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le collier sacré de Montézuma
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 20:33

Текст книги "le collier sacré de Montézuma"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Vidal-Pellicorne démarra mais dut s’arrêter quelques mètres plus loin : la sortie était bouchée par une autre voiture devant laquelle patientaient Jacques Mathieu et sa jeune collègue. Immédiatement Adalbert prit feu :

– Auriez-vous l’obligeance de nous laisser passer ? On a déjà suffisamment d’ennuis sans que la presse s’en mêle ! Allez, ouste !

– Ne vous fâchez pas, Monsieur Vidal-Pellicorne ! Nous ne sommes que deux !

– Mais vous êtes aussi encombrants que si vous étiez cinquante…

– Au fait, dit Morosini, qu’avez-vous fait de vos collègues ? Vous étiez plus nombreux devant l’église ?

– On nous a proprement renvoyés dans nos foyers et nous avons obtempéré… mais ayant déjà eu l’honneur de vous fréquenter l’an passé, je vous ai suivi d’autant plus facilement que je connaissais l’adresse privée de M. Vauxbrun ! À propos, je vous présente Stéphanie Audoin, ma stagiaire.

Morosini ne put s’empêcher de sourire à ce frais visage qui, avec ses cheveux blonds ébouriffés sous un béret bleu, lui rappelait Nelly Parker, la petite journaliste du New Yorkerqui lui collait aux basques mais qui, cependant, lui avait sauvé la vie :

– Content de vous connaître, Mademoiselle, et je vous souhaite une belle carrière… mais, dans l’état actuel des choses, je ne vois pas ce que nous pourrions vous apprendre.

– Toujours pas de nouvelles de M. Vauxbrun ? demanda Mathieu.

– Aucune. C’est incompréhensible !

– Il doit tout de même bien y avoir une explication, logique ou pas ?… Et, est-ce vrai que les Mexicains ont emménagé ici ?

– Eh oui, étant légalement mariée, Mme Vauxbrun en a entièrement le droit et il est naturel que ses parents souhaitent l’entourer.

– Hum !… C’est pas un peu rapide, cette histoire ? Ils auraient pu attendre avant de faire de l’occupation. On n’est pas si mal au Ritz ! Et que devient la jeune mariée en ce moment ?

– Elle mange ! lança Adalbert. Et si vous consentiez à nous laisser partir on serait contents d’en faire autant.

– Elle mange ? reprit Stéphanie. Et ça vous paraît normal ?

– Rien n’est normal dans cette histoire, Mademoiselle, et si vous voulez le fond de ma pensée, je trouve indécente cette hâte à envahir une demeure pleine de meubles et d’objets plus précieux les uns que les autres.

Ce n’était que trop vrai ! Spécialisé dans le XVIIIe siècle français, Gilles Vauxbrun, nanti d’une confortable fortune, ne revendait pas, tant s’en fallait, toutes ses trouvailles. Il était ainsi entré en possession de plusieurs meubles aux signatures prestigieuses en provenance de Versailles ou des Trianon, avait décoré son hôtel du faubourg Saint-Germain avec un goût sans défaut. Marie-Antoinette, Louis XV le raffiné ou la Pompadour s’y fussent sentis chez eux sans peine.

– Il va falloir éclaircir ce mystère ! dit Mathieu. On vous trouve où, prince ? Chez M. Vidal-Pellicorne ou chez Mme de Sommières ?

– Chez Mme de Sommières… Et si vous pouviez en savoir un peu plus sur la famille de Doña Isabel, je vous en serais infiniment reconnaissant parce que, moi, je ne sais rien !

– Vraiment rien ?

– À part que M. Vauxbrun les a rencontrés à Biarritz, absolument rien ! Cela dit, j’ai l’impression qu’il faudrait que vous songiez à dégager ! Voilà un arrivage !

En effet, deux taxis encombrés de bagages venaient de s’arrêter dans la visible intention de pénétrer dans la cour.

– On y va ! cria Mathieu en sautant dans sa voiture.

Il démarra. Adalbert embraya à sa suite mais stoppa quelques mètres plus loin pour observer l’entrée des arrivants. La silhouette arrogante de Miguel Olmedo occupait le premier véhicule, puis le cortège disparut. Derrière eux, le concierge referma le portail de l’hôtel.

