355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » le collier sacré de Montézuma » Текст книги (страница 19)
le collier sacré de Montézuma
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 20:33

Текст книги "le collier sacré de Montézuma"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 19 (всего у книги 22 страниц)

À peine cinq minutes plus tard, Adalbert, au volant de sa bruyante Amilcar rouge, fonçait à travers Paris telle une bombe sans accorder la moindre importance aux coups de sifflet qui, de loin en loin, accompagnaient sa course vengeresse. Jamais encore il n’avait conduit à pareille allure mais les images que lui montrait son imagination le mettaient au-delà de tout raisonnement.

Ses freins protestèrent quand il stoppa son engin à un mètre de l’agent de police posté en sentinelle, sauta en voltige et se rua sur la porte d’entrée.

– Hé là, vous ! Où prétendez-vous aller comme ça ?

– Voir le commissaire principal Langlois, et dare-dare !

– Il vous faut d’abord un rendez-vous !

– Pas le temps ! C’est urgent. Et si vous prétendez m’en empêcher, j’aurai le regret de vous boxer ! Vous êtes jeune et pas vilain, alors prenez-vous en considération…

Sans attendre la réponse, il aborda l’escalier qu’il escalada quatre à quatre en appelant Langlois à tous les échos, ameutant par la même occasion le reste du personnel. Mais ce fut efficace : quand il arriva sur le palier du second étage, le commissaire en personne lui barrait le passage. Aucunement surpris de cette arrivée tonitruante :

– Ah, c’est vous ? J’aurais dû m’en douter ! Vous n’êtes pas un peu malade de brailler de la sorte ?

Sans trop de ménagements, il l’avait attrapé par le bras pour le diriger vers son bureau où il le propulsa sur une chaise.

– Morosini a disparu, se rebiffa Adalbert en essayant de retrouver son souffle, et je veux qu’on me le récupère au plus vite !

– Cessez donc de hurler ! Il n’y a pas le feu…

– Pour moi si… et qu’est-ce que c’est que ça ?

Son regard venait de tomber sur le bureau du policier et les quelques objets qui s’y trouvaient. Il désigna d’un doigt tremblant un mince portefeuille en crocodile noir timbré d’une couronne et des boutons de manchettes en or qu’il ne reconnaissait que trop… et les larmes lui jaillirent des yeux qu’il cacha aussitôt sous sa main.

Langlois alla prendre dans un classeur une bouteille de cognac et deux verres, en emplit un qu’il mit dans la main libre d’Adalbert :

– Buvez ! Et rassurez-vous ! Ces babioles ne viennent pas de la morgue !

– D’où, alors ?

– Des poches d’un clochard ivre à faire pâlir d’envie la Pologne et qui espérait convertir les boutons en un océan de pinard à son bistrot favori. En le servant, le patron lui a posé des questions et en a eu des réponses plutôt vaseuses, aussi, pendant ce temps-là, sa femme alertait le plus proche commissariat, celui du IVe arrondissement. Naturellement on a dessaoulé le bonhomme, on l’a questionné de nouveau et on a fini par lui sortir les vers du nez : il avait fait ses trouvailles sous le pont Marie, côté île Saint-Louis, sur un type qui devait être encore plus pété que lui car il s’était laissé faire sans broncher. Le portefeuille était à quelques pas, vide naturellement. Le commissaire n’a pas hésité. Il a envoyé une patrouille et on l’a effectivement trouvé sans connaissance en raison d’une blessure qu’il portait à la tête. En outre, il avait été dépouillé de son pardessus et de ses chaussures. Une chance que les boutons de manchettes aient échappé au pillage… Le voleur n’a pas dû les voir…

– Mais lui, il n’est pas…

– Je vous l’aurais déjà dit. Ce n’est pas dans mes habitudes de distiller les mauvaises nouvelles. On l’a transporté à l’Hôtel-Dieu et c’est là que mon collègue Séverin a su l’identité de son client. Le médecin chef lui a pratiquement sauté à la figure en lui disant que ce n’était pas du gibier pour l’hôpital des indigents et que la clinique du Pr Dieulafoy (18)serait plus appropriée. Ils l’ont tout de même gardé.

