Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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22 – UNE FARCE
Fantômas, faisant preuve de sa ponctualité coutumière, simplement vêtu d’habits qu’il avait achetés en se promenant dans la ville et qu’il avait été revêtir dans un petit hôtel discret où nul, évidemment, n’avait reconnu en lui le juge d’instruction Pradier, arriva sur la Grand-Place du Mans, d’où part le pittoresque escalier à double révolution qui monte jusqu’au parvis de la cathédrale, véritable bijou de pierre dont la silhouette finement découpée domine du haut d’une véritable petite montagne la Sarthe tout entière.
Fantômas traversa l’esplanade, déboucha de la promenade ombreuse qui fait la joie et l’orgueil de tous les Manceaux, encore qu’avec une incontestable incurie l’administration et la municipalité s’entendent à laisser périr, faute de soin, des arbres séculaires que Paris serait fier de posséder. Fantômas marchait à grands pas, l’air soucieux. Il se dérida pourtant en apercevant, assis sur les marches, sa casquette posée à côté de lui, l’air d’un paisible badaud occupé à lire son journal, un individu qui n’était autre que Ribonard, l’apache auquel Fantômas avait donné rendez-vous. Fantômas qui aimait les scènes étranges, les façons un peu théâtrales, ne détestait pas de frapper par des moyens extraordinaires l’âme de ses complices. Il fit un détour, grimpa par une rue tortueuse au sommet de l’escalier, longea les vieux bâtiments qui composaient autrefois le presbytère de la cathédrale et qui sont devenus maintenant des locaux affectés à des œuvres de bienfaisance. Fantômas, alors, avançant de cette démarche surprenante qui lui était propre et qui lui permettait d’approcher sans que personne pût seulement soupçonner sa venue, descendit l’escalier jusqu’à toucher Ribonard à qui il se signala en lui administrant dans les omoplates, du bout de sa chaussure un coup de pied formidable.
– Lève-toi, Ribonard.
Ribonard avait déjà sauté sur ses pieds.
Il était furieux de la manière dont Fantômas l’abordait :
– Hé là, cria l’apache, je vous retiens patron. Vous en avez des façons de dire bonjour aux camarades.
– Je t’avais dit de m’attendre, non de t’asseoir.
– Ah non, fallait prévenir. Si c’est que monsieur a l’intention de traiter les copains comme les larbins, il n’a qu’à pas se gêner. Moi, personnellement, je m’en fous, mais j’aime autant être averti.
Or, tout le temps que Ribonard parlait, Fantômas, avec une expression de figure indéfinissable, le regardait, moitié souriant, moitié sérieux :
– Vraiment, reprit enfin le bandit, il faut que je t’avertisse de mes intentions, maintenant ? Dommage, Ribonard. Tu oublies sans doute que je suis le maître ?
Ribonard avec un regard mauvais, avec des yeux où flambaient une haine qu’il n’osait pas avouer tout de même répondit :
– Tu es le maître. C’est possible. Mais ça n’est pas une raison.
Il allait grommeler quelque chose, Fantômas ne lui en laissa pas le temps :
– Assez, interrompit rudement le bandit, foudroyant d’un éclat de ses yeux soudainement contractés, devenus froids et durs, son complice involontaire. Assez. Ribonard, je ne suis pas ici pour causer avec toi.
– Je le sais bien, tu es ici, Fantômas, pour réclamer une part des bijoux que Bébé et moi nous avons faits.
– Est-ce que ça te semble extraordinaire ?
– Des fois. Vois-tu, Fantômas, tu n’empêcheras pas qu’on songe de temps à autre que tu as de drôles de procédés. Après tout, pendant que tu te baladais, pendant que tu étais à Louvain ou ailleurs, – personne ne le sait – Bébé et moi nous avons turbiné. Maintenant tu rappliques et tu dis : « Partageons ». Hum, je trouve ça un peu fort de café. C’est à ceusses qui font le travail que doit revenir le jonc.
– Vraiment ? Telle est ton opinion maître Ribonard ? Je suis enchanté de l’apprendre. Mais alors, pourrais-tu me dire pourquoi l’autre jour tu refusais de partager avec Bébé… Qui a « travaillé » avec toi, lui ?
