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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 16:38

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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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3 – UNE CORDE SUR LA ROUTE

– Madame la marquise, reprendra-t-elle du poulet ?

– Non merci, Rosa. Je n’ai pas d’appétit ce soir.

Soudain, prêtant l’oreille, la jeune femme crut entendre un bruit au rez-de-chaussée du château. Elle courut à la sonnette électrique, en pressa le bouton. Quelques instants plus tard, Rosa apparaissait.

– Madame m’a sonnée ?

– Monsieur le marquis est-il là ?

La camériste sans aucun doute allait répondre :

– Monsieur le marquis n’est pas encore rentré, madame.

Et pour ne point l’entendre, elle ordonna :

– Vérifiez donc la lampe, Rosa.

Docilement la femme de chambre vérifia la mèche qui ne fumait pas et le réservoir de cristal rempli de pétrole jusqu’au bord :

– La lampe va bien, madame, dit Rosa.

Tiens, mais Rosa était élégante, plus qu’il ne le convenait peut-être dans sa situation. Elle était bien faite, jeune, jolie, arrangée avec coquetterie, et l’infortunée marquise en arrivait à se demander si elle n’avait pas à considérer une rivale en la personne de sa domestique.

– Madame n’a plus besoin de moi ?

– Non, Rosa, vous pouvez vous retirer.

Antoinette de Tergall venait de se raisonner. Une pensée avait surgi tout à coup dans son esprit.

– Non, cette femme de chambre n’était pas la maîtresse de son mari, pour cette bonne raison qu’il en avait une autre. Antoinette de Tergall avait entendu parler à maintes reprises d’une certaine artiste, chanteuse de concert ou de théâtre, – elle ne savait au juste, – qui, par ses excentricités et ses toilettes tapageuses, s’était fait remarquer au Mans pendant l’hiver de l’année précédente et dont les journaux locaux annonçaient le retour.

– Oh, pensait Antoinette de Tergall, ce n’est pas par amour que cette fille s’est donnée à Maxime. D’ailleurs, ces sortes de femmes ne se donnent pas, elles se vendent.

Il était maintenant une heure du matin.

Soudain, un bruit de pas précipités. Était-ce lui qui revenait ? ou était-ce un porteur d’excuse, bonne ou mauvaise ?

La marquise courut à la porte de sa chambre, se précipita au haut de l’escalier :

– Maxime ? est-ce donc vous enfin ?

– C’est moi, je suis à vous dans un instant.

– Maxime, qu’avez-vous ? que vous est-il arrivé ? Un accident ? Vous êtes blessé ?

Et la jeune femme, tendrement, s’approchait du marquis. Mais celui-ci l’écarta d’un geste brusque, d’une voix sourde il gronda :

– Foutu, je suis foutu.

La tête entre les mains, les yeux fixés sur le sol, Maxime de Tergall ne s’expliquait pas, et, d’autre part, la marquise n’osait l’interroger. Puis, brusquement, il se leva, courut au cabinet de toilette voisin, se plongea la tête dans une cuvette remplie d’eau froide, répara en quelques instants le désordre de sa toilette, de sa coiffure, sans paraître le moins du monde se préoccuper de l’anxiété de sa femme. Le marquis s’étant enfin rapproprié quitta le cabinet de toilette, revint dans la chambre à coucher et prit les mains de sa femme :

– Antoinette, dit-il, un malheur épouvantable vient d’arriver. Je me demande encore comment il se fait que je sois encore vivant.

– Mon Dieu. Qu’avez-vous ?

– Un cataclysme s’est abattu sur nous. Les bijoux…

– Ne vous êtes-vous pas entendu avec cet homme qui devait les acheter ?

– Si, répliqua le marquis, j’en ai même obtenu deux cent cinquante mille francs.

– Il vous les a payés ?

– Il me les a payés.

– Vous aurez donc, poursuivit la marquise, la possibilité d’acheter cette forêt que vous désirez tant.

– Je n’aurai ni la forêt ni les deux cent cinquante mille francs.

– Je ne comprends plus, Maxime, que voulez vous dire ?

– On vient de nous les voler.

Et Maxime de Tergall montrait à sa femme son vêtement tout fripé, la poche intérieure de son veston veuve du portefeuille qu’elle contenait habituellement, arrachée.

– Je vous en prie, Maxime, calmez-vous. Dites-moi ce qui est arrivé.

