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Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
  • Текст добавлен: 3 октября 2016, 20:55

Текст книги "Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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L’un derrière l’autre, les deux équipages tournèrent la place Vendôme, prirent la rue de Rivoli, traversèrent la place de la Concorde.

– Où vont-ils ? Où vont-ils donc ? se demandait Théodore. C’est inimaginable, à la fin.

Sa jalousie, d’ailleurs s’atténuait à ce moment ; le fils de M Gauvin trouvait ses premières suppositions stupides.

Parbleu, il n’était pas possible que ce vieux monsieur fût l’amant de sa belle, c’eût été monstrueux ; non, c’était un ami, rien qu’un ami.

Le doute, toutefois, reprit Théodore de façon angoissante au moment où la voiture, contournant l’Arc de Triomphe, descendait au pas l’avenue du Bois.

– Ils vont faire le tour du lac, jugea Théodore. C’est pourtant une promenade d’amoureux.

Et, la rage au cœur, il remarqua que les deux personnages qu’il suivait semblaient causer fort gaiement. Alice Ricard riait aux éclats, son compagnon se penchait à tous moments sur elle et lui parlait à l’oreille.

– Où vont-ils ? se répétait quelques instants plus tard Théodore, voyant, de son fiacre, la voiture poursuivie prendre la gauche et tourner par l’avenue Malakoff.

Au même moment, son cocher l’interrogeait :

– Je suis toujours, n’est-ce pas ?

– Toujours, allez !

Et, à part lui, le jeune homme songeait qu’il avait eu beaucoup de chance de rencontrer un cocher habile, un cocher qui savait prudemment garder ses distances, demeurer à cent mètres et cependant ne pas perdre la piste.

Place Victor-Hugo, les deux voitures tournèrent, se dirigeant à nouveau vers l’Étoile. Elles trottèrent longtemps avenue des Champs-Élysées, puis enfin le coupé de Théodore s’arrêta brusquement.

– Faut-il que j’avance ? demandait le cocher. Ils sont arrêtés.

Théodore, à ce moment, pâlit de rage. La voiture poursuivie avait tourné place de la Madeleine, elle s’était immobilisée devant l’une des grandes brasseries de la rue Royale.

– Mon Dieu, supposa Théodore, j’imagine pourtant bien qu’ils ne vont pas dîner ensemble ?

Mais, une fois encore, Théodore tressaillit.

Il paya son cocher en effet, passa devant la taverne où s’étaient installés la jeune femme et son compagnon et il les aperçut, assis devant une table, commandant un menu au maître d’hôtel empressé.

– J’attendrai, pensa Théodore.

Il s’assit à la terrasse d’un café voisin, commanda un bock, patienta.

Théodore patienta deux heures.

À neuf heures seulement, Alice Ricard, au bras de son compagnon, sortit du restaurant et monta dans une voiture arrêtée par le chasseur de l’établissement.

Théodore serra les poings mais, une fois encore, s’entêta.

– Je saurai où ils vont ! D’ailleurs, maintenant, il faut bien qu’il la quitte.

Le jeune homme prit un taxi-auto fermé, enjoignit à son cocher de suivre.

Mais dix minutes plus tard, la colère du fils de M e Gauvin était indescriptible. Blême, tremblant, Théodore venait alors de renvoyer son taxi-auto. Il faisait maintenant les cent pas rue Richer, devant une maison de modeste apparence, où Alice Ricard et son compagnon venaient de pénétrer.

– Assurément, c’est là qu’habite le vieux monsieur, car enfin Alice Ricard n’a pas d’appartement à Paris, puisqu’elle descend toujours, elle me l’a répété, à l’hôtel Terminus.

Il marcha de long en large, obstiné, plus de trois quarts d’heure sur le trottoir opposé.

Théodore, à ce moment, souffrait le martyre. Il restait là, avec la conviction profonde qu’Alice Ricard allait, d’une minute à l’autre, réapparaître pour regagner son hôtel.

Il la rejoindrait alors, et il saurait d’elle ce qu’il voulait savoir, ce qu’était ce vieux monsieur. Mais en fait, Alice Ricard ne sortait nullement de la maison.

Or, Théodore s’obstinait. Il ne voulait plus songer à ce que pouvait faire la jeune femme dans cette maison. Il se rendait compte qu’il fallait tout supposer et tout craindre, cela lui causait vraiment un réel chagrin.

