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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 16:38

Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– C’est Fantômas. Fantômas est là.

Insensiblement, dans la bande des rôdeurs qui pouvaient circuler aisément sans se faire remarquer, au milieu du bal, car la foule des clients devenait si nombreuse que l’on devait refuser des gens à l’entrée, le bruit se répandit que Fantômas était là. Mais ils étaient fort peu à connaître l’Insaisissable, et deux ou trois à peine, d’ailleurs, auraient osé s’approcher de lui, se seraient permis de lui adresser la parole.

Bébé, cependant, s’était dirigé vers l’endroit où se tenait le Maître. Quelques instants il avait écouté les propos que celui-ci lui avait tenu, puis il avait fait signe à Bec-de-Gaz et au père Grelot de se rapprocher. Les trois hommes, alors, étaient passés dans la soupente et sans souci du corps de Fleur-de-Rogue, qui gisait toujours immobile par terre, car la pierreuse était loin d’avoir achevé de cuver son vin, ils avaient causé dans le plus grand mystère.

Fantômas, enveloppé d’un grand manteau noir, avait, ce soir-là, recouvert sa figure de sa tragique cagoule, de telle sorte qu’on ne voyait rien de ses traits et que seuls ses yeux brillaient comme des braises à travers les orifices ménagés dans le masque.

– Oui, répétait Fantômas, l’affaire de Ribonard ne nous a pas profité, car le « curieux » s’est emparé de tous les bijoux. Pourvu, poursuivait-il en jetant un coup d’œil sur Bébé, qu’il n’en soit pas de même de l’argent pris dans la poche du marquis de Tergall.

– Ça patron, fit-il, rien à craindre, la galette est ici, sur place. Et dans la bonne cachette, vous pouvez m’en croire. Moi, je ne suis pas monteur de cou, ce que je dis je le fais. J’ai promis de rapporter le pèse aux aminches, ou pour mieux dire, à vous le grand patron, qui en ferez ce que vous voudrez. Vous comprenez bien que j’ai trop le respect d’un costaud comme vous.

– Où est-il cet argent ?

– Dans la salle, il y a une femme, la mienne, c’est Rosa, elle fait semblant de s’amuser à danser, mais vous pouvez être sûr qu’elle sait de quoi il retourne. On va la faire venir. C’est elle qui a les billets, ils sont glissés entre sa chemise et son corset. C’est moi-même qui les ai mis là hier soir. Je vous jure, que Mirette se ferait plutôt tuer que d’en laisser déchirer le petit bout d’un seul sans mon autorisation.

– Va la chercher, dit Fantômas.

– On y va patron, ne vous impatientez pas. Moi, je veux pas faire des coups à la Ribonard. Quand j’ai de la recette, c’est pour la communauté.

– Ouais, grommela Bec-de-Gaz, cependant que Bébé s’en allait, avoue donc que t’as plutôt la cosse et que l’exemple de Ribonard n’est pas fait pour te donner envie de l’imiter.

Fantômas fit mine de ne rien entendre.

Bébé, lorsqu’il rentra dans la salle, étouffa un juron. L’aspect de la foule qui la remplissait n’était plus le même qu’une demi-heure auparavant. L’affluence était tout aussi grande, mais la franche gaieté, l’entrain endiablé qui régnaient jusqu’alors avaient fait place à une nervosité inquiète, aune sourde colère qui se généralisaient. Les gens semblaient s’accuser entre eux, se faire de mutuels reproches, les couples les plus unis en venaient aux paroles désagréables, et il semblait que dans l’atmosphère surchauffée de cette tente mal éclairée eût soufflé soudain comme un vent de discorde.

Un gros garçon de ferme à la face ronde comme une motte de beurre et couverte de taches de rousseur, grognait en se tapant sur la cuisse :

– Puisque je te dis que je l’avions là, dans ma culotte, y a pas plus d’un petit quart d’heure, j’avions pourtant point dansé sur la tête, comment que c’est-y donc qu’elle aurait pu s’en sauver ?

Et, à ses voisins, le brave paysan expliquait qu’il s’agissait de sa montre d’argent qui avait disparu.