Ribonard, décidément, était de mauvaise humeur. Il se rendait compte qu’il allait être injustement dépouillé du produit de ses rapines, il n’hésita pas à répondre :
– Pourquoi je voulais pas partager avec Bébé ? Ah malheur. Fantômas, si il ne faut pas que tu te foutes de moi, tout de même, pour me poser de pareilles questions. Eh bien, je ne voulais pas partager, parce que je trouve que le partage est fait. C’est Bébé qu’a chopé les bijoux. Bon, et c’est moi qui les ai emportés de Saint-Calais, qui ai trouvé moyen de les cacher, de les soustraire aux recherches de la police et cela au risque de me faire prendre. Après, c’est nous deux, Bébé et moi, qu’avons volé le marquis de Tergall, et lui avons raflé les fafiots. Tout de même tu avoueras bien, Fantômas, que, pour tout cela j’ai droit à quelque chose ? Or, Bébé a l’argent, il l’a donné à sa maîtresse. Est-ce que ce ne serait pas juste que moi, je garde les bijoux ? Encore les bijoux c’est moins avantageux que les billets, car, des bijoux, tu le sais aussi bien que moi, il faut les laver. Ça perd toujours à passer par les mains d’un revendeur, hein ?
– Continue, tu m’intéresses.
Ribonard mis en confiance, poursuivit :
– À la fin, vois-tu, Fantômas, j’en ai marre de toujours travailler pour enrichir les autres. Quand je fais un coup maintenant, c’est Bébé qui s’applique en guise de cataplasme le plus clair du profit. Et maintenant que te voilà, j’ai encore plus peur.
Mais cette fois, Fantômas en avait assez entendu. Il était franchement odieux, le bandit, à cette minute où, toisant son complice, il lui répondait nettement d’un ton sans réplique.
– Ribonard, tu oublies quelque chose. C’est que Bébé est plus fort que toi. C’est que moi je suis plus fort que Bébé. Bébé te volait ? C’était justice. Si je voulais voler Bébé ce serait justice encore.
Puis, interrompant cette apologie de la force brutale, Fantômas ajouta changeant de ton, se faisant aimable et bienveillant, ayant l’air de compatir aux ennuis de son interlocuteur, le tout en usant de cet art subtil de comédien qu’il possédait à la perfection :
– Mon pauvre Ribonard, tu n’arriveras jamais à rien, parce que tu es trop franc Tu t’imagines que tu obtiendrais gain de cause en réclamant ? C’est une erreur. Il faut agir avec plus de duplicité. Cependant, je t’assure que je tiendrai compte de tes paroles. Tu as raison quand tu dis, que, peut-être, Bébé t’exploitait. Tu as tort quand tu supposes que moi, Fantômas, je ne ferai pas respecter tes droits. Donne-moi les bijoux, je te promets de faire rendre l’argent à Bébé. Tu auras moitié de l’un et moitié de l’autre.
« Donne-moi les bijoux, » avait dit Fantômas. Ribonard, d’enthousiasme, à la promesse d’un partage équitable, ne s’y refusait plus.
Après tout c’était possible. Fantômas, s’il le voulait, pouvait parfaitement obliger Bébé à effectuer le partage des billets enlevés au marquis de Tergall. Fantômas l’avait promis, il fallait lui faire confiance.
– Alors, venez, patron, reprit Ribonard, l’air joyeux, la mine satisfaite. Si vous voulez les bijoux, faut qu’on se cavale des ribouis et rapidement, encore. On s’en va chez les ratichons.
De surprise, Fantômas parut hésiter.
– Chez les ratichons ? demanda-t-il, ce sont des curés qui gardent les bijoux de la marquise de Tergall ?
– Pas tout à fait.
– Alors ?
– Alors, je vous l’ai dit, patron, faut cavaler des ribouis, faut que nous soyons à Bouloire avant six heures du soir. Et ça serait dangereux de prendre le grand frère ou même une carriole. Cavalons des ribouis, que je vous dis : le train onze, voilà ce que je vous offre.
