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le collier sacré de Montézuma
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 20:33

Текст книги "le collier sacré de Montézuma"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Eh non ! ragea-t-il. Voilà des jours que je la promène dans tous les restaurants élégants et j’attends encore son invitation. Qui n’est pas près de venir, à mon avis.

– Pourquoi ?

– Elle prétexte que la bienséance s’oppose à ce qu’elle reçoive un homme seul tant que sa fille est à la clinique. Et la délicieuse Agathe ne souhaite pas en sortir de sitôt afin d’être à l’abri des voies de fait du baron Waldhaus. Idempour les réceptions. D’autre part, ne connaissant pas la configuration intérieure de la Villa Amanda, je me vois mal m’y introduire. Surtout sans protection extérieure, et Aldo est à Paris… Alors je tourne en rond !

– Adalbert, mon ami, vous êtes un âne ! affirma soudain Plan-Crépin après avoir siroté son vin jusqu’à la dernière goutte avec une évidente satisfaction.

– Oh, s’insurgea sa patronne. Vous perdez la tête, ma parole ? Comment osez-vous l’apostropher de la sorte ? Un peu de respect, que diable ! Ce n’est pas parce que vous venez de courir une aventure ensemble que vous pouvez vous permettre…

– Aurions-nous préféré que je lui dise qu’il s’engourdit dans le chocolat ? Que ses facultés ne sont plus ce qu’elles étaient ou qu’il vieillit ?

Trop suffoquée pour réagir, Mme de Sommières ne trouva rien à répondre. Quant à Adalbert, plus vexé que peiné, il répliqua :

– Eh bien, merci, Marie-Angéline ! Au moins me voilà fixé sur ce que vous pensez de moi !

Elle lui adressa un sourire bourré de malice.

– N’en croyez rien. Ce n’est vraiment pas ce que je pense de vous, à la seule exception que le divin chocolat Timmermans me paraît devenu le philtre magique d’une Yseut frisant la septantaine ! Je me demande si elle n’aurait pas dans l’idée de vous épouser ? D’où ce souci des convenances. Voyez Marie Tudor et Philippe II d’Espagne.

– Je n’ai rien d’un Habsbourg et elle n’est pas laide !

– Nous nous égarons ! coupa la marquise. Où voulez-vous en venir, Plan-Crépin ?

– Ne cherchez pas, marquise, Mlle du Plan-Crépin doit penser qu’elle serait plus habile que moi !

– Seule, non ! Mais à nous deux, oui. Cent fois oui ! affirma-t-elle avec aplomb. Pour le plan auquel je pense, j’ai seulement besoin de deux renseignements. D’abord, combien y a-t-il de domestiques à la Villa Amanda ?

– Trois. Un maître d’hôtel qui sert aussi de chauffeur, une cuisinière qui habite en ville et une femme de chambre. Et après ?

– Le jour de sortie de la femme de chambre. Vous voyez que ce n’est pas compliqué ? ajouta-t-elle avec un large sourire.

– Admettons ! Et alors ?

– Voilà ce que nous allons faire…


11

OÙ PLAN-CRÉPIN PREND LE POUVOIR

Rentré à Biarritz dans la matinée, Adalbert se précipita chez le fleuriste le plus proche de l’hôtel du Palais et y fit l’emplette d’une magnifique corbeille de fleurs qu’il fit porter à la Villa Amanda avec une lettre de repentance, qui lui avait bien demandé une demi-heure de réflexion. Il y exprimait à Mme Timmermans ses regrets d’avoir été contraint de l’abandonner au seuil d’une fête dont elle se promettait tant de plaisir pour voler au secours d’un « Parrain » âgé et très cher qui offrait cette particularité de n’appeler la médecine à son secours que lorsqu’il allait mieux. Grâce à Dieu, l’accident dont il avait été victime était moins grave qu’on ne l’avait cru et l’on en était quitte pour la peur. Rassuré donc, il se hâtait de revenir pour renouer le fil détendu d’une amitié qui lui était devenue précieuse, etc. Il terminait ce chef-d’œuvre d’hypocrisie en proposant de venir chercher son amie pour l’emmener dîner où il lui plairait…

Son pensum achevé, il s’accorda un de ses plaisirs favoris en se plongeant dans un bain où il resta près d’une heure et demie – en ajoutant de l’eau chaude de temps en temps et en fumant un de ces cigares de La Havane « Rey del Mondo » qui représentaient pour lui l’un des sommets de la volupté. Il se trouva même si bien qu’il finit par s’endormir.

