Текст книги "le collier sacré de Montézuma"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– Mon histoire, ou plutôt celle de ma mère, est simple et, je le crains, assez dépourvue d’originalité. Une jeune fille de l’aristocratie lyonnaise peu argentée, mariée par convenances à un haut magistrat plus âgé qu’elle mais fort riche. Après deux ans de mariage… improductif, elle rencontra au cours d’une chasse un jeune mais déjà renommé antiquaire parisien de belle mine et de belle prestance. Tous deux furent victimes d’un coup de passion qu’avec une chance incroyable ils réussirent à cacher à leur entourage. Ma mère a toujours considéré cela comme un miracle, tant la haute société lyonnaise où n’accèdent que les grands « soyeux », la noblesse et autres personnalités de haut vol, est attentive – je dirais jour et nuit ! – à l’observation de ceux qui en font partie.
– Ce n’est pas spécifique à la capitale des Gaules, remarqua Tante Amélie. Vous en trouverez autant – aux « soyeux » près – à Lille, à Rennes, à Toulouse, à Bordeaux ou à Marseille ! Que voulez-vous, dès l’instant où l’on a trop d’argent, trop de domestiques et rien à faire, il faut bien trouver des moyens de se distraire ! Ensuite ?
– En dépensant pas mal d’argent et grâce à la complicité compréhensive de ma grand-mère maternelle qui détestait son gendre et ne s’en cachait guère ainsi que du parrain de ma mère, les amoureux ont réussi à arracher les rares moments d’un de ces bonheurs qu’on ne vit qu’une fois, et puis Maman s’est retrouvée enceinte et il a fallu se séparer. Non sans peine : mon père… je veux dire Gilles Vauxbrun, voulait qu’elle divorce afin de l’épouser mais c’eût été aller au-devant d’un énorme scandale doublé de l’éviction de l’Église qui eût mis ma mère au ban de la société…
– Elle aurait vécu à Paris. Cela changeait tout, dit Aldo.
– Cela ne changeait rien du tout ! reprit la marquise. À Paris comme à Londres, Rome, Madrid ou Tombouctou, on ne reçoit pas une femme divorcée et le remariage s’apparente alors au concubinage… Il aurait été salutaire que le mari consente à quitter cette vallée de larmes…
– Malheureusement, le président Faugier-Lassagne dont je porte le nom jouissait d’une santé de fer, même s’il avait vingt-cinq ans de plus que ma mère. Il a fallu, il y a dix ans, le déraillement du rapide Paris-Lille pour en venir à bout…
– Qu’est-ce qu’il faisait là-dedans ? demanda Marie-Angéline.
– D’après ce que j’en sais, il avait été invité à un congrès de magistrats européens et, grâce à Dieu, il n’avait pas emmené ma mère ! En fait, il ne l’emmenait jamais nulle part, en dehors de Lyon et de ses environs. Il n’a pas douté un instant que je ne fusse son fils, ce qui ne veut pas dire qu’il débordait d’affection pour moi. Que je sois assez solide pour assurer la pérennité du nom, que je fasse de bonnes études et que je me tienne convenablement à table était ce qui importait. Jamais je n’ai eu de lui la moindre marque d’affection mais, si je faisais une sottise quelconque, il ne me ratait pas…
– Vous avez des frères, des sœurs ? s’enquit Aldo.
– Aucun. J’en arrive à penser que le président, par chance, était stérile mais il avait de lui-même une trop haute opinion pour seulement l’imaginer et il rendait ma mère responsable de cette unique contribution au développement de la famille. En fait – je regrette de le dire ! – sa mort a été une délivrance pour elle comme pour moi.
– Et votre mère, comment est-elle ? s’intéressa Tante Amélie.
– Attendez que je devine, coupa Aldo. Elle est très belle, brune avec des yeux noirs ou gris, un teint chaud…
– Vous n’y êtes absolument pas, interrompit le jeune homme, surpris. Elle est encore très belle c’est vrai mais plus blonde qu’elle ne se peut faire et ses yeux sont aussi transparents que de l’eau de source. Nous sommes très proches l’un de l’autre et, après la mort du président, elle n’a pas hésité à m’avouer la vérité. J’avais quinze ans alors…
– Le choc n’a pas été trop rude ? s’inquiéta Adalbert.