***
La petite église de Bouloire, engageante avec ses murs blancs, crépis à la chaux, son chemin de la croix aux tableaux naïfs, peints aux couleurs claires, ses statues de plâtre représentant saint Antoine-de-Padoue, la Sainte Vierge, saint Joseph surchargé d’un Enfant Jésus ridiculement petit, se trouve à l’extrémité du village, un peu à l’écart, entourée de tous côtés par un cimetière à peu près vide, semble-t-il.
Or, à six heures du soir, église, cimetière, village, étaient plongés dans la nuit noire, d’autant que, par économie, les jours où il « devait » y avoir clair de lune d’après les indications des calendriers, la municipalité se dispensait de faire allumer les becs de gaz.
C’était à cette heure tranquille, que deux hommes, qui n’étaient autres que Fantômas et Ribonard, arrivèrent à travers champs jusqu’au mur du cimetière, le franchirent sans bruit, puis gagnèrent une petite porte accédant au chœur de l’église.
– Où me mènes-tu ? Ribonard, demanda Fantômas. Où diable as-tu caché les diamants ?
– Quelque part, patron, où personne ne serait venu les chercher. C’est une idée à moi, une idée réellement épatante. Ah, mince alors. Vous allez bougrement rigoler.
Ribonard poussa la porte conduisant au chœur, entra dans la nef, suivi de Fantômas. Le pas des deux hommes résonnait étrangement dans la tranquillité de l’église, maintenant déserte jusqu’au lendemain car l’angélus du soir venait d’être sonné.
– Ça n’est pas gai, remarqua Ribonard, à voix basse.
Et pour se remonter le moral, pour lutter contre l’atmosphère de mystère qu’il devinait à l’intérieur de l’église, l’apache esquissa un pas de polka. Fantômas, lui, demeurait grave.
– Presse-toi, dit-il en poussant Ribonard par les épaules, je ne crois pas à grand-chose, à Dieu et au Diable, moins qu’à rien, mais tout de même je n’aime pas opérer dans les églises. Où as-tu mis les diamants ?
Ribonard éclata de rire :
– Eh patron, vous v’là quasiment tout retourné. Allons, vous bilez pas. Les diamants, vous les aurez dans dix minutes. Avancez.
À son tour, il poussa Fantômas. Il le poussa jusqu’au centre de l’église :
– Et maintenant levez la tête, zyeutez-moi l’intérieur du clocher. Qu’est-ce que vous voyez là-haut ?
Fantômas, suivant les instructions de l’apache, leva la tête, vit l’étroite tour de pierre s’élevant du sommet de la voûte, un peu en avant de l’autel, et qui, ainsi qu’il arrive souvent dans les modestes églises de campagne, débouchait à même l’église, laissait entrevoir derrière un enchevêtrement de poutres et de planchers volants, la forme rebondie d’une énorme cloche.
– Qu’est-ce que vous voyez ? questionnait Ribonard.
Fantômas haussa les épaules :
– Presse-toi faisait-il, je te dis que j’ai hâte d’être sorti d’ici. Inutile d’essayer de me faire du boniment. Ce que je vois est fort simple. C’est le clocher, la cloche. Les planchers servent je suppose au sonneur et…
– Et rien de plus ? interrogeait, narquois, Ribonard… Eh bien patron, si vous voulez les bijoux, faut pourtant que nous allions nous balader dans ce panorama. Allons venez. Montons. Les bijoux, c’est comme les étoiles, quand on les veut, faut aller les décrocher. Passez par ici, conseillait-il.
L’apache conduisit Fantômas vers une petite porte de bois donnant dans la nef, qu’un simple loquet fermait, qui terminait un escalier étroit, tortueux, enroulé sur lui-même.
– Montez, commanda Ribonard.
– Où me mènes-tu ?
– Dans le clocher. Montez donc, patron.
Mais, sans doute, Fantômas était impressionné par l’idée qu’il se trouvait dans une église.
– Passe devant, ordonna-t-il, tu connais le chemin, j’aime autant marcher derrière toi.
– À votre goût.
Ribonard s’engagea donc dans le petit escalier en colimaçon, le gravit en hâte. L’escalier à son sommet débouchait sur une sorte de plancher, divisant dans sa hauteur le clocher de l’église. Parvenu sur les poutres branlantes, Ribonard, plein d’attentions, avertit Fantômas :
– Eh là, prenez garde. Nom de Dieu, vous m’avez fait peur, patron. Faut pas vous agiter comme ça. Ces poutres-là c’est solide, mais c’est mal fixé et sans que vous vous en doutiez, nous sommes bien à sept ou huit mètres du sol maintenant. Tiens, si vous aviez dégringolé, vous auriez fait un joli saut.
