Текст книги "le collier sacré de Montézuma"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– Mais enfin, Mère, brama Waldhaus, je vous rappelle que Monsieur a été convoqué à titre de témoin d’un duel, pas pour se promener !
– Ah, parce que vous en êtes encore là ?
– Oui, j’en suis encore là et ces messieurs ici présents…
– Eberhardt, vous me fatiguez ! J’ai pris la peine de me déplacer pour vous expliquer que vous avez commis une sottise de plus et dérangé ces messieurs à une heure indue pour du vent. Il vous reste, si je me suis fait clairement comprendre, à présenter vos excuses à votre innocent adversaire, remercier vos amis de vous avoir soutenu, et à rentrer chez vous… Et j’ai bien dit chez vous ! Pas chez moi ! Quant à ma fille, je pense que vous n’en aurez plus d’autres nouvelles que par vos avocats… Messieurs, ajouta-t-elle avec un sourire épanoui qui engloba tous les participants, je vous salue ! Prince, pardonnez-moi si je vous enlève votre ami mais j’ai une foule de choses à lui dire et je le ferai raccompagner à son hôtel ! Viens ici Cléopâtre : nous retournons à la voiture !
Et elle s’éloigna avec Adalbert à qui elle avait confié sa canne.
Le silence des grandes catastrophes suivit son départ. Ce fut Aldo qui le rompit :
– Eh bien, Messieurs, que vous en semble ? Si vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, baron, j’y souscrirai…
– Après ce que nous venons d’entendre, intervint le général, je pense que cette rencontre n’a plus de raison d’être. Votre opinion, Waldhaus ? Sincèrement ?
– Il se peut que vous ayez raison ! fit-il de mauvaise grâce. Il n’en demeure pas moins que M. Morosini dînait avant-hier avec mon épouse…
– Dois-je répéter, dit Aldo patiemment, que j’étais invité à voir de plus près certain éventail ayant appartenu à l’impératrice Charlotte du Mexique ? Vous n’avez pas voulu me croire et pourtant c’est la stricte vérité. Maintenant, si les excuses évoquées par Mme Timmermans vous contrarient, sachez que je n’en veux pas. J’attends votre décision.
– Vous avez tous deux fait preuve de votre courage, reprit le général. Ce sera consigné dans le procès-verbal. Je suis d’avis de nous séparer…
On se salua protocolairement ; Aldo rendit son épée, reprit ses vêtements et rejoignit la voiture en compagnie de François-Gilles. À sa grande surprise, celui-ci avait perdu son air empesé et souriait aux anges :
– On dirait que ça vous a amusé ?
– Mon Dieu, oui ! J’aurais regretté de ne pas avoir assisté à ce spectacle. Cette dame est la plus étonnante que j’aie jamais vue. Et quelle classe ! Vous pouvez me dire qui elle est ?
– Mme Timmermans. Son époux était le roi du chocolat belge et, comme vous l’avez compris, elle est la belle-mère de mon adversaire. Plus pour longtemps il me semble.
– Comment est sa fille ? La baronne ?
– Charmante, primesautière et complètement folle ! Ou d’une redoutable hypocrisie ! Songeriez-vous à poser votre candidature ? ironisa-t-il. Vous pourriez faire pis : ces dames sont fabuleusement riches ! Ça compte, paraît-il, dans l’ex-capitale des Gaules ?
– Oui, mais pas chez moi. Et j’ai d’autres projets ! Pensez-vous que M. Vidal-Pellicorne sera longtemps absent ?
– Rassurez-vous, ils ne vont pas passer la journée ensemble ! L’espace d’un petit déjeuner, sans doute. Et à propos, si nous allions prendre le nôtre ?
Adalbert reparut peu avant midi. Non seulement son admiratrice et lui avaient pris le petit déjeuner au club-house de Chiberta mais encore ils avaient fait un parcours de golf. Ce qui avait eu l’avantage de lui rouvrir l’appétit :
– Quelle femme étonnante ! déclara-t-il à la « famille » réunie en dépliant sa serviette. Je n’ignore plus rien du pourquoi de la conduite de sa fille l’autre soir !
