Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
сообщить о нарушении
Текущая страница: 11 (всего у книги 23 страниц)
17 – UN CADAVRE DANS LA FORÊT
Sous la conduite de l’obligeant voiturier, qui, aux initiales de sa valise, l’avait « reconnu », Fantômas, ému par ce dernier incident, se dirigea vers la sortie de la gare.
« C’est l’affaire d’une demi-heure », venait d’annoncer le voiturier, « et vous serez chez vous ».
Fantômas, qui pensait arriver dans un pays totalement inconnu pour lui, dans un pays où nul ne l’attendait, se voyait, par le fait même de son crime, embarqué dans une suite de quiproquos qui pouvaient devenir graves.
Bouleversé déjà par l’incident du contrôleur de chemin de fer lui demandant à vérifier son billet, alors qu’il ne s’y attendait pas, Fantômas n’avait point songé au moment où le voiturier l’abordait, où l’homme le « reconnaissait », à feindre la surprise, à nier qu’il était celui pour qui on le prenait.
– Maintenant, songeait-il, il est trop tard. J’ai eu l’air d’accepter les propositions de ce bonhomme, je ne peux plus les rejeter. Je suis engagé dans une aventure dont il ne m’est plus permis de sortir par la ruse. On verra si la force peut m’aider.
Telle était en effet la sinistre accoutumance au meurtre de l’âme du bandit qu’à toutes les questions Fantômas entrevoyait deux solutions :
Ou il tirait parti des circonstances en inventant quelque ruse subtile, ou il avait recours à la force. Il faisait de la Mort son alliée, tuait sans pitié, sans merci, sans hésitation d’aucune sorte, ceux qui se trouvaient sur sa route et qui étaient susceptibles de lui être occasion d’une gêne ou d’un ennui. C’est dans cet état d’esprit, songeant déjà que l’assassinat du voiturier s’imposait, que Fantômas monta dans la carriole. Cependant, l’homme qui le guidait paraissait un joyeux vivant, toujours de bonne humeur, doué d’un de ces tempéraments actifs qui aiment à se multiplier, à rendre service autant pour obliger autrui que pour trouver une occasion de se remuer, de dépenser leur énergie.
– Et comme ça, demandait-il, tout en faisant tourner son cheval qu’il avait pris par la bride, et comme ça, vous n’aviez pas de gros bagages ? Non ? Ou sans doute, alors, vous pensez les faire prendre demain matin par l’omnibus de l’hôtel ? Dame, sur ma carriole, je serais bien gêné pour vous mettre une grosse malle. Ici, on n’a pas de bonnes voitures, les chemins sont trop mauvais. Ah, ma foi, ça va vous changer de Mont-de-Marsan, peut-être bien ?
Les dents serrées, faisant un effort pour répondre au verbiage du bavard, Fantômas se borna à répliquer :
– Eh oui, un peu.
– Ah çà, se demandait au même moment l’extraordinaire bandit, qu’est-ce que tout cela signifie ? Cet homme a l’air de savoir parfaitement d’où je viens. Il me parle de Mont-de-Marsan, donc il me prend pour quelqu’un venant de Mont-de-Marsan. L’individu que j’ai tué tout à l’heure devait arriver de là-bas ? Hum, c’est bizarre. Comment cela va-t-il finir ? Vais-je pouvoir me tirer encore une fois indemne du piège imbécile où je suis tombé ?
Brusquement, Fantômas se sentait pris d’une sorte d’agacement, d’une véritable colère contre lui-même.
– J’ai agi comme un étourdi, pensait-il, en prenant les apparences, la personnalité du cadavre que j’ai fait, sans m’être au préalable renseigné sur ce qu’était ce bonhomme. À la rigueur, je puis admettre qu’un voiturier se trompe sur ma personnalité, mais, tout à l’heure, cet homme m’annonçait qu’il me conduisait « chez moi ». Qu’est-ce que c’est que ce « chez moi ». Quelle tête vais-je faire si, par hasard, j’y trouve de soi-disant parents, une femme, des enfants peut-être ?