Fantômas, de plus en plus énervé, n’écoutait plus le bavard :
– Presse-toi Ribonard, répéta-t-il. Presse-toi donc. Où sont les bijoux ?
Ribonard, lui, était de plus en plus calme.
Il trouvait farce infiniment, rigolo en diable, de se promener ainsi dans le clocher d’une église, en compagnie de qui ? en compagnie de Fantômas.
– Eh là, répondit-il, on a le temps. Ce n’est pas encore que la sociale va foutre par terre toutes les niches à bon Dieu. On n’est pas aux pièces.
– Si, fit sourdement Fantômas.
– Alors j’vas me dépêcher. Mais c’est bien pour vous faire plaisir.
Ribonard, joyeusement, sifflotait un air de valse, tout en allant prendre, accroché à la muraille, pendant dans le vide le long du clocher, une échelle énorme.
– Eh, patron, demanda l’apache, voyez voir à me donner un coup de main, s. v. p. Faut que je hisse cet instrument sur le plancher où nous sommes, pour que je puisse monter jusqu’au battant de la cloche.
– Tu veux aller au battant de la cloche ?
Fantômas paraissait surpris, contemplait son complice, avec une sorte de crainte mystérieuse.
– Ah çà, que prétends-tu faire à la cloche de cette église.
Et en même temps, Fantômas, levant la tête, considéra l’intérieur de la tour dont l’extrémité était encore à huit ou neuf mètres au-dessus de leur tête.
Le bandit voyait ainsi d’en dessous la cloche géante, cadeau d’un châtelain des environs, et dont s’enorgueillissait la petite église de Bouloire. Il regarda le battant de fonte et demanda :
– Enfin, Ribonard, m’expliqueras-tu ?
De plus en plus joyeux, Ribonard se tapait, sur les cuisses, deux larges claques, en signe de profonde satisfaction :
– Bien sûr que je vous expliquerai, patron, tout ce qui peut vous intéresser. Et même plus encore. Vous voulez savoir où j’ai mis les bijoux ? c’est toujours ça qui vous taquine ? Bon. Ne vous faites pas de mauvais sang. La boîte dans laquelle les trésors sont enfermés, eh bien, ma foi, j’ai eu l’idée de la ficeler sur la charnière du battant de cette cloche. Hein ? pour une idée, c’était une fameuse idée ? Personne ne pouvait imaginer cette cachette-là ? Et j’avais-t-y raison, cet après-midi, au Mans, quand je vous disais qu’on me devait une fière chandelle, une grande part en la réussite du vol ?
– Presse-toi donc.
Mais le bandit, cette fois, venait de parler sur un tel ton, d’une voix si basse, avec une rage telle, que Ribonard interloqué, cessa d’éveiller les échos de l’église, de sa gaieté intempestive.
– C’est bon, dit-il, on y va.
Aidé de Fantômas, l’apache tira l’échelle, la hissa sur le plancher formé par les poutres que lui et le Maître foulaient depuis quelques instants. L’échelle atteignit le haut du clocher, frôla le battant.
– Va falloir que vous la teniez toute droite, pendant que je vais grimper, expliquait Ribonard. Si j’appuyais l’échelle contre la muraille, je ne pourrais pas atteindre le battant. Or, l’essentiel pour moi et pour vous, patron, soit dit sauf vot’ respect, c’est précisément que je puisse atteindre le battant. Vous comprenez le coup, je suppose ? Une fois en haut de l’échelle, je m’agrippe au battant, je prends mon couteau dans ma poche, je coupe les ficelles qui tiennent le coffret aux bijoux, je vous le jette, je descends, on remet l’échelle en place et on se débine. Allons, patron, à vous de travailler. Tâchez voir de me tenir l’escalier et solide, hein ? si jamais vous manquiez vot’ coup, je me casserais la gueule et ça ne vous avancerait pas. Seul, vous ne pourriez pas atteindre les bijoux.
