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Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Текст книги "Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Ah bien, on ne peut pas t’expliquer cela comme ça, Fantômas. C’est compliqué. Sais-tu ce qu’on a fait à Saint-Calais ?

– Peu importe ce que je sais, parle, je comprendrai.

– Eh bien, voilà, continua Bébé, on a fait trois choses : primo et d’une, on a volé des bijoux. Bon c’est moi qui ai fait le coup. Deuxièmement et de deux : on a refait deux cent cinquante mille francs, ça c’est l’ouvrage à Ribonard et à moi. Troisièmement et de trois : on a zigouillé un ponte, un nommé Chambérieux.

– Alors ?

– Alors, Fantômas, qu’est-ce que tu veux ? Voilà ce qui s’est passé : les bijoux faits, je les ai confiés à Ribonard qui les a cachés dans un endroit que je ne sais pas. Bref, ce cochon-là, maintenant, il ne veut plus les rendre.

Ribonard protesta :

– Si, si, je veux bien rapporter les bijoux, mais je ne veux pas que Bébé les garde en entier. Faut partager. C’est-y pas la justice, Fantômas ?

Fantômas ordonna encore :

– Tais-toi, Ribonard. Et l’argent, où est-il. Bébé ?

– L’argent, je l’ai confié à ma maîtresse, une poule que tu connais pas, Fantômas, une nommée Rosa qu’est « bonnet-blanc » chez la marquise de Tergall.

Bébé ajouta :

– Ça l’argent, elle est en sûreté. Je suis tout prêt à la rapporter pour faire un partage satisfaisant. Mais je veux tout de même pas que Ribonard garde les bijoux entiers.

Fantômas haussa les épaules :

– C’est bien, en voilà assez sur ce sujet.

L’extraordinaire bandit posa la main sur l’épaule de Ribonard qui ne put s’empêcher de pâlir.

– Écoute, tu seras après-demain, à trois heures de l’après-midi au pied de la cathédrale du Mans, en bas de l’escalier, près du bassin, je t’y rejoindrai. Nous irons ensemble chercher les bijoux et c’est moi qui ferai le partage. Ne t’avise pas de manquer à mon rendez-vous, tu sais, n’est-ce pas, Ribonard, qu’on ne désobéit pas impunément à Fantômas ?

– Je sais.

– Bien. Alors va-t’en et à après-demain.

Fantômas se tourna vers Bébé, il ajouta :

– Toi, reste. J’ai à te parler.

En vérité, Fantômas était bien le Maître, le chef respecté de tous ceux qui font du vol et du crime leur profession habituelle.

***

Deux heures plus tard, en pleins champs, loin de la ville du Mans, Fantômas s’entretenait encore avec Bébé.

Le bandit venait de se faire raconter en détail comment Bébé avait réussi les deux premiers vols de Saint-Calais, tentés, affirmait l’apache parisien, pour se procurer l’argent nécessaire à l’évasion de Fantômas.

– C’est très bien, tu n’as pas mal agi, approuva l’Insaisissable. Il va de soi que j’obtiendrai de Ribonard qu’il rende les bijoux. Je te ferai savoir d’ici quelques jours où, toi-même, tu devras venir me consigner l’argent volé au marquis et que Rosa détient actuellement. Nous verrons à partager le tout. Bon passons maintenant à un autre ordre d’idées. Pourquoi, Bébé, as-tu tué Chambérieux ?

– Pourquoi j’ai tué Chambérieux ? D’abord Fantômas, comment sais-tu que c’est moi qui ai fait le coup ?

– C’était bien malin à deviner. L’assassin était certainement, n’est-il pas vrai, parmi les voyageurs d’une automobile qui a passé la nuit du crime sur la route de Bessé à Saint-Calais, donc…

– Pourquoi dis-tu que l’assassin était certainement parmi ces voyageurs ? interrogeait-il. Nous n’avons pas laissé de traces ?

– Imbécile, vous avez perdu une chambre à air.