Mais une jeune laitière pleurnichait dans un coin.

– Mon Dieu, gémissait-elle, qu’est-ce que va dire ma mère ? Jamais j’oserons rentrer chez nous.

La pauvre jeune fille déplorait la perte d’une petite croix en or qu’elle portait autour du cou attachée par un ruban de velours.

– Sûr, ajoutait-elle, ma mère va croire que je l’ai donnée à Nicolas.

– Eh bien, puisque c’est ton promis, il n’y aurait que demi-mal.

– C’est vrai, poursuivait la laitière, mais voilà, Nicolas, lui, va s’imaginer que je l’ai donnée à un autre. Tu sais bien, à Justin qui me courtise, je te le dis, ça va faire une histoire épouvantable. Je n’ai plus qu’à périr dans la mare aux Oies, si je ne retrouve pas la croix de ma mère.

Deux paysans, mari et femme, s’apostrophaient rudement au milieu des badauds qui faisaient cercle autour d’eux.

– C’est toué qui l’a emporté.

– Puisque je te dis que c’est toué.

– Ah, n’insiste pas, jurait l’homme, ce que je sais je le sais. Et si tu continues à me tracasser, sûr comme j’ai fait cette année deux récoltes de blé, je te flanque une baffe devant toute la société.

Mais la femme, une vigoureuse gaillarde, ne s’effarouchait pas devant cette menace :

– Essaye donc voir un peu de me toucher. Non par exemple, c’est-y malheureux d’entendre des hommes nous parler comme ça. Quand je te dis que c’est toué qui l’as perdu, grosse bête, tu ne sais plus que faire de tes mains, t’es tout le temps planté comme une citrouille et plus bête qu’un navet.

– Si c’est possible, si c’est possible, grommelait l’homme, qui, malgré tout, subjugué par l’autorité de sa femme, retourna ses poches, une à une.

Ce couple déplorait la disparition du porte-monnaie commun, qu’ils prétendaient l’un et l’autre ne pas avoir emporté.

Cependant, des petits groupes de ce genre se formaient de plus en plus nombreux au milieu du bal, et c’était à chaque instant, de nouvelles protestations, des lamentations, des cris de rage, des sanglots de désespoir.

Chacun, au début, s’était imaginé qu’il était seul dans ce cas, et qu’il ne devait s’en prendre qu’à sa négligence ou à sa distraction, mais au fur et à mesure, on comprenait qu’il avait dû se passer quelque chose d’anormal, et dès lors, chacun regardait son voisin avec méfiance.

Bébé s’en était aperçu. Mais, l’apache ne s’en préoccupait guère, sachant qu’il était, parmi ses copains, assez de gaillards audacieux et habiles pour dépouiller de tous les objets de quelque valeur qu’ils pouvaient porter sur eux, ces balourds de paysans.

Bébé avisa Rosa, dite Mirette, et lui fit signe :

– Amène-toi, ma gosse, lui murmura-t-il doucement, lorsque la jeune femme de chambre se fut rapprochée de lui, ça va être le moment de les dénicher, on va les mettre à jour les petits billets bleus. D’ailleurs, n’aie pas de crainte, il va nous en coller quelques-uns au bout des doigts. C’est égal, j’ai eu le nez creux d’obéir à Fantômas, si j’avais voulu me débiner avec toi et la galette, probable que le patron nous aurait vite rattrapés.

– Et, poursuivit Rosa, vois-tu qu’il t’ait arrangé comme il a arrangé ce pauvre Ribonard ? C’est égal, Fantômas, c’est un homme cruel.

– Ta bouche, interrompit Bébé, les femmes, ça a toujours des sentiments, de la pitié et des larmes pour ceux qui n’en méritent pas. Ribonard était un salaud, il a voulu nous monter le coup à tous, il a payé, c’est bien fait.

– Après tout, reconnut Rosa, c’est vrai, t’as raison c’est bien fait.

Machinalement, la jeune femme palpait son corsage :

– Ils sont là, toujours là, dit-elle, mais c’est égal, j’aime autant m’en débarrasser, j’étais pas tranquille avec ces papiers-là.