Théodore souffrait terriblement à ce moment du maussade après-midi qu’il venait de vivre. Il avait volé son père, en somme, pour venir à Paris retrouver la jeune femme, il en était bien puni par l’abominable soirée qu’il passait à voir crouler tous ses plus chers espoirs.

Or, comme il était tout près de dix heures vingt, Théodore, qui continuait toujours à se promener sur le trottoir désert, la mine sombre, l’attitude préoccupée, voyait s’avancer vers lui un sergent de ville stationnant au coin de la rue Montmartre.

Théodore, instinctivement, eut l’intuition que l’agent voulait lui parler.

– C’est sans doute pour un renseignement, pensa le jeune homme.

À deux pas de lui, le sergent de ville l’apostropha :

– Jeune homme ?

Théodore Gauvin se redressa immédiatement. Il n’aimait pas beaucoup que l’on se permît de l’appeler de façon si familière.

– Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-il sèchement.

Le sergent de ville, maintenant, était à côté de lui, imposant, soupçonneux, croisant ses bras sous sa pèlerine fermée.

– Qu’est-ce que vous faites ici ? interrogea-t-il. Pourquoi vous promenez-vous comme ça depuis deux heures dans cette rue ?

Théodore se troubla tant soit peu.

– C’est parce que j’habite ici.

– Et alors ?

– Alors, j’ai oublié les clés. J’attends quelqu’un.

Le sergent de ville ricana :

– À quel numéro c’est-il que vous habitez ?

Théodore se troubla de plus en plus.

– Au 22, répondit-il au hasard.

Il pensait bien se débarrasser du sergent de ville, mais celui-ci au contraire insistait :

– Au 22 ? faisait-il. Ah, tiens, et comment qu’elle s’appelle la concierge du 22 ? Je la connais, justement ?

– Je n’ai pas à vous répondre. Qu’est-ce que c’est que cet interrogatoire ? Cela ne vous regarde pas.

– Vraiment ? ripostait gouailleur le sergent de ville, ça ne me regarde pas ce que vous faites là à vous balader depuis deux heures ? Dites donc, mon gaillard, vous m’avez l’air de méditer du scandale, vous ? Faudrait voir à voir !

– Assez, commanda Théodore d’un ton sec. Vous ne savez pas à qui vous parlez.

– Je sais que je vous dis de circuler, moi, riposta l’agent. Qu’est-ce que c’est que ces façons-là ? Vous prétendez habiter ici et vous ne connaissez pas seulement le nom de la concierge ? Allez, ouste, décampez, et plus vite que cela !

L’agent mit la main sur l’épaule de Théodore, il bouscula un peu le jeune homme.

– Voulez-vous bien vous en aller ?

Mais Théodore ne le voulut point. Il prétendait résister.

– Je vous prie, répondait-il encore plus sèchement, de vous mêler de vos affaires. Si vous voulez savoir ce que je fais ici, j’attends une dame, là ! J’ai un rendez-vous.

– Ouais, je m’en doutais. Eh bien, vous viderez vos querelles ailleurs. Ouste !

– Mais je suis Théodore Gauvin, le fils du notaire de Vernon, vous voyez bien…

Le sergent de ville perdit patience :

– Théodore Gauvin ou non, fils de notaire ou fils d’ouvrier, c’est tout comme ! Je vous dis de vous en aller, moi, c’est clair, non ?

Théodore Gauvin sentit la sueur perler à son front. Jamais on ne s’était permis de lui parler de cette façon.

– Donnez-moi votre numéro, commença-t-il, je vous ferai…

Mais cette fois il n’eut pas le temps d’achever. Le sergent de ville l’avait empoigné par le bras et le secouait d’importance :

– En voilà un rouspéteur ! faisait-il. Attendez voir un peu que je vous apprenne à parler à l’autorité ! Une fois, deux fois, voulez-vous circuler, ou je vous fourre au violon, moi ? Ah, mais !

Blême de rage, mais sentant qu’il ne pouvait résister, Théodore recula :

– C’est bien, déclara-t-il, je m’en vais, agent, mais vous aurez de mes nouvelles, rappelez-vous mon nom, n’est-ce pas ? Théodore Gauvin, de Vernon.

