Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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18 – M. PRADIER, JUGE D’INSTRUCTION
– Monsieur…
On frappait à la porte.
– N’entrez pas. Après tout, si, entrez.
Le changement d’avis était superflu d’ailleurs, le garçon d’hôtel n’avait pas attendu la permission.
Or, ce garçon de l’Hôtel Européen, une fois la porte ouverte, vit un homme étendu sur le plancher de la chambre, gisant à demi débraillé au milieu de papiers épars de tous côtés. Une bougie avait répandu sa cire sur le sol.
Sur les meubles, le lit, des vêtements, du linge, dans le plus grand désordre, et une grande malle ouverte aux trois quarts vide.
L’homme que le garçon, par son irruption soudaine, venait d’arracher à un profond sommeil, bien qu’il fût déjà neuf heures du matin, regardait l’intrus avec des yeux stupéfaits. Cet homme, c’était Fantômas, ou plus exactement, sa dernière incarnation.
Fantômas, en effet, était aujourd’hui M. Pradier, juge d’instruction comme on l’a vu au chapitre précédent.
Cette personnalité, à laquelle le bandit avait encore peine à croire, le garçon d’hôtel venait encore de la préciser.
– Monsieur Pradier, disait en effet le serviteur, excusez-moi de vous déranger, mais il y a M. Morel, le juge d’instruction, votre collègue, qui vous attend en bas. Dois-je le faire monter ?
– Non, attendez. Demandez à M. Morel d’attendre deux minutes, cinq minutes, oui dans cinq minutes je descends le rejoindre au salon.
– C’est bien, monsieur.
Resté seul, le bandit revit la fin de la promenade en voiture de la veille. À peine le voiturier s’était-il arrêté devant l’Hôtel Européen que Fantômas avait vu s’avancer un homme haut, sec, d’une grande autorité. Ce personnage s’était présenté aussitôt :
– M. Anselme Roche, le procureur général. Vous êtes, j’imagine M. Pradier, notre nouveau juge d’instruction, je suis fort heureux de faire votre connaissance.
Fantômas n’avait eu garde de soutenir le contraire.
Au surplus, le procureur général n’avait pas insisté longuement et n’avait pas eu le temps de se perdre en formules de politesse. Il avait vu que celui qu’il prenait pour le nouveau juge d’instruction arrivant avec le marquis de Tergall était complètement bouleversé. Le voiturier bavardait déjà avec le personnel de l’hôtel, et presque aussitôt, le procureur général avait été au courant de ce qui venait de se produire.
Avidement, le magistrat s’était empressé d’attirer le pseudo Pradier dans un salon privé pour l’interroger sur l’affaire dont il avait été le témoin involontaire.
Les deux hommes avaient longuement causé : le faux Pradier avait exposé au procureur général le détail des faits avec une si lumineuse précision que l’avocat du gouvernement, saisi d’admiration, n’avait pu s’empêcher d’interrompre son nouveau collègue pour lui déclarer :
– Ah, ah, mon cher monsieur Pradier, je vois que vous êtes un magistrat de la bonne école, permettez-moi de vous féliciter.
Il avait ajouté :
– Nous avons besoin ici d’un juge d’instruction énergique. Je ne veux point dire de mal de votre prédécesseur, M. Morel, mais de vous à moi, il est vieux, fatigué, il se désintéresse de sa carrière et compte dans le pays, qu’il habite depuis fort longtemps, beaucoup trop de relations d’amitié pour n’en être pas sans cesse gêné dans l’exercice de ses fonctions.
Puis le procureur raconta à Fantômas abasourdi, et résigné désormais à sa nouvelle profession, les mystérieux crimes, le vol des bijoux de Chambérieux, celui de l’argent de Tergall, l’arrestation du prêtre Jeandron, sa mise en liberté, et il avait conclu :
– Cette affaire, monsieur Pradier, vous allez avoir à la débrouiller. Elle est délicate, dangereuse, mais tel que je crois vous juger, vous n’aurez pas peur de faire le nécessaire. Marchez donc selon votre conscience, le tribunal entier vous soutiendra.
