le bandit usurpait la personnalité du tsar. Fantômas était détenu à Louvain, détenu à perpétuité. D’où cette conclusion de Fandor :

– Si Fantômas s’est donné la peine de me donner des ordres, à moi, c’est évidemment qu’il peut craindre mon Intervention. Or, je ne suis intervenu dans les affaires de Saint-Calais que par l’article : « Cherchez la femme ». Cet article paru dans le journal de ce matin, n’a pas pu être encore entre les mains de Fantômas, s’il se trouve en Belgique. Or, pour que Fantômas m’ait écrit, il faut précisément qu’il ait lu cet article, donc Fantômas n’est pas en Belgique. Alors où diable est-il ?

Fandor qui aimait les décisions promptes, sauta sur son indicateur de chemin de fer, compulsa le Chaix, puis se frotta les mains :

– Cherchez la femme. Par Dieu, puisque c’est cela qui semble gêner Fantômas, c’est précisément ce que je vais faire. Il y a un train à midi treize. Je m’en vais le prendre. Je serai ce soir au Mans. Je verrai Chambérieux. Je chercherai la femme.

***

– De sorte, cher monsieur Chambérieux, de sorte que la bijouterie n’est pour vous qu’un prétexte à petites opérations financières ? Et le célibat qu’un moyen de posséder toutes les femmes qui vous font plaisir ? Hé hé, on ne s’embête pas en province.

Après avoir multiplié les courses et les démarches, Fandor était arrivé à joindre au Mans, le bijoutier Chambérieux. Il l’avait trouvé aplati, affalé, sur une chaise, derrière une petite table surchargée de soucoupes, au café du Grüber, place de la République, au Mans. Et Fandor avait immédiatement deviné, découvrant là celui qu’il cherchait, qu’il était fort possible que M. Chambérieux en effet connût « quelque petite femme… ».

– Chambérieux est au Grüber, s’était dit Fandor, ce doit être un farceur. Il se pourrait fort bien que j’aie touché juste en écrivant : « Cherchez la femme ».

Partant de ce principe, Jérôme Fandor qui connaissait à fond l’art de se rendre sympathique, avait trouvé immédiatement le moyen de devenir l’intime de Chambérieux. Il y avait toutes les raisons du monde pour que le gros bijoutier fît un mauvais accueil à Jérôme Fandor, mais Jérôme Fandor le salua, l’aborda avec une face si aimable, un sourire si prenant, une poignée de main d’une rondeur si parfaite, que Chambérieux tout de suite, se sentit en confiance. D’ailleurs, Fandor affectait de traiter le gros homme comme un esprit fort, dégagé de toutes les petitesses provinciales.

– Parbleu, disait le journaliste, qui venait de se présenter, je ne m’excuse pas d’avoir insinué que vous aviez une maîtresse ? Vous devez vous en moquer ? On n’est pas de bois, n’est-il pas vrai ? et même j’imagine bien que vous me ferez faire connaissance avec votre petite amie.

Ébouriffé par le bagout du reporter, Chambérieux s’était mal défendu.

– Enfin. C’est-à-dire. Mon Dieu…

Il avait bégayé quelques commencements de phrase, puis soudain, il s’était décidé, et tapant sur l’épaule de Fandor :

– Bien entendu, avait répondu Chambérieux, je vous présenterai quand vous voudrez. C’est une petite chanteuse, elle s’appelle Chonchon. Actuellement je l’ai fait engager à l’Alcazar, mais je pense à lui faire abandonner les planches.

– Il y a longtemps que vous êtes avec elle ?

– Oui et non, deux ans. Seulement, ce que je me demande, cher monsieur Fandor, c’est comment vous avez pu savoir que j’avais une maîtresse ?

– On sait tout, dans notre métier.

– Vous comprenez, un quart de million, ça ne se trouve pas dans un cachet de quinine. Et puis maintenant, tout le monde sait, ici, après votre article, que j’ai une maîtresse. Ce que je cachais soigneusement.

– Naturellement.

– Et puis enfin, mon cher Fandor, toutes ces histoires-là, ça ne vaut rien pour mon négoce.

– La bijouterie ?

– Oh, ce n’est qu’une corde à mon arc, c’est surtout avec les opérations de banque que je fais un peu d’argent.

L’orchestre du Grüber écorchait toujours des valses lentes, il était minuit et demie, heure très tardive pour une ville de province, on rentrait les tables à l’intérieur du café, que Jérôme Fandor et Chambérieux causaient toujours.


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