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le collier sacré de Montézuma
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 20:33

Текст книги "le collier sacré de Montézuma"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– J’y ai pensé mais je ne vous cache pas que cela me gêne. En particulier vis-à-vis de la reine. Elle ne s’occupe guère que de musique et du bien-être de ses sujets. Pas de bijoux, et je n’ai pas envie de jouer les boutiquiers auprès d’une femme d’une telle valeur !

Cette fois, Lair-Dubreuil ne put s’empêcher de rire :

– Vous voilà pris en flagrant délit d’amour-propre mal placé. Ah, ce n’est pas toujours facile d’être prince et commerçant ! Mais je vous comprends tout à fait. (Et, redevenant sérieux et baissant la voix :) Puis-je demander si votre recherche a un rapport avec la disparition inexplicable de notre ami Vauxbrun ?

– Exactement. Pardonnez-moi de ne pas vous en dire plus. Je me contenterai de vous avouer que je vis un vrai cauchemar…

– Je m’en doute. À ce propos, quand vous verrez le commissaire Langlois, dites-lui que jusqu’à présent je n’ai pas trouvé trace des tableaux et meubles enlevés de chez Vauxbrun. On a dû les embarquer pour une destination lointaine : les États-Unis par exemple. Ou alors les livrer à un collectionneur privé autant que discret dont ils sont en train de faire le bonheur. Cette histoire-là est à proprement parler insensée mais… pour en revenir à votre problème, je pense être à même de vous trouver au moins les noms de ceux qui ont formé le dernier entourage de l’impératrice.

Aldo ne retint pas un soupir de soulagement :

– Je vous en serai infiniment reconnaissant. Pour l’instant, je vous avoue ne plus savoir de quel côté me tourner…

Mme de Sommières recevant quelques contemporaines à déjeuner, Aldo s’en alla demander l’hospitalité à Adalbert. Non qu’il redoutât la compagnie des vieilles dames, Tante Amélie sachant choisir ses amies, mais dans l’état d’esprit où il se trouvait, il se voyait mal au centre d’une conversation mondaine. Question d’atmosphère ! Celle de l’archéologue lui semblait beaucoup plus reposante.

Elle le fut durant tout le repas mitonné par Théobald ; œufs brouillés aux truffes, carré d’agneau et riz à l’impératrice arrosés d’un remarquable volnay. Après quoi, retirés dans le confortable cabinet de travail d’Adalbert, les deux amis dégustaient un excellent « moka » accompagné d’un armagnac hors d’âge et venaient d’allumer deux cigares « Rey del Mundo » au parfum suave, quand on sonna à la porte. Un instant plus tard, Théobald vint annoncer que son frère Romuald était là.

– S’il est venu en personne, c’est qu’il s’est passé quelque chose d’important, s’écria Vidal-Pellicorne. Qu’il entre. Apporte une tasse et refais-nous du café ! Alors, Romuald ? Quoi de neuf ?

– Je suis venu annoncer à ces messieurs que ma mission rue de Lille vient de prendre fin ! déclara-t-il avec une solennité aussitôt traduite par Adalbert en langage populaire :

– On vous a fichu à la porte ?

– Non pas, Monsieur, non pas ! Nous avons été remerciés il y a deux heures environ.

– Vous employez le pluriel de majesté, maintenant ?

– Monsieur ne me comprend pas ! Don Pedro Olmedo de Quiroga a donné congé à tout le personnel de l’hôtel à la seule exception du concierge qui reste dans sa loge et de Gomez, le valet mexicain de Don Pedro.

– Tout le monde ? s’étonna Morosini. Y compris la cuisinière ?

– Oui ! Mme Vauxbrun et sa grand-mère sont parties hier pour le Pays basque. Don Pedro les a escortées au train. Selon lui, elles sont excédées « par le mouvement incessant des journalistes autour de la maison qu’ils s’obstinent à assiéger » et elles recherchent un calme plus propice à un deuil. Elles doivent d’abord se rendre à Biarritz…

– Bravo pour la tranquillité, remarqua Adalbert. La grande semaine de Pâques va bientôt commencer et on y retrouvera l’Europe entière !