Tergall raconta sa journée, jusqu’à l’arrestation de l’abbé Jeandron.

– Ensuite ? demanda-t-elle presque rudement, lorsque Maxime de Tergall eut raconté que, vu l’heure tardive, il avait dîné à l’Hôtel Européen à Saint-Calais, avant de rentrer.

– J’ai quitté Saint-Calais vers dix heures. Il faisait nuit noire comme vous le savez et ma lanterne éclairait mal. Il n’y avait pas assez de pétrole dedans. J’ai songé un instant à en remettre, mais j’étais en retard et je me suis figuré que le carburant durerait jusqu’à mon arrivée ici. Erreur fatale. J’étais à peine à cinq minutes de Saint-Calais que la mèche s’est éteinte. J’ai continué dans le noir. Après la ferme de Pierre-Marie, dans la descente, je marchais à bonne allure, lorsque soudain ma bicyclette s’est arrêtée net et j’ai été projeté sur le sol. Je n’étais pas blessé grièvement, mes mains et mes genoux avaient seuls porté. Je me suis relevé aussitôt pour prendre ma machine restée en arrière et dont je voyais scintiller le métal. J’étais à peine relevé que je suis retombé. Je venais de me prendre le pied dans une corde tendue au travers de la route. Oh, je n’ai pas eu le temps de réfléchir longtemps. Comme je me relevais pour la seconde fois, on m’a pris par derrière, aux épaules. Un coup de poing formidable sur la tempe m’a étourdi à moitié, mais j’ai senti qu’on défaisait mon veston, fouillait dans ma poche, enlevait mon portefeuille qui contenait les billets de banque. Quand j’ai pu me relever, le voleur était loin. Je suis rentré lentement, avec ma bicyclette à moitié démolie et me voilà. Deux cent cinquante mille francs. Cette aventure nous coûte deux cent cinquante mille francs.

– Et alors ?

– Alors, gémit Maxime de Tergall, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Le fait est là, indiscutable, brutal, certain, nous sommes volés.

Changeant brusquement d’attitude, Antoinette de Tergall se jeta au cou de son mari, l’embrassant longuement :

– Mon pauvre, pauvre chéri, fit-elle, c’est épouvantable ce qui t’est arrivé, quel bonheur que tu ne sois pas blessé.

Insensible, le marquis serra les poings, grinça des dents :

– Il me le paiera, grommela-t-il sourdement, il me le paiera cher.

– Qui donc ? interrogea Antoinette.

– Parbleu, Chambérieux, cette crapule de Chambérieux, il n’y a pas le moindre doute à cet égard, mon agresseur, c’est sûrement Chambérieux. Furieux du vol dont je ne suis pas responsable, il a voulu rattraper son argent coûte que coûte. Au lieu de repartir pour le Mans, hier soir, comme il devait le faire, il est venu m’attendre sur la route.

– L’avez-vous donc reconnu ?

– Non, s’écria son mari, il est bien trop habile. Mon agresseur avait dissimulé son visage sous un masque derrière un loup. C’est donc qu’il savait que j’aurais pu identifier sa figure découverte. Tout accuse Chambérieux dans cette affaire, et vous verrez que l’avenir prouvera combien j’ai raison.

– Qu’allez-vous faire ? demanda la châtelaine.

– C’est bien simple, je vais d’abord mettre opposition sur les billets de banque. Le Comptoir d’Escompte, qui me les a versés ce matin, en connaît sûrement les numéros. Je vais aussi porter plainte, à la première heure, et j’accuserai formellement Chambérieux. D’ailleurs, voici le jour. Je vais dire qu’on attelle.

Pas une minute à perdre.

Le marquis repartait pour la ville.

***

– Alors, fit M. Morel, qui, tout en s’efforçant de s’éveiller, avait écouté le récit que le marquis de Tergall était venu lui faire à son domicile, vous êtes convaincu que celui qui vous a volé votre portefeuille, n’est autre que M. Chambérieux ?

– J’en suis convaincu, monsieur le juge.

Le magistrat s’étira longuement, se frotta les yeux, regarda curieusement son interlocuteur.

– Nous allons savoir, dit-il au marquis de Tergall qui, semblable à un ours en cage, allait et venait dans la pièce, nous allons savoir à quelle heure M. Chambérieux a quitté Saint-Calais.