– Vous voulez dire que j’ai été soulagé. L’idée que peut-être avec l’âge je pourrais ressembler au président me glaçait le sang.
– Pourtant, à son exemple, vous êtes magistrat ?
– Il n’y est pour rien. La Justice, la lettre de la loi m’ont toujours fasciné. Cela amusait beaucoup mon vrai père. Il disait qu’il n’aurait pas imaginé avoir un fils pourvoyeur de l’échafaud !
– Quand l’avez-vous connu ? fit Aldo.
– Au lendemain de la mort du président. Depuis ma naissance, il n’avait jamais remis les pieds à Lyon mais, quand il a su la nouvelle, il a écrit à ma mère et c’est ainsi que je suis « monté » plusieurs fois à Paris. On s’entendait si bien ! Nous avons même fait deux voyages ensemble : l’un en Italie, l’autre en Autriche et en Hongrie. Il m’a fait découvrir Versailles, le parc, les Trianons, et j’ai suivi avec passion dans les journaux vos démêlés avec le Vengeur de la Reine, l’an passé. J’aurais aimé être là ! Voir tous ces gens et cette lady Crawford…
Après un bref regard de connivence avec Tante Amélie, Aldo changea délibérément de conversation. Il se voyait mal annonçant à ce garçon que son père était, à l’époque, amoureux fou de la belle Léonora, comme il l’avait été auparavant de Pauline Belmont et de la danseuse tsigane Varvara Vassilievich. Trois brunes incontestables ! Et que Vauxbrun parlait d’épouser ! Pour deux d’entre elles du moins, et si la belle Américaine – qui possédait encore le pouvoir de faire trembler son cœur ! – eût fait une belle-mère plus qu’honorable, on pouvait se demander quelle tête eût fait le futur procureur de la République en accueillant dans sa famille une tribu tsigane bourrée de talents au nombre desquels le lancement du couteau brillait en bonne place !
– Comment se fait-il qu’il ne m’ait jamais parlé de vous, alors que j’étais son plus vieil et je crois son meilleur ami ? J’en éprouve un peu de tristesse, je ne vous le cache pas…
– Il ne faut pas ! Cela n’entame en rien la profonde amitié qu’il avait pour vous mais il préférait que nos relations demeurent secrètes. Comment voulez-vous être à la fois le célibataire le plus recherché de Paris et le père déclaré d’un escogriffe dans mon genre ?
– Je me serais contenté du filleul.
– Oh, ce n’est pas faute de lui avoir demandé de nous mettre en présence, mais il n’y a jamais consenti. Vous étiez un peu trop séduisant pour lui, j’ai l’impression : il craignait qu’une part de mon affection n’aille vers vous. De même, je n’ai rien su de son mariage avec la jeune Mexicaine. Ce sont les journaux qui me l’ont appris ainsi que sa disparition. À ce moment, voulant en savoir davantage, je suis venu voir Maître Baud… qui d’ailleurs venait de m’écrire.
– Le notaire ? Il connaît votre existence, lui ?
– C’est le seul ! C’était nécessaire puisque mon père a fait de moi son légataire universel.
Sans réfléchir, Adalbert lâcha :
– Voilà pourquoi on vous a rencontré cette nuit ? Vous vouliez faire l’inventaire ?
– Cela ne vous ressemble pas de dire des sottises, Adalbert, protesta Mme de Sommières cependant qu’au regard dont François-Gilles enveloppa le maladroit on pouvait deviner ce que seraient plus tard ses réquisitoires.
– Non, fit-il sèchement. Je voulais visiter la tanière de ces gens dans l’espoir d’y retrouver une trace… n’importe laquelle. Je ne pensais pas me trouver face à la preuve absolue de leur culpabilité. Et puisque vous n’avez pas voulu appeler la police, je vais me mettre à leur recherche et m’en occuper personnellement !