– C’est vrai.

– Naturellement. Je ne parle pas au hasard. Eh bien, sur cette chambre à air, Bébé, j’ai relevé la trace d’un poignard, dont la lame a été retrouvée, cassée à demi, dans le corps même de Chambérieux…

Et Fantômas poursuivit ironique :

– Comme il était difficile, n’est-ce pas, de deviner que les assassins venus en automobile avaient eu l’occasion de manipuler cette chambre à air, de la glisser sous un coussin, de l’appuyer, par exemple, contre le poignard, dissimulé au même endroit. Il était bien difficile, après, sachant que l’assassin était venu en automobile, de retrouver au Mans le garage où cette automobile avait été louée et, ayant trouvé tout cela, de songer à visiter la toiture du garage où Bébé et Ribonard se cachaient, justement dans l’intention de revenir fouiller l’automobile et d’y reprendre le poignard égaré ?

– Fantômas, tu instruis les affaires, tu conduis les enquêtes comme un vrai juge d’instruction.

Mais Bébé ne vit pas le sourire du Maître de l’Épouvante.

Fantômas, d’ailleurs, feignit de ne pas entendre le compliment.

– Tout cela ne me dit pas pourquoi tu as tué Chambérieux. Allons, parle.

Bébé confessa.

– Dame, patron, j’ai zigouillé le pante parce que ce n’était pas de la poudre d’imbécile. Figurez-vous que j’ai appris qu’il chauffait ma maîtresse, Rosa, une gosse, vous savez, patron, ça n’a pas d’expérience. Bref, voilà-t-y pas que ma môme lui avait écrit. Le Chambérieux avait des lettres de Rosa. Si je l’ai tué, c’est tout bonnement pour les lui reprendre.

– Et tu les as reprises ?

– Non, j’ai pas eu le temps. Au moment où je fouillais le bonhomme pour lui chauffer les papiers compromettants, il y a des types qu’ont rappliqué dans la forêt, et j’ai tout juste pu cavaler sans ennuis.

– Alors ? ces lettres doivent être au greffe du tribunal maintenant, entre les mains du juge d’instruction ?

– Oui, c’est le « curieux » de Saint-Calais qui possède les papelards. Oh, mais, sois tranquille, Fantômas, foi de Bébé, ce juge d’instruction ne les a pas pour longtemps. Je suis bien décidé à lui faire son affaire. Le juge d’instruction de Saint-Calais. Ah, nom de nom, il n’y coupera pas, vrai de vrai. Je le condamne à mort, sais-tu bien, Fantômas.

– Je te défends de toucher à un seul des cheveux de M. Pradier. Il faut que ce juge d’instruction vive, Bébé.

Bébé, surpris, allait demander pourquoi. Il n’en eut pas le temps.

Alors que Bébé levait les yeux, en effet, il poussa une exclamation d’étonnement, de stupéfaction, d’angoisse.

Une seconde avant, il était à côté de Fantômas, et maintenant il était tout seul.

Fantômas avait disparu. Fantômas s’était évanoui. S’enfuyant dans la nuit. Fantômas n’était plus là.

– Ah, mince alors, finit par monologuer Bébé, tout juste rassuré. Pas plus de bonsoir que de bonjour. Il en a des façons le frère, pour s’amener dans la société et pour mettre les bouts de bois.

Quelques secondes plus tard. Bébé reconnaissait pourtant, avec une franchise qui n’était pas feinte :

– Tout de même, quel type, quel costaud, que Fantômas. Le voilà revenu. Sûr qu’on n’a pas fini de rigoler.

Mais quand Bébé parlait de « rigoler »…

21 – LE FRÈRE D’ABEL

Antoinette de Tergall, la gracieuse maîtresse de maison, se multipliait auprès de ses amis. On venait de servir le café au salon, transformé en fumoir par la bienveillante indulgence de la châtelaine, et maintenant elle s’informait auprès de ses différents convives de leurs préférences personnelles.