Cette dernière phrase tendait, évidemment, à indiquer la confiance très relative que Ribonard pouvait accorder à son excellent « patron ».
Le bandit, toutefois, entendant parler son lieutenant, s’entendant soupçonner d’une véritable trahison, ne marqua nul étonnement.
– Je tiendrai l’échelle, répondait-il simplement, je la tiendrai solidement, va chercher les bijoux, Ribonard.
Ribonard, sans plus attendre, s’exécuta.
– Une, deux, trois. En route pour le Paradis. Oh, à la réflexion, c’est plutôt au poulailler que je m’en vais. C’est un perchoir que cette échelle. Pour le Paradis, il doit y avoir des ascenseurs.
Ribonard, tout en plaisantant, gravissait lentement l’échelle que Fantômas tenait maintenant en équilibre au milieu du clocher.
L’apache atteignit le battant de la cloche, il s’y agrippa, il embrassa entre ses jambes la partie renflée du bourdon, il tendit le bras, il atteignit le coffre aux bijoux.
– Posez l’échelle, patron, sans vous commander ! ordonna Ribonard. Je me tiens très bien après le bourdon et vaut mieux que vous ayez les mains libres, pour recevoir le trésor. S’agirait pas que cette boîte dégringole jusqu’en bas, elle s’ouvrirait, on aurait toutes les peines du monde à retrouver les bijoux dans l’église.
Entré sous la cloche, toujours cramponné au battant, dans une position à coup sûr peu confortable, mais somme toute peu dangereuse car le renflement du bourdon offrait une prise facile. Ribonard vit Fantômas reposer l’échelle contre le mur.
– Vous y êtes ? demanda-t-il.
– Envoie l’objet, répondit Fantômas.
Ribonard, d’une main, lança le coffret que Fantômas reçut dans ses bras, qu’il serra soigneusement.
– Maintenant, recommença Ribonard, ayez donc l’obligeance de me ramener la grimpante, tenez toujours bon l’échelle, hein ? Eh ben, quoi ? qu’est-ce qui vous prend ?
Ribonard pouvait à bon droit s’étonner. Brusquement, Fantômas demeuré sur les poutres du clocher, avait éclaté de rire.
Fantômas riait, oui, il riait à gorge déployée.
– Eh, protesta Ribonard, toujours cramponné au battant de la cloche, qu’il ne pouvait évidemment abandonner sans l’aide de son complice, eh, patron, vous vous dilaterez la rate après, si ça ne vous fait rien. C’est pas le moment de moisir ici, et je vous assure qu’il ne fait rien pas chaud sous ma cloche. Mince de brise, ce soir.
Fantômas ne répondit pas, il riait toujours. Alors, brusquement, une grande colère s’empara de Ribonard :
– Ah bien, vous en avez de vertes et de pas mûres, vous, nom de Dieu. Allez-vous me tendre l’échelle oui ou non ?
Fantômas cessa de rire, tranquillement il répondit d’une voix distincte, qui monta jusqu’à Ribonard :
– Non.
– Comment, non ? Vous ne me rapporterez pas l’échelle ?
Fantômas répéta simplement :
– Non.
Puis, comme Ribonard, demeurait muet de stupeur, se demandant quelle folie subite s’était emparée du patron, Fantômas ajouta :
– Mon pauvre Ribonard, tu devenais trop socialiste pour moi, trop partageur. Tu sauras une bonne fois que, quand Fantômas fait travailler ses amis, il entend que ses amis lui laissent la majeure partie de leur travail. Ceux qui ne s’inclinent pas devant ma volonté – et tu allais être de ceux-là – je les brise. Je ne te rapporterai pas l’échelle, Ribonard. J’avais besoin de toi pour avoir les bijoux, je les ai, tu ne pourras plus m’être utile à rien. Au revoir. Reste où tu es.
Et cette dernière raillerie lancée, posément, sans se presser, sans s’occuper des vociférations que poussait maintenant un Ribonard fou de rage, Fantômas descendit du clocher, traversa l’église, franchit le cimetière, se perdit dans la nuit.
Dans la soirée, M. Charles Pradier, regagnait Saint-Calais un gros paquet sous le bras « un bibelot précieux » disait le juge d’instruction, qu’il avait pu acheter à très bon compte.