Aldo avait beau savoir que c’était seulement momentané, il éprouva un bizarre pincement au cœur : le sentiment d’être définitivement retranché de son plus vieil ami, celui qui lui avait mis le pied à l’étrier lorsque, à son retour de la guerre, il avait décidé de transformer son palais vénitien en magasin d’antiquités. Et c’était douloureux…


2

DANS LE BROUILLARD…

– Pouvez-vous m’en dire davantage ?

Tandis que les invités de Mme de Sommières prenaient congé de leur hôtesse, Aldo avait emmené Mr Bailey dans le petit salon spiritualisé par deux bibliothèques d’ébène où il avait demandé qu’on leur apporte un supplément de café et une fine Napoléon dont il savait l’Anglais friand… Il fallait voir avec quelle sollicitude il chauffait entre ses mains le ballon de cristal.

– Davantage sur quoi ?

– Sur tout ! fit Morosini avec un geste d’impuissance. Et d’abord sur ce mariage dont je ne sais strictement rien. En dehors de sa lettre d’invitation reçue il y a environ un mois, je n’ai pu obtenir aucune explication. C’est à peine si nous avons échangé trois paroles en gare de Lyon et à la mairie ! Gilles ne se ressemblait plus. Il était une sorte de litanie vivante à la beauté intangible de sa fiancée et à l’exception des hautes vertus de la demoiselle, tout ce qu’il a consenti à m’apprendre est qu’il l’a rencontrée à Biarritz… et aussi qu’il a acheté un château ! C’est maigre, non ?

Le vieil Anglais reposa son verre, toussota et, les coudes appuyés sur les bras de son fauteuil, joignit les bouts de ses doigts tandis que ses traits distingués s’accordaient un semblant de grimace, comme s’il venait d’absorber une potion amère. Ce qui n’était évidemment pas le cas.

– Si, soupira-t-il. Et vous me voyez terriblement embarrassé parce que je crains de vous décevoir. Je n’en sais pas beaucoup plus que vous… sinon qu’à l’automne dernier M. Vauxbrun s’est rendu là-bas à l’occasion de la vente d’un domaine, qu’au lieu de deux ou trois jours il y est resté trois semaines, qu’à son retour il ne s’était pas contenté d’acheter une ou plusieurs « pièces » mais le château entier, qu’il allait se marier sous peu… et qu’il n’était plus le même homme…

– Pouvez-vous expliquer ?

– On aurait dit qu’il avait vu je ne sais quelle lumière. Saint Paul arrivant à Damas devait avoir ce genre de physionomie...

– Après sa rencontre sur le chemin, saint Paul était aveugle et l’est resté quelques jours, corrigea doucement Aldo.

– M. Vauxbrun avait dépassé ce stade-là. Il rayonnait positivement mais ne s’occupait plus guère de ses affaires. Quand il n’était pas au téléphone, il écrivait de longues… je dirais même d’interminables lettres à sa fiancée. Ou encore, il écumait les magasins à la recherche de jolies choses à lui offrir. Chères de préférence ! Et je ne peux vous cacher plus longtemps que je suis inquiet.

– Ses affaires en souffrent ?

– Pas vraiment. Quand un client important se présentait, il savait toujours s’en occuper. Ce n’est qu’à ces seuls moments qu’il redevenait ce qu’il était. Pour le reste, je suffis amplement. En outre, nous disposons d’une réserve considérable… mais j’avoue que je serais plus heureux si cette folie d’achats se calmait au moins un peu !

– Où était prévu le voyage de noces ?

– En Méditerranée. On a loué un yacht qui attend dans le port de Monte-Carlo…

– Peste ! émit Morosini après un petit sifflement. Il épouserait une princesse royale qu’il ne se conduirait pas autrement !

– C’en est une pour lui. Une infante !…

– Mais peut-être désargentée ? Si j’ai bien compris, il n’y a pas eu de contrat de mariage : ce qui signifie pas de dot !

– Assurément, mais la fortune de la famille – si fortune il y a –, c’est la grand-mère qui la posséderait. Elle consisterait surtout en terres dans je ne sais plus quelle province. Une de ces haciendas vastes comme des États. L’oncle Pedro serait, lui aussi, en possession de biens dont hériterait son fils…

– Autrement dit, Isabel a ce que l’on appelle des « espérances » mais, dans la circonstance, j’espère que ces Crésus ont fait l’effort élémentaire d’un beau cadeau ?