Ayant lancé ces mots sur un ton de menace, il s’éloigna définitivement.

Théodore était tremblant, effaré, épouvanté même.

– Ah ça, c’est trop fort, rageait-il, voilà que maintenant, on n’a plus le droit de marcher dans les rues !

Et, en même temps, il songeait qu’il lui serait bien difficile d’exécuter ses menaces et de prier son père d’intervenir, étant donné les circonstances.

Même, le pauvre Théodore se prit à frémir.

– Si on m’avait emmené au violon, pensait-il, on m’aurait fouillé à coup sûr. On eût trouvé les dix-huit cents francs sur moi.

Théodore se promena plus d’une demi-heure sur les boulevards, puis à onze heures un quart revint rue Richer.

Il évitait toutefois le coin de la rue Montmartre et, prudemment, s’arrêtait rue Bergère.

– Je vais attendre, pensait-il, il faudra bien qu’elle sorte.

Mais, au lointain, l’ombre noire du sergent de ville l’inquiétait fort ; d’ailleurs Alice n’avait-elle pas pu sortir, pendant que lui-même s’éloignait, chassé par le gardien de la paix ?

Le jeune homme patienta quelques minutes puis, soudain, décida :

– Ce que je fais là est stupide. J’ai un moyen bien plus simple de la trouver. Assurément, elle ne va pas passer la nuit chez cet individu, donc elle a retenu une chambre à l’hôtel Terminus, je n’ai qu’à m’y rendre, je saurai si elle est rentrée, et, si elle n’est pas rentrée, je l’attendrai là-bas.

Théodore appela un fiacre, donna l’adresse de l’hôtel.

Hélas, vingt minutes plus tard, il sortait du Terminuscomplètement désespéré.

– M me Ricard ? lui avait-on répondu au bureau des renseignements. Oui, en effet, elle descend souvent ici, mais en ce moment, elle ne doit pas être à Paris. Nous n’avons pas de chambre pour elle, nous ne l’avons pas vue depuis huit jours.

Théodore n’avait pas insisté, il s’en allait maintenant, les bras ballants, la tête basse, l’air désespéré.

– Alice n’a pas retenu de chambre, pensait-il, donc elle couche rue Richer. Donc ce vieux monsieur, ce vieux monsieur chic, c’est son amant.

Et, en errant à l’aventure, il se répétait cela, cette affreuse affirmation qui lui faisait tant de mal.

4 – LE CRIME DES ÉPOUX RICARD

Tandis que Théodore, épris de la belle Alice Ricard, errait dans Paris à l’aventure, après s’être désespéré en attendant la jeune femme, qu’était devenue celle-ci ? Qu’était devenu le vieux monsieur qui l’avait accompagnée au thé du Korton, avec qui elle avait dîné, avec qui elle paraissait au mieux ?

Alice Ricard était entrée rue Richer à neuf heures et demie environ. Un quart d’heure plus tard, dans un modeste appartement de cette même maison, une scène horrible se déroulait.

Dans une pièce sombre, aux allures de chambre à coucher, très vaguement éclairée par la lueur vacillante d’une modeste lampe pigeon posée sur le coin d’un meuble, deux personnages aux allures sombres s’agitaient, en prenant bien garde à ne pas faire de bruit.

Ils parlaient à voix basse :

– Est-ce fini ?

– Presque.

– Tu es bien sûre, n’est-ce pas, de ne rien oublier ?

– Oh certainement.

– Tu sais que la moindre trace, le moindre indice nous perdraient.

– N’aie donc pas peur.

– On ne voit pas clair ici, bougre de nom d’un chien. Les volets sont clos, hein ?

– Oui, bien entendu.

– Alors, il n’y a rien à craindre des voisins. Je hausse la lampe sans scrupule.

L’homme qui venait de parler se rapprochait en effet de la table sur laquelle était posée la lampe pigeon, il leva la mèche, une clarté plus vive se répandit dans la pièce.

L’homme avait alors un ricanement.

– Sapristi, dit-il avec tranquillité en regardant autour de lui, c’est vraiment joli ici. Il n’y aura pas à s’y tromper.

Il avait éclaté de rire.

– Tais-toi donc, dit la femme, tu fais trop de bruit et ton rire me glace d’effroi. Si jamais on venait…

– Oui, nous serions frais.