– Monsieur Livet, questionnait-elle avec un sourire engageant, s’adressant à un gros petit homme qui sous un aspect farouche, un air perpétuellement batailleur, cachait l’âme tranquille et douce d’un paisible rentier n’ayant jamais quitté Saint-Calais, vous prendrez bien un petit verre de cognac ?

Le gros petit homme à l’air terrible haussait la main, répondait d’une voix fluette :

– Merci, madame, mille merci, mais je suis au régime. Je ne dois boire que du lait.

– Voyons, par ce froid.

– Non, madame, merci. Je ne dois commettre aucun excès. Pas de liqueurs. Cela m’est bien recommandé par notre excellent docteur que vous voyez en train de bavarder avec notre cher curé.

– Et vous, mon cher baron, curaçao ? kirsch ? autre chose ?

– Ma chère marquise, vous connaissez mes goûts, je n’aime que les liqueurs fortes, rudes. J’aime tout ce qui est vigoureux, aussi bien en littérature qu’en liqueurs. Donnez-moi de votre vieille fine.

Antoinette de Tergall versa dans un verre finement ouvragé, un verre de cristal fragile et délicat, une large rasade de liqueur brûlante.

La marquise dissimulait mal un sourire. Évidemment, elle trouvait amusant que le maigre personnage qu’elle venait d’appeler « baron » eût une telle prédilection pour tout ce qui était, suivant son opinion, rude, violent.

Antoinette de Tergall continuait cependant à proposer les ressources de sa cave à liqueurs à tous ceux qu’elle avait invités au déjeuner de chasse d’inauguration des nouveaux terrains réservés attenants au château des Loges.

– Docteur, dit-elle, en frappant familièrement sur le bras d’un personnage jovial, bourru mais sympathique qui causait au coin de la cheminée avec un prêtre à figure grave et douce, docteur, vous qui mettez tout le monde au régime, vous qui condamnez tous vos clients au lait, vous prendrez bien un verre de fine champagne ?

– Avec plaisir, madame. Si les médecins ne se rendaient pas malades, ils n’auraient jamais l’occasion de faire douter de la médecine.

– Et vous, monsieur le curé, que prendrez-vous ?

Le docteur, libre penseur mais fort ami du prêtre, répondit avant l’homme d’église :

– Parbleu, M. le curé ne prendra rien. D’abord, sa soutane lui interdit de goûter aux joies de ce monde. Ensuite, il a une maladie de foie. Un prêtre a toujours une dilatation de foie, bref il ne lui faut pas d’alcool.

– Madame, dit le prêtre en s’inclinant en une révérence du meilleur goût, je ne refuserai pas un doigt d’anisette.

– Une liqueur de femme. Curé tu me fais horreur.

Le médecin entama avec le prêtre une discussion sans conclusion possible.

Le docteur voulait persuader à l’homme d’église qu’il était du devoir de tout « ensoutané » de ne jamais toucher à rien de friand. Le prêtre ripostait qu’un médecin se devait à lui-même, par respect pour l’art qu’il professe, de ne jamais prendre une goutte d’alcool.

Quelques minutes plus tard, les deux hommes trinquaient avec cordialité.

Pendant ce temps, Antoinette de Tergall continuait à faire le tour de son salon, trouvant pour chacun une parole aimable, une remarque gracieuse.

– Mon cher sous-préfet, disait-elle au plus haut fonctionnaire de Saint-Calais, qui n’acceptait que timidement ses invitations dans la crainte de se compromettre en fréquentant la noblesse du pays, mon cher sous-préfet, si j’en crois les échos, vous avez eu ce matin les honneurs de la battue ? Six perdreaux à vous tout seul, vous avez bien mérité un verre de liqueur ? Que vous offrirai-je ?

– Mais, ce que vous voudrez, madame.