– Monsieur ne m’a pas permis d’achever, remarqua Romuald. J’allais dire qu’elles vont y attendre que les travaux entrepris dans leur château d’Urgarrain soient terminés. J’ajoute que les serviteurs de l’hôtel ont été généreusement rétribués et que, personnellement, en tant que dernier arrivé, j’ai touché trois mois de paie. Les autres ont reçu l’équivalent de six mois…

– Admirable ! apprécia Morosini, sarcastique. Vous oubliez Lucien Servon ? Lui a eu droit à un plongeon dans la Seine avec un parpaing aux pieds !

– Je sais, Excellence ! J’ai lu les journaux. Quelles sont mes directives à présent ?

– A-t-on fait de nouveaux prélèvements au mobilier ? interrogea Adalbert.

– Un seul… mais de taille : un portrait peu connu de Marie-Antoinette par Mme Vigée-Lebrun qui se trouvait dans la chambre de Don… je veux dire de M. Vauxbrun. Il a disparu il y a trois jours, ou, pour être plus exact, trois nuits.

– Curieux, ce déménagement par petits morceaux et toujours de nuit ? remarqua Aldo.

– C’est facile à comprendre, expliqua Adalbert : la présence en plein jour de camions de transport exciterait la curiosité du quartier et ferait jaser.

– De toute façon, on jase, émit Romuald, et singulièrement à la boulangerie à l’heure des croissants du matin. Puis-je redemander à Monsieur s’il a encore besoin de mes services ? ajouta-t-il en s’adressant à Adalbert.

– Pour le moment, non, mon bon Romuald ! Vous allez pouvoir continuer à surveiller la croissance mélodieuse de vos asperges, mais ne quittez pas Argenteuil sans nous prévenir ! Vous pourriez encore nous être utile. En attendant, merci !

Un long moment, les deux hommes fumèrent en silence, enfoncés dans les Chesterfield en cuir noir, légèrement usagés mais tellement confortables. Même après que se fut fait entendre la joyeuse pétarade de la motocyclette de Romuald retourné bichonner son jardin. Finalement, abandonnant un mégot dans un cendrier, Aldo soupira :

– Toi, je ne sais pas mais moi, j’ai bien envie d’aller faire un tour rue de Lille… aux environs de minuit par exemple ?

– Et si je n’avais pas envie de t’accompagner ?

– Ça m’ennuierait fort… mais j’irais ! Tes talents de serrurier vont me manquer !

– Je plaisantais. Il faudrait m’assommer pour m’empêcher d’aller mettre mon nez là-dedans…

Il était un peu plus de minuit quand Aldo gara sa voiture de louage à quelques numéros de l’hôtel Vauxbrun. La rue était calme, silencieuse et presque obscure : le réverbère placé en face de l’ambassade d’Espagne devait avoir eu des problèmes car il ne fonctionnait pas. Ce qui laissait dans l’ombre la maison voisine. Pareillement habillés de noir et chaussés de souples souliers à semelles de crêpe, les deux hommes gagnèrent le portail dans l’intention de s’introduire par la porte piétonne. Adalbert s’apprêtait à extirper d’un sac son assortiment de clefs passées dans un anneau quand Aldo l’arrêta :

– Pas la peine, chuchota-t-il. Le portail n’est que poussé. Regarde !

Appuyant doucement sur le lourd vantail de chêne verni afin d’élargir leur champ de vision, ils purent constater que la cour était encombrée par deux gros camions de déménagement, des authentiques cette fois, autour desquels s’activait sans bruit une noria d’homme vêtus de sombre, transportant des caisses ou des meubles enveloppés de chiffons entre la porte béante de l’hôtel obscur et l’arrière ouvert des véhicules à peine éclairés par des lanternes…

– Ça y est, on embarque tout ! murmura Aldo. Pas étonnant que l’on ait renvoyé le personnel !

– Il doit rester le concierge ? Où est-il ?

– Dans son lit ? Acheté ou drogué ? Ces gens-là m’ont l’air d’en connaître long sur l’art d’abrutir leurs contemporains…

– Et nous ? Qu’est-ce qu’on fait ?

– On attend la fin… et on les suit. Ne serait-ce que pour voir où ils vont.