Et de plus en plus, au fur et à mesure qu’il réfléchissait à la méprise du voiturier, aux conséquences tragiques que son erreur pouvait avoir, Fantômas voyait la nécessité qu’il y avait pour lui de supprimer ce témoin gênant, ce témoin qui, petit à petit, sans qu’il pût rien pour l’empêcher, au trot de son cheval, allait le conduire vers le mystérieux domicile qu’il lui attribuait dans sa simplicité, et où, sans aucun doute, les pires dangers devaient l’attendre.
Fantômas, cependant, était trop homme de sang-froid pour s’affoler quelle que fût la situation tragique où il se voyait réduit. Tout en s’installant sur la banquette de la carriole, il ne négligeait point d’observer les moindres détails qui pouvaient jeter un peu de clarté sur sa vraie situation.
La valise fatale, la valise marquée C. P., la valise qui l’avait fait prendre pour quelqu’un qu’il n’était pas, lui était précieuse à considérer. Ce n’était certainement pas un sac de grand luxe, mais c’était cependant une mallette de cuir jaune d’assez bonne apparence, témoignant que son propriétaire devait appartenir à une classe aisée, témoignant aussi qu’il devait souvent voyager, car on y voyait de nombreuses étiquettes attestant des déplacements dans tous les coins de France et même en des stations balnéaires, en Suisse, en Italie.
Cette valise, Fantômas la regardait avec des yeux dont il ne parvenait point à atténuer l’éclat.
Ah s’il avait pu, sans risquer d’intriguer le voiturier, défaire les sangles, ouvrir le compartiment, vérifier le contenu de ce sac.
– On ne voyage pas sans papiers, se disait Fantômas. On a toujours quelques lettres, quelques documents personnels. Je trouverais là dedans, à coup sûr, de quoi me documenter sur le personnage que j’ai tué, sur celui que je suis devenu.
Impossible malheureusement, d’ouvrir la valise. Ne fallait-il pas craindre en effet qu’à peine la malle entr’ouverte il en sortit quelque objet pouvant amener la découverte de l’imposture à laquelle se livrait, bien malgré lui, en somme, celui qui continuait à être aux yeux du voiturier « le voyageur attendu » ?
Or, tandis que Fantômas réfléchissait ainsi aux périls de sa situation, son conducteur, ayant mis son cheval dans la bonne direction, s’enlevait lentement sur le marchepied, gagnait sa place sur la banquette de bois à côté de Fantômas.
– En route, cria-t-il d’une voix enjouée. Nous allons presser le mouvement, mon beau monsieur, et vous verrez que nous n’en aurons pas pour longtemps avant d’être rendus à l’hôtel. C’est à l’hôtel que vous descendez ?
Fantômas soupira.
Comment pouvait-il se faire qu’il fût réellement « attendu » à Saint-Calais, si c’est à l’hôtel qu’il devait descendre ? Des paroles du voiturier, il semblait résulter qu’il était à la fois un voyageur ordinaire, quelconque, un voyageur de passage à Saint-Calais, et en même temps, un personnage dont « on » espérait la venue.
Fantômas n’hésita pas :
– C’est à l’hôtel, en effet, que je descendrai ce soir.
Il répondait cela au hasard, évidemment, mais en réfléchissant que, de toutes façons, mieux valait en effet pour lui s’installer dans un hôtel d’où il pourrait sans doute trouver moyen de s’échapper rapidement, que n’importe où ailleurs où la chose serait peut-être impossible. D’ailleurs, où aller, si ce n’était à l’hôtel ? Et puis, quelle importance avait, après tout, cette question, puisque, de plus en plus, Fantômas s’y décidait, il allait tuer cet homme et s’enfuir, s’enfuir loin des embûches qu’il soupçonnait devant lui.