Au centre d’un groupe d’invités, Maxime de Tergall très joyeux, visiblement satisfait de la bonne réussite de la partie de chasse organisée par ses soins le matin même, pérorait :

– Ici, disait-il, dans la Sarthe, il ne faut pas compter faire de beaux doublés. Notre pays est trop boisé. Nous avons trop de haies. Les battues ne peuvent guère s’organiser. Seuls peuvent tuer ceux qui ont une âme de chasseur, qui savent fouiller le terrain, faire une haie, puis une autre, puis encore une troisième, et ainsi de suite.

C’était l’avis du jeune greffier du Tribunal.

Lui n’avait certainement pas « l’âme d’un chasseur ». Il possédait bien un fusil, se munissait même chaque année d’un permis de chasse, mais c’était uniquement dans l’intention de ne pas se singulariser.

Il avait horreur des marches fatigantes qu’imposent le plaisir cynégétique. À la chasse il ne rêvait véritablement qu’à trouver des pommiers chargés de fruits savoureux. Il redoutait les accidents.

Par prudence, d’ailleurs, il ne chargeait jamais son fusil. « À quoi bon », pensait-il, sachant pertinemment que si d’aventure il ajustait un lapin, il le manquerait infailliblement.

Or, tout le temps que les invités causaient et discutaient d’aventures de chasse, un gros petit homme à figure terrible qui répondait au nom de Livet s’agitait désespérément, repris par des ardeurs belliqueuses.-

– Et alors, disait-il, mâchonnant d’un air furibond un énorme cigare dont il n’avait même point pensé à enlever la bague, et alors, est-ce qu’on s’éternise ici ?

Le sous-préfet souligna la remarque faite par ce gros petit homme.

– C’est vrai, dit-il, nous nous engourdissons dans les délices de Capoue. Morbleu, voici trois heures que nous déjeunons. Il serait peut-être temps de retourner auprès de messieurs les lièvres, perdreaux, faisans, et autres ?

La proposition énoncée d’abord à mi-voix, rallia des suffrages enthousiastes.

Tous ces hommes chaussés d’énormes brodequins, en culotte cycliste et coiffés de feutres à plumes, s’étaient rassemblés par simple désir de tuer d’innocents lapins. Ils estimaient qu’ils avaient « payé » l’hospitalité de la marquise, en consentant à « perdre » avec elle le temps d’une heure de causerie, en s’attardant au café. Maintenant ils aspiraient à faire parler encore la poudre, à retourner au long des champs, sur les chemins que le froid avait saisis, près des mares silencieuses. Partout où ils pourraient mitrailler, canarder, faire bouler, descendre, abattre le gibier.

Dans la cour du château, on entendait les valets calmer les chiens, une meute hétéroclite où les bassets voisinaient avec les épagneuls, où les chiens à longue queue dédaignaient les humbles chiens d’arrêt. Et tout ce vacarme d’aboiements, de coups de fouet, de commandements, montait au cerveau des chasseurs, les grisait d’un désir d’air pur et vif.

– Tergall, eh Tergall, songez-vous qu’il va bientôt être deux heures et demie ? Mon cher, si nous voulons aller jusqu’à la lisière de votre bois…

Maxime de Tergall, lui, ne semblait nullement pressé.

Par une savante manœuvre, il avait bloqué le curé et le juge d’instruction dans une embrasure de fenêtre. Les deux hommes, alternativement, devaient répondre aux questions du châtelain. Or, Maxime de Tergall avait de graves préoccupations.

Il voulait tenir du curé l’indication exacte de la somme qu’il convenait d’offrir pour payer le pain bénit, renseignement que le prêtre s’efforçait d’éluder, espérant obtenir davantage de l’ignorance du châtelain que de sa générosité avertie. Il voulait savoir du juge d’instruction comment il convenait de faire procéder au bornage de son bois, et s’il pouvait en racheter certaines servitudes, choses que Fantômas était bien incapable de lui apprendre dans son ignorance générale des questions de droit non pénal.

– Tergall, mon bon Tergall, recommençait le sous-préfet, les lapins vous réclament. Madame la marquise ne nous en voudra certainement pas.