Bébé l’entraîna.

Mais, au moment où, avec sa maîtresse, l’apache s’enfonçait au milieu de la foule, une grande clameur retentit. Bébé, ayant retourné la tête, ne put retenir un juron de dépit.

– Ah nom de Dieu, fit-il, qu’est-ce qui se passe donc ? Il va y avoir du tabac, v’là les flics.

Devant l’entrée du bal public, venaient en effet de surgir les silhouettes imposantes et redoutables d’une demi-douzaine de gendarmes, devant qui fuyait la mère Toulouche, serrant dans ses bras deux gros sacs de toile contenant la recette.

Les gendarmes avaient des airs rébarbatifs et Bébé se douta aussitôt qu’ils n’étaient pas là uniquement pour faire observer le silence et la correction, mais bien qu’ils venaient avec l’intention d’effectuer une opération, une rafle, des arrestations peut-être.

À vrai dire, on vivait des heures troublées. Le pays n’était plus sûr pour les malfaiteurs, depuis les vols de Chambérieux et de Tergall, depuis l’assassinat du bijoutier, depuis la mort tragique de Ribonard. Mais Bébé n’eut pas le temps de réfléchir.

Une poussée le sépara de Rosa cependant qu’il était brusquement entouré de ténèbres. La lumière en effet venait de s’éteindre. L’Algérien Mahamoud, ayant vu rentrer la gendarmerie, s’était dit que l’essentiel était de faire du noir, afin de permettre aux uns et aux autres de s’évader plus facilement. Mais, les gendarmes et les quelques civils qui les guidaient, c’est-à-dire les agents de la Sûreté du Mans avaient prévu le cas. Mahamoud, à peine avait-il éteint le compteur à gaz, qu’il s’était glissé sous la toile de la tente et qu’il était ressorti dans le champ. Mais là, il s’aperçut que toute fuite était impossible. Le bal public était cerné, par un cordon de gendarmes. Ils étaient une quarantaine au moins. Certains tenaient des torches allumées, et d’autres mettaient le feu à de petits fagots qu’ils avaient disposés de distance en distance et dont les lueurs rougeâtres illuminaient le voisinage.

Bébé avait lancé un coup de sifflet strident. Et le jeune apache, procédant comme l’Algérien, se glissa dans l’intervalle laissé entre le bas de la tente et le sol, pour s’éclipser le plus rapidement possible, lorsqu’il fut brusquement appréhendé. On lui passa les menottes. Deux secondes après. Bébé, stupéfait de cette arrestation brusque, que rien ne permettait de prévoir, distingua à côté de lui le grand Bec-de-Gaz, tout pâle, le père Grelot, aux poches bourrées des porte-monnaie et des montres volés pendant la soirée, puis la mère Toulouche qui protestait, gémissait, renâclait, vainement.

Qu’était devenue Rosa ? La maîtresse de Bébé avait compris, elle aussi, qu’il se passait quelque chose de grave.

Depuis quelques jours, elle ne vivait plus. C’étaient des transes continuelles, de perpétuelles inquiétudes. Non seulement elle avait la responsabilité, vis-à-vis de son amant et de ses amis, de la bande des Ténébreux, d’une énorme somme d’argent, mais encore elle redoutait quelque indiscrétion, quelque maladresse qui pourrait renseigner la police et la faire découvrir comme étant la receleuse de l’argent volé à son propre maître : le marquis de Tergall.

Rosa, donc, demeurée dans la salle de bal, n’osait faire un mouvement, toute tremblante d’émotion qu’elle était, souhaitant simplement et par-dessus tout ne pas attirer l’attention sur elle, et pouvoir passer inaperçue.

Les gendarmes avaient rallumé les becs de gaz. Puis, on invita les assistants à se retirer, lentement, par couples, voire même un par un.

Ils déclinaient leurs noms et qualités au brigadier de gendarmerie posté devant l’entrée. Et celui-ci décidait, sur les conseils d’un monsieur placé derrière lui, qui se dissimulait dans l’ombre, de leur liberté ou de leur arrestation.