– Qu’est-ce qu’il a ?

– Une bosse écorchée et une bonne bronchite. C’est seulement hier matin qu’on l’a récupéré. Grâce à Dieu, son crâne est solide et le coup a seulement entamé le cuir chevelu.

– Il est trop tard pour y aller ?

Langlois consulta sa montre :

– Avec moi, non. Venez !

On remonta le quai jusqu’au parvis de Notre-Dame que l’on traversa en diagonale pour atteindre l’ancêtre des hôpitaux parisiens dont la voûte d’entrée restait éclairée toute la nuit. Le gardien salua le commissaire principal en habitué et l’informa que le Dr Organ était encore là.

Ils le trouvèrent dans le bureau de l’infirmière en chef en train de fumer tranquillement une cigarette. En les voyant arriver, il ricana :

– Si vous venez chercher votre précieux patient, vous ne pourriez pas attendre qu’il fasse jour ? Cette manie des enlèvements nocturnes a un côté théâtral qui m’agace !

– Ne vous agitez pas, toubib, on ne vient pas le chercher ! Simplement, M. Vidal-Pellicorne que voici voudrait lui parler.

– Eh bien, c’est dommage parce que c’est le patient le plus remuant que j’aie jamais vu. Il ne cesse de réclamer un taxi pour rentrer chez lui en répétant qu’il n’a pas de temps à perdre…

– Vous pensez le garder longtemps ?

– Deux ou trois jours pour être certain qu’il est en état de marche et je vous le rendrai avec plaisir.

Durant leur conversation, ils avaient suivi un long corridor vitré au bout duquel s’ouvraient trois portes. Organ choisit celle de gauche : elle donnait sur une petite chambre dont le lit occupait la majeure partie. Elle était éclairée et ils purent voir Aldo assis dans ce lit, les bras autour des genoux, fumant tristement une cigarette. Vêtu d’un pyjama en pilou rayé gris et blanc, il avait l’aspect d’un bagnard. La vue d’Adalbert lui arracha une exclamation de joie :

– Enfin une tête connue ! Qui t’a prévenu ?

– Personne ! En rentrant de Biarritz ce soir, j’ai appris que tu avais disparu du Ritz depuis deux jours. Je suis aussitôt venu demander de l’aide à notre cher commissaire et me voilà ! Mais dis-moi ce que tu faisais en pleine nuit sous le pont Marie ?

– Je n’y suis pas allé. On a dû m’y traîner. Je m’étais rendu quai Bourbon passer la soirée chez un ami et c’est en sortant que j’ai été attaqué. Pour le reste, je n’en sais pas plus que toi…

– Un ami ? Quai Bourbon ? Tu ne m’en as jamais parlé ?

– Parce que ça ne m’était pas venu à l’idée ! répondit Aldo avec une désinvolture qui ne sonnait pas très juste. (Et il se dépêcha d’ajouter :) Mais toi-même, que viens-tu faire ? Préparer ton mariage avec la reine du chocolat ?

– Je ne pense pas la revoir de sitôt. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi je poursuivrais des relations autres qu’épisodiques.

L’œil d’Aldo s’alluma :

– Tu as… réussi ?

– Ce n’est pas moi qui ai réussi l’exploit : c’est Marie-Angéline. Je te raconterai plus tard. Quand tu seras redevenu valide !

– Mais je suis valide ! Je me tue à clamer que je veux rentrer chez moi. Qu’on me rende mes vêtements, qu’on me donne la facture et qu’on m’appelle un taxi !

– Ce serait plutôt difficile, mon pauvre vieux. En fait de vêtements, tu n’as plus qu’un pantalon de smoking et une chemise sale. Point de vue finances, tu n’as plus un radis ! Et je te rappelle que s’il nous a discrètement laissés seuls, le bon Langlois est à côté en train de papoter avec un toubib qui te considère comme un danger public ! Alors du calme ! Tu vas gentiment te coucher – ce pyjama est un rêve ! –, tâcher de faire une bonne nuit et demain je t’embarque après être passé au Ritz régler la facture et reprendre tes bagages. Tu vas t’installer chez moi pour te retaper et attendre la suite des opérations.