Ce fut le téléphone qui le réveilla et le sortit plus vite que prévu d’une eau devenue à peine tiède sur laquelle le havane aux trois quarts consumé flottait à la dérive…

Jurant comme un templier, il se bâcha hâtivement d’un peignoir en tissu éponge et se rua sur le téléphone qu’il atteignit alors qu’il venait de sonner pour la septième fois. Il bénit la patience des standardistes de l’hôtel quand il reconnut la voix et le léger accent belge de Mme Timmermans.

– Vos fleurs sont magnifiques, dit-elle, mais vous ne me deviez aucune compensation. Je suis allée finalement au dîner de Chiberta. Il eût été stupide de laisser perdre les deux couverts que vous aviez retenus et, en arrivant au club-house, j’ai rencontré un vieil ami, le général de Palay, qui cherchait vainement à se procurer une place. Je l’ai tout bonnement invité et nous avons passé une soirée charmante. Leurs Majestés espagnoles étaient superbes et le roi Alphonse…

– Vous me raconterez en détail ce soir. Où voulez-vous que nous dînions ?

– Oh, je suis désolée mais ce soir je ne suis pas libre, le cher général tient absolument à me rendre mon invitation d’hier soir. C’est bien naturel, n’est-ce pas ?

Mécontent, Adalbert pensa qu’il eût été encore plus naturel qu’on le conviât, lui, puisqu’il avait payé pour la soirée de charité…

– Mais comment donc ? Puis-je demander des nouvelles de la baronne ?

– Oh, elle est en voie de guérison mais ne veut pas lâcher sa clinique tant que les marques de ce qu’elle a subi n’auront pas complètement disparu.

– On peut la comprendre : une jolie femme a de ces délicatesses. Eh bien… puis-je vous retenir pour après-demain ?

– Je ne sais pas encore mais nous pourrions boire un verre au Bar Basque vers midi…

– Demain ?

– Non, jeudi. Demain, institut de beauté ! Je consacre la journée à ma remise en forme !

– Comme si vous en aviez besoin ! fit-il d’un ton platement courtisan qui l’écœura lui-même. Enfin, va pour le Bar Basque mais faites-moi la grâce de me retenir votre soirée. Je vais devoir rentrer bientôt à Paris…

– Déjà ?

– Eh oui, la semaine de Pâques est finie et j’ai des obligations auxquelles je ne peux me dérober…

– Vous préparez une campagne de fouilles, peut-être ?

– C’est possible et cela demande une longue et minutieuse préparation, comme vous devez le penser !

– Passionnant, et quel site avez-vous choisi ?

– Ce sont des choses, chère amie, que l’on ne dit pas au téléphone. Vous n’avez pas idée de l’espionnage qui règne dans notre petit monde. Une parole de trop et, lorsque vous arrivez sur place, vous trouvez un concurrent installé depuis la veille ! Ah, veuillez m’excuser un instant : on frappe… Entrez ! cria-t-il.

Un groom rouge, noir et or parut portant une lettre sur un petit plateau. Il la remit, empocha le pourboire que lui octroyait Adalbert, salua et disparut tandis que ce dernier ouvrait l’enveloppe où s’étalait la grande écriture baroque de Marie-Angéline. Quelques mots seulement à l’intérieur : « La femme de chambre sort le jeudi. Débrouillez-vous, sinon cela fait une semaine de plus à attendre ! »

Adalbert ne s’attarda pas à se demander d’où Plan-Crépin avait pu sortir ce renseignement si rapidement. Il glissa le message dans la poche du peignoir et revint au téléphone.

– Que vous disais-je, ma chère amie ? On vient de m’apporter une lettre du Louvre. Je dois être impérativement à Paris samedi matin. Je prendrai donc le train vendredi soir… et ce sera avec le regret infini de quitter Biarritz sans vous avoir revue, sinon pour un verre à la sauvette au milieu d’une foule de snobs !