– Parce qu’il y a une explication logique ? fit Aldo, le regard noir.
– Oh, oui ! Pardonne-moi d’avance, mon vieux, si j’égratigne ton amour-propre mais ça tient en peu de mots : Agathe a un amant…
– Mais elle m’a pratiquement juré qu’elle n’en avait pas ?…
– Elle t’a menti. J’explique. Elle venait de jurer la même chose à son mari au cours d’une scène violente – une occasion saisie au vol ! – à la suite de laquelle elle avait claqué la porte derrière elle pour rentrer chez sa mère. Le temps d’acheter son billet, Waldhaus était sur ses talons et elle a dû courir pour prendre son train, le mari à ses trousses. Par chance, une portière n’était pas encore fermée et un gentilhomme d’une remarquable élégance l’occupait…
– Arrête, veux-tu ?
– Non. C’est nécessaire. Un gentilhomme qui l’a attrapée au vol… et qu’elle a reconnu aussitôt. D’où l’idée de nouer une intrigue avec toi afin de faire croire à Waldhaus que tu étais l’amant en question. Tu te rends compte de l’aubaine que tu représentais ? Un prince, connu universellement, séduisant par-dessus le marché…
– Tu aurais tort de te plaindre, Aldo, remarqua Mme de Sommières, Adalbert a une façon d’égratigner merveilleusement sympathique !
– Ça, Tante Amélie, c’est la sauce qui fait passer le poisson. Et le poisson, c’est la douce Agathe me destinant au rôle de « chandelier ». En se fichant comme d’une guigne des conséquences. Si elle me connaissait à ce point, elle devrait avoir entendu parler de ma femme et de mes enfants ?
– Je n’ai jamais prétendu qu’elle était intelligente ! Rusée, oui. Et elle a poussé le vice jusqu’à te faire suivre par un détective privé. Que tu viennes à Biarritz l’arrangeait grandement, sa mère ayant l’habitude d’y passer le printemps. Ainsi elle était au courant de ta présence au casino l’autre soir !
Tenté de s’abattre sur la table, le poing d’Aldo se crispa :
– Dis-moi que je rêve ? Et c’est elle qui t’a raconté cette salade ?
– Qui veux-tu d’autre ? Elle est sa mère et souviens-toi qu’Agathe aussi nous a confié n’avoir jamais pu lui cacher quoi que ce soit. À présent c’est elle qui prend les choses en main. Elle fait venir son avocat afin de mettre en route la procédure de divorce…
– Sur quoi compte-t-elle s’appuyer ? fit Marie-Angéline, acide. C’est sa fille qui a abandonné le domicile conjugal et si en outre elle a un tendre ami, le divorce la mettra au ban de la bonne société !
– Si vous me laissiez parler ? Notre Agathe a, désormais, le meilleur des prétextes. J’allais vous apprendre que, après ton départ, Aldo, Waldhaus l’a battue comme plâtre. En rentrant hier matin, Mme Timmermans l’a trouvée dans cet état et a immédiatement appelé son médecin. En dépit des objurgations de sa femme de chambre, la baronne n’avait pas osé par crainte du ridicule. Le chirurgien l’a transférée sans attendre dans sa clinique où, dans l’après-midi, le capitaine de gendarmerie est venu dresser un constat. Tu vois, mon cher, tu es vengé.
– Je n’en demandais pas tant ! Elle est très abîmée ?
– Pas mal à ce qu’il semble. Un œil poché, une balafre à la commissure des lèvres due à une chevalière agressive et de copieux hématomes sur les épaules et sur le cou. Ça s’arrangera mais pour le moment elle n’est pas belle à voir.
– Mais quel cuistre ! Je commence à regretter de ne pas avoir pu l’embrocher ce matin ! fit Aldo, indigné.
– Elle devrait plaire un peu moins à cet amant qu’elle a protégé à la perfection, remarqua Plan-Crépin avec satisfaction. Sait-on qui il est ?
– Un banquier belge richissime qui, pour la voir de temps en temps, a acheté dans la banlieue de Vienne une maison, pas grande mais somptueuse, enfouie dans un jardin luxuriant – c’est le cas de le dire ! – et sous la protection d’un serviteur de confiance. Il paraît qu’il en est fou et Agathe le paierait de retour… Cette fois, elle n’aura aucune peine à obtenir le divorce.