Docilement, Aldo se recoucha et permit même à Adalbert de le border :

– Il nous reste combien de temps ?

– Quinze jours, tu vois qu’on est dans les délais…

– C’est pourquoi je comprends mal l’agression de l’autre nuit…

– Ça n’a sûrement rien à voir avec notre affaire ! Nos adversaires ne sont pas les seuls truands sur la planète, tant s’en faut, et les nôtres n’auraient aucun profit à te faire disparaître bêtement sous un pont. Ils t’auraient gentiment abattu et point final ! Maintenant roupille ! On parlera demain !

Aldo remonta ses draps jusqu’à son menton en poussant un soupir de soulagement. Adalbert s’apprêtait à sortir, il le retint :

– C’est bien vrai, au moins ? Tu les as ?

– Dors tranquille, elles sont dans mon coffre…

Aldo eut une quinte de toux, but un peu d’eau, se roula en boule et ferma les yeux :

– C’est un miracle ! Un éblouissant miracle !…

– Si tu as des relations avec le Vatican, on pourrait envisager de faire canoniser Plan-Crépin ! Je la verrais volontiers nimbée d’une auréole !

Rendu à lui-même par les bienfaits conjugués d’une salle de bains moderne, de ses propres vêtements et de la savoureuse cuisine de Théobald, Morosini pouvait maintenant contempler à loisir les cinq émeraudes de Montezuma et ne cachait pas son admiration :

– Des pierres exceptionnelles ! Tant par leur grosseur que par leur eau et leur éclat. On peut comprendre que l’épouse de Charles Quint les ait convoitées et Cortés aurait bien mieux fait de les lui offrir au lieu d’en faire sottement présent à sa femme…

– Sa jeune femme, mon bon, et cela explique tout ! Je te ferai remarquer qu’elle a été plus intelligente que lui puisqu’elle les lui a rendues.

– Parce qu’elles lui faisaient peur. C’est alors qu’elles auraient dû rejoindre le trésor royal. Cortés y aurait gagné la paix du cœur et une fin de carrière plus agréable.

– Ce que je me demande, moi, en te regardant, c’est si tu vas trouver, toi, le courage de t’en séparer ? Il y a longtemps que je ne t’avais vu cette expression. Tu as l’air fasciné !

– Je l’avoue, et cela va être d’autant plus dur que nous savons parfaitement, toi et moi, qu’on ne nous rendra plus Gilles Vauxbrun. C’est donc par conséquent un marché de dupes…, dit Aldo pensivement en faisait passer le collier d’une main dans l’autre.

– On va pourtant être obligés de s’y soumettre parce que, si tu veux mon avis, plus vite on s’en débarrassera et mieux cela vaudra pour tout le monde. Demain, j’expédierai Théobald porter aux journaux le texte de l’annonce. Qu’est-ce que c’est, au fait ?

– Une histoire d’enfant prodigue. Je l’ai dans ma trousse de toilette.

Le lendemain, en effet, trois quotidiens parisiens, Le Figaro, L’ Intransigeantet Le Matin, publiaient l’annonce exigée par les assassins de l’antiquaire.

– Il ne reste plus qu’à attendre la réponse, soupira Adalbert en repliant le journal qu’il jeta sur son bureau. Je suppose qu’on va devoir explorer une fois de plus le bois de Boulogne, la forêt de Sénart ou une baraque isolée perdue dans la campagne. Ce qui ne nous laisse pas beaucoup de chances d’en sortir vivants…

– Où que ce soit, nos chances seront minces. Je me demande si le rendez-vous n’aura pas lieu tout simplement rue de Lille, chez Gilles. Ce serait l’endroit idéal pour ce qui devrait être un échange, quel que soit l’état de la seconde clause du marché.

– Il se pourrait que ce jeune imbécile de Faugier-Lassagne prenne la place de son père, je suis à peu près sûr qu’il est en leur pouvoir.