– Vous avez raison. Oubliez le Bar Basque et passons ensemble la soirée de jeudi !

– Vous êtes adorable ! Où voulez-vous dîner ?

– Vous savez que j’ai une préférence pour les Fleurs.

– Mille mercis pour cette joie ! Je serai devant chez vous à neuf heures.

Il reposa le combiné sur son support, poussa un soupir de soulagement et se laissa tomber sur son lit pour récupérer. Il avait craint un moment que Mme Timmermans ne lui batte froid et c’était apparemment son intention. Cette façon de retarder de jour en jour un rendez-vous était révélatrice : on entendait le punir en lui tenant la dragée haute ! Et du temps, on commençait à en manquer singulièrement. Lui tout au moins ! Il n’avait pas beaucoup menti en disant qu’il était pressé de rentrer à Paris pour savoir où en était Aldo. Celui-là n’avait pas donné signe de vie depuis son départ. Pas même à Tante Amélie, et Adalbert se posait des questions…

Il rédigea un court message à l’intention de Marie-Angéline et, du pas paisible d’un flâneur en vacances, alla le déposer à l’adresse qu’elle lui avait indiquée puis revint au Palais. Il était convenu entre eux de ne pas se rencontrer avant d’entrer en action…

Cela représentait près de quarante-huit heures à patienter. Une éternité, même pour une patience d’archéologue, et celle d’Adalbert n’était pas des plus performantes. Afin d’en venir à bout, il se rendit chez un libraire, acheta les derniers romans policiers parus d’Edgar Wallace, de Stanislas-André Steeman et d’Agatha Christie, puis rentra s’enfermer dans sa chambre avec l’intention de faire monter ses repas et de n’en bouger qu’une fois venue l’heure d’aller chercher son invitée pour l’emmener dîner aux Fleurs. C’était la meilleure manière de ne manquer aucune communication s’il en arrivait, mais rien ne vint troubler la paix de sa retraite, sinon les crises d’impatience qui le prenaient parfois et qu’il apaisait en courant à vive allure jusqu’à la pointe Saint-Martin où il s’asseyait sur un rocher, le dos au phare, pour contempler l’océan, houleux ces jours-ci, mais dont le tumulte lui plaisait. Puis, sur le même rythme, il rentrait dans son trou, prenait une douche, faisait le compte des heures de solitude qui lui restaient, sonnait pour son dîner ou son déjeuner et se replongeait dans son bouquin…

Enfin vint l’heure bienheureuse où il put enfiler son smoking et demander sa voiture. Tandis qu’il attendait, il ne pouvait s’empêcher de tapoter, par intermittence, la poche dans laquelle il cachait certaine petite fiole représentant la contribution de Prisca de Saint-Adour à une entreprise bizarre, pour ne pas dire louche, mais qu’elle élevait au niveau d’une œuvre pie :

« Avec le double, lui avait-elle dit, on endort un taureau en cinq minutes. Ce devrait être amplement suffisant. D’autre part, ça n’a aucun goût : j’ai essayé ! »

Lui aussi, évidemment. Ce qui l’avait rassuré. Pas complètement, parce qu’il s’agissait d’une femme et qu’il n’aurait jamais eu l’idée de briguer le poste d’empoisonneur en chef chez les Borgia.

Quand la voiture s’arrêta devant la Villa Amanda, il n’eut pas à attendre. Ramon le guettait et Louise Timmermans apparut presque aussitôt, extrêmement élégante dans une robe de satin noir signée Chanel dont le seul ornement était une mince écharpe de satin blanc fixée sur l’épaule par deux camélias. Une cape assortie, doublée du même satin blanc, la réchauffait. Des diamants aux oreilles, deux bracelets et un magnifique solitaire à l’annulaire droit achevaient une parure dont il lui fit un sincère compliment. Elle était radieuse ce soir et il eut un peu honte de l’espèce de traquenard qu’il lui réservait. Après tout, elle n’aurait à souffrir en rien, passerait une bonne soirée, dormirait peut-être un peu plus longtemps que d’habitude et ignorerait certainement toujours qu’elle avait possédé des émeraudes exceptionnelles… en admettant qu’elles soient vraiment sous l’éventail de plumes. Pour la première fois de sa vie, Adalbert se prenait à douter…