– Une divorcée ? Elle ne sera plus reçue dans la bonne société, glapit Marie-Angéline qui tenait à son idée.
– Je ne vous savais pas si féroce, Plan-Crépin, coupa la marquise d’un ton las. Après tout, la bonne société, comme vous dites, n’est plus ce qu’elle était depuis la guerre. Tout change, vous savez ! Cela posé, nous pouvons, je pense, considérer cette affaire comme classée en ce qui nous concerne ?
– Celle-là oui, reprit Adalbert. Reste celle de l’éventail. Par chance – ou son contraire ! – je suis dans les meilleurs termes avec Mme Timmermans. Je l’ai invitée à dîner ce soir à la Réserve pour en savoir davantage sur ses projets immédiats et comment il serait possible de récupérer les émeraudes, puisque tu penses, Aldo, qu’elle les a…
– On ne peut jurer de rien mais si elles se trouvent vraiment dans le double fond d’une boîte, ce ne peut être que celle-là ! À moins qu’elles n’aient été découvertes, ce qui m’étonnerait : la boîte est légèrement plus lourde qu’il ne le faudrait ! D’autre part, j’ai reçu ce matin un courrier de Maître Lair-Dubreuil m’informant qu’aucun des coffrets à éventails hérités par la famille de l’impératrice ne peut receler de cache.
– Donc il faut arriver à explorer celui-là, et à l’insu de sa propriétaire. J’ai beau avoir conscience que ce ne sera pas un vrai vol, je ne vous cache pas que cette fois je me sens gêné. Cette femme est extraordinaire ! J’avoue qu’elle me fascine.
– Normal, grogna Aldo, elle t’adore. Pourquoi ne pas l’épouser ? Tu nageras dans le chocolat jusqu’à la fin de tes jours ! Et l’un des meilleurs qui soient !
Adalbert s’apprêtait à riposter quand un groom s’approcha de Morosini pour lui dire qu’on le demandait au téléphone. Aldo s’excusa, se leva et suivit le jeune garçon jusqu’à la discrète cabine ménagée dans l’espace dévolu à l’homme aux clefs d’or. Celui-ci, qui gardait encore l’écouteur à l’oreille, la lui indiqua du geste. Aldo s’y enferma, décrocha :
– Allô ! Ici Morosini !
Et il entendit le petit rire horripilant qui hantait parfois ses cauchemars. Son sang se glaça.
– Que me voulez-vous ? fit-il avec rudesse. Le temps imparti n’est pas révolu, que je sache ?
– En effet… Mais j’estime que vous le dépensez à mauvais escient ! Cette parenthèse mondaine me paraît hors de propos.
– Je suis meilleur juge que vous et dès l’instant où je fais en sorte de vous donner satisfaction, je me soucie comme d’une guigne de votre opinion.
– Vous peut-être mais d’autres pourraient se poser des questions. Votre femme par exemple, si elle apprenait vos relations avec certaine petite baronne et la bouffonnerie qui s’en est suivie ce matin !
Aldo sentit une sueur glacée glisser le long de son dos. Ce démon n’ignorait rien de ses faits et gestes…
– Au lieu de me parler de la princesse Morosini, il serait plus intelligent de me donner des nouvelles de Gilles Vauxbrun ! Ou ne fait-il plus partie du marché ?
– Il se porte bien, rassurez-vous ! Seulement il trouve le temps long, ce temps que vous gaspillez si allègrement !
Une partie du poids qui pesait sur le cœur d’Aldo s’envola. Allons, Langlois avait parfaitement su préserver le secret qu’on lui avait demandé ! Et ça, c’était une bonne chose !
– Moi aussi, quoi que vous en pensiez ! Arrangez-vous pour que je le retrouve dans un état satisfaisant…
– Ça, je ne peux pas vous le garantir ! Il a tendance à décliner.