– Moi aussi, mais il ne faut pas rêver. Je crois que nous allons avoir à jouer l’une des parties les plus difficiles de notre association.

Les quotidiens des trois jours suivants n’apportèrent aucune réponse. Ce fut seulement le quatrième que, sur le plateau du courrier apporté par Théobald à l’heure du petit déjeuner, apparut une enveloppe très ordinaire, adressée à M. Vidal-Pellicorne, qui attira l’attention du destinataire. Elle n’avait rien de particulier cependant. Elle était tapée à la machine et le papier en était commun mais l’archéologue possédait un flair de chien de chasse et il la choisit sans hésitation parmi les autres. Il ne se trompait pas. À l’intérieur, il y avait une feuille pliée en quatre portant : « À l’attention du prince Morosini ». Sans la déplier il la tendit à son ami.

– Serait-ce ce que nous attendons ?

Il ne se trompait pas. On y lisait six lignes, toujours aussi impersonnelles :

« Puisque vous aimez tant voyager, soyez mardi soir 12 mai à l’hôtel de l’Infante à Saint-Jean-de-Luz où vous attendrez d’autres instructions. Seul, bien entendu, et sous l’identité jointe (il y avait en effet une carte de presse). Vidal-Pellicorne restera à Paris, sous surveillance… »

– Et il entend me surveiller comment, cet olibrius ? grogna l’intéressé.

– Il te suffira de regarder autour de toi pour t’en rendre compte et tu verras !

– Je ne verrai rien… Tu paries que je suis à Saint-Jean-de-Luz avant toi ?

– Je ne parie rien. Tu es capable de tout…

Une heure plus tard, M. Vidal-Pellicorne, de l’Institut, élégamment vêtu d’alpaga noir sous un chapeau à bord roulé, un long parapluie à la main, faisait venir un taxi devant sa porte et se faisait conduire au musée du Louvre, porte Vivant-Denon, donnant sur la place du Carrousel… Salué par tout ce qu’il rencontra comme personnel, il gagna d’un pas tranquille le département des antiquités égyptiennes qu’il traversa en habitué, tapotant ici les fesses de basalte d’un sphinx et là les genoux de la Dame Tyi, avant de disparaître dans la partie réservée à l’administration. Il n’en ressortit que le soir venu, après que le public se fut retiré, constata qu’il faisait un temps pourri, releva le col de son pardessus et, ouvrant son vaste parapluie, se mit en marche courageusement vers la station de taxis du Palais-Royal. Il arriva chez lui juste à point pour voir démarrer une autre voiture de place emmenant Aldo Morosini prendre en gare d’Austerlitz son train pour le Pays basque…

Lors du retour à Paris de Morosini, Alcide Truchon, de l’agence « L’œil écoute », avait espéré sincèrement, l’ayant vu descendre au Ritz, qu’il n’effectuait là qu’un bref passage avant de rentrer à Venise retrouver femme, enfants et pantoufles. Or il s’était agité plus que jamais. Deux jours de tranquillité puis sortie un soir en smoking, petit voyage quai Bourbon et disparition totale. Il faut dire qu’encouragé par une conduite aussi normale, par la respectabilité de ce quartier aristocratique… et le mauvais temps, Alcide Truchon s’était offert un dîner confortable, voire raffiné, dans certain restaurant de la rue Saint-Louis-en-l’Île. Grâce à Dieu, son agence était généreuse, son client riche et notre homme pensait qu’il méritait, parfois, quelques gâteries. Malheureusement, il n’avait pas revu son gibier ce soir-là. Et il lui avait fallu près de trois jours et une sévère engueulade de son patron pour que les choses reprennent leur cours habituel. Enfin, si l’on pouvait dire, parce que la tenue de sport et la mallette laissaient supposer qu’on allait encore voir du pays !