Le juge obtint rapidement la communication. Il raccrocha au bout de quelques instants le récepteur et annonça au marquis de Tergall :

– Votre voleur n’est pas M. Chambérieux. Je viens d’apprendre que ce dernier n’est pas sorti de l’hôtel hier soir. Il est monté se coucher vers onze heures. Il a sonné à minuit pour demander une tisane. Il est encore à l’hôtel dans sa chambre. Il dort toujours.

– Si ce n’est pas Chambérieux, s’écria Maxime de Tergall, alors c’est un complice. Je suis sûr, Monsieur le juge, que ce misérable usurier s’est entendu avec quelqu’un pour me dévaliser.

– C’est possible, dit le juge, c’est vraisemblable si vous voulez, c’est même trop vraisemblable pour être vrai. Je tiens M. Chambérieux pour un homme intelligent, et si jamais il est prouvé qu’il a conçu semblable plan, il apparaîtrait comme étant un imbécile.

– Que croyez-vous donc, alors ?

– Oh, s’écria le juge, je ne crois rien et ne veux rien croire. Notre rôle, à nous autres magistrats, n’est point d’avoir une opinion préconçue, mais de nous former un avis d’après les interrogatoires.

– Monsieur Morel, que comptez-vous faire ? Le temps presse.

– En matière judiciaire, monsieur, on a toujours le temps. Mieux vaut ne rien faire qu’une bêtise. Je ne vous cache pas que l’agression et le vol dont vous avez été l’objet me confirment dans mon opinion première, à savoir qu’il y a dans toute cette affaire un tiers mystérieux, et responsable, que nous ne connaissons pas. Cette conviction que je vous exprime sans chercher à la dissimuler, doit avoir pour résultat la mise en liberté immédiate de ce pauvre abbé Jeandron, arrêté hier pour donner satisfaction aux deux plaignants, que vous étiez, M. Chambérieux d’une part, et vous, monsieur le marquis, de l’autre. Je ne sais pas quel est le coupable dans toute cette affaire, mais je suis de plus en plus certain que l’abbé Jeandron est parfaitement innocent. Je me ferais donc scrupule de le retenir plus longtemps en prison.

4 – LA BANDE DES TÉNÉBREUX

– Bonno, bonno nougat, pas cher, moussié, moi donner à toi joli tapis aussi pas cher. Pas cher.

Deux consommateurs attardés vers onze heures et demie, à la terrasse d’une paisible brasserie de la place Denfert-Rochereau, finirent par écarter du geste, le marchand de nougat et de tapis de chèvre qui les importunait.

Après avoir été ainsi rabroué par les deux consommateurs, le marchand s’éloigna tout en se déclarant à lui-même :

– Pauvre Mahamoud, pauvre moi, jamais réussir de bonnes affaires, toujours dans la dèche et toujours content.

S’étant convaincu qu’il n’aurait plus de clientèle éventuelle à solliciter, Mahamoud prit brusquement une résolution et, tournant les talons, il rebroussa chemin dans la direction de l’avenue de Montsouris.

Il parcourut rapidement les grands boulevards plantés d’arbres, puis s’arrêta quelques secondes devant une bicoque de très modeste apparence, au-dessus de laquelle flamboyait une inscription :

« Hôtel meublé. On loge à la nuit. »

Ce devait être sinon le domicile de l’Algérien, du moins un asile où il était connu, car Mahamoud, en passant devant cet établissement, frappa au carreau de la fenêtre du rez-de-chaussée. Celle-ci s’entrebâilla, et la tête hirsute d’un gamin apparut.

– Toi prendre mon paquet, déclara Mahamoud, qui, joignant le geste à la parole, se débarrassa rapidement de ses tapis et de ses nougats.

Puis il ajoutait :

– Pas manger la marchandise quand je ne suis pas là. Moi revenir très tard cette nuit, peut-être demain matin.

– Ça va bien, Peau-de-Zébi, on a compris, répliqua le garçon qui semblait faire fonction de concierge.

Mahamoud s’enfonça dans la nuit, à grands pas et rapidement il atteignit l’extrémité de l’avenue.