– Prenez garde qu’il ne meure pas ! Sinon notre marché ne tient plus…
– Je vous ferai remarquer que vous n’avez aucun moyen de le savoir, mon cher ! De toute façon, au cas où il lui arriverait malheur, j’aurais toujours la ressource de chercher ailleurs d’autres garanties… Que diriez-vous de Vienne ? Même une forteresse comme le palais Adlerstein peut avoir… une fissure… Sans compter cette attendrissante famille qui ne vous lâche pas d’une semelle.
À nouveau, le rire et puis le déclic annonçant que l’on avait raccroché. Aldo en fit autant mais il dut s’appuyer un instant à la paroi de velours de la cabine pour garder son équilibre. Ses jambes menaçaient de se dérober sous lui… Il attendit un moment que le malaise passe et alla trouver le portier.
– D’où venait cette communication ? demanda-t-il.
– De Paris, Excellence ! C’était l’inter…
– Merci.
D’un pas qu’il avait réussi à raffermir, il regagna la salle à manger mais, en reprenant sa place à table, il entendit Tante Amélie s’inquiéter :
– Que se passe-t-il ? Tu es blême…
D’un geste, Adalbert appela le serveur qui venait d’apporter le café et lui commanda un double cognac qu’il tendit à son ami :
– Bois ! fit-il, visiblement soucieux. C’était qui au téléphone ?
– L’homme qui rit ! répondit Aldo en avalant d’un trait l’alcool ambré qui eut au moins le mérite de lui rendre quelque couleur, après quoi il raconta et conclut : Ce salaud semble avoir le don d’ubiquité. Il ne fait aucun doute que je suis suivi. J’avoue que, pour l’instant, je ne sais trop à quel saint me vouer.
– On va trouver ! décréta Adalbert, affichant une assurance qu’il était loin d’éprouver.
– Il serait sage de nous séparer. Toi, il faut que tu continues ta cour auprès de Mme Timmermans. Tante Amélie et Marie-Angéline vont rester pour finir la semaine pascale… Elles ont reçu des invitations, ainsi que nous… au dîner basque du Miramar, le gala de l’œuf de Pâques, ici même. En fait, vous trois, continuez à mener la vie mondaine pour laquelle nous sommes venus officiellement. Moi seul repars pour Paris.
– Qu’y ferez-vous sans nous ? gémit Marie-Angéline.
– Je ne sais pas encore au juste mais je veux détourner l’attention de l’ennemi, puisqu’il a l’air de s’attacher à mes pas. Il trouve que je perds mon temps à Biarritz. Alors laissons-lui cette douce illusion… En outre, je voudrais savoir si Langlois a enfin des nouvelles de New York.
– Ça m’embête ! protesta Adalbert. Je déteste l’idée de nous séparer. D’autant que, cet après-midi, je conduis notre procureur en herbe à l’auberge la plus proche du château d’Urgarrain.
– Et qu’y fera-t-il ? Des sottises comme d’habitude !
– Allons, essaie de ne pas lui en vouloir ! Il est amoureux et ne tient plus en place depuis qu’il a vu sa bien-aimée quitter l’hôtel. Alors il va s’installer dans le patelin. Sous le prétexte d’une étude sur les chemins de Compostelle. Et moi je le dépose et je reviens. Comme tu dis, il faut que je continue ma cour. Si j’aboutis…
– Tu dois aboutir ! appuya Aldo.
– On fera en sorte. Une fois en possession des émeraudes, je te rejoins puisque tu devras passer une annonce dans les journaux. Et on essaiera de préparer à ce tordu la réception qu’il mérite…
Tante Amélie qui écoutait sans ciller jugea qu’il était temps pour elle de faire entendre son point de vue :
– Les garçons ? Je ne voudrais pas troubler votre quiétude mais vous pourriez peut-être me demander ce que j’en pense. Vous décidez pour moi et je ne suis pas d’accord !
– Pardon, Tante Amélie ! Vous savez que je ne vous quitterai pas sans peine mais je ne vois pas ce qu’on pourrait faire d’autre…
– Je refuse de continuer à jouer les marionnettes dans ce cirque, à changer de toilette trois fois par jour, à papoter avec la duchesse de San Lucar, la comtesse Pastrè ou Mme André Citroën qui tient absolument à ce que j’aille prendre le thé à Chiberta au milieu des derniers modèles de Chanel, Patou et autres couturiers…
– Quelle est votre intention alors ?