Ils se turent, tous deux occupés encore, semblait-il, à des besognes mystérieuses.

L’homme soudain se retourna :

– J’ai du sang aux mains, déclara-t-il, il faudrait que je m’essuie les doigts.

– Prends les rideaux, conseilla la femme, mais méfie-toi. Né laisse pas d’empreinte.

À son tour d’ailleurs, la femme s’approchait de la lampe et en haussait encore une fois la mèche.

– Il faut absolument que nous voyions clair, dit-elle.

Et quand la lumière fut devenue plus vive, elle répéta ce que son compagnon avait dit :

– Oui, vraiment, tu as raison, c’est tout à fait gentil ici.

Elle éclata de rire à son tour.

Le spectacle qui faisait rire les deux individus était abominable cependant : un lit qui occupait le fond, était à moitié défait, les draps sur le sol, le matelas pendait, lamentable, parmi les couvertures rejetées en tas.

Plus loin, la tenture d’une portière déchirée traînait. Une chaise renversée avait son étoffe à moitié trouée et le crin s’en échappait par flocons. Sur le tapis enfin, un tapis clair, d’une teinte grise et sur lequel étaient jetées des carpettes de poil de chèvre, de larges taches se voyaient, de véritables mares d’un liquide rouge déjà coagulé, à l’odeur âcre, fade, grisante presque : du sang.

– Qu’est-ce que tu en penses, on brise la glace ?

– Si tu veux, dit la femme, ça n’a pas d’importance, elle appartient au propriétaire. Mais n’esquinte pas la pendule, ne la bouge pas hein, elle tomberait et ça ferait du bruit.

– C’est idiot ce que tu as fait là. Elle a de la valeur cette pendule. Nous aurions pu la revendre.

– Bah, nous n’en sommes plus à cinquante francs près. Il y a vraiment beaucoup de sang, ajouta-t-elle d’un air sérieux, cela ne te fait pas peur ?

– Affaire d’habitude, disait-il. Si cela t’impressionne, ne regarde pas.

– Viens m’aider plutôt. Il faut que je casse au moins l’un des petits tiroirs.

– Pourquoi ?

– Pour le vol, parbleu.

– Tu as raison. Et la malle jaune ?

– Je m’en suis occupé.

– Alors ça va bien.

Ils s’étaient agenouillés auprès d’un bureau à l’angle de la pièce :

– Je n’ai pas beaucoup l’habitude de ces opérations-là, constata en souriant l’homme qui paraissait de plus en plus calme, mais cela ne fait rien, j’imagine que je réussirai facilement.

Il était armé d’un ciseau à froid, d’un marteau, il manœuvrait ses outils de telle manière qu’en quelques minutes la serrure du tiroir céda.

– Et voilà, concluait-il d’un ton enjoué, tu vois que ce n’est pas difficile.

En parlant, il fouilla dans le tiroir, vérifia les papiers, en jeta une partie sur le sol.

– Crois-tu que cela vaille la peine de défoncer tous les tiroirs qui restent ?

Il tenait la lampe, il examinait en connaisseur le meuble fracturé.

– Baraban qui soignait tant son mobilier ! dit-il soudain en riant encore. Et dire qu’il attrapait sa concierge lorsqu’elle faisait mal son ménage.

– Laisse donc le bureau. Il n’y a plus rien à faire dans la chambre, viens voir par ici.

L’homme reposa la lampe, suivit un couloir, se pencha encore sur le sol :

– Alice, appela-t-il, viens donc voir, il me semble qu’il y a beaucoup de sang par ici.

– Non viens, dépêche-toi, j’ai besoin de toi ici, Fernand.

Alice ? Fernand ?

Était-ce donc les époux Ricard qui se trouvaient réunis rue Richer, dans cet appartement en désordre à l’aspect sinistre, tout taché de sang, dans cet appartement qui, l’homme venait de le dire, appartenait à un certain M. Baraban ?

C’était bien eux en effet.

C’était bien Alice Ricard, la jolie Alice qu’aimait le jeune Théodore Gauvin, qui se trouvait maintenant dans la cuisine, occupée à se laver les mains dans une terrine posée sur l’évier.

– Regarde-moi bien, disait-elle. Allume le gaz si tu veux, les volets sont fermés. Je n’ai pas de sang, hein ?