– Madame de Tergall, reprit le sous-préfet adressant son plus gracieux sourire à la châtelaine, doit trouver que nous l’empestons avec nos cigares. Venez-vous, cher Maxime ?

Cette fois, il fallut bien répondre.

Pradier d’ailleurs, trop heureux de saisir un prétexte pour se tirer de l’embarras où le mettaient les questions du propriétaire, frappa sur l’épaule du marquis :

– On vous réclame, dit-il.

Maxime de Tergall s’avança :

– Eh bien, en chasse, messieurs, en chasse. Vous avez parfaitement raison. Il est plus que temps de remettre la bretelle à l’épaule.

Un grand brouhaha éclata dans le salon.

Avides d’émotion, les chasseurs se précipitaient vers le vestibule, commençaient à s’harnacher, mais comme il sortait le dernier, suivant le juge d’instruction Pradier, qui, familièrement, avait pris le curé par le bras et, ne chassant pas, s’apprêtait à aller faire avec lui le tour des serres où Antoinette de Tergall cultivait de merveilleuses variétés de roses, Maxime de Tergall souffla à sa femme :

– Ma chère, ne vous inquiétez pas si dans dix minutes vous me voyez revenir. Je vais conduire nos invités jusque dans le bois, puis quand ils ne pourront s’en apercevoir, je reviendrai m’étendre une heure ou deux sur mon lit. J’ai une migraine de tous les diables.

– Le froid vous a saisi, probablement ?

– Sans doute, répondit Maxime, qui déjà décrochait son fusil, en criant d’une voix joyeuse : « En route, messieurs, en route. Voici le moment d’avoir bon pied et bon œil. »

À quatre heures de l’après-midi, près de deux heures après le départ de ses invités, Antoinette de Tergall s’occupait à faire dresser par ses domestiques, dans le salon du rez-de-chaussée, les petites tables sur lesquelles elle comptait offrir le thé au retour des Nemrod au carnier plein.

Antoinette de Tergall était si absorbée qu’elle sursauta en entendant la porte de la pièce où elle se trouvait, s’ouvrir lentement.

C’était le curé et Pradier qui, la visite des serres terminée, revenaient s’installer au château pour y attendre le retour des disciples de saint Hubert.

– Vous voici déjà ? questionnait Antoinette de Tergall. C’est gentil à vous de ne pas me laisser plus longtemps seule.

– Mais nous ne vous croyions pas seule, marquise, nous vous supposions en compagnie de M. de Tergall. Des serres, nous l’avons vu qui revenait vers le château. Il n’était pas souffrant ? À déjeuner, j’ai remarqué qu’il avait mauvaise mine ?

Antoinette de Tergall, continuant à disposer, après s’en être excusée d’un geste, des assiettes de petits fours, répondit en souriant :

– Maxime a un peu la migraine, en effet. Il est monté s’étendre quelques minutes dans sa chambre. Mais vous le verrez descendre à l’heure du thé.

– La faim chasse le loup du bois.

– J’imagine, dit de son côté le juge d’instruction, que M. de Tergall aura pris froid ce matin. Il sifflait une bise qui ne rappelait en rien les tiédeurs de l’été.

– En effet, répondait la marquise, je crois qu’il a pris froid. Mais ce ne sera certainement rien. Tout à l’heure, quand il est monté, j’ai été allumer un petit poêle à gaz qui chauffe sa chambre en une minute. C’est bien commode. En tout cas, je pense qu’ayant chaud maintenant, il va rapidement faire la réaction. Maxime sera bien portant demain.

Puis changeant de conversation, la marquise, toujours préoccupée d’amuser ses hôtes, proposa :

– Monsieur Pradier et vous, monsieur le curé, voulez-vous essayer un puzzle ?

– Merci, madame la marquise, répondit le curé, mais, je vais vous demander la permission de me recueillir pendant une demi-heure, j’ai la fin de mon bréviaire à lire.