La plupart des personnes qui avaient été ainsi enfermées dans la salle, sous la tente, s’étaient retirées lorsque Rosa, affectant une allure dégagée, se présenta devant le brigadier.

– Après tout, se disait la jeune femme, je n’ai pas de raison de m’inquiéter, je suis du pays et connue, tout le monde sait que je suis la femme de chambre de la marquise de Tergall, personne ne peut soupçonner que je suis aussi et surtout la maîtresse de Bébé, que j’appartiens à la bande des Ténébreux, et que…

Le brigadier lui toucha le bras au moment eu elle passait :

– Et vous, mademoiselle ? fit-il, vos nom, prénoms, qualité, domicile ?

Payant d’audace, la pierreuse jeta avec un essai de sourire :

– Quoi, vous ne me reconnaissez pas, monsieur le brigadier, je suis pourtant de Saint-Calais comme vous. Vous savez bien, Rosa, la femme de chambre…

Elle n’acheva pas. Deux hommes s’étaient précipité sur elle. Deux agents en bourgeois, qui l’entraînaient à l’écart, la ligotaient. Terrifiée et espérant encore qu’il s’agissait d’un malentendu, la pierreuse protestait de toutes ses forces :

– Au secours. Vous me faites mal. Mais vous vous trompez. Je ne suis pas une rôdeuse, je suis domestique. Je suis Rosa la femme de chambre.

Elle s’arrêta net, pensant défaillir. Quelqu’un venait de dire aux agents qui la maintenaient, un homme qu’elle n’avait pu voir parce qu’il passait rapidement derrière elle :

– Déshabillez cette femme, qu’elle enlève son corset, elle a sur elle l’argent volé au marquis de Tergall.

À demi morte d’effroi, à demi suffoquée par la rage, la jeune femme, tandis qu’elle se révoltait contre la familiarité exagérée des agents de la Sûreté qui, l’ayant à demi dévêtue lui palpaient tout le corps, entendit l’un d’eux s’écrier, au moment précis où il trouvait, sous son sein gauche la liasse de billets de banque qu’elle dissimulait entre corset et chemise :

– C’est égal, il est joliment fort, M. Pradier, notre nouveau juge d’instruction, pour avoir découvert si habilement les voleurs de ce pauvre Chambérieux et du marquis de Tergall.

25 – L’INCOMPRÉHENSIBLE MANŒUVRE

– Vous m’avez fait demander, monsieur le procureur ?

– Mon cher juge d’instruction, je vous ai fait demander, en effet, et j’imagine que vous ne m’en voudrez pas de vous avoir dérangé. J’ai une bonne nouvelle à vous apprendre.

Le juge d’instruction Pradier sourit d’un air entendu et regarda le procureur :

– Mon Dieu, qu’allez-vous donc m’annoncer ? Aurais-je obtenu mon changement ?

Pour mieux rire à son aise, déjà M. Anselme Roche s’était rejeté en arrière, dans son fauteuil :

– Hélas non, quand Saint-Calais vous tient, il vous tient bien, mon cher Pradier. Et ce n’est pas encore aujourd’hui ou demain, je le crains, que vous ou moi nous obtiendrons du Garde des Sceaux une nomination plus agréable pour ce qui est de la résidence.

À la vérité, depuis huit mois qu’il occupait avec distinction les fonctions de procureur général près le Tribunal de Saint-Calais, M. Anselme Roche, ce n’était un mystère pour personne, avait multiplié les démarches pour obtenir son changement. Certes, c’était un magistrat convaincu, un magistrat de la bonne souche, de la vieille école, qui adorait son métier, qui conduisait son Parquet avec une indiscutable habileté, mais cela ne l’empêchait pas de se déplaire à Saint-Calais. Les récriminations continuelles qu’il adressait à la petite ville, la trouvant triste, potinière, sale, éloignée de tout, n’avaient pas été déjà sans amuser Fantômas qui, jouant de plus en plus habilement son personnage de juge d’instruction, avait feint de penser tout à fait comme son chef hiérarchique et de désirer lui aussi un changement rapide.