– Ce que nous avions décidé : rejoindre à Saint-Adour la cousine Prisca, ses vaches et son cercueil aux pommes de terre. Attends, je n’ai pas fini ! Pour rendre la chose plus naturelle vous allez, cher Adalbert – et puisque vous vous rendez dans le coin cet après-midi –, m’envoyer un télégramme posté à Ascain, qui est le village le plus proche du château… comme d’Urgarrain, m’annonçant que la cousine ne va pas fort. Et demain on va s’installer là-bas ! C’est à votre convenance, Plan-Crépin ?
Pour la première fois depuis un moment, la vieille fille s’illumina :
– Entièrement. Je suis reconnaissante que nous ayons si bien compris que je souhaitais surtout me rapprocher de ce maudit château… Il est vital que l’on sache ce qu’il s’y passe.
– Soyez tout de même prudente ! recommanda Aldo. Le coup de téléphone venait de Paris mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de danger chez la cousine. Or vous êtes facile à reconnaître !
– Ne vous tourmentez pas ! La vicomtesse de Saint-Adour s’habille en paysan plus souvent qu’en demoiselle et nous sommes à peu près de taille équivalente. Elle me prêtera volontiers ce qu’il me faut…
– Bien, conclut Adalbert. Il n’y a plus qu’à passer à l’action.
Ce soir-là, tandis que Vidal-Pellicorne emmenait dîner Mme Timmermans, Aldo reprenait le Sud-Express à destination de Paris et les deux femmes, le télégramme reçu, faisaient refaire leurs bagages et commandaient une voiture pour le lendemain matin…
À dix heures, elles quittaient l’hôtel du Palais. À peu près à la même heure, Aldo arrivait au Ritz. Il l’avait préféré à la rue Alfred-de-Vigny afin de ne pas imposer un service supplémentaire aux vieux serviteurs de Tante Amélie. En outre, il serait à deux pas du magasin d’antiquités de son pauvre Vauxbrun et l’idée lui souriait assez d’aller bavarder avec Mr Bailey…
TROISIEME PARTIE
D’UN CHÂTEAU L’AUTRE
10
LA CHANOINESSE EN SON DOMAINE
– Urgarrain. C’est là-haut, expliqua la vicomtesse en tendant un bras maigre dans une manche de tricot gris en direction de la blanche silhouette d’un grand manoir couronnant l’une des premières collines montant à l’assaut de la Rhune dont les neuf cents mètres servaient de figure de proue à la côte basque.
Une maison forte eût été plus exact, car sous le toit de tuiles roses à quatre pentes, c’était simplement un quadrilatère de pierre cantonné aux angles supérieurs de quatre tourelles carrées en forme d’échauguettes mais l’ensemble, encadré d’arbres et de ce qui semblait être un jardin foisonnant, ne manquait ni d’allure ni de noblesse.
– Je ne vous conseille pas d’aller y voir de plus près ! Contentez-vous de regarder de loin : je vous prêterai une longue-vue.
– Et pourquoi n’irions-nous pas ? demanda Mme de Sommières en rejoignant son hôtesse et Plan-Crépin au bord de la terrasse.
– Ça n’a l’air de rien, mais d’ici ça fait presque trois quarts de lieue (apparemment elle ne s’était pas encore décidée à adopter le système métrique de la République) et je ne vous vois pas vous traîner là-bas avec tous ces frous-frous ! ajouta-t-elle en considérant avec sévérité la longue jupe « princesse » en soie violette de sa cousine d’où dépassaient de fins escarpins de cuir assortis et, parfois, l’éclair blanc d’un jupon. Nous sommes au XXe siècle, Amélie, que diable ! Le temps des falbalas est révolu ! conclut-elle en tapant sur son pantalon de gros velours côtelé qui, retenu par une ceinture de flanelle rouge drapée autour du ventre, lui donnait l’apparence d’un maçon.
– Je vois, c’est celui des corps de métier ! riposta l’interpellée en riant. Mais, en admettant que je puisse traîner mes falbalas jusque-là, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas aller y faire un tour ? J’ai toujours adoré les vieilles demeures et j’ai entendu parler de celle-là.