Il s’arrêta à la petite grille qui empêche, sitôt la nuit venue, l’accès du Parc de Montsouris. Mahamoud quelques instants regarda autour de lui, pour s’assurer que nul ne l’épiait. Puis s’étant rendu compte qu’il était seul, avec la souplesse d’un chat ou pour mieux dire, d’un acrobate exercé, il bondit par-dessus cette grille et s’introduisit dans le jardin. Là, Mahamoud se mit à longer les massifs, marchant précautionneusement sur l’herbe et la terre, évitant les allées sablées, pour ne point faire de bruit, et sans doute ne pas éveiller l’attention des gardiens, si d’aventure il s’en trouvait dans le jardin public. L’Algérien marcha pendant quelques minutes, puis, avisant un bouquet d’arbres au milieu d’une pelouse, il le gagna sans la moindre hésitation. Tandis que le marchand de nougat effectuait cette étrange promenade, la receveuse de la gare du chemin de fer de Sceaux délivrait pour le dernier train, deux billets de troisième classe à un grand diable d’individu flanqué d’un vieillard, à longue barbe blanche.

Ce voyageur avait demandé s’il pourrait obtenir à Sceaux-Ceinture la communication avec le train circulaire qui passait en gare de Montrouge, à minuit cinquante.

– Je le crois, monsieur. Mais vous savez que la correspondance n’est pas garantie.

Quelques instants plus tard, le train venant de la station souterraine du boulevard Saint-Michel entrait en gare, prenait ces deux voyageurs et s’engageait sur le remblai qui traverse le parc de Montsouris.

Avant d’arriver à Sceaux-Ceinture, au moment où le convoi ralentissait, les deux hommes se laissèrent glisser de leur compartiment, à contre-voie, puis, bénéficiant de l’obscurité, se glissèrent le long des rails et partirent en courant dans la direction opposée à celle du train. Ils n’allèrent pas loin. Soudain ils obliquèrent à gauche, enjambèrent la clôture qui sépare la voie du chemin de fer des fourrés du parc de Montsouris et s’introduisirent dans le jardin obscur.

– Ça va-t-il, père Grelot ? interrogea le plus jeune des deux hommes.

– Ça va toujours, l’Élève, répliqua en grommelant le vieillard à la grande barbe blanche. N’empêche, poursuivit-il, que sur ces sales cailloux du « balastre » j’ai failli me tourner le pied. Enfin, pour mes soixante-douze ans, car c’est aujourd’hui mon anniversaire, je ne suis pas encore trop « ingambe ».

– Soixante-douze ans ? père Grelot, tu dois nous monter le cou. Probable que tu comptes doubles les années passées à Londres.

– T’as toujours le mot pour rire, fils, mais tu pourras causer lorsque tu en auras vu autant que moi. Il y a vingt-trois ans, lorsque j’étais à la prison de Montpellier…

Mais, d’un « chut » énergique, l’Élève interrompit son maître.

Il avait entendu du bruit dans les feuillages, et les deux hommes, inquiets, redoutant sans doute d’être surpris, s’étaient arrêtés net, se taisaient, retenaient leur souffle.

Le père Grelot prit son compagnon par le bras :

– Fils, dit-il, tu n’es qu’un imbécile de m’avoir fait peur. C’est un copain qui fait signe. Il doit déjà y avoir du monde à l’entrée du trou.

L’Élève, en avançant d’un pas, fit craquer sous son poids quelques brindilles de bois sec.

– Animal, maladroit, tu ne seras jamais qu’un apprenti. C’est pas la peine d’être mon élève, pour faire plus de bruit qu’un régiment ou qu’un autobus.

– Ça va bien père Grelot. Je comprends ces précautions lorsqu’il s’agit de s’installer dans une tôle, mais ici, on est tranquilles. Pas de danger qu’on rencontre des flics.

– Vaut toujours mieux se méfier.

Au moment où les deux hommes pénétraient sous les arbres, quelque chose s’agita à côté d’eux et, aux modulations du sifflet, succéda une voix qui disait :

– Salut vous autres, c’est Mahamoud.

Le vieillard et le jeune homme se nommèrent simultanément :

– Père Grelot.

– L’Élève, dit le fils.

Les trois hommes se serrèrent les mains, silencieusement. Puis, le père Grelot, toujours inquiet, interrogea :

– Pas de mouche, dans le voisinage ?

– Non, répondit l’Algérien, moi ai pu installer toute la mécanique pour descendre sans être dérangé.

Ils avancèrent encore de quelques pas avant de se pencher sur un trou noir creusé à fleur de sol et dont les bords étaient entourés de robustes parois métalliques.