Deux heures plus tard, pourtant, comme le bandit, seul dans sa chambre, se hasardait à ouvrir le coffret pour examiner les bijoux si subtilement repris à Ribonard, Fantômas blêmit, pris de fureur.
Le coffret était vide.
– Ribonard m’a joué. J’aurais dû me douter qu’il se moquait de moi. Parbleu, tandis qu’il était sous la cloche, il a mis les bijoux dans ses poches. C’est un coffret vide qu’il m’a lancé. Parbleu, il s’est douté que j’avais l’intention d’éviter un partage. Et maintenant il est trop tard pour réparer mon erreur, hurla le terrible bandit.
Puis, soudain, Fantômas éclata de rire :
– Peuh, dit-il, est-il réellement trop tard ? Il ne faut pas que j’oublie que je suis juge d’instruction et qu’un juge d’instruction a le bras long.
23 – DES DIAMANTS ET DES RUBIS
– Revenez donc, bon Dieu, Fantômas ! Eh patron, ne foutez pas le camp. Pas de blague. Passez-moi l’échelle. Fantômas, Fantômas. Mais nom de Dieu de nom de Dieu, écoutez-moi, à la fin. Et remontez. Sapristi, bon Dieu de salaud, bougre de cochon. Fantômas ! Fantômas, mais ouvrez donc le coffret, sapristi. C’est de la monnaie de singe, que vous emportez. Venez. Revenez. Je vous donnerai les diamants. Ah la crapule. Ah le salaud. Sacré nom d’un chien.
La voix de Ribonard sombra brusquement. L’apache articula d’une voix que la peur faisait trembler :
– Ah nom de Dieu, il est parti.
Fantômas, en effet, à l’instant même, venait de déboucher du petit escalier dans la nef, Ribonard avait entendu son pas résonner sous les voûtes de l’église. Une porte avait claqué. C’était définitif, irrémédiable. Fantômas venait de partir.
Ribonard, à cet instant, se vit perdu.
Il ne courait à vrai dire aucun danger immédiat, car si sa situation était peu confortable, elle était relativement tranquille. Bien cramponné au battant de la cloche, il ne risquait pas de se laisser choir. Mais l’avenir se présentait à lui sous les plus sinistres aspects. Ribonard songeait qu’il était pris à son propre piège.
Il avait pensé faire preuve d’une extraordinaire habileté en n’envoyant à Fantômas, demeuré dans la tour, au pied de l’échelle, qu’un coffret vide. Ribonard s’était dit : « Si jamais il prenait fantaisie à Fantômas de vouloir ficher le camp avec les bijoux, je pourrais toujours calmer ses envies de fuite en lui indiquant que j’ai gardé les bijoux dans ma poche, et qu’en réalité il ne tient qu’un coffret vide ». Mais Ribonard avait été surpris par la marche des événements. Fantômas s’était enfui si vite. Il avait si bien fait la sourde oreille à ses clameurs désespérées qu’il n’avait même pas entendu l’avertissement qu’on lui criait, qu’il n’avait même pas ouvert le coffret, qu’il s’était enfui dans la nuit, volé sans doute, satisfait néanmoins.
Ribonard, d’abord, ne s’inquiéta pas exagérément. Le premier moment de stupeur passé, l’apache éclata même de rire :
– Ah bien, on peut dire qu’elle est roide celle-là. Fantômas qui se cavale à toute allure, avec un coffret rempli de peaux de balle et moi qui me marre à l’intérieur d’une cloche, avec des poches remplies de bijoux, sûr que ça n’est pas ordinaire.
La gaieté du voleur, toutefois, disparut bientôt.
– C’est pas ordinaire, songeait Ribonard, mais c’est pas distractif non plus. Faudrait voir, à voir à se tirer des pattes et presto, encore. Pour ce qui est des bijoux, ah çà, dame, le Fantômas, il peut être sûr qu’il se mettra la ceinture. J’en ai mon compte des mecs à la redresse comme lui. Ça pose un et ça retient tout. Seulement, comment que je m’en vais sortir de là-dessous ?