Le dîner fut charmant. Ce nouveau restaurant des Fleurs, avec ses larges baies donnant sur la mer et sa décoration au luxe mesuré, était une réussite. Les lumières agréablement tamisées se révélaient flatteuses pour la beauté des femmes et, ce soir, Louise retrouvait ses vingt ans…

Adalbert avait choisi une table voisine de l’un des vitrages mais plutôt au fond de la salle, afin de ne pas se retrouver entouré de dîneurs sur tous les côtés. On commença par des huîtres à la gelée de sauternes suivies de petits rougets de roche au beurre blanc et de pigeonneaux aux morilles. Pour faire plaisir à son invitée, Adalbert commanda du champagne rosé en accompagnement des deux premiers plats mais, pour les volailles, choisit un bordeaux respectable, un château-la-lagune 1909 pour lequel il avait un faible… et dans lequel la mixture de la chanoinesse se fondrait encore mieux que dans les bulles champenoises.

Au début, Louise se sentait légèrement encline à la mélancolie :

– Il faut vraiment que vous partiez demain ?

– Impératif ! Je peux vous confier qu’il s’agit d’ouvrir un nouveau chantier de fouilles sur le site d’Assouan et si les renseignements que nous avons reçus se confirmaient, il s’agirait de quelque chose d’important. Bien sûr, c’est infiniment agréable d’être auprès de vous dans ce pays enchanteur, mais vous n’ignorez pas combien j’aime mon métier…

– Ne vous en défendez pas ! C’est grâce à lui que nous avons lié connaissance… et puis notre amitié ne s’arrêtera pas là. Je suis, grâce à Dieu, libre de mon temps et des amis m’ont déjà vanté les charmes d’Assouan. Il y a, paraît-il, un hôtel divin…

– L’Old Cataract ? Une réputation méritée, en effet. Seulement il est très couru et il faut retenir longtemps à l’avance. Surtout en hiver…

Adalbert avait conscience d’enfiler des mots dont il n’était pas persuadé qu’ils eussent un sens mais le principal était de ne pas laisser tomber la conversation. L’heure fatidique approchait. Plan-Crépin et lui étaient convenus que celle-ci interviendrait à onze heures et il était moins le quart. Encore quelques minutes et on passerait à l’action…

Le hasard le favorisa au-delà de ses espérances. Soudain, alors que le sommelier venait de servir le bordeaux, Mme Timmermans s’aperçut avec horreur qu’une minuscule tache de sauce étoilait sa robe et aussitôt se leva :

– Il faut que j’aille nettoyer cela !

– On ne voit rien, fit Adalbert avec une totale hypocrisie.

– Moi, je le vois et je ne supporte pas…

Elle s’envola en direction des toilettes, laissant son compagnon aux prises avec ses ténébreuses intentions. Un coup d’œil circulaire lui ayant apprit que personne ne s’intéressait à lui, il fit adroitement tomber ses lunettes posées sur la table, se leva pour les récupérer en s’arrangeant pour être face à la fenêtre et opposer la largeur de son dos entre les autres dîneurs et ce qu’il faisait, puis vida adroitement le contenu du flacon dans le vin…

Quand Louise revint, il promenait délicatement la tulipe de cristal sous son nez en humant, les yeux mi-clos, ce nectar des dieux qu’il remuait doucement. Il se leva pour le retour de sa compagne mais sans reposer le verre :

– Goûtez, ma chère amie, c’est une pure merveille !