– Monsieur le curé, vous serez tranquille au petit salon.

– Mille grâces, madame, vous êtes trop bonne.

Or, à peine l’excellent prêtre eut-il quitté la pièce, se dirigeant à pas comptés vers le petit salon où il comptait lire son bréviaire, et, peut-être aussi faire un peu la sieste, car il avait fort bien déjeuné et possédait un estomac capricieux, qu’Antoinette de Tergall se rapprocha de Fantômas.

– Mon frère, dit-elle d’une voix tremblante et qui révélait combien sous son enjouement habituel la malheureuse femme cachait d’inquiétudes torturantes, mon frère, dites-moi, n’avez-vous rien appris depuis que je vous ai vu touchant ces terribles affaires ? Je ne vis plus.

Fantômas jouait son personnage de mieux en mieux.

– Allons donc, petite sœur, dit-il, tout en attirant près de lui Antoinette de Tergall d’un mouvement affectueux pour lui poser un baiser fraternel sur le front. Allons donc, vous vous faites du mauvais sang et vous avez grand tort. Je m’emploie par tous les moyens à faire la lumière pleine et entière. Je vous ai promis d’y parvenir, je tiendrai ma promesse.

Antoinette de Tergall allait répliquer, elle n’en eut pas le temps.

Un domestique pénétra dans la pièce et respectueusement s’informa :

– Madame la marquise n’a point de lettres à me donner pour le courrier, voici l’heure où l’on descend à Saint-Calais ?

Antoinette de Tergall se leva et demanda au juge :

– Vous m’excusez une minute, cher ami ?

– Mais je vous en prie, faites donc.

Antoinette de Tergall n’avait pas quitté le salon, à peine son pas léger s’était-il éloigné, n’éveillant plus que de faibles échos au long des galeries du château, que Pradier, que Fantômas, se levait, lui aussi. Prenant garde à ne pas faire le moindre bruit, le bandit, qui maintenant riait d’un rire silencieux, affreux à voir véritablement, traversa le salon dans toute sa largeur, ouvrit une porte donnant sur le fumoir, traversa cette pièce, arriva enfin dans une petite galerie conduisant au vestibule principal.

Que méditait donc Fantômas ? Pourquoi s’avançait-il si précautionneusement, tournant la tête à chaque fois qu’un bruit marquait son passage, l’oreille aux écoutes et semblant guetter quelqu’un ou quelque chose ? L’insaisissable gagna le vestibule, descendit quelques marches de l’escalier conduisant aux caves du château, tira de sa poche une petite lampe électrique, regarda autour de lui, puis enfin, à voix basse, s’écria :

– Parbleu, voilà ce que je pouvais espérer de mieux. C’est une excellente idée. Aucune trace. Aucun danger. Aucune enquête à craindre.

Il tendit la main, il atteignit la clef du compteur à gaz. Il arrêta le débit.

Fantômas tirant sa montre attendit cinq minutes, puis tranquillement, riant encore, il rouvrit le compteur et, à pas précautionneux, évitant toute mauvaise rencontre, regagna le salon, où, dans quelques minutes sans doute, Antoinette de Tergall viendrait le rejoindre.

Fantômas songeait :

– Ce procédé est merveilleux. Quand j’ai fermé le compteur, le poêle s’est éteint. Quand je l’ai rouvert, le gaz a commencé à s’échapper. Et je sais que la pièce est moyennement grande, il ne faudra pas, j’imagine plus de trois quarts d’heure pour que…

Antoinette de Tergall rentrait à l’instant au salon.

– Mon pauvre frère, commençait la jeune femme, je vous disais tout à l’heure…

La gracieuse marquise venait de s’asseoir sur le canapé bas, à côté de Pradier.

Elle s’apprêtait à vivre quelques instants de bonne causerie.

***

– Inimaginable.

– C’est affreux.

– On peut véritablement se demander s’il y a accident ou crime.