Mahamoud, très leste, enjambait déjà le bord de la fosse, comme s’il allait se précipiter dedans. Mais sa main courut au préalable le long de la paroi métallique, et rencontra fixée à l’une des saillies du métal, une grosse corde solidement assujettie. Il la désigna à ses deux compagnons et leur fit palper dans l’obscurité le nœud robuste qui maintenait la corde à son point d’attache.

– Ça beau travail, déclara-t-il, porter dix hommes et jamais casser.

– Es-tu bien sûr ?

Mais l’élève se mit à rudoyer son maître :

– Dirait-on pas, père Grelot, que t’as les foies blancs à c’t’heure et que c’est le premier soir que tu dégringoles dans la salle de bal en passant par la cheminée ? Allons-y, Mahamoud, les aminches doivent se faire du mauvais sang à nous attendre.

Les trois hommes alors se livrèrent à une manœuvre aussi périlleuse qu’inattendue.

L’Algérien, le premier disparut dans le trou, s’agrippa à la corde et se laissa glisser. Au bout de quelques instants, on entendit sa voix très atténuée, semblant sortir des entrailles de la terre, qui disait :

– Amenez-vous, moi suis arrivé.

Le père Grelot, malgré ses soixante-dix ans, empoigna le cordage à son tour et, tout en grommelant, se laissa descendre dans la fosse, puis ce fut le long et maigre Élève qui lui succéda.

Quel était cet orifice étrange et où conduisait-il ? N’était-il donc pas connu des gardiens du parc et se pouvait-il qu’il existât en plein Paris, dans une promenade fréquentée, un tel repaire sans que l’administration en eût connaissance ? La chose eût été en effet impossible, si ce trou avait été clandestin. Mais il était connu, officiel, car la fosse par laquelle les trois bizarres personnages avaient disparu n’est autre que le tunnel creusé dans la terre et communiquant d’une part avec le parc de Montsouris, tandis que de l’autre il vient déboucher au sommet de la voûte de chemin de fer creusée dans le même parc.

Mahamoud, le père Grelot et l’Élève savaient, connaissant les heures, que le dernier train était passé. Désormais, ils étaient tranquilles jusqu’à cinq heures du matin. Ce tunnel, d’ailleurs, devait être un lieu de rendez-vous, car les trois hommes ne s’y trouvaient pas seuls.

De part et d’autre, par les deux extrémités, venaient de nouveaux personnages, qui sans doute, avaient emprunté tels ou tels itinéraires prescrits et prévus à l’avance, pour éviter, en un point quelconque, un encombrement qui aurait pu paraître suspect.

Le tunnel de Montsouris.

Ce passage souterrain servait en effet de lieu de rendez-vous à une certaine bande dont l’organisation encore ignorée de la police, était soumise à des règles très sévères.

Les membres de cette bande se rencontraient rarement ensemble, mais lorsque d’aventure ils étaient convoqués, si on leur ordonnait de se réunir dans le tunnel de Montsouris, c’était avec l’obligation de venir y tenir séance en pleine obscurité, de là le nom que les associés s’étaient donné : « Les Ténébreux ».

Qui donc dirigeait cette association, dont le but n’était évidemment pas de concourir pour le prix Montyon, mais, bien au contraire, de s’entendre pour accomplir toute la gamme des exploits, depuis d’insignifiants chapardages jusqu’aux plus épouvantables forfaits, et de s’arranger, de s’entendre, afin d’échapper dans toute la mesure du possible aux poursuites de la Justice ?

Cependant, les Ténébreux, peu à peu, se rapprochaient les uns des autres, ils se frôlaient au passage, dans le noir et dès lors, dès qu’ils se rencontraient, ils avaient pour devoir de se nommer immédiatement.

C’est ainsi que dans le murmure confus de la foule grossissante, on entendait proférer à mi-voix des noms connus, célèbres déjà dans les annales de la pègre et dans les couloirs des juges d’instruction.

À deux ou trois reprises, une voix nasillarde avait proféré :

– Bec-de-Gaz.

Bec-de-Gaz, l’apache célèbre, terriblement compromis quelques années auparavant, avait été arrêté pour avoir assassiné sa maîtresse La Panthère.