Fantômas, cependant, retenait avec peine une envie colossale d’éclater de rire au nez et à la barbe du procureur général, ce dernier insistant à présent sur les mesures immédiates à prendre :
– En ce qui concerne l’assassinat de cet infortuné Chambérieux… Comptez-vous faire quelque chose, et quoi ?
« Un grand coup », se disait Fantômas, « il faut un grand coup pour bien montrer qui je suis et de quel bois je me chauffe ».
– Ce que je compte faire monsieur le procureur général, dit-il gravement, rien n’est plus simple. Je vais vous demander de faire arrêter M. le marquis de Tergall, séance tenante.
Le procureur lui prit les mains :
– Je ne voulais pas vous influencer, cher monsieur Pradier, mais j’avais dans mon for intérieur, la conviction qu’il ne fallait pas laisser cet homme en liberté. Selon vous, c’est l’assassin de Chambérieux, n’est-ce pas ?
– Je ne puis encore me prononcer de façon absolue, monsieur le procureur général, mais j’estime avoir des présomptions suffisantes pour ne pas commettre un abus de pouvoir en arrêtant M. de Tergall. S’il n’est pas le coupable, il lui appartiendra de le prouver.
Une demi-heure plus tard, le marquis de Tergall resté à l’Hôtel Européen, apprenait des deux magistrats la décision le concernant.
En même temps, dans la pièce où s’entretenaient les trois hommes, pénétraient deux gendarmes.
Affreusement pâle, mais ne se départissant pas de la correction et de la politesse de l’homme du monde, le marquis de Tergall ne protesta pas.
– J’espère, murmura-t-il seulement en se tournant vers le faux Pradier, que vous ne tarderez pas, monsieur le juge d’instruction à reconnaître mon innocence. Vous m’arrêtez, c’est un coup terrible pour moi et les miens, mais j’ai le respect de la justice de mon pays et je me soumets à votre décision. Toutefois, permettez-moi cette déclaration, je suis chrétien, je crois en Dieu, eh bien, sur le Ciel qui m’entend, je vous le jure, pas plus que je n’ai volé les bijoux vendus par moi à Chambérieux, je n’ai porté la main sur cet homme, et n’ai souhaité sa mort.
Tergall tremblait en prononçant ces mots. Il n’en fit pas moins effort sur lui-même, et se ressaisissant au moment où les gendarmes l’emmenaient, il sollicita l’attention du faux Pradier :
– Monsieur le juge, fit-il, ce n’est plus le prévenu qui s’adresse au magistrat, c’est l’être humain qui s’adresse à un autre être humain. Je suis marié, monsieur, ma femme m’attend ce soir, demain matin au plus tard. Elle est seule dans notre propriété, elle s’inquiétera de ne pas me voir rentrer, ayez l’obligeance de la faire avertir.
Pradier interrompit du geste l’infortuné marquis :
– C’est une affaire entendue, monsieur, quelqu’un de l’hôtel voudra bien, je pense, se charger d’une commission pour Mme la marquise de Tergall. Écrivez-lui un mot vous-même.
Débarrassé du prisonnier et du procureur général, Fantômas avait gagné la chambre réservée à M. Pradier et dans laquelle on avait déjà transporté les bagages du juge d’instruction défunt.
Fantômas se verrouilla, puis, se laissant tomber sur un fauteuil, il envisagea la situation avec le calme imperturbable et la netteté qui le caractérisaient.
– Que dois-je faire ? se demandait-il. Partir ? rester ?
Rester c’était jouer un jeu dangereux. Certes il apparaissait bien que nul à Saint-Calais ne connaissait ce M. Pradier désigné pour remplacer le juge d’instruction Morel et qui, si malencontreusement pour lui, avait rencontré Fantômas sur sa route, au moment où il gagnait son poste.