Ils regagnèrent leur voiture qu’Aldo avança discrètement pour mieux surveiller l’entrée de la maison, allumèrent l’un sa pipe, l’autre une cigarette et attendirent… Ce fut interminable.

– Je parie qu’ils emportent aussi les ustensiles de cuisine, grogna Morosini en tirant son briquet pour la sixième fois. Sans oublier la cave ? Vauxbrun en a une fameuse !

– Pourquoi pas ? ronchonna Adalbert dont les pieds commençaient à geler. Tu n’aurais pas dû en parler ! Je donnerais ma chemise pour un bol de vin chaud copieusement sucré à la cannelle et aux zestes d’orange !

– Courage ! La nuit ne sera pas éternelle et ils partiront sûrement avant l’aube.

– Tu sais à quelle heure se lève le jour en ce moment ?

Enfin, peu avant quatre heures, le premier camion franchissait le portail – au ralenti pour faire le moins de bruit possible ! – suivi par l’autre et, derrière eux, le double battant se referma comme de lui-même.

– C’est ce que je pensais, le concierge est de mèche ! ragea Morosini. Ils l’ont acheté !

– Essaie donc de voir les choses de façon plus objective. Cet homme a reçu un ordre, il exécute, un point c’est tout. N’oublie pas que maintenant ce sont eux ses patrons ! Alors tâche de rester calme quand on viendra l’interroger demain…

– Ah ! Parce qu’on viendra demain ?

– Tu ne le savais pas ? Sacrebleu, Aldo, réveille-toi !

Les feux rouges arrière permettaient de suivre d’autant plus aisément qu’il n’y avait guère de circulation. Ce n’était pas encore l’heure du laitier et des éboueurs… On rejoignit le boulevard Raspail que l’on remonta jusqu’au Lion de Belfort, puis l’avenue et la porte d’Orléans où les camions s’arrêtèrent à l’octroi. Un employé vérifia des papiers avant de les laisser filer avec un vague salut d’un doigt porté au képi.

– Descends et passe-moi le volant, souffla Adalbert.

– Mais… pourquoi ?

– Parce que je suis mieux outillé que toi !

Une minute plus tard, le même employé venait se pencher à la portière :

– Rien à déclarer, Messieurs ?

– Si ! Nous suivons les deux monstres qui viennent de passer.

– Ils vous intéressent ?

– Oui. Nous sommes journalistes, assura Adalbert en produisant comme par un tour de prestidigitation une carte de presse qu’il mit sous le nez du préposé. L’un des chauffeurs est un personnage important… dont je dois taire le nom ! Vous comprenez ? Est-ce que vous pouvez nous dire où ils vont ?

– Ouais ! Vont à Bordeaux !… C’est pour quel canard ?

–  L’Intran (14) ! clama Adalbert en faisant redémarrer la voiture sur les chapeaux de roues. Merci beaucoup !

On fonça à travers Montrouge en train de s’éveiller jusqu’à ce que l’on eût retrouvé les feux des camions.

– Tu veux les suivre jusqu’à Bordeaux ? fit Aldo encore sous le coup de la surprise.

– Évidemment non ! Maintenant que l’on sait où ils vont – et il n’y a aucune raison d’en douter – on rentre à la maison ! conclut-il en empruntant la première rue à gauche et en fonçant à travers la banlieue sud jusqu’à rejoindre la porte d’Italie où l’on sacrifia de nouveau aux obligations de l’octroi en lançant : « Rien à déclarer ! » presque sans ralentir.

Une demi-heure plus tard,  Adalbert était dans son lit et Aldo dans l’escalier de Mme de Sommières en compagnie d’une Marie-Angéline en robe de chambre et bigoudis nantie d’une lampe électrique, d’une boîte de chocolats de « La Marquise de Sévigné » et d’un exemplaire des Souvenirs de Sherlock Holmes.Comme il était sorti sans dire où il allait, Plan-Crépin, vexée de n’avoir été ni emmenée ni même consultée, s’était juré qu’il n’irait pas se coucher sans lui avoir raconté sa soirée. Bonne fille, néanmoins, elle l’emmena à la cuisine après qu’il eut éternué deux fois, pour lui confectionner ce vin chaud qui occupait tant les rêves d’Adalbert un moment plus tôt.