Richard Bailey regarda Morosini d’un œil à la fois curieux et ironique :

– Vous n’avez pas l’air d’y croire beaucoup, à ces richesses ?

– Disons que j’ai des doutes. Je trouve bizarre que des gens aussi riches se hâtent de quitter leur hôtel pour s’installer chez un homme qui est sans doute leur petit gendre, leur neveu et leur cousin aux yeux de la loi française mais ne leur est rien devant Dieu. Et j’ai toujours entendu dire que, pour les peuples hispaniques, c’était le plus important. Ils devaient garder la maison pendant le voyage, comme si les domestiques de Vauxbrun n’y suffisaient pas…

– De toute façon, émit Adalbert qui venait d’entrer dans le salon depuis un moment et avait donc entendu, je crois qu’il est plus que temps d’en référer à la police ! Comme tu le dis si justement, tout cela est pour le moins bizarre…

– On y va de ce pas ! conclut Aldo en se levant.

– Essaye de prendre le temps de te changer ! conseilla Mme de Sommières, qui venait d’arriver. Et vous aussi, Adalbert ! Je vous vois mal débarquant quai des Orfèvres en jaquette et chapeau haut de forme !

Le commissaire divisionnaire Langlois était sans doute l’homme le plus élégant de toutes les polices de France, même si, depuis un sérieux accident d’auto, il usait d’une canne à pommeau d’écaille qu’il réussissait à convertir en accessoire de mode tant il en jouait avec naturel. Grand, mince, le cheveu poivre et sel, le regard gris, c’était un cerveau et aussi un fidèle serviteur d’une loi dont il lui arrivait parfois d’arrondir un peu les angles quand sa stricte application lui semblait injuste. Au fil des années, il était devenu pour Morosini et Vidal-Pellicorne un véritable ami, même s’il lui arrivait d’observer d’un œil prudent mais toujours intéressé les activités des deux compères.

Quand un planton les introduisit dans son bureau, il les accueillit d’un :

– Ne perdez pas de temps à m’expliquer ce qui vous amène ! Je le sais. M. Vauxbrun a disparu.

– Comment est-ce possible ? demanda Morosini en lui serrant la main.

– Les journaux n’ont encore rien imprimé ? fit Adalbert, même jeu.

– Pour un événement mondain de cette importance qui déplace en général des personnalités et par conséquent un certain nombre de parures tentatrices, j’ai l’habitude d’envoyer un ou deux observateurs discrets. C’était d’autant plus le cas, aujourd’hui, qu’il s’agit d’un de vos amis et que vous étiez présents.

– Vous nous considérez comme à ce point dangereux ?

Le commissaire eut un demi-sourire :

– Vous personnellement, non, mais ce qui est curieux c’est votre étrange faculté à attirer les histoires sombres, compliquées, voire les catastrophes.

– Si catastrophe il y a, c’est bien Vauxbrun qui, cette fois, s’en est chargé. Ce mariage tellement disproportionné, si dissemblable ! Enfin, ce n’est pas le moment d’ergoter et, puisque vous êtes au courant : avez-vous des nouvelles, commissaire ?

Langlois n’eut pas le loisir de répondre. Un coup bref, frappé à sa porte aussitôt ouverte, et un jeune homme d’environ vingt-cinq ans faisait irruption en claironnant :

– Cela se confirme ! C’est effectivement un enlèvement ! Il a eu lieu rue de Poitiers et…

Constatant la présence de visiteurs il s’interrompit net :

– Oh pardon ! Je ne savais pas…

– Vous ne pouviez pas savoir. Inspecteur Lecoq, Messieurs ! Il était ce matin à Sainte-Clotilde. Lecoq, voici le prince Morosini et M. Vidal-Pellicorne que vous avez dû remarquer à l’église. À présent, parlez !

– C’est le même processus que pour le général Koutiepov (2)l’an passé, à cette différence près que c’est le contraire.

– Si vous essayiez d’être clair ? soupira Langlois.