Ribonard, qui serrait toujours entre ses genoux le renflement du bourdon, qui pressait entre ses bras la tige du battant, leva la tête. S’évader de la cloche par en haut, impossible. Il était pris là dedans de façon irrémédiable. Il ne pouvait même songer au moindre tour d’acrobatie, à la moindre tentative d’évasion, la cloche l’enserrait dans sa cavité, l’emprisonnait plus sûrement que n’importe quelle muraille, car il n’avait rien qui lui permît d’attaquer le bronze épais dont elle était faite.
– Bouclé par en haut, bouclé sur les côtés, conclut philosophiquement Ribonard, va falloir se tirer par en dessous.
Ribonard, bientôt fit la grimace…
– C’est très joli à dire, pensa-t-il, mais c’est pas commode à faire. Comment diable m’y prendre ? Sauter sur le plancher ? D’abord il y a quatre ou cinq mètres ce qui représente déjà un bond peu agréable, et ensuite le plancher est bien trop étroit pour que j’aie la chance de pouvoir m’y rattraper. Si je saute, il y a gros à parier que je vais manquer mon coup et me casser la gueule sur les chaises de l’église, c’est-à-dire, qu’à moins de chances imprévues, je me tue net.
L’apache se prit à réfléchir.
– Ce qu’il faudrait, pensa-t-il, c’est trouver le moyen de fabriquer une corde avec mes habits. Je pourrais l’attacher au battant et me laisser filer jusqu’au sol. Oui, mais voilà. Exécuter ce petit travail, ici, en équilibre comme je suis, c’est exactement comme d’essayer de transformer un violon en bateau à vapeur. Impossible. Ah, ça se complique.
Ça se compliquait, en effet.
De se tenir au battant de la cloche, serrant de toutes ses forces le renflement du bourdon, Ribonard commençait à ressentir une crampe terrible dans le mollet.
– Bon Dieu de bon Dieu, fit-il, si ça continue à aller comme ça, tout à l’heure je m’en vas lâcher prise et faire le saut périlleux. Quel salaud que Fantômas.
Ribonard, qui d’ordinaire avait peur de son ombre, montrait à présent un certain courage, tandis qu’il raisonnait assez froidement sur les chances qu’il avait de se tirer de sa situation élevée.
– Je ne peux pourtant pas rester là, finit-il par songer. D’abord, sûr de sûr, à la longue, je me laisserais tomber, et puis y a encore autre chose. Si demain matin les ratichons me dénichent, je peux bien faire mon deuil de ma qualité d’homme libre. On trouvera sur moi les diamants volés. Depuis l’autre jour, y a l’histoire de Chambérieux clamecé et depuis hier, depuis avant-hier, celle du marquis de Tergall qui embrouillent encore les affaires de Saint-Calais. Il ne ferait pas bon pour moi de me laisser coffrer. Mais c’est qu’avec tout cela, j’oublie encore que je vais pas pouvoir rester longtemps ainsi cramponné. V’là qu’c’est dans le bras maintenant que j’ai une crampe.
Ribonard fit mine de lâcher le battant de fer auquel il s’agrippait de la main droite, mais il dut vite se rendre compte qu’une telle manœuvre était d’une extrême imprudence.
– Sacrée cochonnerie de bon sort, je n’en sortirai pas vivant de cette cloche. Je me fatigue. Je vais lâcher.
Ribonard, par bonheur pour lui, avait heureusement pour lui exercé de nombreuses professions. Au cours d’une existence mouvementée, il avait été, entre autres, peintre en bâtiment. Il avait l’habitude du vide, il ne souffrait pas du vertige.
– Ma foi, risquons le tout pour le tout, finit-il par se dire. Je m’en vais, une seconde, lâcher mes deux mains, déboutonner ma veste et la reboutonner en emprisonnant le battant de fer entre mon corps et ma veste. Les boutons sont solides, le drap de mon veston résistera, ça m’attachera toujours un peu.
L’idée était excellente, Ribonard, par un prodige d’adresse réussit à la réaliser.
La situation, toutefois, n’était pas encore parfaite.
Si Ribonard ne pouvait plus basculer en arrière, il lui fallait encore étreindre, à peine de glisser, la partie renflée du bourdon. Or, à la longue, il se fatiguait terriblement le malheureux. Il eut vite la sensation que ses muscles allaient s’engourdir, se paralyser, qu’il allait desserrer son étreinte et dégringoler dans le vide, qui de plus en plus semblait le guetter, l’attendre.