Pendant qu’il buvait, elle cogitait tout haut :

– Pourquoi Bordeaux ?

– Je me suis posé la question et j’y vois deux explications. La première, c’est qu’ils emmènent tout ce fourniment dans le nouveau château de Mme Vauxbrun. La seconde, c’est qu’ils rejoignent un quai d’embarquement. C’est Bordeaux qui dessert l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale. Le malheur est que nous n’avons aucun moyen de vérifier quelle hypothèse est la bonne !

– Oh si ! On peut au moins vérifier la première. Je me demande si je ne vais pas essayer de convaincre notre marquise d’aller passer la fameuse semaine de Pâques à Biarritz ? En outre, elle a de la parentèle dans l’arrière-pays !

– Au  fond, ça nous avancera à quoi ? Ce n’est pas là, en tout cas, que je risque de retrouver mon éventail et sa boîte au trésor ! N’importe comment, je suis trop fatigué pour entamer une discussion. Bonsoir, Angelina ! Je vais dormir !

Restée seule, Plan-Crépin se versa ce qui restait de vin, s’assit devant la table, y planta ses coudes et, le bol tenu à deux mains, se plongea dans une méditation si intense que l’on pouvait craindre de voir son cerveau émettre des étincelles. Il était plus de cinq heures à la pendule comtoise qui réglait la marche de la maison. Le moment était venu pour elle de faire toilette afin de n’être pas en retard à la messe de six heures… Quand elle s’y rendit, une détermination farouche était peinte sur son visage.


7

LES SURPRISES D’UNE MAISON VIDE

Ainsi qu’ils l’avaient décidé, Aldo et Adalbert retournèrent rue de Lille dans la journée mais ils eurent beau sonner, sonner et encore sonner, il leur fut impossible de se faire ouvrir. Pensant que peut-être Maillard, le gardien, s’était absenté, ils patientèrent un long moment dans la voiture puis revinrent actionner la sonnette -l’homme pouvait être au fond du jardin la première fois ! – sans autre résultat. Jusqu’à ce qu’enfin le concierge d’en face traverse la rue et vienne les rejoindre :

– Ça fait un moment que je vous observe, Messieurs, et sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, je veux vous dire que vous perdez votre temps. Y a plus personne dans la maison de ce pauvre M. Vauxbrun.

– On nous a dit que Maillard devrait être encore là ? fit Aldo.

– Lui ? Il est parti ce matin sur le coup de six heures avec ses valises et son serin. Un taxi est venu le chercher et ça s’est passé si vite que je n’ai pas pu lui dire adieu. Parce que, si vous voulez mon avis, il reviendra pas. Et ça c’est triste, vu que maintenant cette pauvre maison est vide… De toute façon depuis qu’ce pauvre M. Vauxbrun y était plus, c’était plus ça.

– Que voulez-vous dire ?

L’homme logea son balai sous son bras et entreprit de se rouler une cigarette. Ce que voyant, Aldo lui offrit une des siennes, craignant que le flot verbal ne soit interrompu trop longtemps.

– Ah, merci bien, Monsieur ! C’est pas tant qu’j’aime les tabacs étrangers mais ça va plus vite ! Où est-ce que j’en étais ?

– Vous disiez que c’était plus ça, le renseigna Adalbert. Vous trouviez les nouveaux habitants trop… exotiques ?

– Vous voulez dire la nouvelle Mme Vauxbrun et ses parents ? Y a trop rien à en dire. Les dames d’abord, j’les ai jamais vues. Le vieux monsieur avait l’air bien convenable. De temps en temps, il allait faire une promenade, toujours tout seul et, quand on se rencontrait, il disait bonjour bien poliment.

– Et le jeune ?

– Il était pas souvent là. Comme ça m’intriguait, j’ai un peu observé. Il rentrait tard et quelquefois avec des gens pas bien du tout. Un soir où je sortais les poubelles, il y en a deux qui se sont amusés à donner des coups de pied dedans et j’en ai eu pour un bout de temps à tout ramasser mais ça les faisait rire. Faut dire que c’étaient pas des Français.