Cette fois, ce fut Marie-Angéline, remarquablement silencieuse depuis l’arrivée du jeune homme, qui s’en mêla :
– Un instant ! Il faut que vous sachiez d’abord pour quelle raison mon cousin et M. Vidal-Pellicorne préfèrent que le meurtre lui soit dissimulé encore quelque temps. Il y va d’autres vies humaines… dont les leurs peut-être…
Et sans permettre à quiconque de l’interroger, presque sans respirer, elle expliqua la situation dans laquelle Aldo se débattait :
– Si le meurtre est découvert avant les trois mois impartis, l’assassin saura que son chantage ne tient plus et il prendra d’autres otages qui pourraient être Lisa Morosini, ses enfants, Adalbert ou notre marquise ! J’espère que vous pouvez comprendre ça ?
– Oui, j’ai compris et je vous prie de m’excuser. En revanche, vous admettrez que, pour moi, le crime soit signé, aussi ai-je l’intention de les approcher. Et s’ils sont à Biarritz, eh bien, j’y vais ! Et pas plus tard que demain…
– Qu’y ferez-vous ? fit Aldo, agacé. Vous ne savez pas où ils sont : c’est vaste, Biarritz !
– Oh, je trouverai. Ils ne sont pas gens à passer inaperçus, d’après ce que vous en avez dit. À présent, il me reste à vous remercier, ajouta-t-il en se levant. Et à vous demander où je peux me procurer un taxi !
– À cette heure ? s’étonna Mme de Sommières. On vous a préparé une chambre ici.
– Je suis confus ! J’étais tellement accablé tout à l’heure que je me suis laissé emmener comme un petit garçon et votre accueil si chaleureux m’a soulagé un peu mais, maintenant, il faut que je fasse quelque chose… moi-même !
– On peut le concevoir… à condition de regarder où vous mettez les pieds, concéda Adalbert. Cela dit, puisque moi je rentre rue Jouffroy, je vais vous ramener au Lutetia. Tu me prêtes ta voiture ? ajouta-t-il à l’intention d’Aldo.
– Naturellement.
Les adieux furent vite expédiés. François-Gilles promit de donner de ses nouvelles et partit avec Adalbert. Tante Amélie prit le bras d’Aldo pour gagner le petit ascenseur vitré qui lui évitait l’escalier.
– À y réfléchir, dit-elle, je pense qu’il n’a pas entièrement tort. L’idée de ce pauvre homme entassé dans sa caisse pour y pourrir pendant des semaines m’est désagréable...
– Que fait-on d’autre dans un cercueil capitonné ? lança Marie-Angéline.
– Quand vous n’aurez que des réflexions de ce genre, vous pourrez les garder pour vous, Plan-Crépin ! C’est d’un goût !… Je pensais que Langlois mis en face de la preuve flagrante du crime n’aurait plus qu’à signer des mandats d’arrêt. Cette intéressante famille une fois sous les verrous, la menace qui pèse sur toi tomberait automatiquement.
– Sauf qu’elle n’a pas été proférée par Don Pedro, ni par son fils et moins encore par les deux femmes mais par un chef de bande recruté à New York par Miguel. Je me demande à présent si les Vargas et autres Olmedo sont toujours les maîtres du jeu et s’ils ne sont pas plus ou moins pris à leur propre piège.
– Qu’est-ce qui te le fait penser ?
– Le dernier billet de Vauxbrun. Souvenez-vous qu’il me demande de « veiller sur elle ». Ce ne peut être qu’Isabel et vous dites vous-même, Tante Amélie, qu’en dépit de son caractère rébarbatif, la vieille dame ne vous a pas laissé un si mauvais souvenir ! En outre, elle croit toujours que le collier prétendument volé par Vauxbrun est le vrai.
– J’aurais tendance à être d’accord pour les deux femmes, quoique la jeune ait joué, il me semble, un rôle déplaisant mais, à mon sens, les deux hommes sont tout sauf innocents.