Le voiturier, cependant, bien que son voyageur ne répondît que par monosyllabes, se faisait de plus en plus bavard :
– Ah dame, l’hôtel, faisait-il, tout en caressant du bout de son fouet l’encolure de son cheval, qui trottait paisiblement, dame, l’hôtel, vous allez le trouver bouleversé. Comme qui dirait sens dessus dessous, et c’est bien naturel. Je pense que vous avez entendu parler déjà des vols qui ont eu lieu ici ?
Fantômas, encore une fois, répondit, sans vouloir se compromettre :
– Oui, disait-il, j’en ai entendu parler.
Il n’ajoutait rien de plus. Il n’accompagnait sa réponse d’aucun commentaire, car, à la vérité, s’il était exact que depuis sa fuite de la prison de Louvain, Fantômas avait entendu parler des vols de Saint-Calais, s’il avait lu quelques articles de journaux relatifs à ces affaires, il n’était pas spécialement documenté à leur sujet.
De plus en plus, d’ailleurs, Fantômas négligeait de prêter attention aux paroles de son compagnon.
Depuis que l’on avait quitté la gare, le bandit s’absorbait dans la contemplation du paysage, cherchant instinctivement l’endroit propice où il pourrait accomplir son nouveau forfait sans courir le risque d’être découvert.
La route, d’abord, avait passé à travers champs dans une longue plaine découverte où il eût été de la dernière imprudence de tenter quoi que ce fût. Les fermes étaient nombreuses, des villages surgissaient à l’improviste des moindres replis de terrain, si jamais le voiturier assailli avait le temps de pousser un cri, Fantômas s’exposait à voir arriver des témoins fort gênants.
Or, comme la voiture avait parcouru trois ou quatre kilomètres, la route plongea à pic dans une sorte de grand vallon où, malgré la nuit complète qui s’était faite maintenant, Fantômas discernait à merveille des bois touffus, épais, de grande étendue.
– Voilà la forêt ?
– Voilà la forêt, répéta joyeusement, le voiturier. Ah dame, ce sont des bois d’importance. Même qu’ils servent de réserve au gibier pendant tout l’hiver. Vous allez voir ça, monsieur, le pays n’est pas mal. Très vallonné.
– Et ces bois sont entourés de murs ?
– Oh ma foi non. Ça appartient comme qui dirait à une grande famille du pays, qui d’ailleurs ne vient jamais ici, et laisse tout ça en friche. Que ça fait même pitié.
– Et il nous faudra dix minutes pour traverser cette forêt ?
– Dix grandes minutes, mon Dieu, oui.
L’homme, sans se douter des projets sinistres que formait son compagnon, répondait avec complaisance.
Pour Fantômas, au fur et à mesure qu’il se renseignait sur la disposition des lieux, il se rassérénait, devenait plus calme. Allons, la bonne chance était pour lui. Dans cette forêt épaisse, en friche, cette forêt qui venait jusqu’à la lisière de la route, il allait pouvoir facilement se précipiter sur son compagnon, l’étrangler, se débarrasser de lui.
Et tandis qu’il feignait d’arranger la couverture que le voiturier avait étendue sur ses genoux, Fantômas cherchait dans la poche de son pantalon, seul vêtement qu’il n’eût point troqué avec le mort, un coup-de-poing américain avec lequel il pensait déjà assommer l’individu qui se trouvait lui causer de si angoissantes tortures. À ce moment, la voiture, dévalant au pas la rampe fort rude, commençait à pénétrer sous bois. Dans l’auréole des lanternes clignotantes, de véritables quinquets, on ne voyait plus guère, de la banquette de la carriole, que la croupe du cheval, puis à terre, un cercle lumineux dessiné sur la route. Plus loin, l’obscurité était complète, on distinguait à peine le commencement des fourrés enserrant la route, on ne voyait pas, où le chemin tournait, trois mètres plus loin que la tête maigre du cheval.
– C’est l’instant, songea Fantômas.
Feignant de tousser, le bandit se pencha.
Il s’apprêtait à se relever brusquement, pour, de son bras droit, assener un coup mortel au voiturier, lorsque dans le silence de la nuit, à l’improviste, un cri, un cri lugubre retentit, immédiatement suivi d’appels proférés d’une voix tremblante :
– Arrêtez. Arrêtez. Au secours. À l’assassin.