Fernand – Fernand Ricard, car c’était bien le courtier qui se trouvait là avec sa femme – l’examinait soigneusement.

– Non, dit-il enfin après l’avoir fait tourner et retourner devant lui, je ne vois aucune trace suspecte, tu es nette comme un sou neuf.

Puis il arrêta sa femme d’un geste.

– Eh pas de bêtise, ne vide pas l’eau de la cuvette, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je crois que le tuyau aboutit à la cour et coule dans une rigole jusqu’à la canalisation qui l’emmène à l’égout. De l’eau rouge comme cela, ce serait suffisant pour attirer l’attention.

– Oh, tout le monde dort.

– Je l’espère bien.

Fernand Ricard, à son tour, se lavait les mains dans l’eau déjà rougie, se curait les ongles soigneusement.

– Je n’ai rien non plus ?

– Non.

Ses mains essuyées, le courtier retournait dans la chambre à coucher.

– C’est tout à fait bien, constata-t-il d’un air satisfait. Nous ne laissons aucune trace derrière nous. Absolument aucune.

– Tu sais l’heure ? demandait-elle.

– Non.

– Dix heures vingt-cinq, mon chou.

– Bigre, il s’agit de ne pas flâner alors. Ah sapristi, j’ai dix heures dix, moi. Crois-tu, nos deux montres ne marchent pas ensemble, c’est comme cela que les malheurs arrivent.

Il manœuvrait soigneusement les aiguilles, prenant l’heure de sa femme :

– Dix heures et demie maintenant, hein ? Bon, voilà qui est fait, eh bien je crois ma chérie que tu n’as plus qu’à t’en aller.

Les deux époux parlaient toujours à voix basse. Ils n’avaient pas l’air trop émus pourtant.

– En effet, répondit Alice, je m’en vais. Cela me fait un peu peur, tout de même, de te laisser ici.

Fernand Ricard, lui, haussait les épaules :

– Moi cela ne m’effraye pas, et puis tout est si bien combiné ! Tu as prévenu la concierge ?

– Oui, tu n’as pas entendu quand je suis remontée ? J’ai dit : M. Baraban et moi, madame, nous allons vous déranger tout à l’heure vers les dix heures et demie.

– Tu es sûre qu’elle t’a entendue ?

– Oh parfaitement. Elle m’a même répondu qu’elle était habituée à être dérangée et que, pour un locataire comme M. Baraban elle tirerait bien le cordon dix fois par nuit.

Les deux époux, à ces mots, éclatèrent encore de rire.

– Le pauvre homme, déclara Fernand Ricard.

Il se hâta d’ajouter :

– Allons, dépêche-toi, il est dix heures et demie bien sonnées maintenant.

Quelques secondes plus tard, Alice Ricard était chapeautée, prête à partir, et son mari la reconduisait jusqu’à la porte de l’appartement.

– C’est bien entendu hein ? disait Fernand. À onze heures moins cinq exactement, tu sonnes ?

– À onze heures moins cinq, lui répondait la jeune femme commençant à descendre l’escalier.

Trois marches plus bas, elle se retourna.

– Et toi, n’oublie pas la malle.

– Non, non, sois tranquille, tout ira bien.

Fernand Ricard, sur la pointe des pieds, descendit jusqu’à sa femme, l’embrassa amoureusement.

– Va, répéta-t-il, et sois sans crainte. Si tout marche bien, dans moins d’un mois…

– Oui, répondait-elle, mais quelle peur d’ici là ! Ah, les journaux de demain ! Nous perdons du temps, c’est l’heure. Adieu !

Alice Ricard descendit rapidement les trois étages de la maison.

Dans le vestibule, elle heurtait à la porte de la loge :

– Le cordon s’il vous plaît. C’est nous, madame.

Immédiatement, la porte s’ouvrit. La jeune femme sortit rue Richer, ayant refermé derrière elle le battant de la porte cochère. Alice Ricard tourna vers les Folies-Bergère. Elle longea la façade du music-hall, prit la rue de Trévise, marchant vite.

Alors qu’un instant avant, la jeune femme paraissait très calme, fort tranquille, il semblait maintenant qu’un émoi désordonné s’était emparé d’elle. Elle avait les dents qui claquaient. Moite de sueur, elle évitait les endroits éclairés, traversait pour fuir l’auréole lumineuse des réverbères. De temps à autre, même, elle s’arrêtait, regardait minutieusement sa robe, ses manches, ses mains, cherchant si nulle trace suspecte ne pouvait être devinée sur elle.