– Des Mexicains sans doute ?

– J’crois pas ! Y ressemblaient plutôt aux gangsters qu’on voit au cinéma. Quand ils venaient, ça faisait la fête assez tard dans la nuit… mais j’dois reconnaître qu’au matin y avait plus la moindre trace, sauf dans les boîtes à ordures, les bouteilles vides…

Le concierge dûment récompensé de ses bons offices par un billet bleu, les deux hommes repartirent, aussi soucieux l’un que l’autre. Aldo rompit le silence le premier :

– Comment se fait-il que Romuald n’ait jamais fait mention des plaisirs nocturnes du jeune Miguel ? Selon lui, tout le monde devait être couché à dix heures…

– Il me semble que le personnel est logé dans un pavillon au fond du jardin…

– Et il n’a rien remarqué alors que, de l’autre côté de la rue, le concierge était au courant ?

– Tu as raison, c’est bizarre, et je me demande si ces fiestas ne coïncidaient pas avec les disparitions des tableaux ? Je vais en parler avec Théobald en rentrant mais revenons-en à la maison Vauxbrun. J’ai de plus en plus envie de la visiter sans témoins. On revient cette nuit ?

– J’allais te le proposer !

Quelques heures plus tard, le scénario se répétait avec quelques variantes. La nuit, en lune nouvelle, était plus avancée que la veille et sombre à souhait. En revanche, le réverbère, réparé sans doute, brillait de tous ses feux. En approchant de la petite porte avec son trousseau de clefs, Adalbert ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil inquiets de l’autre côté de la rue, priant pour que, derrière l’une des fenêtres sans lumière, le concierge ne soit pas aux aguets.

– Pourquoi veux-tu qu’il passe ses nuits à surveiller une maison où il sait parfaitement qu’il n’y a plus âme qui vive ?

– C’est que, justement, j’en suis moins sûr que vous deux…

Et Adalbert, appuyant délicatement sur le vantail, l’entrouvrit sans avoir approché le moindre passe-partout.

– Quelqu’un serait revenu ? chuchota Morosini.

– Comme ce n’est certainement pas le Saint-Esprit, il doit y avoir un… ou plusieurs visiteurs. Qu’est-ce qu’on fait ?

– Où est passé ton esprit d’aventure ? On y va ! décida Aldo en tirant de sa poche son revolver. Je veux en avoir le cœur net !

Franchie la porte, ils restèrent un moment immobiles dans l’ombre épaisse du mur qui rejoignait le portail et fermait la cour. Celle-ci était obscure mais, derrière les hautes fenêtres dont il semblait que personne n’eût songé à fermer les volets intérieurs, le pinceau lumineux d’une lampe de poche se déplaçait lentement :

– On dirait qu’il y a de la visite. Reste à savoir s’il est seul !

– Le meilleur moyen est d’aller voir…

L’un derrière l’autre, ils rasèrent les murs en se courbant au passage des fenêtres, montèrent les cinq marches du perron où ils se redressèrent. Le visiteur avait quitté le vestibule pour le salon donnant sur le jardin, le reflet de sa lampe découpant un rectangle plus clair. Ce qui permit de constater que des morceaux de papier et de paille, vestiges du déménagement, traînaient sur les dalles de marbre blanc à bouchons noirs. Quand, avec mille précautions, on arriva à l’entrée de la vaste pièce, on put constater – avec soulagement – que l’inconnu était seul. Occupé à balayer de sa lampe l’espace désolé d’un mur encore habillé de damas jaune clair mais dépouillé de ses tableaux, il semblait si occupé à pousser d’énormes soupirs qu’il ne prêtait aucune attention à ce qui se passait derrière lui.

Sans trop d’espoir puisque le lustre aux cristaux anciens avait disparu, Aldo chercha le commutateur et, à sa satisfaction, alluma une ampoule solitaire au bout de son fil. En même temps, il déclarait calmement :

– Si vous cherchez un objet à voler, vous venez un peu tard !

Pas le moins du monde effrayé par les armes braquées sur lui, l’intrus leur fit face, leur permettant de constater que sa main laissée libre par la lampe tenait un browning, qu’il remit aussitôt dans sa poche.