– Accident, vous n’y songez pas ? C’est un crime, tout ce qu’il y a de plus crime.

– Et d’ailleurs, vous avez vu ce qu’a dit le juge d’instruction ?

– En effet.

– Il a été très bien, ne trouvez-vous pas ? Beaucoup de sang-froid, ce Pradier, une merveilleuse présence d’esprit.

Le docteur et le sous-préfet, qui causaient de la sorte, revenaient ensemble à pied vers Saint-Calais, ayant abandonné quelques minutes auparavant le château des Loges, désormais devenu une maison tragique, frappée par le drame. Un abominable accident s’était produit. Un accident ? on le disait, on l’avait dit. Mais déjà le mot de « crime » était sur toutes les lèvres.

À six heures, alors que les invités des châtelains de Tergall étaient tous revenus, se groupant autour des tables à thé, la jolie marquise s’était absentée une seconde, déclarant avec un sourire :

– Excusez-moi, je monte chercher Maxime. Il est si bien endormi dans sa chambre qu’il ne songe plus à redescendre, le paresseux.

On s’était récrié, on avait plaisanté. On avait échangé encore de joyeuses remarques au sujet du profond sommeil du marquis, quand soudain des cris perçants, des appels angoissés s’étaient fait entendre.

– Mme de Tergall. C’est Mme de Tergall qui appelle au secours.

D’un seul mouvement, les invités s’étaient rués vers l’escalier, le gravissant en hâte, se précipitant dans la direction du premier étage d’où venaient des sanglots et des cris.

Un spectacle horrible figea sur place les arrivants. Antoinette de Tergall, hors d’elle, pleurant, criant, se tordant les bras, dans une crise de désespoir épouvantable, était à genoux au milieu de la chambre de son mari, dont elle avait laissé la porte ouverte.

La malheureuse châtelaine se penchait sur le corps de Maxime de Tergall qui gisait sur le sol, inanimé, la face violacée, la langue pendante, une écume rougeâtre aux lèvres. Tombé là, semblait-il, du haut de son lit voisin, dont les couvertures froissées, défaites, attestaient que le châtelain, quelques instants auparavant, dormait encore ; dans l’horrible odeur du gaz.

***

– Charles. Mon frère.

On avait éteint les lumières du grand salon qui se peuplait d’ombres fantastiques aux reflets tremblotants d’une bougie posée sur une table et agitée par les courants d’air. Antoinette de Tergall se dressait, secouée de tressaillements nerveux, face au juge d’instruction.

Après la découverte du drame, après la certitude acquise que Maxime de Tergall était mort, bien mort, asphyxié pendant son sommeil par le gaz d’éclairage s’échappant du poêle mystérieusement éteint, les invités s’étaient hâtés de se retirer, prétextant à qui mieux mieux le souci « de ne pas gêner », de ne pas « être indiscret », fuyant en réalité l’horreur des minutes qu’on allait vivre au château des Loges.

Seul était resté, victime du devoir professionnel, Charles Pradier, le juge d’instruction, dont le calme, la tranquille assurance, avaient fait l’admiration universelle.

Dès que le corps du malheureux marquis de Tergall eut été étendu sur un lit, entouré de cierges, dressé en un autel improvisé, le juge d’instruction s’était empressé :

– Reposez-vous, je vous en prie, avait-il murmuré à l’oreille de celle qui le considérait comme son frère.

Plus bas, Fantômas avait ajouté :

– Venez, j’ai à vous parler.

Et dans le grand salon où ils étaient descendus, une scène horrible, tragique, où toute la duplicité froide de Fantômas se donnait libre cours, éclata.

– Charles, mon frère, que voulez-vous me dire ?

Fantômas affectait de se taire quelques instants, puis lentement déclara :

– Antoinette, je voulais vous dire que j’ai peur.

– Peur de quoi ? Peur ? Pourquoi ? Qu’imaginez-vous ? Que croyez-vous ?