L’inspecteur Lecoq possédait encore la juvénile faculté de rougir mais ne se troubla pas :

– C’est juste pour renforcer l’impression, Monsieur ! Le général, donc, était à pied et une voiture s’est arrêtée le temps de l’y jeter. Là, M. Vauxbrun était en voiture. Trois hommes qui bavardaient sur le trottoir lui ont barré le chemin, ont assommé le chauffeur, dont l’un d’eux a pris la place, pendant que les autres maîtrisaient la victime…

– Vous avez de ces mots ! ronchonna Adalbert – ce qui lui valut un regard sévère du jeune policier :

– Quand on enlève quelqu’un, c’est rarement pour l’emmener au bal ! (Puis, revenant à son chef :) Le concierge du 5 balayait devant sa porte. Il a pu enregistrer la marque de la voiture mais n’a pas pensé au numéro !

– C’est sans importance puisqu’il s’agit d’une voiture de grande remise. Il suffira d’appeler le garage de la location mais il probable qu’on la retrouvera abandonnée quelque part. Faites le nécessaire pour que les patrouilles soient averties ! Dans tous les commissariats de Paris et de banlieue !

Lecoq sortit avec un regret si visible qu’il amusa Langlois :

– C’est un excellent élément mais il a encore besoin d’être tenu en bride. Revenons à ce qui nous occupe ! Que pouvez-vous m’apprendre ?

– Pas grand-chose sinon qu’à peine sortis de l’église, la mariée et les siens se sont installés rue de Lille.

– Quoi ? Tout de suite ?

– Ils n’ont même pas dû prendre le temps de respirer. Tandis que le beau cousin Miguel galopait au Ritz régler la note et récupérer les bagages, le reste de la famille déjeunait confortablement, lâcha Aldo, rancunier. Ils sont peut-être dans leur droit mais côté élégance j’ai déjà vu mieux !

– Moi aussi, mais c’est peut-être de bonne guerre. Sans leur présence, je vous connais suffisamment pour savoir que vous auriez passé l’hôtel au peigne fin.

– Sans aucun doute. Malheureusement, on s’est dépêché de nous faire comprendre que nous étions indésirables. Une attitude, convenez-en, étrange… à moins que ces gens ne soient impliqués dans l’enlèvement de Vauxbrun ?

L’idée venait de lui traverser l’esprit, et elle lui semblait si énorme qu’il pensa une seconde s’en excuser. Déjà Adalbert prenait le relais :

– Ce qui expliquerait bien des choses. Tu pourrais avoir raison…

– Un instant, voulez-vous ? fit Langlois sur le mode apaisant. N’importe comment, on ne saurait refuser de répondre aux questions de la police judiciaire comme cela a été le cas pour vous. Vous avez porté plainte ; désormais l’enquête est lancée et c’est à moi et à mes hommes de jouer. Je vais rue de Lille dès maintenant avec une commission rogatoire. Je vous tiendrai au courant… En attendant, essayez de ne pas trop vous tourmenter ! ajouta-t-il plus doucement. Je passerai ce soir chez Mme de Sommières… Ah, pendant que j’y pense : savez-vous qui est le notaire de votre ami ?

– Maître Pierre Baud, boulevard Latour-Maubourg mais je ne me souviens plus du numéro. Peut-être le 7.

– Vous ne le connaissez pas personnellement ?

– Non… Puis-je demander pourquoi vous voulez le voir ? Gilles n’est pas encore…

Il n’alla pas plus loin, reculant devant le terme comme Adalbert renâclait tout à l’heure devant le mot victime.

– Un peu de calme ! Je veux seulement savoir si votre ami a changé son testament depuis… mettons six mois.

Ce fut avec soulagement qu’Aldo retrouva la rue Alfred-de-Vigny et l’atmosphère si particulière qu’y entretenaient Tante Amélie, Marie-Angéline, et leurs vieux serviteurs sur lesquels régnaient Cyprien, l’admirable maître d’hôtel, et la fabuleuse Eulalie, cordon-bleu susceptible, voire atrabilaire, que la moindre seconde de retard dans la dégustation de ses soufflés mettait hors d’elle. Il y avait là un vrai foyer, aussi chaleureux que celui de son palais vénitien, et une manière de QG de campagne grâce aux innombrables relations de la marquise et aux talents aussi multiples que protéiformes de Plan-Crépin, descendante de croisés aventureux et lectrice inconditionnelle de sir Conan Doyle et de son inimitable Sherlock Holmes. En outre, Vidal-Pellicorne habitait rue Jouffroy, de l’autre côté du parc Monceau, et y venait en voisin.