Fantômas, par bonheur, n’avait pas encore frappé. À peine les appels eurent-ils retenti qu’il se tira de la couverture entortillée autour de ses jambes, qu’il sauta sur le sol, qu’il courut à l’un des bas-côtés de la route.
– Nom de Dieu, pensait alors le bandit, prêt à vendre chèrement sa liberté, j’aurais dû y songer, c’était une embuscade. Le voiturier qui m’amenait était un homme de Léon ou de Michel. On a feint de ne pas me reconnaître. En réalité, on me guettait ici.
Or, cette idée, qui était folle, que Fantômas en réalité n’avait pu concevoir qu’en raison de l’énervement qu’il éprouvait, le bandit devait l’abandonner.
Tandis qu’il sautait de voiture, persuadé qu’il allait être appréhendé, le voiturier, en effet, saisi d’épouvante lui aussi en entendant les cris retentissants dans le silence de la nuit, avait arrêté son cheval.
Dressé dans sa carriole, il hurlait :
– Bon sang de bon sang, qu’est-ce qui appelle ? Qui va là ?
Et, en même temps, le brave homme, courageux, prêt à se défendre, faisait un moulinet du manche de son fouet et rappelait son voyageur :
– Eh, monsieur, monsieur, où allez-vous donc ? Méfiez-vous. Cette forêt-là, c’est tellement épais, qu’on ne sait pas ce qui s’y passe.
Dans l’auréole lumineuse des lanternes, apparut un homme tremblant, pâle, défiguré, hors d’haleine, un homme plus effrayé qu’effrayant.
– Au secours, au secours, répéta-t-il, les yeux dilatés par la peur. Au secours. On vient de tirer sur moi. On a voulu m’assassiner.
L’inconnu n’avait pas fini de parler que le voiturier, à son tour sautait de voiture, toujours armé de son fouet, et paraissant stupéfait :
– Nom d’un chien, mais c’est vous, monsieur de Tergall ? c’est vous, monsieur le marquis ? Ah ça, qu’est-ce que vous chantez-là ?
Fantômas, cependant, se rendait compte qu’il s’était trompé en redoutant une embuscade. Imitant le voiturier, il se rapprocha du mystérieux individu si brusquement surgi devant la carriole, s’informa :
– On a tiré sur vous ? Qui ? Où ? Quand ?
Tergall tremblait de tous ses membres. Il dût faire un violent effort sur lui-même, pour satisfaire la curiosité de l’étranger, qui l’interrogeait :
– Ici, dans la forêt, il y a deux minutes. Ah monsieur, monsieur, venez vite, c’est affreux. Je suis victime, depuis trois semaines, des plus lâches attentats, sans que je puisse savoir qui, exactement, a juré ma perte. Par pitié, prêtez-moi secours. Venez, les assassins ne doivent pas être loin.
Brusquement, Fantômas l’interrompit :
– Les assassins ? ils étaient plusieurs ? Dites-nous ce qui vient d’arriver, que diable. Je ne comprends rien de ce que vous racontez.
Le marquis de Tergall se tordait les mains, désespéré.
– Mais venez donc, ne perdons pas de temps. C’est bien simple. Je passais dans le bois, on m’a tiré deux coups de fusil. J’ai entendu le plomb crépiter sur les branches à côté de moi. Je me suis enfui. C’est à ce moment que j’ai appelé à l’aide. Venez, j’ai entendu courir. Je sais par où ils sont partis.
Pendant ce temps, le voiturier avait attaché son cheval à un arbre. Maintenant, il s’emparait de l’un des falots de la voiture, il revenait en courant vers le marquis de Tergall.
– Marchons, dit-il, nous sommes trois, nous sommes de taille à nous défendre, et il faudra bien que le pays cesse d’être un coupe-gorge. Depuis quinze jours, tout de même, ce qu’il y en a des aventures.