Le court voyage en ascenseur interrompit la conversation. Elle reprit dans la galerie desservant les chambres, et ce fut Marie-Angéline qui s’en chargea en déclarant d’autorité :
– Nous devrions avertir Aldo que nous avons décidé de passer la semaine de Pâques à Biarritz et de rendre visite à une cousine que nous n’avons pas vue depuis une éternité : la vicomtesse Prisca de Saint-Adour dont le château… n’est pas éloigné de celui d’Urgarrain…
Il y avait une note de triomphe dans cette annonce. Aldo en conclut que le « fidèle bedeau » avait dû rompre quelques lances pour arracher la décision à « notre marquise ». Celle-ci d’ailleurs détournait les yeux avec un petit reniflement qui en disait long. Auquel cependant elle crut devoir ajouter :
– À condition que nous fassions un séjour à l’hôtel du Palais avant d’aller chez cette folle : elle vit habillée en paysan la plupart du temps, élève des vaches, et s’est fait confectionner un magnifique cercueil d’acajou aux bronzes dorés où, en attendant de l’occuper définitivement, elle conserve sa provision de pommes de terre !
En dépit de ses soucis, Aldo ne put s’empêcher de rire :
– En voilà une que je ne connaissais pas ! Vous en avez beaucoup de cet acabit en réserve ?
– Celle-là au moins a le mérite du pittoresque. C’est par-dessus le marché le meilleur fusil de la région.
– Même sous sa protection, l’idée de vous savoir dans ces parages ne m’enchante pas. Je crains que vous n’y soyez en danger…
C’était la dernière chose à dire.
– Si tu as si peur, viens avec nous ! C’est très cosmopolite, la semaine de Biarritz. On y trouve de tout : des Belges, des Autrichiens… des rastaquouères. Au point où tu en es, tu auras peut-être un coup de chance… et puis, si tu fais chou blanc, cela ne fera jamais que sept jours sur les deux mois et demi qui te restent…
– Je vais y réfléchir et en parler à Adalbert. Mais c’est surtout l’idée de pouvoir vous surveiller qui me séduit…
Réintégrée dans sa chambre où Aldo la suivit, la vieille dame alla s’asseoir sur la « Récamier » de velours gris où elle aimait s’étendre dans la journée, quand elle souhaitait prendre un petit repos sans déranger l’harmonie de son grand lit à falbalas de satin et de mousseline. Aussitôt Marie-Angéline protesta :
– Nous ne nous couchons pas ?
– On verra plus tard, je n’ai plus sommeil ! Viens t’asseoir près de moi, Aldo ! ajouta-t-elle en tapotant le siège.
– Quelque chose ne va pas ?
– En effet, mais je ne voulais en parler qu’en famille… dans laquelle, bien sûr, Adalbert a gagné sa belle place. Voilà ! Ne le prends pas en mauvaise part mais je partage le sentiment de ce jeune substitut, il m’est profondément désagréable de savoir ce pauvre Vauxbrun abandonné au fond de sa maison dévastée, tel un détritus dans une poubelle !
– Je suis d’accord avec vous, Tante Amélie. Si la découverte n’avait pas été faite en présence de ce fils tombé du ciel, j’aurais déjà confié l’affaire à Langlois, sous le sceau du secret. Il n’ignore rien de ma situation actuelle et je pense qu’il aurait agi en conséquence. D’autant que plus on attendra et plus l’autopsie sera difficile. Mais il fallait à tout prix clouer le bec à ce jeune fou.
– Et le voilà parti à la recherche de ceux qu’il croit les assassins de son père. On ne sait s’il sera, à l’avenir, un champion du réquisitoire, mais il est encore jeune et pourrait laisser échapper une parole malheureuse…
– Dans ce cas, que voulez-vous que je fasse ?
– Toi, rien… sinon m’autoriser à inviter ce cher commissaire à dîner, à déjeuner… ou à boire un verre de champagne… mais hors de ta présence. Tu pourrais, pendant ce temps, te rendre, en compagnie d’Adalbert, dans un lieu suffisamment fréquenté pour que l’on vous y remarque…
– Qu’avez-vous en tête ?
– Rien que de très naturel…
– Je n’ai pas l’impression d’avoir compris ! s’indigna Marie-Angéline. Nous sommes une dame âgée, fragile et tourmentée par une vilaine affaire dans laquelle notre neveu préféré est enfoncé jusqu’au cou. Alors, nous voulons demander à ce sympathique commissaire de le faire surveiller discrètement…
– Bien que je lui aie tout raconté des derniers événements, je ne serais pas étonné qu’il le fasse déjà.