Comme d’habitude, les deux hommes trouvèrent Mme de Sommières et sa « suivante » dans le joli jardin d’hiver où la marquise se tenait l’après-midi, au milieu d’un fouillis de plantes plus ou moins fleuries, de meubles en rotin laqué blanc et garnis de coussins en chintz aux couleurs tendres, le tout englobé par une vaste cage de vitraux à sujets japonais représentant la cueillette du thé, des bouquets de roseaux et quelques geishas coiffées de ce qui semblait être d’énormes pelotes de laine noire piquées d’aiguilles à tricoter de couleurs variées. La vieille dame y occupait une sorte de trône en rotin dont le haut dossier en éventail lui conférait une aura blanche du plus bel effet. Elle y dictait son abondant courrier, y recevait ses intimes et, à partir de cinq heures, se faisait servir une ou deux coupes de champagne destinées à remplacer  le fiveo’ clock teamis à la mode par les Anglais et qu’elle traitait de « tisane infâme ».

Elle en était là quand les deux hommes la rejoignirent. Assise devant une petite table, Marie-Angéline faisait une réussite. Elles levèrent la tête à l’unisson.

– Alors ? interrogèrent-elles d’une seule voix.

– C’est bel et bien un enlèvement ! soupira Morosini en se laissant tomber sur une chaise. Un concierge de la rue de Poitiers a vu des hommes arrêter la voiture de Gilles, monter dedans sous la menace d’armes et disparaître après l’avoir neutralisé, ainsi que son chauffeur.

– Seigneur ! s’écria Marie-Angéline en jetant ses cartes. Cela ressemble aux affaires Koutiepov et Miller !

– Vous devriez rencontrer l’inspecteur Lecoq, le bras droit de Langlois, grogna Aldo. Il a eu la même idée. Encore qu’il admette que c’est le contraire ! Merci, ajouta-t-il en refusant la coupe qu’on lui offrait. Un bon café ou un chocolat bien chaud feraient mieux mon affaire : je suis gelé !

– Exécutez, Plan-Crépin ! intima la marquise. Et vous, Adalbert ?

– Ayant aussi froid, j’opterai pour le chocolat ! Cela dit, on en vient à se demander si la nouvelle famille de Vauxbrun n’aurait pas fait ses classes chez les Soviets !

– Et toi, Aldo ? Tu partages cet avis que ces gens si parfaitement distingués encore que peu aimables puissent y être mêlés ? J’ai peine à le croire. Je pencherais plutôt pour un rival ! La jeune Isabel est trop séduisante pour ne pas traîner à sa suite une cohorte d’amoureux – un suffirait, d’ailleurs ! – outrés de se voir préférer un presque quinquagénaire en voie de défoliation mais fort riche. Un parfait galant homme au demeurant ! ajouta-t-elle en voyant se froncer le sourcil de son neveu.

– C’est possible, admit celui-ci. Et même probable mais, en ce cas, pourquoi avoir attendu que le mariage civil ait eu lieu ?

– Parce qu’on peut être amoureux fou… et fauché comme les blés. Je ne t’apprendrai pas la piété extrême des Mexicains. Le mariage religieux célébré, tout espoir s’écroulait. À moins de recourir au crime et de faire une Mme veuve Vauxbrun.

– J’espère qu’elle ne l’est pas déjà, soupira Aldo qui ne parvenait pas à éliminer l’angoisse qui s’était emparée de lui depuis que Lecoq avait annoncé le rapt.

C’était comme si un voile noir lui était tombé dessus, dont il n’arrivait pas à se dépêtrer. Marie-Angéline, ayant effectué l’aller et retour à la cuisine et revenant avec les chocolats demandés, en fit la remarque :

– N’exagérez pas, Aldo ! Je refuse de croire que la situation soit si dramatique. Il suffit de voir les faits plus calmement.

– Et vous les voyez comment, Plan-Crépin ? intervint Mme de Sommières, une lueur ironique dans son œil vert.