– Je vois, répondit-il sans plus s’émouvoir. Je ne pensais pas que c’était à ce point-là !

Son flegme sentait la Grande-Bretagne… comme son costume de sport – pull noir à col roulé, veste et « knickerbockers » en tweed gris – coupé visiblement outre-Manche. On aurait pu le prendre pour un Anglais s’il n’avait parlé un français dépourvu d’accent, sinon celui de la distinction. C’était un grand garçon d’environ vingt-cinq ans, plutôt filiforme, présentant un visage aux yeux bleus, francs et bien ouverts, aux traits nets, et une bouche agréable dont les coins naturellement relevés plaidaient pour un caractère aimable. Si l’on y ajoutait le foulard de soie noué lâchement afin de pouvoir y dissimuler le bas de la figure – et signé Hermès ! –, on pouvait penser que c’était là un bien curieux cambrioleur.

– Qu’espériez-vous trouver ? demanda Aldo en rengainant lui aussi son artillerie.

– De très belles choses…

Et il se mit à détailler l’un après l’autre les meubles et œuvres d’art qui composaient naguère encore le salon, prouvant ainsi qu’il avait dû y venir plus d’une fois.

– Mais enfin, qui êtes-vous ? s’impatienta Adalbert.

– Excusez-moi ! J’aurais dû me présenter, fit l’étrange garçon avec un sourire en demi-lune. Je m’appelle Faugier-Lassagne, substitut du procureur au parquet de Lyon.

S’il pensait faire son effet, c’était réussi.

– Ah, bon ! émit Aldo. Et c’est à la faculté de droit que l’on apprend à ouvrir les portes fermées et à visiter de nuit les maisons dont les propriétaires sont absents ?

– Non. Je le devrais plutôt à la fréquentation des prisons, mais j’avoue que c’est un modeste talent dont je suis assez satisfait. Au fait, je ne vous demande pas de vous présenter. Vous, vous êtes le prince Morosini et vous, son autre lui-même, M. Vidal-Pellicorne, égyptologue distingué.

Et comme ils le considéraient sans rien trouver à dire, il ajouta :

– Je vous ai vus plusieurs fois en photo. Et je dois préciser que mon prénom est François-Gilles : je suis le filleul de M. Vauxbrun.

– Par tous les saints du Paradis, pourquoi ne m’a-t-il jamais parlé de vous ? s’étonna Aldo.

– Oh… j’étais en quelque sorte son jardin secret. Nous nous écrivions et je venais le voir de temps en temps.

– … et il allait vous voir à Lyon ! compléta Aldo dont le regard s’attachait à ce visage venu de nulle part et qui, cependant, lui semblait devenu curieusement familier.

– Le moins possible ! Il… il était fâché avec mon père et vous savez comme nous sommes, nous autres Lyonnais ? Un peu rancuniers !… À présent, j’aimerais continuer d’explorer ce… désert ?

– Si vous le voulez bien, nous allons effectuer cette opération de concert…

On parcourut ainsi le rez-de-chaussée, le premier et le second étage. C’était partout le même vide, le même abandon, les mêmes papiers froissés mêlés à de la paille. Morosini en aurait pleuré de rage en passant une main sur les rayons vides de la bibliothèque où s’étaient alignées la collection havane et or des œuvres ayant appartenu au duc d’Orléans, le prince régicide, ou celle de la princesse de Lamballe, l’amie massacrée de Marie-Antoinette, tous ouvrages frappés à leurs armes… Dans la chambre de l’antiquaire, le coffre-fort, installé dans un mur et sous un portrait d’enfant de Greuze, bâillait, largement ouvert sur le vide…

– Que cette femme ait tous les droits, j’en conviens, ragea Aldo, furieux. Mais il ne me semble pas cependant qu’elle ait aussi celui de livrer la maison aux vandales ! Qu’en pensez-vous, Monsieur Faugier-Lassagne, vous qui êtes juriste ?

– Pareil que vous. C’est une honte mais on n’y peut rien.

– Ne croyez-vous pas qu’on en a assez vu ?

– Non. Je veux tout voir. Y compris les sous-sols !

Par extraordinaire, la cuisine et l’office étaient intacts.