Elle lui jeta un coup d’œil sévère :
– Aldo, mon ami, vous êtes fatigué : c’est la version officielle. En réalité, nous allons lui faire savoir le résultat de votre visite rue de Lille et l’entrée en jeu du parquet de Lyon ! Ai-je convenablement traduit ?
– À merveille ! À cela près que personne ne vous le demandait, et que n’ayant pas encore atteint le gâtisme absolu, j’étais parfaitement capable de m’en sortir seule…
– N’importe, l’idée est bonne, conclut Morosini. Reste à savoir où je pourrais emmener Adalbert. Il est impossible quand Théobald ou Eulalie ne sont pas aux fourneaux !
La question ne se posa pas longtemps. Au courrier du matin, il y avait une lettre de Maître Lair-Dubreuil communiquant l’adresse de Marie Moreau, la dernière femme de chambre de l’impératrice Charlotte. Et le lendemain, Morosini prenait la route de Valenciennes. Le temps devenant printanier, il avait choisi de faire le chemin en voiture pour le plaisir de conduire, un plaisir plutôt rare quand on habitait Venise…
Mme Moreau logeait, au cœur de la vieille ville, près de l’église Saint-Nicolas dans une belle maison ancienne. C’était une femme encore jeune dont le visage régulier portait, sous les cheveux gris sévèrement tirés en chignon, les traces de vieilles douleurs. Elle reçut Morosini avec la courtoisie inhérente à ceux qui ont longtemps fait partie d’entourages royaux. Il s’était présenté à elle pour ce qu’il était, ajoutant qu’il cherchait à reconstituer, pour un client ami, la collection d’éventails ayant appartenu à la défunte souveraine du Mexique.
– Elle aimait à s’en servir et en possédait énormément, me suis-je laissé dire. Ce qui est normal pour une jeune femme ayant séjourné longuement à Milan, à Venise, à Trieste et au Mexique. En outre, elle aurait apprécié particulièrement ces charmants objets dont le maniement gracieux a fini par constituer une sorte de langage…
– Je pense que vous aurez du mal, prince, et que votre client ne devrait pas se limiter à la seule et malheureuse impératrice. Elle les assortissait souvent à ses toilettes – c’est ce que l’on m’a rapporté car je n’ai été à son service que sept ans – mais quand est venue la fin de ses tourments, il ne lui en restait que six…
– Qu’en avait-elle fait ?
– Elle en a donné, dont celui que je vous montrerai dans un instant – mais je refuse de le vendre. Cela doit rester bien entendu entre nous ?
– Je le déplore naturellement mais ce n’en sera pas moins, pour moi, un privilège ! fit Aldo cachant sa déception sous un sourire. Que sont devenus les autres ?
– Vous voulez parler de la collection ou des derniers ?
– Commençons par la collection. Nous finirons comme il se doit par les derniers !
– On lui en a volé dans les débuts de son mal où elle était autant dire captive des Autrichiens dans une dépendance du château de Miramar. D’autres ont disparu lors de l’incendie qui a détruit le château de Tervueren où la reine Marie-Henriette l’avait installée après l’avoir ramenée en Belgique. Elle en a elle-même brisé plusieurs au cours des terribles crises qui la retranchaient du monde.
– Elles étaient fréquentes, ces crises ?
– Davantage vers la fin, bien sûr ! Et parfois très pénibles. Elle devenait un animal furieux, griffant et mordant les téméraires qui l’approchaient. Et pourtant, dans ses périodes de rémission, c’était une dame charmante, s’intéressant aux arts et aux fleurs de son jardin. Toujours tirée à quatre épingles et soucieuse de son aspect. Vous devez savoir qu’elle est morte octogénaire, mais elle avait conservé une fraîcheur qui faisait notre admiration. Elle avait été très belle et le restait.
Il y avait une tendresse dans la voix de cette femme, qui, cependant, avait eu à pâtir des fameuses crises. La mince cicatrice qu’elle portait à la joue gauche en était sans doute la preuve mais il se garda de poser la question, se contentant de remarquer :
– Comme toutes les princesses belles et malheureuses, elle a maintenant ses dévots, presque sa légende. J’ai pu m’en rendre compte au château de Bouchout où j’étais récemment. Ce qui m’a permis de contempler, dans la maison du gardien, l’un des éventails que ces braves gens exposent comme un objet de piété. Est-ce l’un des derniers dont vous parliez, Madame ?