– Voilà ! Je pense qu’en avançant l’hypothèse d’un amoureux désespéré… ou peut-être un peu trop malin, nous avons eu une excellente idée, dit-elle avec un sourire approbateur pour celle à qui elle ne s’adressait jamais qu’en employant le pluriel de majesté. Et moi je vois les choses ainsi : un jeune homme pauvre mais follement amoureux est réduit au désespoir par ce mariage. Mariage qui a sans doute été imposé à Isabel par une famille moins fortunée que nous ne l’imaginons…

– Pourquoi « sans doute » ? interrogea Adalbert.

– Il suffisait de l’observer ce matin dans l’église. Vous avez le sentiment qu’elle rayonnait de bonheur ? Elle semblait absente. On l’aurait menée au marché qu’elle aurait rayonné davantage. Je n’ai pas assisté au mariage civil mais Aldo y était et je voudrais savoir quelle mine elle arborait ?

– La même que ce matin. Les yeux obstinément baissés tant qu’a duré ce que l’on peut difficilement appeler une cérémonie…

– Là ! J’en était sûre ! Essayez d’oublier que Gilles Vauxbrun est un ami cher et voyez les choses froidement ! Il a de l’allure, il n’est pas laid, il est aimable, cultivé, élégant, tout ce que vous voudrez mais il approche de la cinquantaine ! Ce n’est plus un jeune éphèbe, ni, en dépit de sa fortune, le prince charmant à qui une jouvencelle peut accrocher ses rêves…

Adalbert ne put s’empêcher de rire, avec un coup d’œil à son ami :

– Ça fait toujours plaisir à entendre !

– N’essayez pas de m’embrouiller ! En cette matière, chaque cas est particulier et aucun homme ne ressemble à un autre ! Où en étais-je ?

– Toujours au même point ! émit Mme de Sommières. Un grand amour contrarié ! En passant, je me demande si vous ne lisez pas en cachette les Veillées des chaumièreset les romans roses de Delly. Mais poursuivez !

– Cela coule de source. Afin de rendre à sa belle la fortune que les siens n’ont plus, on laisse la parole à M. le maire mais on évite soigneusement M. le curé en escamotant le fiancé.

La voix brève d’Aldo l’interrompit de nouveau :

– Pour en faire quoi ?

– Les hypothèses sont nombreuses : l’embarquer sur un bateau pour une destination lointaine dans le style Koutiepov… l’emmener au fond d’une province reculée…

– Il n’y a pas de provinces reculées chez nous ! grogna la marquise. Et on n’est plus au Moyen Âge. Donc renoncez aux bonnes vieilles oubliettes !

– Je jurerais bien qu’il en existe toujours ! Il y a aussi la maison de fous…

Aldo se leva, visiblement agacé, et fit quelques pas :

– … grâce à un aliéniste véreux acheté à prix d’or par un garçon sans ressources ? Je vous ai connue plus logique, Angelina ! Que vous le vouliez ou non, il faut en venir au tombeau ! Certes, en l’« absence » de son époux légal, Isabel peut jouir de ses biens, mais pour qu’elle hérite il faut en passer par là et surtout que l’on retrouve le corps. Sinon, pas d’héritage ! Cela dit, j’espère que vous admettrez que la conduite de ces gens pressés d’occuper l’hôtel de Gilles n’a rien de normal !

– On pourrait pourtant la voir ainsi.

– Ah, vous trouvez ?

– Mais oui, si l’on considère qu’ils ne sont pas riches. Le Mexique actuel, allant de révolution en révolution, n’est guère propice aux grandes fortunes et en a ruiné plus d’une. Or, le Ritz coûte cher. En outre, ajouta-t-elle en opposant une main à la riposte qu’elle sentait venir, un palace, même nanti du personnel le plus discret qui soit, même si les journalistes n’y sont guère admis, n’en reste pas moins un lieu public. Donc pas l’endroit rêvé pour une jeune fille dont on a annoncé les épousailles à son de trompe et qui vient de se faire plaquer par son fiancé en face d’une église pleine de gens du monde. Chez M. Vauxbrun, il est beaucoup plus facile de la protéger !

– Ça tient debout ! admit Adalbert, songeur.

– Évidemment que ça tient debout ! Pour parler de cette famille, vous n’avez à la bouche qu’un seul terme « ces gens » ! La noblesse mexicaine est peut-être plus espagnole que la vraie dont elle descend. Elle est aussi valable que la nôtre ! Nous devons les respecter !