Par suite d’une chance inespérée, il n’avait été condamné qu’aux travaux forcés à perpétuité puis conduit avec d’autres forçats au pénitencier de l’île de Ré, d’où il devait être dirigé sur la Guyane mais d’où il avait réussi à s’évader avant son embarquement.

Une voix aigre et perçante, celle de la mère Toulouche, avait aussi retenti dans le tunnel. Elle existait donc toujours, cette affreuse mégère qui perpétuellement dégringolée, tombée au dernier échelon de l’échelle sociale, en était réduite désormais à racoler des enfants en bas âge, qu’elle louait aux faux mendiants pour mieux apitoyer le passant ? Des femmes jeunes aussi se trouvaient au nombre des invités de cette fête inquiétante, étrange.

La pierreuse, Fleur-de-Rogue, fille sombre et farouche dont on aurait pu compter les paroles, depuis le jour où son amant, Jean-Marie, aide du bourreau, avait trouvé une mort sanglante sous le couperet de la guillotine qu’il était chargé de monter pour le service de la Justice. À côté de Fleur-de-Rogue, se trouvait une autre femme, jeune, jolie, belle, dont l’existence était un mystère pour tous. Bonne fille, bonne camarade, elle n’avait que des sympathies et des amitiés autour d’elle, mais nul ne lui connaissait d’amant, nul ne savait quelle était sa demeure et cependant, c’était une copine à coup sûr. Depuis qu’elle appartenait à la bande, on l’avait dotée d’un sobriquet, on l’appelait la Guêpe, parce qu’elle avait la taille fine, souple, harmonieuse.

– Père Grelot, cria de sa voix nasillarde Bec-de-Gaz, les copains sont tous là, la séance est ouverte.

Au murmure confus qui régnait sous le tunnel succéda un silence religieux. Bec-de-Gaz commença :

– J’ai à vous annoncer une bonne nouvelle, mes copains, un aminche qu’on n’avait pas revu depuis quelque chose comme dix ans vient de se ramener dans sa bonne ville de Pantruche. Ah, il en a vu du pays, rapport à ce qu’il est allé planter ses choux à la Nouvelle.

– Qui c’est-y donc ? interrogea la mère Toulouche.

Mais la vieille fut interrompue, le nouveau venu que Bec-de-Gaz venait d’annoncer se nommait lui-même :

– Probable que vous m’attendiez pas, eh ben c’est moi, Ribonard.

Ribonard avait payé par dix ans de galères ses sinistres travaux mais il s’était tiré des pieds, et voilà qu’il était revenu les dents longues et l’appétit féroce. Bonne recrue pour les Ténébreux.

Des mains serrèrent furtivement dans l’obscurité les doigts calleux du forçat qui, au bout de quelques instants, sentit un corps souple se glisser près de lui, cependant qu’une voix douce murmurait à son oreille :

– J’ai déjà entendu causer de toi, Ribonard, et tu me plais, veux-tu de moi ?

L’apache hautement, interrogeait :

– À savoir, qui c’est que tu es ?

La femme répondit :

– Fleur-de-Rogue.

Ribonard ne put s’empêcher de frémir.

– Ça va, fit-il, Fleur-de-Rogue, on se mettra ensemble.

Cependant un cri d’angoisse et de rage s’échappa soudain de toutes les poitrines. Un éclair d’une seconde avait illuminé le tunnel, et, à cette lueur momentanée, les membres de la bande des Ténébreux, avaient pu entrevoir leurs faces hideuses et sinistres, ils avaient pu se voir les uns, debout, le long des murs du tunnel, les autres accroupis sur le ballast, quelques-uns tendrement enlacés, allongés le long des rails, quelques autres encore assis, étendus, rapprochés ou éloignés les uns des autres.

Quelle était cette lumière ? Était-on surpris ?

S’agissait-il d’une attaque de la police ?

Mais un grand éclat de rire couvrit le cri d’angoisse.

– Bonsoir, messieurs dames, dit une voix gouailleuse, vous dérangez donc pas, faites comme chez vous, seulement faudrait voir à ne pas vous biler comme ça sitôt qu’un aminche craque une allumette pour incendier sa cibiche. On dirait que vous avez un taf de tous les diables, c’est vraiment malheureux mais c’est rien farce aussi.

– Bébé, s’écriait-on, c’est c’t’animal de Bébé. Ah, il en fait jamais d’autres, c’était bien son genre de ne jamais obéir et de toujours faire le contraire de ce qui est convenu.