On n’avait enlevé ni l’une des étincelantes casseroles de cuivre, ni une petite cuillère, ni même les pots de faïence contenant le sel, la farine, le café. Des tasses dont on s’était servi étaient même restées sur la longue table de chêne. Adalbert pencha dessus un nez curieux mais s’abstint d’y toucher :

– Je me demande si l’on ne devrait pas les porter à Langlois pour qu’il relève les empreintes digitales. Ceux qui ont fait tout ce beau travail ne sont sûrement pas des déménageurs patentés.

Il y avait également des verres sales et les cadavres de trois bouteilles de chambertin.

– Allons voir ce qu’ils ont laissé dans la cave ! Vauxbrun en était justement fier…

Mais là aussi, c’était le même spectacle de désolation. Sous les belles voûtes rondes d’un ancien cellier, les casiers de briques étaient inoccupés. On n’avait pas non plus oublié les tonnelets. Il ne subsistait qu’une grosse barrique. Sans doute parce qu’elle était à sec ou presque, le robinet de la bonde, ouvert, ayant laissé dégoutter une flaque rougeâtre.

Les trois hommes parcoururent les deux caves identiques, et celle où l’on entreposait les bouteilles vides et le matériel du sommelier. Au fond se trouvait une porte de fer à demi cachée par un porte-bouteilles en forme de hérisson permettant le séchage après lavage.

– Qu’est-ce qu’il peut y avoir là-dedans ?

– Je ne sais pas, dit le jeune substitut. Je n’ai jamais visité cet endroit… En plus, c’est fermé par un cadenas qui n’a pas l’air vieux.

– Vous sauriez peut-être l’ouvrir, Monsieur le substitut ? ironisa Adalbert.

– Ma foi non, les cadenas, ce n’est pas de mon ressort !

– En ce cas, je peux essayer…

Et, tirant de sa poche un étui contenant divers petits outils, il en choisit un, remit le reste dans les mains d’Aldo et se pencha sur le cadenas… qui céda sans se faire prier sous les yeux admiratifs du dénommé François-Gilles !

– Dites donc ! Vous êtes un maître, vous ! Je meurs d’envie de vous demander des leçons ! Je n’aurais pu imaginer que…

– Quand on est archéologue, il faut avoir plus d’une corde à son arc. Vous n’avez pas idée des astuces déployées par les anciens Égyptiens pour dissimuler leurs momies… ou leurs trésors.

– Il y avait déjà des cadenas ?

– Oh, vous savez, sur les chantiers, on trouve de tout ! répondit Adalbert, désinvolte, tandis qu’Aldo, amusé, glissait :

– Vous pourriez vous associer dans certaines circonstances ?

L’envie de rire ne dura pas longtemps. La porte ouvrait sur un réduit sans éclairage où flottait une odeur bizarre. À première vue, c’était un débarras où l’on reléguait vieux outils et ustensiles de rebut.

– Ça sent drôle ! constata Adalbert.

À quoi Faugier-Lassagne, soudain soucieux, répondit :

– Je redoute de reconnaître cette odeur…

– Nous aussi ! Il y a une caisse au fond. Ça doit venir de là…

Il y avait en effet une de ces grandes boîtes en bois qu’emploient les déménageurs pour transporter les objets fragiles. Le couvercle ne tenait que par quatre clous qui sautèrent vite. Ce qu’elle contenait arracha un triple cri d’horreur : le cadavre de Gilles Vauxbrun gisait devant eux… visiblement mort depuis plusieurs jours…

Il portait encore ses habits de cérémonie, à l’exception de ses chaussures, et il était évident qu’on l’avait abattu à coups de pistolet. Aldo eut un hoquet qui ressemblait à un sanglot. Et le jeune magistrat, lui, en eut de vrais et se mit à pleurer sans fausse honte. Ce que voyant, Adalbert, le moins touché des trois puisqu’il n’avait jamais été intime de l’antiquaire, reposa le couvercle, se hâta de ramener ses compagnons dans la cave éclairée et referma la porte, mais sans le cadenas devenu inutilisable. Là, il les fit asseoir sur les bâtis de bois supportant habituellement les tonneaux, chercha l’une des rares bouteilles rescapées, un tire-bouchon et deux « taste-vin » en verre qu’il remplit, et leur en fit avaler le contenu. Lui-même s’octroya une lampée à la régalade jusqu’à ce qu’Aldo, qui se remettait, lui enlève la bouteille pour en faire autant. La tête dans ses mains, Faugier-Lassagne pleurait toujours…

– Ce sera la première fois que je vois un procureur en larmes ! chuchota Adalbert. D’habitude ils ont le cuir plus dur. Il est vrai que celui-là est un jeunot.