– Peut-être mais la réciproque me plairait assez ! Ils ne sont même pas polis !

– Dans ce genre de situation, c’est presque naturel : ils doivent se sentir tellement humiliés !

– Ils n’en avaient pas vraiment l’air ! glissa Adalbert. Quelle morgue !

Mais Marie-Angéline tenait à son idée :

– Un rideau de fumée ! Un paravent pour cacher la honte ! La vieille dame et l’oncle s’en sont fait une cuirasse… seulement je peux vous assurer que j’ai vu de la douleur dans le regard de ce charmant Don Miguel !

Ayant dit, au lieu de sonner Cyprien pour qu’il enlève les tasses, elle s’empara du plateau et disparut en direction de la cuisine, suivie du regard effaré des trois autres.

– Ce… charmant ? répéta Vidal-Pellicorne.

Aldo lui ne dit rien, mais Mme de Sommières soupira :

– Eh bien ! Il ne nous manquait plus que cela !…

Le dîner fut anormalement silencieux. Sensible à la tension apportée par le surprenant plaidoyer de Marie-Angéline, Adalbert avait regagné les eaux paisibles de son domicile où Théobald, son valet de chambre-cuisinier-maître d’hôtel et homme à tout faire, s’entendait à entretenir le calme, l’ordre et la sérénité nécessaires au développement harmonieux des grandes idées, sans dédaigner pour autant les coups tordus. Bien qu’Adalbert fît pratiquement partie de la famille, il avait jugé plus convenable de laisser celle-ci traiter sans lui des états d’âme de la chère vieille fille.

En fait, on ne traita de rien. Avant de passer à table, Aldo s’était rendu chez Jules, le « portier » de la marquise, afin de demander qu’on lui appelle Venise au téléphone. Cet engin, en effet, n’avait pas droit de cité dans les appartements de Tante Amélie, toujours hostile à une sonnerie d’appel qui lui donnait l’impression d’être une domestique dans sa propre demeure. Le délai d’attente étant d’environ trois heures, il avait largement le temps de dîner.

S’il avait été moins soucieux, il se fût amusé sans doute de la mine lointaine arborée par Plan-Crépin. Entre le potage et le vol-au-vent, elle laissa son regard s’évader dans les ruines de Rome, peintes par Hubert Robert, qui décoraient en face d’elle le mur de la salle à manger, suspendues au-dessus de la tête d’Aldo, s’y tint fermement accrochée jusqu’à ce que Cyprien apporte le chef-d’œuvre de pâte feuilletée renfermant des ris de veau, des truffes et toutes sortes de choses délicieuses qu’elle aimait particulièrement. Sa mélancolie n’y résista pas et elle concentra son attention sur son assiette, accepta un léger supplément qu’elle absorba avec le même appétit, reposa son couvert selon l’angle réglementaire, essuya ses lèvres, vida son verre de chablis et rejoignit les ruines de Rome et le XVIIIe siècle. Elle en revint pour apprécier à leur valeur quelques feuilles de laitue accompagnant un brie de Meaux juste à point que – Dieu sait pourquoi ? – elle assaisonna de deux soupirs.

Elle allait retourner dans ses nuages quand, dans ce silence quasi religieux, la voix de la marquise s’éleva :

– Si tu veux allumer une cigarette, Aldo, je t’accorde volontiers la permission ! Tu n’as presque rien mangé et ça calme les nerfs ! Pendant que tu y es, tu devrais m’en donner une !

Un tel manquement au savoir-vivre saisit Plan-Crépin en plein vol. Avec un hoquet d’horreur, elle se tourna vers la marquise :

– Nous voulons… fumer ? Et à table ?… J’ai dû mal entendre ?

Elle fut obligée de se rendre à la réalité : « nous » étions bel et bien en train d’allumer le mince rouleau de tabac à la flamme surgie au poing d’Aldo. Mme de Sommières tira une voluptueuse bouffée, plissa les yeux :

– Je ne pensais pas que vous puissiez saisir quoi que ce soit de nos bruits terrestres. Depuis le début du repas, vous me faites penser à Jeanne d’Arc sous son chêne – au fait était-ce bien un chêne ? Je dois confondre avec saint Louis mais peu importe ! Il n’y manquait que les moutons !