– Ainsi, monsieur le procureur, cette bonne nouvelle dont vous avez à me faire part, ce n’est pas le déménagement ? Qu’est-ce donc ?

– Non, sans doute, ce n’en est pas un pour vous, mon cher juge d’instruction, mais c’est tout de même un changement de résidence pour une autre personne. Allons, je ne vous ferai pas languir. J’aime autant vous annoncer tout de suite que je viens d’être avisé par la Chancellerie que l’ordonnance d’extradition concernant Fantômas va être exécutée.

Charles Pradier bégaya des mots sans suite, dans une extraordinaire confusion de pensée :

– Décidément, on va extrader Fantômas ? C’est certain ? Ah monsieur le procureur, comme je suis heureux, comme je suis content.

Mais, en réalité, tandis qu’il affirmait à son chef hiérarchique qu’il était enchanté d’apprendre que l’extradition de Fantômas allait se faire, Charles Pradier, en lui-même, s’interrogeait.

On allait extrader Fantômas :

– L’ordonnance d’extradition est signée, se disait-il. Donc, on va extrader l’individu qui a pris ma place à Louvain. Cet individu c’est Juve. Donc on va ramener Juve en France, à Saint-Calais. On va me l’amener devant moi. Par conséquent, mon imposture va être découverte.

Maintes fois en effet depuis qu’il était devenu, par un coup du hasard, juge d’instruction à Saint-Calais, Fantômas avait entendu parler de la fameuse ordonnance d’extradition précédemment prise par M. Morel, premier juge chargé du dossier et renvoyée à Paris, pour approbation de la Chancellerie. Jusqu’alors, cependant, Pradier s’était toujours refusé, et pour cause, à en presser l’exécution. Il apprenait aujourd’hui que d’autres s’étaient occupés de l’extradition et qu’elle allait avoir lieu sans qu’il pût rien faire pour l’empêcher.

– Figurez-vous, continuait M. Roche, que j’imaginais moi-même qu’il y avait un obstacle quelconque, un obstacle diplomatique par exemple, à ce que nous puissions obtenir l’extradition de Fantômas. Cette affaire en effet traînait depuis si longtemps que je n’espérais plus guère la voir réglée. Or, ce matin, ce matin même, je viens d’être avisé par la Cour que l’extradition nous était accordée. Je savais bien, monsieur Pradier, que vous seriez heureux de l’apprendre au plus vite.

– Très heureux, en effet.

– En tout cas, mon cher Pradier, quoi qu’il en soit, je tiens à être le premier à vous féliciter de la marche actuelle des événements. L’autre jour, vous avez fait preuve d’un incontestable esprit d’à-propos en saisissant les diamants, si extraordinairement tombés sur le cercueil de ce pauvre marquis de Tergall. Hier, vous usiez d’un plus grand esprit d’à-propos encore en faisant arrêter les individus qui se trouvaient à ce bal d’aspect louche, et que, grâce à votre flair de magistrat instructeur, vous deviniez immédiatement comme compromis dans les affaires de Saint-Calais. Votre conduite est d’une habileté qui confond.

– Vous me comblez, monsieur le procureur, vous me comblez. Certes, je me félicite moi-même quand je pense qu’en ce moment sont déposés au greffe, d’une part, les bijoux volés à la marquise de Tergall, d’autre part, le portefeuille contenant deux cent cinquante mille francs, saisi hier. Mais enfin, monsieur le procureur, je n’oublie pas que tout cela n’est rien au prix de ce qui reste à faire. Sans doute, j’ai pu amener l’arrestation de quelques comparses, mais ce n’est pas suffisant : c’est Fantômas lui-même qu’il me faudrait pouvoir convaincre de crime.

– Plaignez-vous donc, on vous l’amène, Fantômas.

– C’est vrai, monsieur le procureur. Quand pensez-vous qu’il arrive ?

Le procureur général eut un geste de doute et d’hésitation.