Marchant presque à tâtons, prenant garde de faire le moindre bruit, se glissant entre les arbres, s’arrêtant pour écouter le silence, les trois hommes, le voiturier, le marquis de Tergall et Fantômas pénétrèrent dans la forêt.
– Par ici, soufflait de temps à autre le marquis de Tergall, je reconnais cet arbre. J’ai passé là.
Ils avancèrent ainsi pendant une dizaine de minutes, puis, brusquement, alors qu’à peu près perdus, ne reconnaissant plus rien dans l’obscurité de la nuit, à l’endroit de la forêt où ils se trouvaient, le voiturier et le marquis allaient proposer de battre en retraite, Fantômas poussa un cri :
– Nom de Dieu, je viens de trébucher dans quelque chose, dans un paquet.
Il se baissa, tâta dans le noir l’obstacle qui avait embarrassé ses pas. Soudain il appela :
– Le falot, vite, passez-moi le falot.
Le voiturier s’empressa d’obéir, dirigea la lueur de la lanterne sur Fantômas qui venait de s’agenouiller.
Et alors, d’un même mouvement, les trois hommes se rejetèrent en arrière.
– Mon Dieu, dit le marquis de Tergall.
– Ah, bougre de tonnerre de chien, grommela le voiturier.
Pour Fantômas, il ne disait rien.
Sinistre, pâle, un mauvais pli au coin des lèvres, il contemplait le corps d’un homme étendu tout de son long sur le sol, et dont la tête fracassée lui était totalement inconnue.
Le marquis de Tergall, cependant, le premier sentiment d’horreur passé, se rapprochait du cadavre. Il se pencha sur la face grimaçante du mort, puis, se relevant, il dit d’une voix étrange :
– Mais, c’est M. Chambérieux, mon ennemi.
Et le voiturier répéta :
– C’est Chambérieux. Pourtant, c’est vrai. Ah, sapristi, qu’est-ce que cela veut dire ?
D’un mouvement instinctif, le brave homme leva la lanterne qu’il tenait toujours à la main, en dirigea la lueur tout autour de lui sur les massifs limitant la sorte de clairière où gisait le cadavre.
– M. Chambérieux assassiné, poursuivit le voiturier, trouvé mort. Ah, par exemple. Ce n’était donc pas sur vous qu’on tirait, monsieur de Tergall ?
Le voiturier ne laissa le temps de répondre, au marquis.
– Tiens, dit-il, en étendant le bras et en désignant, à quelque distance, un petit massif de ronces, regardez, voilà pour sûr l’arme avec laquelle on a fait le coup.
Le marquis de Tergall, comme Fantômas, tourna la tête, aperçut un fusil de chasse abandonné là, ouvert, avec dans le tonnerre les douilles percutées de deux cartouches.
Et tandis que Fantômas, s’agenouillait encore une fois, retournait le corps, constatait que l’homme avait dû tomber, atteint par derrière, que la mort avait dû être instantanée, le châtelain déclarait :
– Il faut aller prévenir la gendarmerie. Il faut avertir tout de suite. C’est un horrible malheur.
– Ah oui, alors, ajoutait le voiturier. C’est un rudement grand malheur qu’il vient d’arriver, monsieur de Tergall. Voyez-vous, M. Chambérieux, tout le monde l’aimait dans le pays. Il était bon garçon et pas fier pour un sou.
Fantômas ne disait rien. Toujours penché sur le cadavre, il réfléchissait.
Fantômas voyait devant lui un horizon de formalités, d’interrogatoires, de témoignages à donner.
La découverte de l’assassinat n’était pas en effet de nature à simplifier le rôle du bandit. M. de Tergall s’impatientait :
– Allons prévenir la justice ? disait-il. Allons d’urgence à la gendarmerie ?
– Évidemment, disait le voiturier, en multipliant les clins d’œil à l’endroit de Fantômas, il faut aller à la gendarmerie. Bien sûr, monsieur de Tergall, nous n’allons pas vous laisser tout seul sur la route, vous venez avec nous, n’est-ce pas ?