– Je suis de ton avis. C’est un bien gros chagrin pour un filleul et j’ai mon idée à ce sujet…

– Tu crois qu’il pourrait être ?…

– Son fils, oui. À l’exception des cheveux blonds, Vauxbrun devait lui ressembler à son âge. Et pourquoi cacher un simple filleul à un aussi vieil ami que moi ?

– Très juste ! Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

– On referme tout, on rentre rue Alfred-de-Vigny et on confie notre substitut à Tante Amélie. Elle a le don d’apaiser les grandes douleurs…

Appuyant une main sur l’épaule du garçon dont les sanglots s’étaient calmés, il questionna :

– Où habitez-vous à Paris ?

Celui-ci releva un visage décomposé :

– Hôtel Lutetia ! Pourquoi ? Oh ! je vous demande pardon pour cette… explosion involontaire…

– Ne vous excusez pas. C’est naturel quand on tombe par hasard sur le corps de son… père, surtout dans de telles conditions !

– Vous saviez ?

– Non, mais ce n’était pas sorcier à deviner ! À présent, vous allez venir avec nous !

– Où ?

– Chez ma grand-tante, la marquise de Sommières. C’est en quelque sorte notre quartier général…

– Mais non ! Pourquoi irais-je ? Je vais rentrer à l’hôtel !

– Dans cet état ? Pas question de vous laisser seul. En outre, nous avons à causer !

– Vous ne prévenez pas la police ?

– Pas maintenant.

– On ne peut pourtant pas l’abandonner dans ce… ce charnier ! Vous avez vu cette abomination ?

– Oh, j’ai vu ! Mais il faut que les choses demeurent ainsi pendant encore quelque temps. Je vous en expliquerai la raison mais pas ici. Allez, je vous emmène…

– Essayez de comprendre, renchérit Vidal-Pellicorne. Si la police est prévenue, on risque de déclencher d’autres catastrophes. Il faut nous faire confiance et, puisque vous savez qui nous sommes, cela ne devrait pas vous être trop difficile !

Le jeune homme se leva, regarda chacun d’eux, tira son mouchoir pour essuyer une dernière larme et trouva même une ébauche de sourire :

– Pardonnez-moi ! Je vais avec vous…

Ce qui était merveilleux dans la maison du parc Monceau, c’est que l’on pouvait y débarquer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, on trouvait toujours quelqu’un prêt à vous écouter, à vous réconforter. Il devait être un peu plus de trois heures du matin mais, dix minutes environ après y avoir fait son entrée, François-Gilles Faugier-Lassagne se retrouvait assis au milieu des plantes vertes et en face d’une vieille dame en robe de chambre de velours parme et « fanchon » de dentelles gonflé comme une montgolfière par une abondante chevelure argentée et qui posait sur lui un regard vert étonnamment jeune et plein de sympathie. Était apparue une demoiselle d’âge certain coiffée de cheveux jaunes et frisés, enveloppée d’un peignoir en laine des Pyrénées rose assorti au ruban qui maintenait sa toison semblable à celle d’un mouton. Celle-là était grande et maigre, arborant un long nez fureteur et des yeux de couleur indéfinissable. Suivie d’un vieux maître d’hôtel en gilet rayé et charentaises à carreaux portant un plateau chargé de tasses et de tartines, elle tenait d’une main une chocolatière d’argent et de l’autre une cafetière armoriée. Le plus étonnant était que le jeune homme se trouvait si bien dans cette espèce de serre où flottait une odeur d’oranger qu’il se sentait tout naturellement porté aux confidences – pour la première fois de sa vie ! – sans plus d’envie d’en bouger.


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