– Parce que c’est mal habité ! Tout ce dont vous risquez d’écoper, c’est de coups de fusil à grenaille !
– Oh ! émit Marie-Angéline, la mine offusquée. Et sauriez-vous nous dire, cousine Prisca, qui sont ces gens ?
– Des Mexicains, à ce qu’il paraîtrait. Ils ont acheté le domaine cet automne. Urgarrain a été mis aux enchères en vente publique après la mort du dernier propriétaire, José Yturbide, revenu y rendre l’âme après avoir perdu, outre-Atlantique, la fortune que ses ancêtres avaient tirée de la chasse à la baleine. On l’a enterré dans le cimetière et le notaire s’est occupé de la liquidation des biens. Il y restait de belles choses parce que ceux d’avant avaient du goût et ça a attiré du monde, mais le contenant et le contenu ont été enlevés par un antiquaire de Paris qui l’avait acheté au nom de sa fiancée mexicaine. Mais je n’en sais pas plus ! Moi, les affaires des autres ne me regardent pas et si ces gens veulent vivre cloîtrés, ça les regarde !
– Vous n’êtes pas curieuse, Prisca ! Vous arrive-t-il de lire les journaux ?
– Le moins souvent possible et jamais ceux de Paris ! Les agissements de « leur » République m’indiffèrent ! À présent, je vais vous laisser faire la sieste ou achever votre installation. Faut que j’aille à la ferme rencontrer le vétérinaire. J’ai un taureau qui bat de l’aile…
Elle quitta la terrasse en traînant ses grosses bottes sur le dallage mais se retourna avant de rentrer :
– Si vous avez besoin de quoi que ce soit, adressez-vous à Fauvel. Elle s’entend mieux que moi à la maison…
À l’énoncé de son nom, l’intéressée apparut comme par enchantement. Fauvel, ou plutôt Honorine de Fauvel pour lui donner son nom entier, jouait à Saint-Adour l’équivalent du rôle de Marie-Angéline rue Alfred-de-Vigny. Du même âge que sa cousine et employeuse, la soixantaine sonnée, elle remplissait deux tâches bien différentes : veiller à la bonne marche de la maison où elle régnait pratiquement sur les trois domestiques et dire des prières.
Il faut expliquer que, dans sa jeunesse, Mlle de Saint-Adour, qui n’était pas plus vilaine qu’une autre et possédait une belle fortune, avait obstinément refusé de se marier par crainte de devoir confier à un époux plus ou moins fiable le soin de gérer ses biens. Afin de ne pas être traitée de vieille fille et d’avoir droit au vocable Madame, elle s’était fait recevoir chanoinesse d’un chapitre bavarois où elle ne mit les pieds qu’une fois, la guerre s’étant par la suite chargée de disperser bien des gens. De cette opération, elle avait retenu un document qu’elle appelait son « mari de parchemin », et l’obligation de dire chaque jour l’office du couvent. Comme cet exercice l’assommait, elle avait récupéré Honorine, chargée par elle de s’acquitter de ce devoir en ses lieu et place. Autrement dit, Honorine, tout en aidant la cuisinière à préparer les confitures, récitait à heures fixes les heures canoniales. Pour l’édification de tous, elle accomplissait cette tâche avec beaucoup de dignité. C’était une personne longiligne, assez évanescente pour qu’en la voyant flotter à travers les pièces et se poser parfois sur un fauteuil d’un air exténué, ceux qui ne la connaissaient pas eussent tendance à chercher autour d’eux un éventuel flacon de sels d’alcali. Elle se vêtait de tuniques blanches ou grises selon la saison, descendant jusqu’à ses pieds immenses chaussés immuablement de souliers noirs à bouts carrés et à boucles d’argent comme en mettaient jadis les ecclésiastiques, qui pouvaient la porter à travers la maison à une vitesse étonnante. Quant à ses « frondaisons », selon l’expression de la chanoinesse, elles étaient ramassées en un épais chignon de nattes poivre et sel sévèrement tirées et adoucies seulement sur le front par une frange de petites mèches frisottées dont elle prenait un soin extrême.