M. de Tergall, naturellement, se tourna vers Fantômas :
– Venez, monsieur le marquis, lui dit Fantômas, venez.
Les trois hommes alors, abandonnant le cadavre dans la nuit, refirent lentement le chemin qu’ils avaient parcouru quelques minutes auparavant.
Fantômas s’installa à côté du voiturier, le marquis de Tergall derrière la banquette, assis sur la valise marquée C. P.
– Étrange histoire, murmurait le malheureux châtelain, épouvanté. Chambérieux, Chambérieux assassiné, cela c’est encore plus incompréhensible que tout. D’ailleurs, j’aime autant vous l’avouer tout de suite, monsieur : quand on a tiré, quand j’ai entendu les coups de feu et que je les ai crus dirigés contre moi, et bien, figurez-vous, oui, figurez-vous que j’ai tout de suite pensé à Chambérieux. Le malheureux. Ah, c’est abominable tout de même. Et dire que c’était précisément sur lui que l’on tirait. Que c’est lui qu’on tuait. Mais qui donc a pu faire ça ? oui, qui ?
Brusquement, le marquis de Tergall interrompit ses lamentations.
– Je perds la tête en ce moment, fit-il, mais il y a de quoi. Vous devez comprendre, monsieur, mon émotion, après ce que je viens de vous dire ? Au fait, vous allez être, vous aussi, mêlé à ces aventures. Vous serez témoin. Vous aurez même à répéter la façon dont je suis venu vous appeler à l’aide, comment vous avez découvert le corps. Vous êtes pour longtemps à Saint-Calais ? Vous appartenez probablement à une maison de commerce ? Vous êtes voyageur ? Non ?
Or, tandis que le marquis de Tergall parlait, à tort et à travers, Fantômas, de plus en plus anxieux, comprenant qu’il ne pouvait songer cette fois à se rendre libre en tuant les deux hommes qui l’accompagnaient, surveillait de temps à autre le visage du châtelain, l’attitude du voiturier aussi.
Comme M. de Tergall posait la question : « Vous êtes voyageur de commerce, sans doute ? » Fantômas crut voir qu’une certaine curiosité, une curiosité amusée, presque un sourire, passait sur le visage du conducteur. Fantômas sentit une sueur froide lui perler aux tempes. Que devait-il répondre ? La question qui lui était adressée ne permettait plus une phrase de doute, une phrase vague. Qui était-il ? Il fallait le dire.
Or, non seulement Fantômas ne savait quoi répondre, mais encore il réfléchissait qu’il devait répondre sans hésitation, avec exactitude, car si lui ignorait le personnage qu’il était, le voiturier, en revanche, semblait parfaitement le savoir.
Terrible minute, pour le bandit. Fantômas eut nettement conscience que son imposture allait éclater.
Soudain, l’idée d’une ruse lui monta à l’esprit :
– Ma carte vous renseignera, monsieur.
Fantômas déboutonna son pardessus, fouilla d’une main fébrile dans la poche de son veston.
– Sacrédié, songeait en cet instant le Roi du Crime, le Maître de l’Épouvante, que le cric me croque, l’homme que j’ai assassiné devait bien posséder un portefeuille. Crénom de nom de d’la, vivement ma carte de visite.
Effectivement, il y avait dans la poche de son veston un portefeuille de cuir noir, et dans une pochette du portefeuille de cuir noir, des cartes de visite. Fantômas en prit une, il allait la lire, mais déjà M. de Tergall avançait la main.
Fantômas donna le bristol sans avoir eu le temps de se renseigner lui-même. Or, à peine le marquis de Tergall eut-il saisi le carton gravé qu’une exclamation s’échappa de ses lèvres.
– Quoi ? faisait-il, vous êtes M. Pradier ? M. Pradier, le nouveau juge d’instruction ? le successeur de M. Morel ? Vous êtes M. Pradier ? M. Charles Pradier ?
Que put répondre le bandit, sinon :
– Mais oui, monsieur. Mais oui, je suis en effet M. Pradier, Charles Pradier, le nouveau juge d’instruction.