Par suite d’une chance inouïe, par le fait de son extraordinaire audace, Fantômas avait réussi jusqu’à présent à se faire passer pour le magistrat en question ; mais pouvait-il continuer ?
Hum.
– Il faut partir, se répétait le Roi du Crime.
Mais le bandit qui, machinalement, palpait le porte-monnaie du malheureux Pradier, constatant que le magistrat n’avait pas beaucoup d’argent sur lui, se dit qu’avant de partir, il convenait de fouiller la malle, d’examiner les papiers, pour savoir s’il n’était pas possible de faire main basse sur les capitaux que vraisemblablement feu Pradier avait possédés.
Et aussitôt Fantômas avait ouvert les bagages et semé le désordre autour de lui pour effectuer ses recherches. Il avait découvert quantité de vêtements, d’objets sans valeur, quelques papiers sans importance. Le bandit avait ainsi appris que sa victime venait de Montauban, était célibataire et devait avoir peu de relations, car dans le paquet de lettres ainsi dépouillé ne figurait aucune correspondance intime impliquant des amitiés ou des parentés proches.
Fantômas avait lu également des lettres échangées par Pradier avec les magistrats de Saint-Calais et compris que les signataires ne se connaissaient certainement pas entre eux.
Tant mieux. Le pseudo Pradier avait eu de moins en moins envie de prendre la poudre d’escampette. Et d’abord, il n’avait pas trouvé d’argent en quantité suffisante pour partir très loin. En outre, Fantômas était de plus en plus convaincu que le corps de Pradier resterait introuvable, d’autant plus que personne ne songerait jamais à le rechercher.
Il avait même eu cette pensée, qui l’avait fait sourire, que dans le cas où le cadavre serait retrouvé, ce serait lui, Fantômas, qu’on chargerait d’instruire l’enquête.
Puis il s’était dit, qu’il avait tout à redouter de la part de Léon et de Michel s’il reprenait la fuite. Alors que ces agents ne viendraient jamais demander au tribunal de Saint-Calais si l’un de ses membres n’était pas Fantômas.
Enfin, après sa conversation avec le procureur général, le bandit avait acquis la certitude que les vols qui s’étaient commis étaient imputables à une bande, et que peut-être bien cette bande, Fantômas la connaissait et pourrait tirer parti d’elle.
Toute la nuit, le bandit avait réfléchi, et décidé en fin de comptes de risquer le tout pour le tout. C’est ainsi que Fantômas avait disparu pour renaître sous les espèces de M. Charles Pradier, juge d’instruction au Tribunal de Saint-Calais. On verrait bien.
Et le bandit, satisfait de sa décision, mais exténué, était resté étendu sur le sol, au milieu des papiers épars, et il avait dormi à poings fermés jusqu’au moment où le garçon était venu l’informer que son collègue, M. Morel, l’attendait dans le salon de l’hôtel.
Sitôt réveillé, le faux Pradier avait procédé à une toilette rapide, et un quart d’heure plus tard, il descendait au salon où le vieux juge d’instruction, patiemment, l’avait attendu.
Après les salamalecs de rigueur :
– Alors, mon cher collègue, vous avez fait arrêter le marquis de Tergall ? avait demandé Morel.
– Oui, répliqua simplement Pradier-Fantômas.
– Vous avez osé ?
– J’ai osé, en effet, pourquoi pas ?
– Évidemment, c’était votre droit, j’ajouterai même votre devoir, puisque vous croyez à sa culpabilité. Mais enfin, cela va créer un énorme scandale dans le pays.
Assurément, Morel était aussi troublé de cet événement que l’avait été l’intéressé lui-même l’infortuné marquis quand on lui avait mis les menottes.
Fantômas, en considérant le vieux magistrat qu’il allait remplacer, se rendait compte que le procureur général ne s’y était pas trompé, qu’assurément, Morel était un homme bien trop hésitant, et bien trop tenu par ses relations mondaines avec la ville et le voisinage pour pouvoir exercer ses fonctions avec la fermeté nécessaire.