Elle erra encore quelque temps aux environs du square Montholon, puis elle regarda sa montre anxieusement :

– Onze heures moins dix, allons il est temps que je revienne.

La jeune femme fit demi-tour, et, par la rue Bergère, gagna la rue Richer.

– Onze heures moins sept, murmurait-elle vérifiant sa montre, comme elle se rapprochait de l’immeuble quitté un quart d’heure auparavant.

Alice Ricard, alors, ralentit le pas. Elle regarda de seconde en seconde le cadran ouvragé de sa petite montre de dame. Il était exactement onze heures moins cinq lorsqu’elle s’arrêta devant la porte.

Alice Ricard, alors, d’un coup d’œil furtif, examina la rue. Elle était déserte. Le sergent de ville qui avait interpellé Théodore une vingtaine de minutes auparavant, avait regagné son poste au coin de la rue du Faubourg Montmartre.

La jeune femme, n’apercevant personne, parut reprendre un peu d’assurance. Elle sonna, un long coup de sonnette, puis frémissante, prêtant l’oreille, elle attendit, elle écouta.

De l’autre côté de la porte cochère, à l’instant même où le coup de sonnette retentissait, dans le silence de la maison endormie, une pendule tinta.

Lentement, à coups égaux, d’un timbre argentin, elle égrena les douze coups de minuit.

– Dix, onze, douze, allons, tout va bien, dit Alice Ricard.

Elle sonna une seconde fois, la porte s’ouvrit, elle en repoussa le battant. Que se passa-t-il alors ?

Muet, un homme lui fit un signe. Il était au fond du corridor. Il vint en marchant pesamment jusqu’à la porte cochère.

– Monsieur Baraban, cria-t-il à haute voix à la façon d’un locataire qui rentre le soir chez lui.

Il ajouta :

– Dormez bien, madame, c’est l’heure.

Puis ayant franchi la porte cochère il la ferma et, rapidement prenant le bras d’Alice, il entraîna la jeune femme.

– Tout s’est bien passé ? demanda Fernand Ricard, haletant. Tu n’as rencontré personne en sortant ?

– Non, personne, et toi ?

– Moi non plus, naturellement, je n’ai pas bougé de l’appartement.

Fernand Ricard poussa un grand soupir de satisfaction puis demanda encore :

– Tu n’avais pas oublié, n’est-ce pas, de crier ton nom à la concierge en sortant ?

– Non, bien entendu. Mais toi-même, Fernand, pourquoi as-tu crié Baraban à l’instant ?

– Pour donner le change. La concierge, en t’entendant sortir tout à l’heure, a cru que Baraban t’accompagnait, en m’entendant sortir moi, en ce moment, et en m’entendant crier « Baraban » elle va certainement penser que c’est son locataire qui rentre.

Fernand Ricard soupira encore. Il marchait très vite, paraissant avoir très chaud.

– Et la malle jaune ? demanda Alice.

– C’est fait, riposta le courtier. Je l’ai.

Alice n’eut pas l’air de s’étonner et pourtant son mari ne tenait qu’une petite valise, précisément la valise qu’il avait emportée la veille en partant de Vernon pour aller soi-disant au Havre alors qu’il était venu à Paris.

À ce moment, les deux époux atteignaient la rue Lafayette. Fernand Ricard appela un fiacre.

– À la gare Saint-Lazare, vite, commanda-t-il. Nous prenons le train de onze heures quarante-cinq.

Quelques instants plus tard, en débarquant dans la cour de la gare, le courtier se prit de dispute avec son cocher.

– Pourquoi diable m’avez-vous mis le tarif horaire ? demanda-t-il. J’ai droit au tarif kilométrique ! Donnez-moi votre numéro !

Le cocher sursauta :

– Mais je vous ai mis le tarif kilométrique, répliqua-t-il, regardez plutôt.

Fernand Ricard se pencha en avant.

– Tiens, c’est vrai, faisait-il en s’excusant, pardon.

Et il laissa un bon pourboire au cocher.

Les deux époux montèrent alors le grand escalier qui conduit au hall des pas perdus.