Prise au dépourvu, Marie-Angéline ouvrit la bouche pour dire quelque chose et la referma : Aldo se levait, jetait sa serviette avec un « Excusez-moi » ! » et sortait en courant. Il venait d’entendre la sonnerie lointaine du téléphone et se précipitait chez le concierge. La communication avec Venise était établie et Lisa était au bout du fil. Entendre sa voix rasséréna son époux :

– On dirait que tu vas mieux !

– Oui. Licci m’a fait avaler je ne sais quelle mixture de sa composition qui m’a ressuscitée. Si ce n’était pas si loin, j’aurais pu venir te rejoindre pour la soirée du mariage. Ça se passe bien ?

– Pas vraiment. Il n’y a pas eu de mariage. Gilles a disparu avant la cérémonie religieuse.

La voix venue de Venise se chargea de stupeur :

– Tu plaisantes ?

– Je t’assure que je n’en ai pas la moindre envie !

Et il raconta ce qui s’était passé depuis son arrivée à Paris, sans oublier l’entrevue avec Langlois que Lisa connaissait. Récit ponctué de brèves onomatopées émises par la jeune femme mais qui tourna court. Au moment où elle allait donner son sentiment, la communication fut coupée sans espoir de retour. Cela arrivait souvent pour les communications longue distance.

Aldo raccrocha, souhaita une bonne nuit à Jules et regagna la salle à manger où Mme de Sommières achevait sa cigarette au-dessus d’une mousse au chocolat à laquelle elle n’avait pas touché. C’était elle à présent qui jouait les « princesses lointaines », tandis que Marie-Angéline finissait sa seconde part.

– Alors ? demanda-t-elle.

– Lisa est guérie et je lui ai raconté notre journée mais j’ignore ce qu’elle en pense : on nous a coupés et comme il n’y a guère de chances de pouvoir reprendre la conversation ce soir…

– Tu ne veux pas de dessert ?

– Merci. Avec votre permission, je sors me dégourdir les jambes…

– Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors.

– Aucune importance ! J’irai boire un verre chez Adalbert.

Elle lui tapota la joue quand il se pencha pour l’embrasser :

– Je ne peux pas te donner tort. Il y a des moments où une conversation trop brillante et trop animée, comme la nôtre ce soir, devient insoutenable ! On ressent le besoin d’un peu d’air ! Mais pense tout de même à dormir !

– Je ne crois pas que j’y arriverai.

– Essaie Nietzsche ! C’est souverain pour les insomnies !

Le jour qui se leva était légèrement moins froid mais aussi gris et déprimant que la veille. Pourtant, l’hôtel de Sommières semblait avoir retrouvé son climat normal. C’est du moins ce qui ressortit du rapport de Cyprien quand, vers la demie de huit heures, il apporta son petit déjeuner à Aldo. Selon lui, Mlle du Plan-Crépin semblait redevenue tout à fait elle-même :

– La messe de six heures à Saint-Augustin a toujours eu sur elle un pouvoir réconfortant. Ce matin, elle m’a dit bonjour avec une sorte de… comment dirais-je ?… d’enjouement, et quand j’ai porté le plateau de Mme la marquise, elles causaient comme d’habitude !

– Allons ! Tant mieux !

En fait, les états d’âme de Marie-Angéline importaient peu à Aldo. Qu’elle fût tombée amoureuse, sur un seul regard, d’un garçon appartenant à une famille antipathique avec laquelle il y avait gros à parier que l’on n’aurait guère de relations ne présentait pas plus d’intérêt que si elle s’était éprise d’une vedette de cinéma comme la vieille gamine qu’elle était restée. Même à un certain âge, une fille a besoin d’accrocher ses rêves à un objet le plus souvent inaccessible et c’est ce qui en fait le charme. Avec une star, la fréquentation assidue des salles obscures procure des moments d’extase. Avec le jeune Miguel Olmedo de Quiroga, Plan-Crépin, possédant un joli coup de crayon et de pinceau et dont la mémoire enregistrait les visages plus sûrement que celle d’un physionomiste, s’en tirerait en faisant le portrait de son héros auquel, dans le silence de sa chambre, elle pourrait rendre tous les cultes qu’il lui plairait. Et là-dessus, Aldo estima que la question était entendue et qu’il avait d’autres chats à fouetter…


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