Plus grande d’une bonne demi-tête que Mme de Saint-Adour, elle formait avec elle une équipe surprenante mais qui fonctionnait, la chanoinesse assurant tous les devoirs d’un gentilhomme fermier sans cesse sur ses terres, prisant à longueur de journée un tabac qui lui jaunissait les narines, buvant volontiers la « goutte » avec ses métayers et jouant aux cartes avec eux, mais devenue une autorité en matière d’élevage. Elle n’hésitait pas à traverser la moitié de l’Europe pour acheter des bêtes d’une race particulière, afin d’améliorer sa propre production, et jouissait de ce fait du respect de tous. Quant à Honorine, élevée plutôt à la dure dans un couvent gascon, elle en avait retiré une intense soif de confort dont elle faisait profiter la château et le goût d’une cuisine odorante et même raffinée, grâce à la sœur maître queux du couvent qui, le dimanche et les jours de fête, laissait parler un talent hors du commun, se dédommageant ainsi des austérités du quotidien. Honorine en avait rapporté quelques recettes qu’elle partagea généreusement avec Marité, la vieille cuisinière d’une maison devenue, à la surprise de Mme de Sommières, un endroit bien agréable à vivre. À tant de louables qualités, la vieille fille joignait un défaut qui gênait un peu ses relations avec Prisca : elle était peureuse comme une couleuvre.
Le château lui-même se composait de deux pavillons séparés par une terrasse donnant sur les anciennes douves, véritable paradis des grenouilles, et sur la campagne. C’était le royaume des plantes grimpantes : ipomées, glycines, clématites, remplacées sur les deux façades par de vénérables rosiers qui, à la floraison, embaumaient les lieux.
Quant à l’intérieur, il avait bénéficié lui aussi des bonnes idées d’Honorine. Ainsi, les chambres que la marquise jugeait sinistres avaient été nettoyées, rafraîchies par un coup de pinceau ici ou là, quelques étoffes aux coloris gais : avec leurs tapisseries anciennes, leurs tableaux récurés, de jolis objets mis en valeur… et le bouquet de fleurs disposé dans celles des invitées, elles étaient à présent tout à fait acceptables.
– Je n’aurais jamais cru qu’on en arriverait là, remarqua-t-elle tandis que Marie-Angéline défaisait leurs bagages. Prisca a l’air de traiter cette pauvre Honorine en quantité négligeable mais elle lui laisse la bride sur le cou et ce n’est pas plus mal ! Si vous aviez connu Saint-Adour avant la guerre, vous auriez partagé mes préventions. J’en ai encore froid dans le dos !
– Comme quoi, il ne faut jamais désespérer de rien. Et maintenant, quel est notre programme ?
– C’est vous qui avez voulu venir, vous devriez avoir une idée.
– Je pensais d’abord que nous aurions un excellent poste d’observation sans pour autant confier à notre hôtesse les raisons profondes de notre visite afin d’éviter de la déranger. C’est que je ne la connaissais que pour l’avoir rencontrée au mariage de nos cousins La Renaudie, il y a plus de vingt ans. Dans la situation où nous sommes, c’est l’emplacement de ce château qui avait attiré mon attention… Ma mémoire des lieux et de leurs occupants…
– Bon sang, Plan-Crépin, je le sais ! Où voulez-vous en venir ?
– Je crois qu’il faut lui dire la vérité sur notre présence chez elle. Sans doute est-elle trop bien élevée pour poser des questions mais je suis certaine qu’elle doit se demander la raison du soudain intérêt que nous lui portons !
– Sûrement pas ! Dans nos familles – et vous devriez le savoir – on peut rester des dizaines d’années sans se voir et se retrouver, sans état d’âme, quand l’une d’entre nous passe par le quartier d’un autre. C’est normal ! Cela dit, vous enfoncez une porte ouverte : il était dans mon intention de mettre Prisca au courant. Ne fût-ce que pour nous assurer la protection de son habileté au maniement d’un fusil. En outre, ça va beaucoup l’amuser !
– Ah bon ?
– Soyez franche ! En dehors du fait que nous vivons un drame dans lequel Aldo joue trop gros jeu pour ne pas nous inquiéter, est-ce que cette aventure ne vous amuse pas un peu ?
Occupée à ranger de la lingerie dans un tiroir de commode, Marie-Angéline s’activa fébrilement à remettre dans ses plis une combinaison dont le satin s’obstinait à glisser. Finalement, elle avoua :
– Si… et j’en ai honte ! Cela tient à ce que…
– Rien du tout ! Je vous connais suffisamment pour en douter. Et pourtant vous aimez bien la tribu Morosini. Prisca, elle, ne la connaît que par ouï-dire. Croyez-moi, elle va s’amuser au moins autant que vous et c’est normal : elle n’est pas sans vous ressembler.
– Vraiment ?
– Évidemment ! Ses ancêtres aussi ont fait les croisades ! Fraternité d’anciens combattants, sans doute !
Elle avait raison sur toute la ligne. Quand, au dîner, entre un sublime foie gras en brioche et une salade chaude d’écrevisses, Mme de Sommières, luttant courageusement contre une sensation de béatitude, conta ses tribulations à la cousine, celle-ci, une lueur guerrière dans son œil brun, vida d’un trait son verre de jurançon et offrit à ses invitées un large sourire :
– Eh bien, merci de votre confiance, ma chère Amélie. Je me doutais qu’il y avait quelque chose derrière ce désir inattendu de faire « une petite halte à Saint-Adour », comme vous me l’avez écrit et, surtout, ce soudain intérêt manifesté à midi pour les gens d’Urgarrain, mais je me serais bien gardée de vous poser la moindre question.
– Je n’en doute pas un instant. C’est pourquoi je tiens à jouer franc jeu avec vous. Le contraire serait indigne. En fait, conclut-elle en se laissant aller contre le dossier de sa chaise, nous sommes dans la mélasse…
– En ce qui me concerne, je n’en connais pas dont, avec un brin d’obstination, on ne puisse sortir. Que souhaitez-vous ?
Pour le dîner – et comme elle le faisait chaque soir même quand elle était seule – Mme de Saint-Adour avait troqué sa rustique défroque contre une longue robe de soie noire portée avec un triple rang de perles fines et à l’épaule l’emblème et le ruban blanc de son couvent bavarois. Il fallait avouer qu’ainsi vêtue elle ne manquait pas d’allure. Impressionnée malgré elle, Marie-Angéline répondit :
– D’abord, savoir qui il y a exactement dans cette maison. Doña Luisa, la vieille dame, et Isabel, sa petite-fille, ont été seules à l’hôtel du Palais jusqu’à la veille de leur départ où Miguel… le beau cousin, est venu les rejoindre et, le lendemain, les a emmenées en voiture jusqu’ici. Comme nous n’avons pas vu le vieux Don Pedro, on peut supposer qu’il les avait précédés et que la famille est réunie à Urgarrain. Quelqu’un aurait-il aperçu l’un ou l’autre… ou pourquoi pas les quatre ?
– Ça, ma petite, je crois bien que personne n’en sait rien. Dans notre coin, tout au moins. Le bruit nous est venu que les téméraires qui tentaient d’approcher le château étaient accueillis à coups de fusil…
– Et les coups de fusil en question n’ont pas éveillé l’intérêt de la gendarmerie ? s’étonna Mme de Sommières. Il me surprendrait que vous n’en ayez pas au moins une ?
Le rire de la chanoinesse fit tinter les pendeloques de cristal du lustre :
– On en a… mais on ne la voit pas souvent. En revanche, on voit quantité de douaniers. C’est leur terrain de chasse, l’Espagne étant juste de l’autre côté. Quant aux coups de feu, on en entend de jour comme de nuit. Des chasseurs… ou autre chose ! Alors, que les occupants d’Urgarrain se défendent comme ils l’entendent, on n’y voit pas tellement d’inconvénients. Ce qui ne veut pas dire que votre histoire ne m’intéresse pas, ajouta-t-elle en voyant s’allonger les figures de ses cousines. Au contraire, je commence à éprouver une envie dévorante d’en savoir davantage. Allez, du nerf ! On va se mettre à l’ouvrage.