– Non, celui-là, Sa Majesté l’avait donné à Mme Labens peu après ma prise de service… Voulez-vous patienter deux minutes ?
Sans attendre la réponse, elle se leva – il en fit autant ainsi que le voulait la bienséance ! – et s’éclipsa. En revenant, elle tenait en main l’une de ces fameuses boîtes de cuir qu’elle posa sur une table. En sortit un bel éventail d’ivoire gravé d’or dont la feuille était de dentelle blanche légèrement jaunie par le temps.
– Il est joli, n’est-ce pas ? C’était l’un de ceux qu’elle préférait.
– En effet… et d’autant plus émouvant ! Ah, le coffret est semblable à celui de Mme Labens, ajouta-t-il en le prenant sans hésiter.
– Ils étaient tous semblables, quoique de tailles différentes.
Après l’avoir ouvert, Morosini le reposa presque aussitôt. Celui-là aussi était sans secret.
– Puis-je demander à présent ce que vous savez des derniers ?
– C’étaient les plus beaux. Ses sœurs et sa belle-sœur se les sont partagés. La princesse Clémentine Napoléon en a eu un, la princesse de Lonyai, ex-archiduchesse Stéphanie, un autre, un troisième a été envoyé à la fille de la princesse Louise décédée en 1924, un autre encore à Sa Majesté la reine Élisabeth et le dernier… Au fait, je ne me souviens pas à qui on l’a offert. On a dû en décider après mon départ.
– Une princesse de la famille d’Orléans peut-être ?
– Elles ne sont que cousines, et puis laquelle choisir ? Voilà ! Je ne peux pas vous en apprendre davantage. Vous voyez que votre parent devra renoncer à son projet et se contenter de ce qu’il a. Croyez que j’en suis désolée !
L’entretien se prolongea, à bâtons rompus, autour de l’incontournable tasse de café. Aldo rejoignit sa voiture et reprit la route de Paris, non sans avoir hésité à remonter plus au nord, mais il y renonça par découragement et c’était bien la première fois qu’il éprouvait cette sensation désagréable de donner des coups d’épée dans l’eau. Où chercher désormais ?
Il se voyait mal priant une souveraine régnante et trois princesses de le laisser fouiller leurs souvenirs de famille et, moins encore, en cas de succès, trouver un moyen de les délester. Et le temps s’écoulait, un jour après un autre jour… Les trois mois seraient vite usés.
La solution de facilité serait, sans chercher plus loin, de faire passer l’annonce dans la presse et d’aller au rendez-vous qu’on lui fixerait, les mains vides évidemment, mais suivi discrètement par les hommes de Langlois. Une folie ! Ce serait sous-estimer un ennemi qui, sans doute, y avait pensé avant lui, auquel cas, l’entrevue pourrait se transformer en catastrophe. Il risquait d’être tué ou, pis encore, capturé afin de l’obliger à assister au supplice d’un être cher, quel qu’il soit. Le souvenir du petit rire cruel n’était pas près de s’effacer…
C’est alors qu’une autre idée lui vint, tandis que s’étiraient interminablement devant lui les deux cents kilomètres séparant Valenciennes de Paris. Vauxbrun avait été piégé par une copie du collier sacré. Copie que le ravisseur lui-même estimait grossière mais il était peut-être possible d’en faire exécuter une capable de tromper un expert et même plusieurs. Pour cela il fallait retrouver l’artiste que Simon Aronov avait chargé de reproduire les gemmes manquant au Pectoral du Grand Prêtre (15). Aldo n’avait jamais su qui il était ni où il vivait mais en posant les bonnes questions aux bons endroits, il serait plus facile de découvrir sa retraite que de continuer cette course à l’éventail qui avait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de ne mener à rien. Et d’abord interroger Adalbert, qui avait travaillé pour le boiteux bien avant leur rencontre…
Revigoré, il appuya sur l’accélérateur et dévora l’espace sans s’arrêter, sauf pour se ravitailler en essence et boire un café.