Ce en quoi Alcide ne se trompait pas. Arrivé à Austerlitz, Morosini se dirigea droit sur le Paris-Hendaye-San Sébastian qui ne partait que dans vingt minutes et montra son billet à un préposé chargé d’un wagon de couchettes de 1re classe. Alcide Truchon se rua sur le téléphone le plus proche et appela son client :

– Il s’apprête à partir pour Saint-Jean-de-Luz.

– Vous êtes sûr ?

– Absolument, et de plus sous un faux nom : Michel Morlière, journaliste…

– Qu’est-ce que ça signifie ?

– Je n’en ai pas la moindre idée… Qu’est-ce que je dois faire ?

– Le suivre ! Évidemment ! Le train n’est pas encore parti ?

– Non. Dans dix minutes seulement.

– Alors vous êtes prié de vous dépêcher.

Et l’on raccrocha ! Avec un soupir à fendre l’âme, Alcide Truchon s’en alla prendre son billet… en se demandant combien de temps il allait devoir se traîner à la suite de ce Vénitien impossible.

Si l’on n’avait approché de la fin – certainement très difficile ! – d’une partie dans laquelle il avait joué plus souvent le rôle du gibier que celui du chasseur, Morosini eût mieux apprécié le charme indéniable de Saint-Jean-de-Luz. Au contraire de Biarritz, où grands hôtels, villas et lieux de plaisir avaient absorbé le petit port, sa voisine, préservant jalousement son patrimoine historique, avait permis à la modernité – et encore modérée ! – de s’installer uniquement en dehors de son port baleinier. Durant les quelques jours du mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse, ne s’était-elle pas haussée au rang de capitale de la France ?

L’hôtel de l’Infante, à quelques pas de la maison du même nom, était un établissement de taille modeste mais accueillant et sympathique, tenu par un couple d’une cinquantaine d’années dont le mari arborait une tête de contrebandier à l’œil singulièrement vif et la femme, qui avait l’air sortie du dernier acte de Carmen, se distinguait par un râtelier éclatant qui la faisait zozoter. Aldo était attendu et fut reçu avec l’amabilité due à chaque client convenable, mâtinée d’une pointe de curiosité.

– Vous êtes journaliste ? demanda Madame avec un intérêt non dissimulé. Quel beau métier ! Et pour quel journal ?

– Ne pose pas tant de questions ! grogna le mari. C’est indiscret.

– C’est sans importance, l’apaisa Aldo en illuminant son plus beau sourire. Je pourrais répondre pour tous et pour chacun. Je suis ce que l’on appelle free-lance.Je fais un reportage sur un sujet qui m’intéresse et je le vends au plus offrant. En ce moment, c’est la grande pêche : celle à la baleine !

Il avait trouvé le chemin du cœur de ses hôtes qui se montrèrent passionnés et lui promirent de faire de leur mieux pour qu’il soit content de son séjour. Madame lui montrait sa chambre à l’instant précis où Alcide Truchon, décidé à suivre son homme au plus près, faisait son entrée pour demander un logement mais, apparemment, il ne bénéficiait pas du même charisme car l’œil de Bixente Laralde, le patron, se fit inquisiteur :

– Qu’est-ce qui vous amène par ici en cette saison ? Le tourisme ?

– Oh, non ! Le travail ! Je suis journaliste !

– Tiens donc ! Et vous vous intéressez à quoi ? La pelote basque ?

Alcide prit un air rêveur :

– Plus tard peut-être ? Pour l’heure ce serait plutôt la pêche à la baleine !

– Ben, vous voyez, fit Laralde en frappant sa paume de son poing fermé, je l’aurais juré !

– Ah bon ? Pourquoi ?

– Vous avez la tête de l’emploi ! Votre chambre est au second étage : le 23.