Fantômas se tut encore. Il sembla vouloir parler. Ses lèvres s’agitaient.

– Mon Dieu ! votre silence est une cruauté ! mon frère. Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Qu’avez-vous ?

Pradier, lentement :

– Je n’ai rien. Non. Si. J’ai peur.

Il se croisa les bras, il sembla prononcer des phrases sans suite :

– Vous n’aimiez pas votre mari, Antoinette ? Vous m’avez dit qu’il avait une maîtresse ? oh j’ai peur, j’ai peur. Et dire que c’est moi, moi Charles Pradier, moi, votre frère, moi, qui suis juge d’instruction à Saint-Calais, qui devrais me charger de cette affaire. Antoinette, avez-vous songé à cela ?

– Sans doute. Mais je ne vois pas.

– Vous y avez pensé, malheureuse ? Vous l’avouez ? Vous vous êtes donc dit qu’étant juge d’instruction, je saurais fermer les yeux ? ne pas voir ? ne pas comprendre ? ne pas trouver l’assassin de votre mari ? Ah ma sœur, mais vous ne savez donc pas que mon devoir m’oblige maintenant à me dessaisir de cette instruction ? C’est mon beau-frère qui vient d’être assassiné, et assassiné par qui ? par ah… je ne peux pas le dire. Je ne peux pas.

– Vous êtes fou, cria Antoinette. Vous ne croyez pourtant pas que c’est moi qui ai tourné le compteur, qui ai éteint le poêle, qui ai asphyxié mon mari ? Vous ne pouvez pas croire cela ? dites ? dites ?

D’une voix accablée, Fantômas répondit :

– Qui ajouterait foi à vos dénégations, Antoinette ? Qui donc, instruisant cette affaire, ne conclurait pas comme moi, sachant ce que je sais.

– Je vous dis que c’est monstrueux. Que ce n’est pas moi. Que je n’y suis pour rien.

Implacable, Fantômas répliqua :

– Il faut que je me dessaisisse de l’instruction, et si je me dessaisis vous êtes perdue.

Il répétait lentement :

– Vous êtes perdue, perdue d’avance.

Alors Antoinette de Tergall s’affola.

Dans un éclair de pensée, sous le coup de l’émotion nerveuse où elle se trouvait encore, elle vit comme en un rêve toutes les menaces qui s’accumulaient contre elle. Elle vit que personne ne pouvait être soupçonné d’avoir tué Maxime de Tergall, sauf elle. Elle vit qu’elle ne pouvait même convaincre son frère de son innocence. Fantômas, quelques minutes auparavant, jouait une sinistre comédie quand il disait qu’il avait peur mais Antoinette de Tergall, elle, connut en un instant l’abîme insondable du désespoir.

Réellement, elle se vit perdue.

– Pitié, cria-t-elle, il ne faut pas qu’on puisse croire une chose pareille. Charles, nul ne sait que vous êtes mon frère, nul ne s’en doute. Ah, je vous en conjure, pitié ; ne vous dessaisissez pas de l’instruction. Vous, vous ne pouvez pas me condamner. Pitié, pitié pour votre sœur.

Charles Pradier se promenait lentement de long en large dans le salon. Fantômas, qui, dans le secret de sa conscience, se félicitait de la torture qu’il infligeait à la malheureuse marquise, affectait d’être bouleversé.

– Vous demandez pitié, dit-il, je ne devrais pas vous entendre. Je suis juge. Mon devoir de juge devrait m’empêcher de vous céder.

– Vous êtes juge, mais vous êtes mon frère aussi.

D’une voix brisée, Fantômas répondit :

– Oui, je suis votre frère. Et cela est horrible. Je suis votre frère.

Il ajouta d’une voix presque indistincte :

– C’est donc votre frère qui aura pitié de vous. Sachez vous taire. Je ne dirai rien. Je vous sauverai. Non, n’ajoutez pas un mot, Antoinette, je ne veux rien savoir. Rien. Si ce n’est que vous êtes ma sœur.


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