Ribonard eut une autre idée.
– J’suis ici pour longtemps, gouailla-t-il, encore que l’appartement soit pas tout à fait à ma convenance… Faut que j’arrive à m’installer.
L’apache déboutonna ses bretelles. Il s’entoura l’une des cuisses d’un nœud coulant, puis, ayant ses deux mains libres, grâce à la façon dont il s’était boutonné sur le battant de fer, il attacha l’extrémité de ses bretelles à la charnière de la cloche. Dès lors, il était solidement fixé, il pourrait desserrer les jambes, il ne tomberait plus.
– Ça va mieux, murmura le malheureux qui, littéralement était à bout de forces. Ça va mieux. J’ai tout de même eu une fameuse idée le jour où j’ai acheté des bretelles en cuir de bonne qualité. Tiens, mais, j’y songe, j’ai une ceinture pour l’autre jambe.
Ribonard s’installait comme chez lui, se ficelait à l’intérieur de son étrange prison. Désormais, une jambe prise sous ses bretelles, l’autre maintenue par les nœuds de sa ceinture, il pouvait être assuré qu’il tiendrait aussi longtemps qu’il faudrait.
– Ça va bien, se déclara l’apache, maintenant, je ne tomberai pas. Mais d’autre part je ne peux pas rester ici toujours. Que diable va-t-il se passer ? Ah cochonnerie, quand je me retrouverai sur la terre ferme, si jamais je rencontre Fantômas, faudra que l’un de nous deux, lui ou moi, crève l’autre.
Mais c’étaient là de vaines menaces, et Ribonard quoi qu’il en eût, bien qu’il affectât de se rassurer un peu, songeait qu’il n’était pas encore près de descendre du clocher. Quelle solution en effet pouvait-il espérer à sa redoutable position ? Appeler ? Quand le jour serait venu, attirer l’attention des fidèles qui sans doute entreraient dans l’église ? Non, Ribonard n’appellerait pas. Ce serait à coup sûr se faire arrêter, et si Ribonard, à la rigueur se fût accommodé d’un peu de prison, il frissonnait à la perspective, certaine pour lui, de la rouge machine de Deibler. Que faire, alors ? Tâcher, quand il verrait plus clair, de sauter sur le plancher situé au milieu du clocher ?
Plus Ribonard calculait les distances, plus il mesurait de l’œil, le vide béant sous lui, et moins il se sentait disposé à risquer un pareil bond dans le vide. Non, sauter c’était se tuer à coup sûr. Et pourtant, il était évident qu’à peine de mourir de faim, d’épuisement, mourir de mort lente, il fallait coûte que coûte trouver moyen de quitter le clocher. Ribonard, soudain, alors qu’il venait de conclure qu’il n’y avait guère de chances de salut pour lui, éclata de rire, haussa les épaules, siffla, chanta, donna les signes d’une joie exubérante.
– Bon Dieu de bon Dieu, que je suis bête, murmurait l’apache, parlant tout haut sous l’empire de son émotion, sûr qu’en ce moment Fantômas est en train de s’apercevoir que je l’ai floué. Parbleu, quand il verra qu’il ne tient qu’un coffret vide, il y a gros à parier qu’il reviendra ici, pour me décrocher et reprendre les bijoux. Ma foi, ça sera bien le diable si, à ce moment-là, je ne parviens pas à l’embobiner, à le forcer à me passer l’échelle.
Rassuré à cette pensée, Ribonard commençait à voir les choses prendre meilleure tournure pour lui…
– Je donnerai la moitié des bijoux à Fantômas se disait-il, oui, ma foi, je la lui donnerai quitte à la lui reprendre sitôt que je serai à côté de lui, sur le sol ferme. Je n’ai pas perdu mon poignard, et ce n’est pas pour rien que j’ai appris à me servir de cet instrument quand je vivais au Natal. Après tout, je suis vanné, horriblement vanné. Qu’est-ce que je risque ? Maintenant que je suis attaché, si je me laissais aller à pioncer un petit peu ? C’est M. Fantômas lui-même qui me réveillera. Excusez du peu.