Elle l’imita et, pendant quelques instants, ils s’accordèrent le plaisir d’une dégustation silencieuse telle que savent l’apprécier les vrais amateurs, puis ils revinrent à leurs pigeons aux morilles dont le fumet apportait une dernière note à leur symphonie gourmande… Soudain, les yeux d’Adalbert s’arrondirent et il manqua s’étrangler avec un innocent champignon : il était onze heures tapantes et une quêteuse de l’Armée du Salut effectuait son entrée. Or, aucun doute n’était possible : c’était le long nez de Marie-Angéline qui dépassait du chapeau cabriolet de paille noire. La quête dans les restaurants de luxe était une pratique courante et personne ne s’étonna de la voir circuler entre les tables. À l’exception d’Adalbert qui ne s’y attendait pas et qu’un fou rire menaçait. Ce n’était certes pas le moment et il eut recours à son verre pour en venir à bout, cependant que sa compagne s’étonnait :

– Vous ne vous sentez pas bien, cher ami ?

Ce furent ses dernières paroles. Pour ce soir-là tout au moins. Elle vacilla légèrement, ses yeux se fermèrent et elle se fût effondrée dans son assiette si Adalbert, se penchant en avant, ne l’avait maintenue :

– Mon Dieu, Louise, mais qu’avez-vous ?

Il se hâta de mouiller sa serviette à l’aide d’une carafe d’eau et d’en baigner ses tempes sans obtenir le moindre résultat : renversée dans son fauteuil, Louise n’ouvrit pas l’œil. Autour d’eux, naturellement, un remous s’était formé. Une dame offrit un flacon de sels qu’elle promena sous le nez de Louise, ce qui la fit éternuer mais sans autre amélioration.

– Il faut appeler un médecin, dit quelqu’un, et c’est alors que Plan-Crépin intervint :

– Si vous permettez, dit-elle avec autorité, je suis secouriste diplômée.

On lui fit place et elle se livra à un bref examen, soulevant une paupière, écoutant le cœur, tâtant le pouls :

– Ne pourriez-vous, Monsieur, la porter hors d’ici que l’on puisse l’étendre ? Il y a trop de monde et cela gêne sa respiration.

– Vous avez raison !

Il souleva Mme Timmermans. Son inquiétude était évidente et personne ne s’étonna qu’un faux mouvement lui fît renverser l’un des deux verres de vin, déjà plus qu’à moitié vide. Le directeur les conduisit dans un petit salon où Louise fut étendue sur un canapé, la tête soutenue par des coussins. Elle parut s’y trouver bien et se mit en chien de fusil, un vague sourire aux lèvres. Ce que ne put que constater le médecin du casino appelé d’urgence :

– C’est incroyable, constata-t-il, mais elle fonctionne parfaitement. Simplement, elle dort !

– Comment ça, elle dort ? s’étonna Adalbert, jouant le jeu.

– Constatez vous-même !

Adalbert lui appliqua des tapes qui n’obtinrent d’autre résultat qu’un léger ronflement.

– A-t-elle bu ou mangé autre chose que vous ? demanda-t-il à Adalbert. Elle sent l’alcool.

– Ici, non. Quand je suis allé la chercher, je sais qu’elle venait d’assister à un cocktail…

Parfaitement imaginaire mais qui faisait joli dans le tableau.

Le médecin leva des épaules impuissantes :

– Le mieux est de la laisser dormir. Ramenez-la chez elle, Monsieur, et confiez-la à sa femme de chambre qui, au besoin, appellera son médecin traitant, ce que je n’ai pas l’honneur d’être, ajouta-t-il avec un sourire indiquant qu’il savait à qui il avait affaire.

Adalbert reprit alors la parole :

– Malheureusement c’est le jour de sortie de sa camériste…

– Si vous le souhaitez, je peux vous accompagner ? proposa aussitôt Marie-Angéline.

– Je vous en serais reconnaissant, Madame ! Pourriez-vous, Monsieur le directeur, prier le portier d’avancer ma voiture, dit-il en rendant le numéro qu’on lui avait donné. En outre, faites-moi apporter ma note.

Ce fut vite expédié. Quelques minutes plus tard, tous trois prenaient la direction de la Villa Amanda mais les deux complices se gardèrent de parler, dans l’ignorance de la profondeur du sommeil de leur victime.

Enfin la voiture s’arrêta devant la maison obscure.

– Je suppose qu’elle a sa clef, fit Plan-Crépin en s’emparant du sac de soirée en satin brodé.

– D’abord sonner ! Il y a le maître d’hôtel… Il s’appelle Ramon.