À huit heures du soir, il stoppait son moteur rue Jouffroy devant le luxueux et sévère immeuble où habitait son complice habituel. La nuit était venue mais un coup d’œil à la fenêtre éclairée du bureau lui apprit qu’il était au logis. Dédaignant l’ascenseur, il escalada en quelques enjambées l’étage sur entresol dont la porte vernie aux cuivres étincelants s’ouvrit devant lui sous la main d’un Théobald visiblement enchanté :
– Oh ! Monsieur le prince ! Monsieur allait passer à table mais j’ajoute tout de suite un couvert !
En veste d’intérieur à brandebourgs en velours usagé et « charentaises » à carreaux, ses cheveux blonds en désordre pour ne pas changer, Adalbert apparut aussitôt et, prenant Aldo par le bras, l’entraîna dans son cabinet de travail :
– Alors, que rapportes-tu ?
– Une déception de plus mais aussi une idée. D’abord, donne-moi quelque chose à boire ! À part deux cafés dans un bistrot de campagne, je n’ai rien avalé depuis ce matin…
Connaissant les goûts de son ami, Adalbert le nantit d’une fine à l’eau puis l’emmena à la salle à manger où Théobald venait d’ajouter le couvert annoncé.
– Ce n’est que du pot-au-feu, ce soir, s’excusa celui-ci.
– À merveille ! Juste ce qu’il convient quand on vient de faire une longue route ! D’autant plus que le vôtre n’est pas celui de n’importe qui !
Tout en savourant le délicieux consommé aux croûtons et les différentes viandes escortées de légumes dont le valet cuisinier composait une sorte de chef-d’œuvre, Morosini relata son voyage éclair et ce qu’il en résultait.
– C’est encore pis que je ne le pensais, conclut l’égyptologue. Ça revient à chercher une aiguille dans une botte de foin ! Voyons ton idée maintenant !
– Saurais-tu par hasard où et par qui notre ami Simon avait fait exécuter, entre autres, les copies parfaites de l’Étoile bleue et du diamant du Téméraire ?
– Il ne me l’a jamais confié ! Tu songerais à faire reproduire ce fichu collier ?
– À l’identique absolu, oui !
– Pas idiot ! Encore faudrait-il savoir à quoi il ressemblait ? Cinq grosses émeraudes, d’accord, mais taillées de façons différentes et séparées par des ornements d’or. Avoue que c’est vague !
– Pas pour moi. J’ai dans ma bibliothèque, à Venise, un vieux bouquin traitant des joyaux disparus et qui est l’une de mes bibles. Il y a tout ! Même les côtes et les nuances des pierres… Je n’ai qu’à aller le chercher.
– Pour le porter à qui ? Je te répète que je ne sais rien de ce véritable artiste qui nous a été d’un si grand secours. Et je ne vois pas qui pourrait nous renseigner. Ceux qui composaient l’entourage immédiat d’Aronov ont été tués.
– Pourquoi celui-là serait-il mort puisque personne n’a jamais rien su de lui !
– Il n’empêche que ton idée débouche malheureusement sur une impasse, philosopha Adalbert en allumant sa pipe dont il tira quelques bouffées, avant d’ajouter : Tu veux un cigare ?
– Plus tard…
– Tu as tort : ça aide à réfléchir…
– Alors, fumes-en un, au lieu de ta pipe de grenadier ! Et, s’il te plaît, tais-toi pendant une ou deux minutes…
Il ne les utilisa pas. Trente seconde à peu près s’écoulèrent avant qu’il n’émette, pensant à voix haute :
– S’il existe quelqu’un sur terre qui peut nous aider, ce ne peut être qu’un seul homme. Celui qui était son meilleur ami, l’unique dépositaire d’au moins une partie de ses secrets…
– À qui penses-tu ?
– Le baron Louis, voyons !
– Rothschild ?
– Évidemment. Souviens-toi ! C’est lui qui m’a permis de rencontrer à Prague le maître du Golem et dont le yacht nous a conduits à Jaffa pour rapporter le pectoral reconstitué.