– Je ne sais pas. Vous n’ignorez pas plus que moi, mon cher Pradier, que les délais, en pareil cas, dépendent de la distance. La distance s’évalue légalement en myriamètres. Combien y a-t-il de myriamètres d’ici à Louvain ? Je vous avoue que je n’en ai aucune idée. Mais j’imagine que les choses vont aller à toute vitesse. Ne soyez pas trop impatient. D’ici quatre ou cinq jours vous aurez Fantômas dans votre bureau.

Terrible, Charles Pradier étendit la main comme pour un serment solennel :

– Eh bien, mon cher procureur, je vous assure que quand j’aurai Fantômas dans mon cabinet, je trouverai bien moyen de lui faire confesser ses crimes.

Pradier regagna son cabinet. Il en avait à peine fermé la porte sur lui, il était à peine seul dans la petite pièce claire que, pressant son front entre ses mains, il songea :

– Certes, à l’heure actuelle rien ne m’empêche plus d’abandonner Saint-Calais. Certes, si je le veux, je n’ai actuellement qu’à prendre au greffe, sous un prétexte quelconque, les bijoux et l’argent qui y sont déposés, puis à m’en aller. Mais, en réalité, ce serait bien dommage d’être réduit à fuir ainsi alors que, si je peux quelque temps encore demeurer à mon poste, celle qui se croit ma sœur, Antoinette de Tergall, va me verser cinq cent mille francs. Non, je ne dois pas m’en aller encore. Je ne dois pas fuir. Ce n’est pas encore l’heure. C’est bien le diable, d’abord, si je ne peux pas inventer une ruse qui me permette de parer aux dangers que représente pour moi cette ordonnance d’extradition si malencontreusement signée…

Fermant les yeux, le bandit imaginait la scène extraordinaire qui allait immanquablement se dérouler s’il laissait l’extradition suivre son cours. À la prison, c’était Juve qui avait pris sa place, qui était Fantômas. C’était donc Juve qu’on allait amener à Saint-Calais.

– Parbleu, je n’ai pas le choix des moyens.

En même temps, il appuya sur un timbre, la concierge du tribunal accourut :

– Monsieur le juge m’appelle ? s’informa la brave femme.

– En effet, madame, veuillez porter cette ordonnance au gardien-chef de la prison.

– Bien, monsieur.

Fantômas-Pradier d’un paraphe appuyé signa l’ordonnance d’interrogatoire.

La concierge disparut pour aller la faire exécuter.

Quelques minutes plus tard, sous la conduite de deux gendarmes, on amenait dans le bureau du juge d’instruction deux prévenus qui faisaient piètre figure.

– Avancez, ordonnait rudement Charles Pradier.

Puis, il ajoutait :

– Gendarmes, laissez-nous.

Les gendarmes se consultèrent du regard, surpris.

– Monsieur le juge d’instruction nous renvoie ?

– Oui. Vous pouvez disposer, gendarmes. J’entends interroger seul ces individus.

Les gendarmes sortirent, abasourdis.

Plus abasourdis encore, étaient les deux prévenus : l’Élève et Bébé.

Or, les deux apaches n’étaient pas entrés dans le cabinet du juge d’instruction qu’ils s’étaient aperçus du premier coup d’œil, que le magistrat n’était autre que Fantômas. Le sinistre bandit les avait appelés de sa voix naturelle, de la voix de Fantômas. Bébé, le premier, pourtant, avait retrouvé son sang-froid.

Comme l’Élève le regardait avec des yeux ronds, une mimique si affolée qu’elle devenait explicite, Bébé souffla :

– Tais-toi, la ferme, jase pas, c’est des mistoufles qui vont s’expliquer.

Puis, les gendarmes sortis, Bébé devinant qu’alors on pouvait parler sans hésiter, apostrophait le juge d’instruction :

– Des fois, faisait-il, j’en suis comme deux ronds de flan, c’est bien toi, Fantômas ?

Fantômas haussa les épaules :

– Naturellement.

Fantômas affectait une grande cordialité :

– Oui, je suis curieux à mes moments perdus. Tu ne savais pas. Bébé ?

– Ah mince alors, sûr que je ne m’en doutais pas. Mais sacré bon sang, si t’es le curieux, c’est toi qui as fait coffrer tout le monde hier ?