Un moment s’écoula avant qu’il ne parût à l’une des fenêtres du premier étage, visiblement réveillé de frais.

– Qu’est-ce que c’est ?

– M. Vidal-Pellicorne et une demoiselle de l’Armée du Salut. Nous ramenons Mme Timmermans qui a eu un malaise…

– Je viens ! Mais elle a sa clef, vous savez ?

Encore un qui n’aime pas être tiré de ses couvertures en pleine nuit ! songea Adalbert. Il serait certainement ravi d’y retourner.

Cinq minutes après, les deux hommes portaient Louise à travers la maison, suivis de l’imperturbable salutiste qui suggéra :

– Il faudrait peut-être prévenir sa femme de chambre ?

– C’est son jour de sortie : elle ne sera là que demain matin et la cuisinière n’habite pas la villa… Faut-il appeler un docteur ?

– Celui du casino Bellevue vient de l’examiner. Il dit que le mieux est de la laisser dormir. Je ne voudrais pas médire… mais elle a dû boire un petit peu trop. Vous verrez demain si elle exprime le désir de le consulter…

Ramon eut un soupir de soulagement :

– Ah, je préfère ! Si vous avez l’obligeance de continuer à m’aider, Monsieur, nous pourrions la porter dans sa chambre où Mademoiselle acceptera peut-être de la mettre au lit.

– Bien volontiers !

Tandis que l’on montait Mme Timmermans, le cœur d’Adalbert battait la chamade. Celui de Marie-Angéline, à l’unisson, en dépit de la froide dignité de son maintien. Allaient-ils enfin être payés de leur peine ou l’éventail qu’ils cherchaient n’était-il qu’une illusion de plus ?

L’appartement de la reine du chocolat ressemblait à une bonbonnière. Ce n’étaient que mousselines blanches, satins brochés roses, coussins, et, en dehors du lit drapé desdites mousselines, quelques jolis meubles Louis XVI bien choisis et parfaitement authentiques. Sur la coiffeuse nappée de dentelles de Malines, des flacons de cristal gravé d’or, plusieurs parfums différents, une collection de brosses et de peignes, sans compter nombre de petits pots de crèmes de beauté. Quelques gravures d’un goût sûr ornaient les murs.

Une fois Louise déposée sur son lit – la couverture était faite et une chemise de nuit de crêpe de Chine blanche disposée sur l’oreiller –, les deux hommes se retirèrent. Adalbert ayant annoncé qu’il attendrait la sœur salutiste pour la rapatrier, Ramon se hâta de lui proposer quelque chose à boire et il accepta un whisky.

– Il y a le nécessaire dans le salon à côté de l’entrée, à main droite. Le meuble sur lequel sont posés les flacons est un réfrigérateur, le renseigna cet homme qui, à l’évidence, brûlait d’envie de regagner son lit.

Adalbert l’y encouragea :

– Inutile que vous perdiez votre nuit entière. En repartant, je jetterai les clefs dans la boîte aux lettres…

– Oh ! Je remercie mille fois Monsieur ! J’ai eu une lourde journée de nettoyage, Madame étant très stricte sur le moindre grain de poussière.

– Le contraire m’eût étonné ! Dormez bien, mon ami !

N’étant encore jamais entré dans la maison, Adalbert, un verre en main, commença par visiter le rez-de-chaussée pour calmer son énervement croissant. Il était impatient de monter voir ce que faisait Marie-Angéline. Au bout d’un moment qui lui parut durer un siècle, il n’y tint plus, grimpa l’escalier – couvert d’un large chemin en moquette bleue – sans faire le moindre bruit et alla gratter discrètement à la porte. Ne recevant pas de réponse, il recommença, puis une troisième fois et, inquiet finalement, se décida à ouvrir. Mme Timmermans reposait paisiblement dans sa chemise blanche et dans son lit rose, une veilleuse allumée à son chevet… mais Marie-Angéline était invisible…

Il referma précautionneusement la porte, s’avança dans la chambre, appela de nouveau… et cette fois sa complice lui apparut dans l’encadrement d’une porte donnant sur la pièce voisine qui devait être un boudoir. Elle était pâle comme une morte mais, entre ses mains, elle tenait le coffret de cuir bleu frappé de la couronne et du chiffre impériaux :

– Vous l’avez trouvé ? fit-il joyeusement, sotto voce.