Morel n’insista pas d’ailleurs, il proposa à son remplaçant :
– Je m’en vais vous conduire au Palais et vous installer dans mon cabinet, dans votre cabinet désormais… Puisque mes fonctions cessent du jour où vous commencez les vôtres.
Chemin faisant, Morel exposa, volubile, le détail des affaires en cours, sans en oublier une seule.
– Si je vous donne tous ces renseignements, expliqua-t-il d’un air embarrassé, c’est parce que je voudrais bien vous passer le service tout de suite. Ce matin même. Voici pourquoi. Depuis longtemps la santé de Mme Morel réclame impérieusement le Midi. Or, depuis quinze jours, nous savions votre arrivée, fixée à ce jour, et nous avions décidé de partir aussitôt pour Nice. Y voyez-vous un inconvénient ? Les affaires en cours ne sont pas très compliquées. J’avoue les avoir quelque peu négligées ces temps derniers, et compté sur vous pour la remise au point. Vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que je vous quitte dès que je vous aurai remis les dossiers ?
– Décidément, se disait le pseudo Pradier, les choses vont de mieux en mieux.
Et il répondit au magistrat avec un aimable sourire :
– Mais pas le moins du monde, mon cher collègue, trop heureux si je puis vous être agréable.
Et le faux Pradier s’était installé ce même matin, dans son cabinet de juge d’instruction, au Palais de Justice de Saint-Calais où désormais il était seul et il était le maître.
Morel, en s’en allant, lui avait présenté le greffier, petit homme maigre, sale, affublé d’une casquette de velours, et dont le visage émacié disparaissait derrière une barbe grise, hirsute.
Fantômas prenant son rôle tout à fait au sérieux, interpella son futur collaborateur :
– Comment vous appelez-vous, monsieur le greffier ?
Le petit homme râpé quittait son pupitre, et courbant le dos, dans une attitude, humble et respectueuse, s’approchait du juge :
– Croupan, pour vous servir, monsieur le juge d’instruction.
– C’est bien, Croupan, j’espère que nous ferons bon ménage. Connaissez-vous le code ?
– Sans me vanter, monsieur le juge, je le sais à peu près par cœur.
– À merveille, j’ai des défaillances monsieur le greffier, alors je compte sur vous, car, il m’arrive de dire une chose en pensant tout le contraire, vous rectifierez.
– Monsieur le juge veut plaisanter. Monsieur le juge en sait beaucoup plus long que moi. J’ai lu sur l’annuaire que non seulement Monsieur le juge était docteur en droit, mais, encore, lauréat de la Faculté.
– Tiens, pensa Fantômas, voilà qui est encore bon à savoir.
Il esquissa un geste vague :
– Sans doute, sans doute, fit-il, mais il y a si longtemps que j’ai passé mes examens.
Les deux hommes s’interrompirent :
La porte venait de s’ouvrir, livrant passage à une femme, élégante, jolie, distinguée, qui s’arrêta net en apercevant Fantômas :
– Oh pardon, messieurs, dit-elle.
Puis, avisant le commis-greffier :
– Ce n’est donc pas le cabinet de M. Morel ?
Fantômas prit la parole, et avec une froide dignité :
– Vous êtes bien, madame, dans le cabinet de M. Morel, mais M. Morel n’est plus en fonctions, et je suis son remplaçant.
La jeune femme se mordit la lèvre, rougit :
– Oh, je vous demande pardon, fit-elle.
Elle balbutia quelques paroles incompréhensibles, puis, fixant Fantômas d’un regard inquiet :
– Le nouveau juge, murmura-t-elle. C’est vous, monsieur ? Alors, c’est vous qui avez arrêté mon mari ?
– À qui ai-je l’honneur de parler, madame ?
La jeune femme baissa la tête, et déclara d’une voix imperceptible :
– Je suis la marquise de Tergall.
Le faux magistrat ne broncha pas.
La marquise, soudain, joignit les mains :
– Monsieur, s’écria-t-elle, grâce pour lui. Libérez-le.
– Le libérer, madame ? Et pourquoi donc ?
– Parce qu’il est innocent, monsieur, innocent, je vous le jure.
– Madame, je voudrais vous croire, mais il me faudrait des preuves.
– Des preuves, mais j’en ai.
– Parlez, madame.
Fantômas, galamment, avait désigné un siège à la jeune femme qui s’y laissa choir, comme rompue de fatigue. Des larmes lui perlaient aux yeux. Avec des gestes nerveux, saccadés, elle se tapota les paupières de son mouchoir de linon.
– Monsieur, commença-t-elle, d’une voix entrecoupée par des sanglots contenus, je vais tout vous dire, quoi qu’il puisse en coûter à mon cœur de femme, à ma dignité d’épouse. Hélas je suis malheureuse en ménage, mon mari a une maîtresse, une fille de rien, une chanteuse, une chanteuse d’un café-chantant du Mans. Je le sais depuis longtemps. Hier, Maxime – Maxime, c’est mon mari, monsieur – est parti sitôt après le dîner sans me dire où il allait, il s’est rendu chez cette femme qui habite une maison à Saint-Calais même. J’ai suivi mon mari, je l’ai vu entrer chez sa maîtresse. Il n’en est pas ressorti, que je sache, de longtemps. Or, mon mari est resté à attendre cette femme, et cette femme a été absente toute la nuit, c’est donc qu’elle n’a pas passé la nuit chez elle.
– Mais quel rapport ?
– Vous allez comprendre, monsieur. Cette femme, cette actrice qu’on appelle Chonchon, a donc été absente toute la nuit, j’en ai la preuve. Il vous est facile maintenant de comprendre que c’est elle qui a assassiné Chambérieux.
– La conclusion est un peu rapide, madame. Du fait qu’une dame, qu’une chanteuse, découche de chez elle, même pendant toute une nuit, il est difficile de déduire qu’elle est l’auteur d’un crime. C’est tout à fait insuffisant.
Frémissante, la marquise s’était levée :
– Ça n’est pas insuffisant, monsieur, quand on sait que l’enquête faite ce matin sur le théâtre du crime a révélé des traces de bottines de femme, traces bien apparentes et se mêlant à celles laissées dans la forêt par l’infortuné Chambérieux. J’ajoute, monsieur, que cette… demoiselle Chonchon accordait également ses faveurs à l’infortuné bijoutier, qu’elle a certainement tué.
– Qui a découvert ces traces, madame ? Serait-ce vous, par hasard ?
– Ce n’est pas moi, monsieur, c’est un homme et un homme respectable, sérieux, connu, en qui l’on peut avoir toute confiance. Je ne le connaissais pas avant ce matin, j’ai eu l’occasion de le rencontrer, il m’a révélé spontanément sa découverte.
– Ah, ah, fit Fantômas, que les propos de la marquise commençaient évidemment à intéresser. Et comment s’appelle ce monsieur ?
– C’est M. Jérôme Fandor, un journaliste de Paris.
Fantômas, un instant, se demanda s’il n’allait pas tout simplement prendre la porte et disparaître pour fuir ce nouvel adversaire, éviter les dangers de sa rencontre. Mais le bandit avait en lui-même une confiance admirable. En faisant sa toilette, il avait achevé de modifier l’aspect de son visage, et sans prétendre ressembler au véritable Pradier dont il avait pris la place, il était assuré du moins que le personnage qu’il avait composé de toutes pièces ne ressemblait en rien à lui. En un mot comme en cent, Fantômas n’était plus Fantômas.
Et dès lors, sans qu’un muscle de son visage eût bougé, le bandit répondit à la marquise :
– Ce monsieur Jérôme Fandor, madame, je serais fort heureux de faire sa connaissance. Vous a-t-il accompagnée au Palais ? Je suis prêt à le recevoir.
– Ah merci, merci monsieur, je vois que vous n’avez aucun parti pris contre mon infortuné mari et que vous êtes disposé à faire toute la lumière. M. Fandor n’est pas ici, mais il est à l’hôtel. Voulez-vous que j’aille le chercher ? Ce sera l’affaire de quelques minutes.
– Nullement, madame, ne vous dérangez pas, nous l’enverrons chercher.
Le faux magistrat s’était tourné vers le greffier :
– Monsieur Croupan, voulez-vous dire à un garde du Palais…
Mais le greffier, qui comprenait l’intention de son supérieur, l’interrompit aussitôt :
– Le garde du Palais ? il n’y en a qu’un, monsieur, et il n’est pas encore arrivé, nous sommes seuls. Toutefois, si vous le désirez, je suis à votre disposition comme j’étais à la disposition de M. Morel pour aller faire les courses. Dois-je courir à l’hôtel et prier M. Fandor de venir ?
– C’est cela, allez-y monsieur Croupan.
Le greffier trottina dans la pièce, salua la marquise, et, en s’en allant, répéta :
– Je ne serai pas long, monsieur, monsieur Pradier.
Cependant que le brave homme refermait derrière lui, la porte du cabinet, la marquise de Tergall s’écria d’une voix vibrante :
– Qui est-ce M. Pradier ?
– C’est moi, madame. Je suis M. Pradier, le nouveau juge d’instruction. Mais qu’avez-vous donc ?
– Pradier dit-elle d’une voix entrecoupée de sanglots, vous êtes Pradier ? Charles Pradier ? Charles ?
Puis elle ajouta :
– Pardon. Pardon.
– Remettez-vous, madame, fit-il, doucement, expliquez-vous.
La marquise regarda Fantômas dans le blanc des yeux, avant de déclarer comme dans un cri :
– Je suis Antoinette.
– Ah ?
– Mon nom de jeune fille est Antoinette Linder.
– Ah, répéta Fantômas qui craignait toujours de se compromettre. Il se rendait compte que sans doute, pour le vrai Pradier, cela signifiait quelque chose. Cela va mal finir, pensait-il. Mais le pseudo Pradier, décidément, avait toutes les chances pour lui. La marquise, en effet, s’était déjà reprise :
– Hélas, je comprends, Linder cela ne vous dit rien, mon pauvre Charles.
Là, elle avait saisi les mains de Fantômas et elle les étreignait de toutes ses forces.
– C’est une folle, pensa le bandit, que faire ?
– Écoutez, continuait la marquise, je vais tout vous dire, il y a trop longtemps que ce secret m’étouffe. Ma mère, il y a quarante ans a mis au monde un enfant. À cause d’un père terrible et du qu’en dira-t-on, elle a dissimulé la chose, abandonné son enfant. Le père de ce fils lui avait donné son nom mais a péri dans un accident, quelques jours après la naissance. Puis, Maman s’est mariée. Elle a eu une fille, Antoinette, c’est moi. Je n’ai appris l’existence de ce frère aîné que sur son lit de mort : – Écoute Antoinette, m’a dit Maman, tu hérites de ma fortune entière. Tu apportes à ton mari un capital d’un million. Mais ton frère, qui n’est pas reconnu par la Loi, a droit à la moitié de la fortune que je te remets. Jure-moi que si tu le retrouves, tu lui rendra cette fortune. Or ce frère, monsieur le juge, s’appelle Charles Pradier.
Et, dans un élan spontané, irrésistible, la marquise de Tergall se jeta au cou de Fantômas, suffoqué, et sanglota penchée sur son épaule.
– Mon frère, balbutiait-elle, à travers ses sanglots.
Fantômas s’efforçait de rendre à celle qui venait si inopinément de se révéler comme sa sœur, ses effusions et ses tendresses.
Et Fantômas se disait que, bien souvent, les romanciers mettent à la torture leur imagination pour trouver des situations ahurissantes, alors qu’en regardant autour d’eux, les accidents de la vie humaine les combleraient.
Mais déjà Antoinette se ressaisissait :
– C’est vous, c’est toi, murmura-t-elle, qui as arrêté mon mari. Qu’allons-nous devenir ?
– Il m’est impossible comme magistrat d’instruire un procès dans lequel mon beau-frère…
– Taisez-vous, tais-toi mon frère. Il ne faut pas qu’on le sache. Car on saurait notre parenté, et cela ne doit pas être. Mon mari doit ignorer ton existence, et il ne doit pas savoir la faute commise par Maman. La part de fortune que je te dois, je te la restituerai, par donation ou testament suivant que je serai encore vivante ou morte, mais, en souvenir de notre pauvre mère n’exige pas cette restitution tant que mon mari sera vivant.
– Tant que son mari sera vivant, se répétait Fantômas, qui songeait aux cinq cent mille francs que venait de lui offrir Antoinette de Tergall.
Mais, celle-ci poursuivant sa pensée, reprenait :
– Dire que Maxime est prisonnier.
Puis, suppliante :
– Il faut que tu l’acquittes, que tu gardes cette instruction et que tu rendes sa liberté à Maxime. Il est innocent, je te le jure. C’est cette femme, c’est Chonchon qui a tout fait. Oui, tout.
– Des preuves, murmurait Fantômas hésitant, il faudrait des preuves, ah, évidemment si nous en avions.
– Jérôme Fandor va les fournir, ces preuves qui feront éclater l’innocence de Maxime.
La porte du cabinet du juge d’instruction s’entrouvrit, le greffier s’introduisit dans la pièce.
– Monsieur le juge, fit-il, ce journaliste est là.
– Jérôme Fandor ? interrogea Fantômas.
– Oui, monsieur Pradier.
– Eh bien, qu’il entre.
Fantômas, à contre-jour, guetta son plus terrible adversaire après Juve.
Fandor pénétra dans le cabinet.
Ses yeux perçants et inquisiteurs s’arrêtèrent quelques secondes sur le visage immobile du nouveau juge d’instruction. Fandor ne manifesta aucune surprise, puis, s’étant incliné respectueusement vers la marquise de Tergall, il dit :
– Vous m’avez fait demander, monsieur ? Je suis à vos ordres.
– Monsieur Jérôme Fandor, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter. Je vous connais déjà de réputation. Je sais votre habileté professionnelle. On vient de me dire que ce matin, de très bonne heure, vous aviez procédé, au risque de me couper l’herbe sous le pied, à une enquête minutieuse.
– Non, monsieur le juge, je me suis contenté de faire quelques observations et le hasard m’a permis de les communiquer à madame.
– Vous avez relevé dans la clairière où s’est déroulé le drame des traces de pas de femmes, dites-vous ?
– Oui monsieur. Ces traces sont constituées par des empreintes de souliers tels qu’ils ne peuvent chausser qu’un pied féminin, ces souliers sont d’ailleurs d’une exiguïté qui prouve que la femme qui les chausse habituellement ne doit pas être très grande.
– Et vous en avez conclu que ces traces ont été laissées par une certaine demoiselle Chonchon, maîtresse à la fois de M. Chambérieux, la victime, et du marquis de Tergall, l’assassin présumé ?
– J’ai simplement relevé cette coïncidence, que ces empreintes féminines correspondent assez exactement avec celles laissées par les bottines de Mlle Chonchon dans son jardin.
– Bien. N’avez-vous pas remarqué autre chose, monsieur Fandor ?
– Si, monsieur, poursuivit le journaliste, j’ai remarqué que les arbres de la clairière où s’est produit le drame portent en certains points de leur écorce des éraflures. Ces éraflures, s’élèvent au-dessus du sol à une hauteur de un mètre cinquante environ.
– Et qu’en concluez-vous ?
– Primo que ces éraflures proviennent des plombs de la cartouche avec laquelle on a tiré sur Chambérieux. Comme il est d’usage lorsqu’on tire un coup de fusil d’épauler son arme, j’en conclus, vu la hauteur des écorchures, que la personne qui a tiré n’est pas d’une taille très élevée.
– Avez-vous remarqué quelque chose d’autre ?
– Ma foi non.
– Dans ce cas, poursuivit le faux juge d’instruction, permettez-moi de vous interroger ?
– À votre aise, dit le journaliste.
– Monsieur Fandor, demanda Fantômas, avez-vous remarqué la nature du sol, dans la clairière ? Est-ce un sol très mou ? très dur ?
– C’est un sol plutôt dur.
– Je prends note. Permettez-moi encore cette question : en ce qui concerne les empreintes des chaussures de femme, avez-vous remarqué si elles étaient superficielles ou nettement accusées sur le sol ?
– Elles étaient très apparentes, monsieur le juge, bien enfoncées dans la terre.
– C’est aussi mon avis.
– Mais, monsieur, vous avez remarqué ces traces hier soir, puisque vous paraissez si bien les connaître ?
– Je les ai remarquées hier soir en effet.
– Alors, sourit Fandor, n’avez-vous pas conclu à la présence d’une femme sur le lieu du crime ?
– Si. J’ai été du même avis que vous, mais je ne le suis plus.
– Est-il permis de vous demander pourquoi ?
– Certainement, monsieur Fandor, nous causons officieusement, sans parti pris, et avec le seul désir de faire la lumière. Je vais vous dire ce que je pense : il n’y a pas eu de femme hier, sur le lieu du crime.
– Ah bah.
– Pour cette bonne raison que les empreintes laissées par les chaussures féminines sont beaucoup trop enfoncées, beaucoup trop précises. L’auteur du crime est donc un homme. Un homme qui a eu la présence d’esprit de fixer sous ses propres chaussures ou sous ses pieds nus, peu importe, des bottines appartenant à Mlle Chonchon. Celle-ci les a-t-elles prêtées ? On a dû les lui dérober. Dans ce cas, elle se trouverait parfaitement innocentée.
– Et mon mari, monsieur ? interrompit la marquise de Tergall, qu’allez-vous en faire ? ne le croyez-vous pas, lui aussi innocent ?
Fantômas se tourna vers la marquise. Il lui sourit en inclinant la tête :
– Je crois, madame, fit-il, qu’il a de bien grandes chances d’être remis en liberté avant la fin de la matinée. Et voici pourquoi :
Fantômas, désormais, s’adressait à Fandor :
– J’ai pris note, monsieur, déclara-t-il, de votre intéressante découverte sur les écorces des arbres. Il m’apparaît certain aussi, comme à vous, que le coup de feu a été tiré par une personne de petite taille. Or, le marquis de Tergall est un homme grand, très grand même. Ce n’est donc pas lui qui a tiré et j’estime que, vu ses antécédents, son honorabilité parfaite, je ne ferai pas preuve d’indulgence exagérée en le mettant en liberté, ce que je vais faire incessamment. Pour nous résumer, monsieur Fandor, puisque vous voulez bien me prêter votre précieux appui dans cette mystérieuse affaire, je vous propose la conclusion suivante : l’assassin de Chambérieux, vu la subtilité et l’adresse qu’il a déployées, est un professionnel du crime, et ce professionnel du crime est, en outre, un homme de petite taille. Il nous resterait avec ces deux éléments, à nommer l’assassin, pouvez-vous le faire, monsieur Fandor ?
– Non, reconnut le journaliste, pas pour le moment, du moins, mais je vous admire, monsieur le juge d’instruction, je trouve que vous êtes diablement fort.
Fantômas, très maître de lui, tendit la main à Fandor :
– Serrez-la, monsieur, fit-il.
Et, Jérôme Fandor pressa dans les siens, les doigts de celui qu’il prenait pour un magistrat.