En rejoignant sa femme, l’hôtelier lui confia :

– Celui-là, il va falloir s’en méfier ! Quelque chose me dit que c’est un espion…

Ce en quoi il ne se trompait pas beaucoup…

Le rendez-vous n’étant que pour le soir, Aldo passa la journée dans sa chambre à se reposer et à réfléchir. L’humeur était sombre. D’abord parce que, habitué des sleepings, il avait mal dormi dans la couchette que lui avait royalement allouée le salopard qui tirait les ficelles de sa vie. Il n’y était pas seul, et les ronflements sonores de ses deux compagnons – par chance, l’une des couchettes était inoccupée – l’avaient propulsé dans le couloir au moins autant que l’odeur de transpiration, d’autant plus pénible à supporter que, partisans du huis clos, les voyageurs en question s’étaient fermement opposes à l’ouverture même modeste de la fenêtre. C’est seulement après l’arrêt de Bordeaux où pas mal de monde descendait qu’il avait eu la chance de trouver un compartiment vide où il s’était réfugié avec béatitude. Aussi, après l’excellent déjeuner d’Arranxa Laralde composé de charcuteries locales, d’une énorme tranche de thon à la basquaise et d’un gâteau maison, arrosés d’Irroulégui, éprouva-t-il le besoin d’une petite sieste. Au contraire d’Adalbert qui tenait le repos méridien pour l’un des beaux-arts et s’endormait à volonté n’importe où et dans n’importe quelle position, il détestait cette coupure dont il assurait qu’on en sortait l’œil vitreux et la bouche épaisse. Mais cette fois il y sacrifia sans peine en pensant avec sagesse qu’il allait avoir besoin de toutes ses forces.

Il en émergea deux heures plus tard frais comme un gardon et décida d’aller faire un tour en ville pour voir de plus près les belles demeures anciennes, dire une prière à l’église Saint-Jean-Baptiste où, près de trois siècles auparavant, le jeune Louis XIV en habit de drap d’or voilé d’une fine dentelle noire avait épousé une petite infante blonde en robe de satin blanc brodée de fleurs de lis d’or comme son lourd manteau de pourpre. Deux robes impressionnantes les entouraient, celle, noire, de la reine mère Anne d’Autriche et la simarre amarante du cardinal Mazarin qui signait là son chef-d’œuvre avant de s’en aller vers sa fin…

Saisi par l’ambiance, Aldo s’attarda dans la magnifique église au fameux retable doré dû au sculpteur Martin de Bidache, à la nef unique entourée de trois rangs de galeries en bois sculpté où, le dimanche, les hommes accédaient par un étroit escalier pour chanter la gloire du Seigneur avec des voix de bronze. Et, surtout, il pria longtemps, avec ferveur, pour que d’autres que lui n’eussent pas à pâtir de la dangereuse aventure à laquelle on l’avait contraint. La tentation était grande de téléphoner à Saint-Adour pour retrouver la voix chaleureuse de Tante Amélie ou celle de Plan-Crépin. Les savoir si proches était une tentation à laquelle il fallait surtout se garder de céder : elle risquait de déclencher une catastrophe. Grâce à Dieu, il avait pu, avant de quitter Paris, avoir Lisa au téléphone. Rien à signaler à Vienne, sauf les jumeaux qui commençaient à réclamer de plus vastes espaces que le jardin intérieur étriqué du palais grand-maternel…

Ayant accordé à son âme le réconfort de cette halte dans la maison de Dieu, Aldo gagna la place Louis-XIV pour s’y réchauffer le corps à l’aide d’un café mais ne s’attarda pas. Le soir allait bientôt tomber et, ne sachant trop quand l’ennemi prendrait contact avec lui, il tenait à se trouver à pied d’œuvre.

Col relevé et les mains au fond des poches de son manteau pour se préserver de la fraîcheur qui venait, il reprenait le chemin de son hôtel et marchait le long du quai lorsqu’un cycliste le dépassa :

– Tout va bien, Monsieur Morlière ? lança-t-il sans se retourner.

En dépit de ses soucis, Aldo ne put retenir un sourire qui acheva de le détendre : cet inconnu, empaqueté d’un caban de marin et d’un ample béret basque, qui s’éloignait en abandonnant ses pédales pour écarter les jambes et les reprendre à la manière d’un joyeux drille en goguette, l’avait salué avec la voix d’Adalbert…

Sans se demander comment ce diable d’homme avait réussi à le rejoindre, Aldo sentit qu’il respirait mieux.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю