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le collier sacré de Montézuma
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 20:33

Текст книги "le collier sacré de Montézuma"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Ce garçon est parfait ! soupira la marquise. On n’imagine pas à le voir ainsi, ce petit côté poétique. Est-ce que le « Théobald » d’Adalbert le possède aussi ?

– Je ne crois pas. On le saurait. Théobald, lui, a embrassé les goûts de son patron et son dada, c’est l’Égypte. Même de vrais jumeaux peuvent cultiver des différences !…

– Eh bien, il ne nous reste plus qu’à attendre ! Et à espérer !

– On saura très vite s’il est accepté. Au cas où ça ne marcherait pas, il rentre tout droit chez Adalbert… et il faudra trouver autre chose !

Ce qui n’était pas évident ! Cependant le jour s’acheva sans que Romuald eût rejoint dans l’ordre : le domicile d’Adalbert, sa moto et sa maison d’Argenteuil.

Le premier message arriva le surlendemain. Romuald semblait convenir. Surtout à la vieille dame qui appréciait son allure compassée et le respect qu’il lui témoignait. La jeune l’avait regardé sans autre commentaire. On ne la voyait qu’aux repas et elle ne quittait pas sa chambre… Côté Don Pedro, le nouveau venu se savait à l’étude et faisait en sorte de ne pas le remarquer. Le jeune Don Miguel manquait toujours à l’appel… comme les deux Fragonard de la chambre de M. Vauxbrun indiqués sur la liste et remplacés par de petits tableaux sans valeur. Parti aussi le poignard mongol qui servait de coupe-papier à l’antiquaire : sa garde et son fourreau d’or sertissaient trois splendides turquoises dans des entrelacs d’or semés de diamants. Une vague copie arabe en cuivre jaune le remplaçait. Côté cadeaux de mariage, ils se trouvaient toujours dans le salon où ils avaient été exposés et les Guardi étaient bien là.

– Les salopards ont bon goût ! gronda Aldo. Les deux sanguines période romaine de Fragonard valent une fortune, et que dire du poignard mongol ! Et on n’a pas lambiné ! À ce train, dans trois mois la maison sera vidée de tous ses trésors !

– Le plus inquiétant, observa Tante Amélie, c’est que ces gens agissent comme s’ils avaient la certitude que ce malheureux Vauxbrun ne viendra pas leur demander de comptes…

– C’est aussi ce que je pensais, reprit Adalbert. Il faudrait faire quelque chose. Mais quoi ?

– Demander son avis à Langlois, répondit Aldo en filant vers le vestibule pour y prendre ses vêtements de sortie. Ta viens avec moi ?

– Cette question !

Occupé à signer le contenu d’un épais parapheur, le policier ne les fit attendre que cinq minutes. Son accueil fut aimable mais il était visiblement soucieux :

– Vous venez chercher des nouvelles ou vous en apportez ?

– On en apporte, mais si vous en avez ?

– Une qui ne va pas vous plaire : sur la chaussure que vous avez trouvée, il n’y a que les empreintes de M. Vauxbrun, laissant entendre qu’il l’aura jetée lui-même. En outre, aucune trace, aucun fil conducteur n’a pu être retrouvé autour de la mare et dans les environs. C’est comme si lui et ses ravisseurs s’étaient soudain volatilisés ! À vous maintenant.

Trop inquiet pour songer à cacher quoi que ce soit, Aldo relata leur parcours personnel depuis la messe de six heures à Saint-Augustin jusqu’au premier rapport de Romuald. Quand il eut fini, Langlois ne put retenir un sourire :

– Je sais depuis longtemps qu’avec vous deux on peut s’attendre à tout mais je dois dire qu’à votre manière vous êtes plutôt efficaces. Loin de moi l’idée de refuser votre aide mais, je vous en supplie, faites attention. Vous êtes chargé de famille, Morosini, une famille qui, si j’ai bien compris, est devenue la vôtre, Vidal-Pellicorne ? Je crains que cette histoire tordue ne sente de plus en plus mauvais !

– C’est aussi notre sentiment, fit Aldo, mais je ne peux pas me désintéresser du sort d’un ami aussi cher que Gilles Vauxbrun… Je m’efforce de croire qu’il est toujours vivant mais quand je vois ces intrus commencer à se servir de sa maison et y prélever des objets de grande valeur, j’avoue que je doute de plus en plus !

– Difficile de vous donner tort. Malheureusement cette femme est dans son droit. Dûment mariée et sans contrat, elle peut vider l’hôtel en entier sans avoir à se justifier !

– Et on ne peut rien faire, vraiment rien ?

– Je peux faire surveiller Drouot et les principale salles des ventes, sans oublier Londres, Bruxelles, Genève et autres. Si l’un des objets que vous allez décrire apparaissait, on pourrait savoir qui met en vente. Et si ce trafic continuait et si certains d’entre eux provenaient de palais nationaux, il serait possible de mettre opposition au nom du patrimoine français.

– Et les cadeaux de mariage, grogna Adalbert, on en fait quoi ?

– Il y a là un point de droit que je ne connais pas. Il faut avouer que le cas n’est pas courant mais l’élégance voudrait que ceux offerts à un marié dont on ne sait trop s’il est mort ou vivant fussent restitués.

– L’élégance !… Avec ce genre de personnages ! grinça Aldo. Au fait, commissaire, avez-vous vu son notaire ?

– Je vous avais dit que j’irais. Il y a effectivement un testament mais on ne pourra l’ouvrir que sept ans après la déclaration de disparition. Sauf, bien entendu, si l’on retrouve le corps.

– A-t-il pu vous dire au moins s’il est récent ? J’entends, si Vauxbrun l’a renouvelé depuis… disons un an ! Pour ce qu’il m’en a dit, il a dû rencontrer Doña Isabel il y a un peu plus de six mois.

– Non, de ce côté-là, rien n’a bougé. Ce qui ne veut pas dire qu’un autre n’ait pas été établi depuis, extorqué vi coactusdevant un notaire complice et deux témoins…

– Peut-être sans trop de peine ! Il avait tellement changé !

– Sans doute. Pourtant, Maître Baud a bien voulu me confier qu’il ne croyait pas à un autre testament…

– Pour quelle raison ?

– Cela, il n’avait pas le droit de le dire.

– A-t-il des renseignements au sujet de ce château qui doit se situer aux environs de Biarritz, qui a motivé son départ pour acheter quelques meubles lors de la vente et dont il a acquis les murs, le contenant et le terrain ?

– Oui, le château d’Urgarrain dans l’arrière-pays, mais ce domaine n’est pas entré dans la communauté.

– Doña Isabel n’est pas la propriétaire ?

– Non, c’est sa grand-mère, Doña Luisa. Le château a été jadis la propriété de sa famille et c’est en le lui offrant que Vauxbrun s’est attiré le cœur d’Isabel. De toute façon, celle-ci en est l’héritière directe…

L’information tomba dans un silence consterné. Ce fut Langlois qui le brisa après quelques secondes :

– Que pensez-vous faire à présent ?

Aldo haussa les épaules :

– Continuer d’attendre les billets de Romuald Dupuy dont on vous tiendra au courant. Mais ne pourriez-vous essayer d’en savoir davantage sur ces Mexicains qui nous sont tombés dessus comme la foudre ? Sait-on seulement d’où ils viennent ?

– Ça, oui ! De New York. Ils ont débarqué du Libertéle 1er septembre au Havre.

– De New York ? Qu’est-ce qu’ils y faisaient ? demanda Vidal-Pellicorne.

– Réfugiés chez des amis, tout simplement. Ils ont dû fuir le Mexique où leurs domaines leur ont peut-être été enlevés pour être redistribués dans le cadre d’une réforme agraire. Ils ont dû rassembler tout ce qu’ils pouvaient emporter.

– … sans oublier une fille ravissante, un peu amorphe peut-être mais dont la beauté exceptionnelle représentait leur chance de se refaire ! jeta Morosini, méprisant. Il suffisait de trouver un… amateur – pour ne pas dire un pigeon ! – suffisamment riche pour se charger de les remettre à flot ! Je sais que ce n’est pas nouveau… Mais cela aurait pu marcher aussi aux États-Unis ? Pourquoi venir en France ?

– Retrouver d’anciennes racines. Ne vous y trompez pas, Morosini, leur noblesse est authentique et leurs ancêtres se sont emparés de l’Empire aztèque avec Cortés…

Cette fois, Aldo prit feu :

– Des gens bien sous tous rapports, à ce qu’il semble ? lança-t-il, furieux. On a peine à croire qu’ils ont peut-être assassiné un type sympathique après l’avoir ficelé dans un mariage républicain pour mieux le dépouiller !

– Allons, calmez-vous ! Je ne fais qu’exposer des faits connus, ce qui ne veut pas dire que nous nous désintéressons du sort de Vauxbrun. S’ils l’ont tué, je vous jure qu’ils le paieront, fussent-ils cousins du roi d’Espagne !

– Et moi, je vous certifie que je ne les lâcherai pas tant que je ne saurai pas la vérité !

– Eh bien, on se retrouve au même point que tout à l’heure, soupira Langlois. Il ne me reste qu’à vous répéter : pas d’imprudences ! Faites attention, je vous en conjure !

Il semblait réellement inquiet, ce qui s’accordait si mal à son flegme quasi britannique habituel qu’Adalbert se demanda s’il leur avait dit vraiment ce qu’il savait. Il n’en garda pas moins sa réflexion pour lui. Aldo se faisait déjà un sang d’encre ; il était inutile d’en rajouter.


4

LE MARCHÉ

– Plan-Crépin, dit Mme de Sommières en reposant sa tasse à café vide, vous prierez Lucien de tenir la voiture prête pour quatre heures !

– Nous sortons ?

– Si par nous sortons vous entendez vous et moi, c’est non. Je sors seule !

La surprise fut telle que la vieille fille en oublia sa bonne éducation et demanda, déjà pincée :

– Et pourquoi sans moi ?

– Parce que, là où je vais, je préfère que l’on ne vous voie pas trop. Je tente une démarche purement privée dont je ne sais ce qu’il en sortira. Il me semble que cela passera mieux si elle est sans témoins. Et ne faites pas cette tête-là ! ajouta-t-elle en voyant rougir le nez pointu de sa lectrice, signe certain qu’elle allait renifler des larmes avant peu. Vous n’êtes pas frappée d’ostracisme ! Simplement, si elle ne tourne pas au face-à-face musclé, une conversation à deux peut se révéler plus profitable qu’à trois !

– Oserai-je demander où nous allons ?

– Rue de Lille ! Je désire m’entretenir avec Doña Luisa !

– Aldo est au courant ?

– Évidemment non. Mais… si à sept heures je ne suis pas rentrée, vous, vous pourrez lui dire d’envoyer Langlois m’extraire de l’oubliette où je commencerai peut-être à dessécher, conclut-elle, narquoise.

– Je… je ne peux même pas rester dans la voiture ?

– Qu’y feriez-vous, sinon vous geler ? Je vous rappelle que nous avons Romuald dans la place. Cela devrait vous rassurer !

À quatre heures et demie précises, la vénérable Panhard noire de la marquise, toujours si admirablement entretenue qu’elle jouait sans peine les objets de collection, stoppait devant le portail de l’hôtel Vauxbrun. Lucien, en impeccable livrée gris fer, en descendit, sonna et remit au concierge la carte de visite de la marquise de Sommières en ajoutant que la noble dame souhaitait quelques instants d’entretien avec Mme la marquise de Vargas y Villahermosa. Un instant plus tard, la porte cochère s’ouvrait devant la voiture que le chauffeur vint arrêter exactement devant le perron où se tenait déjà un Romuald aussi solennel qu’un butleranglais. Il en franchit les marches pour aider la visiteuse à descendre de voiture puis la précéda dans le vestibule et, après l’avoir débarrassée de sa longue redingote de breitschwanz noir, l’introduisit dans un petit salon où celle qu’elle était venue voir se tenait assise, un livre entre les doigts, auprès de la cheminée de marbre rose où brûlaient quelques bûches. La Mexicaine se leva pour accueillir sa visiteuse, sans qu’il fût possible de lire la moindre réaction sur son lourd visage aux yeux gris et froids.

Les deux dames se saluèrent. Doña Luisa désigna un fauteuil semblable au sien de l’autre côté de l’âtre et attendit que Mme de Sommières entamât la conversation. Celle-ci tenta l’ébauche d’un sourire :

– Je vous suis très obligée, Madame, d’accepter de me recevoir alors que je ne me suis pas fait annoncer. Il m’est apparu soudain qu’il ne serait pas mauvais que nous puissions nous rencontrer afin d’échanger nos points de vue sur un événement qui se trouve être douloureux, alors qu’il était destiné à rapprocher deux nobles familles…

– Je n’ai pas remarqué chez ce Vauxbrun la moindre trace de noblesse !

– Un nom pourvu d’une particule ne signifie pas que l’on appartienne à l’aristocratie. Le contraire peut aussi se vérifier et les ancêtres de Gilles Vauxbrun ont servi nos rois avec honneur. En outre, notre famille l’a autant dire adopté. Mon neveu, le prince Morosini, voit en lui un frère et il descend des douze familles patriciennes qui ont fondé Venise, sans compter plusieurs doges…

– Nous, nous descendons du soleil !

Ce fut assené comme un coup de poing sur la table. Mme de Sommières releva un sourcil délicat.

– Illustre origine, s’il en fut, mais qui ne saurait être supérieure à celle d’enfants du Dieu éternel et tout-puissant. Ce que nous sommes tous ! Mais qu’importe ! Une si auguste origine me met à l’aise pour vous prier de bien vouloir répondre à une question simple : comment en êtes-vous venue à accepter l’union de votre petite-fille avec un homme distingué sans doute et pourvu d’une belle fortune mais dont nous n’avons pas eu l’impression qu’il vous inspirait un sentiment beaucoup plus chaleureux que du dédain, pour ne pas dire du mépris ? Cela n’est guère logique.

– Pour servir un grand dessein, les dieux ne s’opposent pas à ce que l’on se rapproche du vulgaire. La beauté de ma petite-fille a foudroyé ce malheureux. Il a compris que le destin avait placé sur son chemin une femme prédestinée que l’on doit adorer à genoux. Il s’est déclaré son serviteur…

Un grand dessein ? Les dieux ? Mme de Sommières commençait à se demander où elle venait de mettre les pieds, mais il fallait justement essayer d’en savoir plus :

– On peut adorer sans épouser. J’en reviens à ma question : pourquoi aller jusqu’au mariage ? Gilles Vauxbrun, si j’ai bien compris, était prêt à tout offrir…

– C’était pour Isabel une question d’honnêteté. Un peu hors de saison peut-être mais elle est ainsi. Vous savez à présent comment elle en a été remerciée : abandonnée au pied de l’autel tandis que cet amoureux si fervent s’en allait voler le collier sacré…

– Admettons un instant qu’il l’ait volé ! D’après vous, c’était pour être certain de pouvoir se comporter… vaillamment au soir de ses noces. Alors, une fois en possession du joyau, pourquoi n’être pas revenu à Sainte-Clotilde ? De quelque côté qu’on la regarde, cette histoire ne tient pas debout, Madame !

Un éclair de colère anima le regard morne de la Mexicaine :

– Cela vous plaît à dire ! Nous pensons autrement, nous qui, après avoir cru rencontrer un homme providentiel, avons compris que c’était seulement un habile coquin !

– Et vous n’êtes pas gênée de vivre chez lui ?

– Il me paraît que c’est une juste compensation pour le tort qui nous a été fait. Quoi qu’il en soit, nous devions vivre ici pendant le voyage de noces. Ensuite, seulement, nous pensions nous retirer en Pays basque… chez moi ! Ce à quoi j’aspire, croyez-le !

Il y eut un silence que la marquise mit à profit pour tenter d’assembler de façon à peu près claire les pièces d’un puzzle qui semblait s’embrouiller à plaisir. Elle ne releva pas les derniers mots, préférant essayer autre chose. Qui pouvait ne pas réussir : cette femme brûlait d’envie de la voir partir. Or elle n’y était pas encore disposée.

– L’avenir… et l’enquête de police nous réserveront peut-être des surprises. Mais… j’y pense ! Comment avez-vous connu Gilles Vauxbrun ? Nous ne l’avons jamais su…

Doña Luisa haussa les épaules :

– Ce n’est pourtant pas un secret !

À la surprise de Tante Amélie, une soudaine douceur venait de se glisser dans sa voix. Et y demeura tandis que, tournant les yeux vers le feu, elle ajoutait :

– Depuis cinq siècles, notre terre mexicaine exerce un attrait sur les hommes de ce pays que vous appelez basque et qui n’est ni français ni espagnol, dont la langue même ne ressemble à aucune autre parce qu’elle vient de très loin. Certainement d’aussi loin que nous. L’un d’eux a été mon aïeul. Venu au péril de la mer océane, il apportait un sang aussi noble que le nôtre et il a fait des choses extraordinaires. Il était l’aîné de deux frères et laissait à son cadet le castel familial sans esprit de retour…

Doña Luisa s’interrompit mais Mme de Sommières se garda d’émettre un son. Se retenant même de respirer, elle comprenait que son hôtesse, tournée vers le feu et prise par ce retour sur le passé, pouvait l’avoir oubliée.

– … Après la mort de l’Autrichien (4), de brigandage en brigandage, la terre des dieux n’a cessé de se convulser, allant de révolution en révolution, jusqu’à la dernière, celle des Cristeros, les paysans chrétiens insurgés contre le gouvernement qui voulait chasser le Christ et la Madone par tous les moyens. On les a massacrés… mais nous n’étions plus là. On nous avait pris nos terres, les miennes comme celles de mon neveu, et nous avons fui vers La Nouvelle-Orléans d’abord puis en Virginie où l’un de mes cousins, naguère encore maître d’un immense rancho près de Monterey, a pu emporter une partie de sa fortune et racheter un élevage de chevaux. Nous n’avions pu sauver qu’un peu d’or et nos bijoux ancestraux…

– Fort beaux, glissa la marquise en écho mais l’autre ne parut pas s’en être rendu compte.

Elle poursuivait :

– Don Pedro, mon neveu, n’en possédait qu’un, mais fabuleux : le collier aux cinq émeraudes sacrées donné jadis à l’empereur de l’Anahuac par Quetzalcóatl, le dieu venu des mers froides que l’on appelait le Serpent à Plumes. Il aurait pu rester plus longtemps au Mexique, car les soldats ont besoin de chevaux en guerre civile comme en guerre étrangère, mais on savait qu’il possédait le collier et il a préféré nous suivre, aussi bien pour nous protéger que pour sauver ce trésor des rapaces.

– C’est le lot des plus précieux joyaux que soulever la cupidité. Pouvez-vous me le décrire ? Il est sublime sans doute ? murmura la visiteuse.

– Je ne l’ai jamais vu. Isabel non plus. Talisman de toutes les félicités, le jeune empereur Cuauhtémoc l’a maudit sur son lit de torture et Don Pedro ne veut pas que nos yeux se posent sur lui. Jamais pour nous il n’a ouvert le coffret…

– Et il l’a montré à Gilles Vauxbrun ? Le roturier qui devait épouser sa nièce ? Lui souhaitait-il le pire ?

Pour la première fois, les prunelles grises se tournèrent vers la visiteuse et l’observèrent comme si elles la découvraient, cherchant peut-être une faille qu’elles ne trouvèrent pas. Comprit-elle enfin qu’elle était au moins son égale, cette grande femme en noir assise en face d’elle, qui se tenait droite avec une aisance d’altesse et qui posait sur elle un regard vert étonnamment jeune mais compréhensif ? Elle baissa sa garde :

– Je le crois, oui ! Il ne me l’a pas dit mais j’ai senti qu’il supportait mal l’idée qu’une fille des dieux, la plus pure, la plus belle, soit livrée à un… boutiquier !

Cette fois, Mme de Sommières ne releva pas le propos injurieux. Jouant d’un doigt avec ses sautoirs de perles et de pierres précieuses dont l’un soutenait son face-à-main serti d’émeraudes, elle remarqua doucement :

– Nous voilà revenues à notre point de départ. Comment cet homme est-il entré dans votre vie ?

À nouveau le silence. Doña Luisa allait-elle estimer qu’elle en avait dit assez et conclure l’entretien ? Tante Amélie ne le redouta qu’un instant. Elle aurait juré que l’atmosphère se détendait. Et, de fait, la Mexicaine se détourna du foyer :

– Mon petit-neveu Miguel n’est pas resté avec nous en Virginie. Il avait gagné New York, ce creuset bouillonnant, afin de voir s’il lui serait possible, comme à tant d’autres, d’y reconstruire une fortune. Il s’y est fait des amis dans le monde des affaires… Ce n’était sans doute pas le meilleur moment puisque le krach financier de 1929 bouleversait l’économie du pays, mais Miguel s’intéressait à l’antiquité, aux objets anciens, aux bijoux et commençait à regarder en direction de l’Europe prospère, avec l’idée de retrouver des racines espagnoles. Un jour, il est venu nous voir : je ne sais trop comment, il avait appris qu’en Pays basque l’ancien château de mon aïeul allait être mis en vente avec son contenu et il nous a conseillé de nous y rendre pour tenter de l’acquérir : “Les États-Unis ne sont pas faits pour vous et jamais vous n’y serez heureux, a-t-il dit. Là-bas, vous retrouveriez des traditions, des liens familiaux peut-être et une vie plus noble que vous n’en aurez jamais ici ! ”

« Mon neveu Pedro a adhéré sans hésiter à son idée. J’étais, je l’avoue, plus réticente. Serions-nous capables de racheter ce bien ? Miguel m’a répondu qu’un seul de mes bijoux pourrait suffire. De plus, l’un de ses amis était en relations avec un antiquaire parisien de réputation mondiale qu’il ferait venir à Biarritz et s’arrangerait pour que nous le rencontrions… J’avoue qu’à mon tour la perspective de vivre sous d’autres cieux m’a séduite, puisqu’il était impossible de retourner chez nous. Et nous sommes partis… À Biarritz, Miguel nous a présenté ce Vauxbrun… À présent, vous savez tout ! »

En même temps, elle se levait, comme prise d’une soudaine envie d’en finir. Peut-être regrettait-elle de s’être laissée aller à se confier à une étrangère appartenant au camp ennemi, mais Tante Amélie s’y était préparée. Très certainement, Luisa n’avait pas envie de lui dire la façon dont ils avaient réussi à piéger Vauxbrun jusqu’à l’amener à acheter château et contenu pour le leur offrir et ensuite proposer le fructueux mariage… C’était déjà une chance d’avoir réussi à tirer quelques réponses de cette femme monolithique, sa contemporaine sans doute et qui, comme elle-même, restait fidèle aux modes de sa jeunesse. Ce qui était la sagesse. On imaginait mal son corps épais dans les fluides créations des couturiers modernes. En revanche, la sévère robe noire à col baleiné remontant sous les oreilles, la jupe esquissant un mouvement de traîne dont l’arrière drapé évoquait les anciennes tournures lui convenaient et ne la ridiculisaient pas. Elle était beaucoup trop imposante pour cela…

– Il me reste à vous remercier, Madame, pour ces instants d’entretien. Puis-je vous demander des nouvelles de votre petite-fille ? Est-elle… remise ?

– Quand on est une Vargas, on ne se remet pas d’une offense publique ! Elle s’enferme dans son orgueil et dans sa chambre. Et elle prie !

– Comme c’est bien ! approuva la marquise qui avait failli demander quelle sorte de dieu elle priait.

On échangea de protocolaires saluts puis Doña Luisa, estimant sans doute qu’elle en avait assez fait pour sa visiteuse, retrouva son coin de feu sans prendre la peine de la raccompagner. Dans le vestibule, celle-ci retrouva Romuald qui, en l’aidant à remettre ses fourrures, réussit à glisser un petit papier plié dans son manchon. Puis il la précéda jusqu’à sa voiture dont il ouvrit la portière et l’aida à monter sans émettre autre chose qu’un « Bonsoir, Madame la marquise » respectueux, auquel elle répondit par un signe de tête et l’ombre d’un sourire. La voiture démarra et sortit de l’hôtel. À peine dans la rue, elle alluma le plafonnier, sortit le billet, prit son face-à-main et lut :

« Une voiture est venue cette nuit, vers une heure du matin. Les deux Guardi sont partis et aussi la table à trictrac du salon Vert… »

Seigneur ! pensa Tante Amélie qui se souvenait que la table en question provenait de l’appartement de la reine au château de Fontainebleau. Est-ce que ces gens sont vraiment réels ou est-ce que je deviens folle ?

Ce fut pour cette seconde hypothèse qu’Aldo opta quand, rentrée à la maison elle le trouva associé dans une commune fureur avec Adalbert et Plan-Crépin.

– Voulez-vous me dire ce que vous êtes allée faire là-bas et sans même m’avertir ?

– Et sans moi… fit la troisième en écho.

Ce qu’Adalbert compléta d’un :

– N’était-ce pas imprudent ?

La scène se passait dans le vestibule où ils s’étaient précipités d’un élan unanime en entendant rentrer la voiture. Sans s’émouvoir, Tante Amélie les regarda l’un après l’autre d’un œil singulièrement frondeur :

– Qu’est-ce que ce comité d’accueil ? Vous êtes quoi ? Minos, Eaque et Rhadamante, les trois juges des Enfers ?… Eh bien, je vous répondrai quand j’aurai bu un verre de champagne ! Et vous, Plan-Crépin, au lieu de bêler, venez m’ôter cette toque de sur la tête !

Suivie des trois autres, elle se mit en marche en direction de son jardin d’hiver, s’installa dans son fauteuil douillet et attendit qu’on la serve. Quand ce fut fait, elle but tranquillement et soupira :

– Ah, j’en avais besoin ! Où est passée la réputation d’hospitalité des hacienderosmexicains ? Cette femme ne m’a seulement pas offert un verre d’eau…

– Ne me faites pas rire, grogna son neveu. Vous n’en auriez pas voulu ! En outre, elle a dû se demander ce que vous veniez faire chez elle ?

– Essayer d’en savoir un peu plus ! J’espérais qu’un face-à-face, sans témoins, entre…

– Grandes dames ? suggéra Aldo, caustique.

– Justement ! Car c’en est une, figure-toi ! Et authentique, j’en ai la certitude… même si son style n’a rien à voir avec l’idée qu’en Europe nous nous faisons de l’espèce. D’ailleurs, si elle porte un grand nom espagnol, je jurerais qu’il y a en elle du sang de Montezuma ou je ne sais quel empereur aztèque. Elle m’a dit qu’elle et les siens descendaient du soleil et elle se réfère davantage « aux dieux » qu’à Notre-Seigneur Jésus-Christ ! À présent, prenez un verre, asseyez-vous et écoutez-moi. Tiens, débarrasse-moi de ça ! ajouta-t-elle en tendant à son neveu le billet déplié. Romuald vient de me le remettre. Tu peux dire adieu à tes Guardi !

– Une grande dame, hein ?

– Cela ne change rien. Je la vois mal jouer les déménageurs !

– Et vous n’avez vu qu’elle ?

– Elle seule. Et Romuald ! Vous m’écoutez, oui ou non ?

– Oui ! Excusez-moi.

Le récit fut bref, concis. À l’instar de Morosini, Mme de Sommières savait raconter sans fioritures inutiles. Pourtant, elle ne put s’empêcher de revenir sur la personnalité de Luisa de Vargas. Peut-être parce qu’elle ne doutait pas un seul instant qu’elle lui eût dit la vérité. Qu’elle fût brutale, cassante, aucun doute là-dessus mais, à cause de ce tempérament abrupt, elle devait juger indigne d’elle de déguiser si peu que ce soit sa façon de voir les choses… Aldo l’observait. Il lui en fit la remarque :

– Ma parole, elle vous a séduite ?

– Pas le moins du monde ! Ce qu’elle m’inspire, c’est un certain… respect. Je la crois à la poursuite d’un rêve et sans doute prête à tout pour le réaliser. À condition qu’il soit encore possible !

– Je crois, moi, fit Adalbert, que ces gens ont décidé de mettre la main sur la fortune de Vauxbrun dans le dessein, élémentairement simple, de rétablir des finances en voie de disparition. Sinon, pourquoi l’installation précipitée rue de Lille et les objets de valeur qui en sont prélevés ?

– D’accord, reprit Aldo, mais pourquoi Vauxbrun ? Ce que je voudrais savoir, c’est qui l’a fait entrer dans le jeu. Qui est le personnage – un ami, paraît-il ? – qui l’a envoyé à Biarritz pour y rencontrer les Mexicains ? Bailey m’a dit qu’il avait voulu assister à une vente de château où il y avait des pièces intéressantes. Or le XVIIIe siècle n’est pas l’époque préférée au Pays basque. D’autre part, Tante Amélie vient de nous apprendre qu’il s’agissait plutôt de le rendre sensible au sort des Vargas, afin de les guider en quelque sorte dans leur projet de racheter la maison en question. Alors, qui a servi d’intermédiaire entre les Américains de Miguel – donc la famille ! – et Vauxbrun ?

– Bailey ne le sait pas ?

– Il ne me l’a pas dit mais…

Aldo consulta sa montre :

– Je vais l’appeler au téléphone. Il doit être encore au magasin…

Quelques minutes plus tard, il remontait mais ne cacha pas que l’on en était toujours au même point et que Bailey n’en savait pas davantage. Un soir, après avoir suivi à l’hôtel Drouot une vacation de tapis de la Savonnerie et autres éléments décoratifs de grand style, Vauxbrun était passé au magasin prévenir son fondé de pouvoir qu’on lui avait signalé une vente intéressante aux environs de Biarritz, qu’il partirait le lendemain, afin d’avoir le temps de se faire une idée avant le jour fixé, et que, comme d’habitude, il s’en remettait à lui pour les affaires courantes. Ajoutant seulement qu’il comptait descendre à l’hôtel du Palais et tiendrait Bailey au courant de la suite !

– Voilà ! Il n’en sait pas plus que nous. Quant à Gilles, qui était au départ l’homme que nous connaissons tous, sûr de lui, positif et bien dans sa peau, il n’a commencé à donner des nouvelles qu’au bout de huit jours et lorsque, enfin, il s’est décidé à téléphoner, Bailey s’est demandé ce qui avait pu arriver à son patron. Plus encore quand il l’a revu. J’avoue que le pauvre homme n’arrive pas à s’en remettre et que son flegme britannique montre des fêlures évidentes…

Le lendemain, dans le courant de l’après-midi, la voiture de livraison d’un commissionnaire assermenté déposait rue Alfred-de-Vigny un paquet cacheté de cire à l’adresse de la marquise de Sommières. Il contenait la boîte à poudre à la miniature d’Isabey accompagnée d’une carte signée de Doña Luisa de Vargas la remerciant et la priant de reprendre un présent destiné à un couple heureux et que l’on ne se sentait pas le droit de garder… Au fil de la journée, quelques coups de téléphone venus d’amis invités comme lady Mendl, les Malden ou les Vernois annoncèrent qu’à eux aussi les cadeaux venaient d’être restitués. Adalbert en venant dîner apporta son propre présent, un vase chinois Kien-Long acheté chez un concurrent de Vauxbrun et dont il fit aussitôt cadeau à une Marie-Angéline rouge de joie.

– Oh, il ne fallait pas ! Pourquoi moi ?

– Ce n’est pas mon style, fit l’égyptologue. Seuls les vases canopes ont droit de cité chez moi et je parie qu’il ira à merveille chez vous. Et puis vous méritez bien un petit cadeau par-ci par-là. Depuis le temps que vous nous aidez ! Voilà qui est fait !

Il ajouta à sa confusion en lui plaquant un baiser sur chaque joue puis se tourna vers Aldo.

– On dirait que tu as droit à un régime spécial ? Ou bien tes Guardi sont-ils revenus ?

– Tu peux constater que non. Si Romuald a signalé qu’on les avait emportés, ce n’était pas pour me les rendre…

– C’est bizarre tout de même !

– Pas tant que ça, dit soudain Marie-Angéline qui, serrant son précieux vase sur son cœur, s’apprêtait à l’emporter dans sa chambre, surtout si l’on part du principe qu’en réalité c’est vous que l’on vise à travers votre amitié pour Gilles Vauxbrun.


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