– Oui… mais je n’ose pas l’ouvrir. L’émotion, je pense !

– Donnez-le-moi !

Il posa l’objet sur un guéridon, l’ouvrit en tira l’éventail qu’il tendit à sa comparse puis examina le fond. Si les émeraudes avaient une chance de se trouver quelque part, c’était là, mais la boîte était gainée de velours blanc et il semblait difficile de l’ouvrir sans découper le tissu. Le travail avait été exécuté à la perfection et, à moins d’être au courant, personne n’aurait eu l’idée d’aller regarder là-dessous…

– Comment allez-vous faire ? chuchota Marie-Angéline.

– Il va falloir couper à l’endroit le moins visible…

En vue d’une opération de ce genre, il s’était muni d’un scalpel de chirurgien et choisit de l’enfoncer dans le côté de l’ouverture. Le velours se trancha net, ce qui permit à Adalbert de constater qu’il était collé au fond et non simplement tendu. À cet instant, Louise s’agita dans son lit, balbutiant quelques mots incompréhensibles. Le cœur battant, Plan-Crépin se précipita, tâta le front de la dormeuse, ce qui dut la gêner car elle se tourna de l’autre côté…

Pendant ce temps, Adalbert avait incisé une infime partie des parois latérales, suffisamment pour pouvoir glisser ses doigts agiles dans l’ouverture. Soudain il se redressa :

– Regardez !

Accrochées à sa main droite légèrement tremblante, les cinq émeraudes captèrent la lumière qui anima aussitôt les profondeurs d’une merveilleuse teinte d’un vert aussi changeant que celui de l’océan. Sous le choc de la découverte, Marie-Angéline tomba à genoux !

– Le collier sacré ! Mon Dieu !

– À cela près que, comme je le pensais, les ornements d’or qui séparaient chaque pierre ont été remplacés par une simple chaîne d’or. Maintenant il s’agit de tout remettre en ordre.

Il prit dans sa poche cinq cailloux, satisfait de constater qu’il avait visé juste et qu’ils étaient d’une grosseur à peu près égale aux émeraudes, et, avec une infinie délicatesse, il les introduisit dans la cachette, remit la charpie de tissu destinée à empêcher les pierres de rouler, ce qui n’eût pas manqué d’attirer l’attention. La baronne Reichenberg avait décidément fait preuve d’un art achevé. Il peaufina son ouvrage, lissa les minuscules poils du velours recouvrant le fond, cachant ainsi les traits du scalpel, replaça l’éventail, referma le coffret et le rendit à Marie-Angéline.

– Allez le ranger, souffla-t-il, plus épuisé que s’il avait escaladé la Grande Pyramide.

En même temps, il faisait disparaître le collier dans sa poche avec un extraordinaire soulagement. Quand Plan-Crépin revint, les yeux embués de larmes de joie, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre :

– Ouf ! exhala Marie-Angéline. J’ai eu la plus belle frousse de ma vie ! Mais enfin on l’a !

– Allons boire un verre en bas et filons !

Avant de quitter la chambre, elle jeta un dernier coup d’œil à Mme Timmermans qui continuait de dormir d’un sommeil paisible, voire heureux.

– Je me demande si le résultat est le même avec les taureaux de la cousine Prisca ?

– En tout cas, c’est miraculeux et vous avez eu une idée géniale alors que je pataugeais comme un débutant !

En passant par le salon, ils trinquèrent à leur succès puis abandonnèrent la maison en n’oubliant pas de glisser les clefs dans la boîte aux lettres. Adalbert en profita pour poser la question qui le travaillait depuis un moment :

– Dites-moi, Marie-Angéline, où vous avez déniché ce costume ? Tout de même pas chez la chanoinesse ?

– Simplement chez un loueur de costumes. Il y en a un ici et, avec les nombreuses fêtes qui se donnent chez les particuliers et aux deux casinos, il ne manque pas de demandeurs. À l’origine je voulais un habit de religieuse, Saint-Vincent-de-Paul ou autre, et on m’a proposé celui-là pour son originalité. Il n’est pas absolument fidèle au modèle : les broderies du col sont dorées au lieu d’être rouges. Mais ça a fait l’affaire. Quelle est la suite du programme, à présent ?