– Difficile d’oublier son hospitalité. Tu sais où le trouver ?
– Normalement dans son palais de la Prinz Eugenstrasse à Vienne, mais il possède d’autres domaines et il voyage beaucoup…
– Une excellente raison pour ne pas perdre de temps. Appelle-le ! conclut Adalbert en désignant le téléphone.
– Tu sais qu’il peut y avoir trois ou quatre heures d’attente ?
– Il m’est arrivé de te supporter plus longtemps ! Appelle !
Aldo consulta son calepin de galuchat vert à coins dorés où il avait consigné les informations présentant une éventuelle utilité, décrocha le combiné et demanda le numéro à la téléphoniste.
– Pour Vienne, une demi-heure d’attente ! répondit-elle à sa surprise incrédule.
– Pas plus ?
– Non, Monsieur ! À cette heure, les lignes sont rarement encombrées !
C’était une nouveauté qu’il se garda bien de faire remarquer. Quelques jours plus tôt, il avait attendu près de quatre heures pour obtenir sa femme au téléphone. Pourtant, vingt-cinq minutes seulement s’étaient écoulées avant qu’il n’entende la voix distinguée d’un maître d’hôtel. L’entretien ne dura guère. Pas plus de deux minutes. Rasséréné, Aldo avait raccroché :
– On dirait que notre chance tient bon. Il est à Paris pour une petite semaine…
– Et tu sais où le dénicher à Paris ? Si c’est chez l’un de ses cousins…
– Non. Lorsque qu’il n’est pas chez lui ou sur son yacht, il adore les hôtels de luxe. À Paris, c’est le Crillon, qui a l’avantage d’être à deux pas de la rue Saint-Florentin où son cousin Édouard habite l’ancienne demeure de Talleyrand et à trois pas d’un autre cousin, Robert, qui possède l’hôtel de Marigny en face de l’Élysée. Étant à presque égale distance des deux, il ne blesse personne. Je vais lui laisser un message…
– Tu t’y retrouves, toi, dans les Rothschild ? gloussa Adalbert.
– Non, avoua Aldo en riant. Il y en a trop. Rien qu’en France, trois branches – et je salue les membres de cette famille qu’il m’arrive de rencontrer dans les grandes ventes de joyaux ou d’objets précieux ! – sans compter les Anglais et les Autrichiens que représente le baron Louis. Encore les deux autres branches, celle de Francfort et celle de Naples, ont-elles disparu (16).
– Grâce ! Ne me délivre pas un cours magistral sur les cinq flèches de leur blason, représentant les cinq fils que le vieux Mayer Amschel, le prêteur de Francfort, a lâchés sur l’Europe à la fin du XVIIIe siècle. Je les connais aussi bien que toi ! Appelle plutôt le Crillon !
Aldo s’exécuta dans l’intention de laisser un message mais, comme il venait de le dire, sa chance semblait tenir bon. Le baron rentrait à l’instant et se montra enthousiaste :
– Quelle heureuse surprise que vous soyez à Paris en même temps que moi, mon cher prince ! J’avais justement l’intention d’aller, demain, saluer Mme de Sommières et Mlle du Plan-Crépin…
– Pardon si je vous choque, mais je voudrais que vous acceptiez seulement de déjeuner avec moi, justement demain si vous êtes libre, et au Ritz… Je vous expliquerai pourquoi. Il serait préférable que l’on ne vous voie pas venir rue Alfred-de-Vigny.
– Ah ! Au ton de votre voix, je devine qu’il se passe quelque chose… peut-être en rapport avec la curieuse disparition de M. Vauxbrun ?
– Exactement !
– En ce cas, voulez-vous demain à treize heures ?
– C’est parfait. Je vous attendrai…
Reposant le combiné, Aldo ajouta :
– Voilà ! On déjeune demain au Ritz à treize heures ! Naturellement tu m’accompagnes ?
– Sûrement pas ! N’oublie pas que tu risques d’être surveillé. De même que tu as eu raison de ne pas le laisser venir chez notre marquise, il vaut mieux que tu sois seul avec lui. Cela paraîtra plus naturel : une rencontre fortuite en quelque sorte… Avec moi, ça devient presque un concile…