Et la voix de Bébé s’était faite menaçante.

Pour Fantômas, sans le moindre embarras, il avoua :

– Oui, c’est moi qui ai fait coffrer tout le monde. Ça n’a pas d’importance, puisque je suis à même, par ma situation, de faire relâcher qui bon me semble.

– Eh bien, conclut Bébé, tout ça c’est des affaires qui me donnent les foies. On sait jamais ce que tu trafiques, Fantômas. T’es un costaud. Mais t’es un costaud qui fait peur. Vingt dieux, tu dis que tu peux relâcher tout le monde ? Alors qu’est-ce que t’attends pour nous renvoyer à la liberté, l’Élève, moi et les autres ? tu t’imagines pas que nous nous amusons en prison ?

– Bien entendu, vous ne vous amusez pas en prison. Et moi, Bébé, crois-tu que je me plaise davantage à faire semblant d’être magistrat ?

– Rien ne t’y oblige ?

– Tu crois ?

– Enfin, reprenait l’apache, qu’est-ce que tu vas faire de nous ? Je me doute bien, Fantômas, que si tu nous as fait coffrer, y’a des raisons pour.

– Probable. Eh bien oui. Bébé, si je vous ai fait coffrer, tous, hier soir, en effet, y’a des raisons pour. Je vous savais, d’abord, sous la surveillance de la Sûreté. Donc, si je ne vous avais pas arrêtés, vous alliez l’être. Or, être arrêtés par moi cela n’avait guère d’importance, tandis qu’être arrêtés par d’autres.

– Ouais. Ça fait très bien. Mais en attendant, j’aimerais bien jouer la fille de l’air.

Fantômas se leva :

– Tu vas la jouer.

Le bandit marchant vers le grand placard qui ornait le fond de son cabinet, prit en effet des formules d’imprimés, des ordonnances de non-lieu. Il en signa deux, l’une au nom de Bébé, et l’autre au nom de l’Élève.

– Écoutez, reprenait Fantômas, toisant les deux hommes, voici assez longtemps que nous causons pour ne rien dire alors que les minutes pressent. Vous êtes en ce moment bouclés tous les deux ? Si je le voulais, vous resteriez bouclés. Vous auriez beau crier en effet que je suis Fantômas, vous pensez bien que personne ne vous croirait ! Donc, vous ne pouvez rien contre moi. Alors que je peux tout pour vous. Vous êtes bien de mon avis ?

Bébé inclina la tête, l’Élève qui sortait seulement de sa stupeur profonde, demanda brutalement :

– Pourquoi nous dis-tu cela ?

– Pour vous inviter à réfléchir. Eh bien, mes enfants, je vais vous remettre en liberté. Mais à une condition : vous allez vous charger, l’un et l’autre, d’une mission qui demande énergie et vigueur.

– Je vois ce que c’est. Un tour de passe-passe ?

Mais Fantômas l’interrompit :

– Tais-toi, Bébé. Tu ne vois pas du tout ce que c’est, et il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe. C’est beaucoup plus grave.

– Du raisiné ?

– Du raisiné.

Puis Fantômas expliqua :

– Écoutez-moi, les gars. Quand je me suis tiré des pattes de la prison de Louvain, il y a eu quelqu’un qui m’intéresse, qui y est entré à ma place.

– Malgré lui ?

– Cela ne vous regarde pas. Cet individu dont je n’ai pas à vous dire le nom, tout le monde croit naturellement que c’est Fantômas. Bien. Ce faux Fantômas on va l’extrader. Le conduire ici à Saint-Calais. Il va crier mon imposture.

– Mais alors, nom de Dieu, Fantômas. Toi, qu’est-ce que tu vas devenir ?

– Il ne faut pas justement que le faux Fantômas soit conduit ici. C’est-à-dire que toi, Bébé, et toi, l’Élève, vous allez vous arranger pour faire échapper le bonhomme, que l’on veut extrader et amener ici. Vous allez vous arranger pour le faire échapper coûte que coûte. Peu importe que vous soyez arrêtés, pourvu que vous ne le soyez qu’après avoir tué cet individu.

– Il faudra qu’on le tue ?

– Oui.

– Vilaine commission, Fantômas.

– Allons donc. Tu ne réfléchis pas à ce que tu dis, Bébé, qu’est-ce que vous risquez ?

– Ce que nous risquons, tiens, tu es bon. Si on zigouille ton individu et que nous soyons faits, c’est notre tête que nous risquons. Ni plusse ni moinsse.

– Imbécile, tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. Je te dis, moi, que vous ne risquez rien. Quand même vous seriez arrêtés après avoir tué l’individu que je vous signale, il n’en résulterait rien de fâcheux pour vous. Arrêtés, on vous reconduit ici. Tu me comprends Bébé, ici à Saint-Calais ? devant moi, qui, bien entendu, m’arrange pour vous remettre en liberté.

Profitant encore une fois de sa qualité de juge d’instruction, le bandit avait fini par convaincre les deux apaches de la nécessité qu’il existait pour eux d’exécuter ses ordres.

Et Fantômas avait si bien manœuvré, si bien mis en œuvre tous les éléments de persuasion qu’il pouvait tirer de sa situation de magistrat, qu’après une heure de causerie, Bébé, tout comme l’Élève, étaient décidés à tuer l’ex-détenu de Louvain.

Fantômas-Pradier, avait donc signé une première ordonnance de mise en liberté, permettant aux deux apaches de partir pour exécuter la mission dont il les chargeait.

***

Fantômas, pourtant, le soir même de cette extraordinaire journée où il avait appris que Juve allait être extradé et ramené à Saint-Calais, où il avait trouvé moyen de parer à ce terrible danger en organisant l’assassinat du policier avec l’aide de l’Élève et de Bébé, arrêtés par lui la veille et remis en liberté à cette fin, Fantômas était inquiet.

Aussi bien un étrange événement venait de le troubler.

Fantômas sortant de table – il était pensionnaire de l’Hôtel Européen – avait été fort surpris en effet en se coiffant de son chapeau, de s’apercevoir que ce chapeau pris au portemanteau s’enfonçait sur sa tête jusqu’aux sourcils. Comment était-ce possible ?

Tout naturellement Fantômas avait imaginé d’abord qu’il s’était trompé de coiffure. Mais un examen rapide l’avait convaincu du contraire. Il n’y avait point d’autre chapeau accroché au portemanteau et, de plus, les initiales C. P. « Charles Pradier », qu’il lisait sur la coiffe, le convainquaient, qu’il avait bien pris son chapeau et non un autre. Mais pourquoi n’était-il plus à sa taille ? Brusquement Fantômas blêmit en comprenant la cause de ce mystère. Quand il avait adopté la personnalité du malheureux Pradier, tué par lui dans le wagon de marchandises, Fantômas avait troqué ses propres vêtements contre ceux que portent le magistrat. Il n’avait toutefois pas changé de chapeau, gardant sur sa tête une casquette de voyage. Plus tard, arrivé à Saint-Calais, il avait pris tout naturellement livraison des bagages du mort dont il avait trouvé un récépissé d’expédition dans le portefeuille du véritable Pradier.

Dans ces bagages, Fantômas avait découvert plusieurs chapeaux. Ces chapeaux étaient trop grands pour lui mais il avait pu s’en servir néanmoins, en garnissant leurs coiffes de bandes de papier journal.

Si maintenant le melon qu’il prenait au portemanteau lui entrait si avant sur le crâne c’est que le journal qui rétrécissait la coiffe, en avait été enlevé. Or, qui donc avait retiré le journal ? Fantômas se le demandait avec inquiétude. Il se le demandait même avec d’autant plus d’effroi que l’hôtelier lui avait annoncé quelques minutes avant :

– Vous savez, monsieur Pradier, je vous annonce la visite à Saint-Calais d’un journaliste parisien, M. Jérôme Fandor.

Et Fantômas maintenant, rentré dans sa chambre, songeait avec effroi :

Ne serait-ce pas Jérôme Fandor qui a touché a mon chapeau ?


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