– Pas compliqué ! Vous rentrez en taxi chez Mme de Saint-Adour et moi je prends le premier train pour rejoindre Aldo. Nous avons à préparer le dernier acte et, avec l’ennemi que nous avons en face de nous, je crains que ce ne soit pas le plus facile.

– Voulez-vous que nous rentrions aussi, notre marquise et moi ?

– Pas jusqu’à nouvel ordre. À Saint-Adour, vous serez plus en sécurité que nulle part ailleurs… À condition de ne pas vous lancer inconsidérément à la recherche du jeune Faugier-Lassagne…

– Et si pourtant je trouvais un indice ?

– Parlez-en avec vos dames et, au besoin, téléphonez chez moi !

Le train Hendaye-Paris s’arrêtait en gare de Biarritz à huit heures du matin. Quand Adalbert y grimpa, il avait la conscience tranquille. Avant de quitter l’hôtel, il avait fait envoyer à la chère Louise une brassée de roses accompagnée d’une lettre où il regrettait de ne pouvoir rester plus longtemps mais l’assurait qu’il prendrait prochainement de ses nouvelles. Une fois installé dans son compartiment, il déplia le journal du matin, alluma une cigarette et n’y pensa plus. Il était tellement heureux en imaginant la joie d’Aldo quand il lui mettrait le collier dans les mains que cela lui tint compagnie tout le temps du voyage.

Arrivé en gare d’Austerlitz, il sauta dans un taxi et rentra chez lui, rue Jouffroy, pour se débarrasser des bagages. Un bonjour à un Théobald d’autant plus ravi de le revoir qu’il avait trouvé les heures longues et Adalbert se ruait sur le téléphone pour appeler le Ritz. Le standardiste de service lui répondit que le prince Morosini n’était pas dans sa chambre, après quoi il demanda Duroy, le réceptionniste qu’il connaissait et qui le reçut avec un soulagement évident.

– Je suis content de vous entendre, Monsieur Vidal-Pellicorne, car, à ne rien vous cacher, nous sommes un peu en peine de Son Excellence.

– Vous voulez dire qu’il a quitté l’hôtel ?

– Non. Ses bagages sont toujours dans sa chambre mais lui n’est pas revenu depuis bientôt deux jours…

– Et vous n’avez pas appelé la police ?

– Nnnnnon ! Le prince est assez coutumier de ces absences impromptues et pendant ces deux jours nous ne nous sommes pas inquiétés mais à présent nous nous interrogeons…

– Eh bien, cessez de vous interroger, brama Adalbert. Je vais la voir de ce pas, la police !

La brutalité avec laquelle il raccrocha le téléphone faillit être fatale à l’appareil mais Adalbert, assailli par la peur, ne se contrôlait plus… Suivant de si près la joie de posséder enfin les émeraudes, cette disparition lui semblait plus qu’inquiétante. Son absurdité lui glaçait le sang. Pourquoi enlever Morosini alors que le délai n’était pas atteint ? À moins qu’il n’y eût, sur l’affaire, une autre bande que celle des Mexicains ? Mais dans ce cas d’où pouvait-elle sortir ?

– On dirait que Monsieur n’est pas dans son assiette ? hasarda Théobald qui l’observait depuis la porte du cabinet de travail.

– Il y a de quoi ! Morosini a quitté l’hôtel avant-hier et n’y est pas encore revenu. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?

– C’est que… je n’ose même pas me le demander, Monsieur. Il faudrait…

– Il n’y a qu’une chose à faire : foncer au quai des Orfèvres et voir ce qu’en pensera le commissaire Langlois. Morosini avait du reste l’intention de le rencontrer...

– C’est qu’il est près de neuf heures, et les bureaux de la police judiciaire…

– S’ils sont fermés on les fera ouvrir et si Langlois est absent, j’irai chez lui mais je veux lui parler dès ce soir. On n’a perdu que trop de temps dans cette histoire !


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