– Bébé, interrogea Bec-de-Gaz, tu as donc fini ton temps ? D’où c’est que tu sors ?

– Probable que j’ai fini, déclara Bébé, je m’amène tout droit par le fumeux, de la Belgique où j’ai tiré trois ans, même que je n’a point perdu mon temps car je m’ai fait là-bas de belles relations.

– Où c’est-y donc, interrogea Bec-de-Gaz, que tu te trouvais ?

– J’en ai du nouveau, et du chouette. Figurez-vous que j’ai trouvé là-bas, bouclé dans la tôle, le roi des rois, le plus costaud de tous les costauds.

– Qui donc ?

– Fantômas.

Les Ténébreux l’assaillaient de questions. Avait-il bien vu, de ses yeux vu, Fantômas en personne dans la prison de Louvain ? Avait-il pu lui parler ?

– J’comprends et je suis sûr que c’est bien Fantômas qui est à Louvain, y en a pas deux au monde pour avoir cette allure. Quel homme que Fantômas. Ah, sacré bon sang. J’y laisserai ma peau, mais Fantômas sera bientôt des nôtres, et la bande des Ténébreux avec lui à sa tête régnera sur le monde entier.

– Bébé, dit le père Grelot qui n’aimait pas les rodomontades et sur lequel les belles paroles ne faisaient aucun effet, Bébé, tu nous fais marcher. Possible que t’aies vu Fantômas dans la tôle de Louvain, mais pour ce qui est de le sortir de là, ça fait deux.

– Pour ce qui est de le sortir de là, vieil imbécile, interrompit Bébé d’une voix vibrante d’enthousiasme, tu n’as pas à te casser la tête. Ribonard, dis-leur donc un peu si c’est d’hier qu’on se connaît et si on a déjà pas préparé toute la combine pour débarrasser Fantômas de sa carapace de moellons.

– Vous allez-t-y démolir le toit de la prison ? demanda la mère Toulouche.

– C’est une façon de causer, mère Toulouche, mais comme le Fantômas étouffe dans sa cage, on va tâcher moyen de lui ouvrir la porte ou la fenêtre.

– Ce serait beau, dit Bec-de-Gaz, d’être ceux qui auraient fait évader Fantômas, mais vois-tu, Bébé, dans tous ces trucs-là, faut des fafiots, et si je ne cause que pour moi, j’aime autant te dire tout de suite que je suis fauché.

– Ribonard, dis-leur donc un coup qu’on est plus des enfants.

Ribonard expliqua :

– Voilà déjà huit jours qu’on s’est rencontré, nous deux Bébé. On était comme qui dirait tous les deux en train de soigner une vieille morue qui tenait trop à la vie. On s’est connu à son chevet. On s’est apprécié. On a turbiné ensemble. Faut croire qu’on a pas fait du mauvais boulot, car s’il ne faut que de la braise pour sauver Fantômas, on peut dire que le Fantômas est libre.

– Bébé ?

Une voix jeune s’était élevée dans le tunnel.

– Mirette. C’est pas trop tôt. Dans mes bras ma poule.

Mais, comme l’apache courait au devant de sa maîtresse, Mirette l’accueillit d’une formidable gifle dont le bruit fit éclater de rire l’assistance entière.

– Mirette, faudra voir à t’expliquer.

– Bébé, faudra d’abord que tu m’affranchisses sur l’affaire de la gonzesse du Mans.

Bébé allait répliquer, Ribonard se précipita auprès de lui, lui serra le bras :

– Pas un mot à personne. N’en cause ni de près ni de loin. Surtout pas aux femmes.

Cependant, un jour pâle pointait à l’extrémité du tunnel, les membres de la bande des Ténébreux peu à peu déguerpirent.

Sous la voûte, au moment où s’achevait l’altercation de Bébé et de sa maîtresse Mirette, ils n’étaient plus que quatre ou cinq.

Soudain, dans l’ombre, Ribonard, qui redoutait évidemment une explication trop précise sur ce que Mirette avait appelé « l’affaire de la gonzesse du Mans », avisa un homme robuste qui n’avait pas encore ouvert la bouche.

Il interrogea Mirette :

– Qui est celui-là ?

– Un aminche, répliqua évasivement la pierreuse, je le connais pas plus que ça, mais je suis sûre d’une chose : il fait partie des Ténébreux.


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