Mais décidément, le courtier devait être énervé, car, en demandant son billet, il eut une nouvelle altercation avec la préposée :

– C’est absolument stupide, lui disait-il, que vous me refusiez cette pièce de cinq francs sous prétexte qu’elle a une paille [3]. D’abord ce n’est pas vrai. Ensuite c’est la Compagnie qui me l’a donnée aujourd’hui même.

– Comment voulez-vous que je le sache ? ripostait la préposée. Et même si je le savais, que voulez-vous que j’y fasse ? C’est à vous de vérifier votre monnaie, si l’une de mes collègues s’est trompée.

Mais Fernand Ricard n’admettait aucune observation :

– Cela suffit, disait-il, donnez-moi le registre des réclamations.

– Pourtant, monsieur…

– Assez, mademoiselle, le registre des réclamations, ou bien, par-dessus le marché, vous allez me faire manquer mon train de onze heures quarante-cinq !

En possession du registre, qu’il obtint non sans peine, en occasionnant un scandale abominable, Fernand Ricard écrivit une longue plainte.

– Aurai-je encore le train de onze heures quarante-cinq ? grommela-t-il en s’éloignant du bureau où on l’avait conduit.

Il était onze heures quarante-quatre. Un chef de gare le rassura :

– Dépêchez-vous, monsieur, mais vous avez le temps, votre montre avance un peu.

En courant, en effet, Alice Ricard et son mari purent rejoindre le train au moment même où les employés commençaient à fermer les portières.

Ils se jetèrent tous les deux dans un compartiment vide.

– Ouf ! fit Fernand Ricard en s’asseyant.

– Ah ça, dit la jeune femme, tu perds la tête ? Pourquoi diable as-tu attrapé ce cocher ? Pourquoi as-tu voulu déposer cette réclamation ? Tu nous as fait remarquer.

Le courtier en vins qui souriait considéra sa femme d’un air ironique :

– Enfant, disait-il, tu ne comprends donc pas ? Mais bien entendu que je me suis fait remarquer. Exprès. Parbleu ! Alice, j’ai fait remarquer que nous prenions le train de onze heures quarante-cinq, alors pourtant que Baraban est rentré chez lui à minuit.

***

À trois heures du matin, cette même nuit, tandis que Fernand Ricard et sa femme rentrés à Vernon, réinstallés dans leur maisonnette, débouchaient une bouteille de champagne et la vidaient consciencieusement avant de se mettre au lit, à Paris, sur les bords de la Seine, sous les arches du Pont-Neuf, un jeune homme aux traits défaits, contemplait l’air sombre les flots noirs qui se heurtaient en tourbillonnant.

Le malheureux se tenait tout au bord du quai. Par moments, il se penchait sur les eaux glauques, attirantes, et il semblait alors qu’un vertige le prenait, qu’il allait s’y précipiter.

Sa décision devait être d’ailleurs bien arrêtée. Il allait sans aucun doute faire le geste fatal lorsqu’à côté de lui, dans l’ombre trouble du pont, un sanglot retentit.

Brusquement, alors, le jeune homme se retourna :

– Qui va là ? Qui est là ? demanda-t-il.

On ne lui répondit pas. L’endroit était désert, inquiétant. Une humidité glaciale régnait, le vent siffla en rafales.

– Qui est là ? répéta le jeune homme.

Il s’était retourné.

Au bord du quai, il entrevit, appuyée contre la pierre du pont, une femme qui sanglotait éperdument.

Elle aussi paraissait désespérée, elle aussi fixait les flots noirs et semblait prête à leur demander l’oubli, le repos, la mort.

Le jeune homme s’approcha de l’inconnue.

Il lui mit la main sur l’épaule sans qu’elle daignât seulement tourner la tête.

– Voyons, disait-il, que faites-vous là, madame ? Qu’allez-vous faire plutôt ? Et pourquoi pleurez-vous si fort ?

La femme le regardait, étonnée de la sympathie qu’on lui manifestait.

– Je viens de rompre avec mon amant, répondait-elle, nous nous sommes disputés, je veux mourir.

Le jeune homme prit le bras de cette inconnue et, doucement, l’entraîna :

– Il ne faut pas dire des choses comme cela, conseillait-il d’une voix très douce. Il ne faut pas penser à de semblables lâchetés. D’abord êtes-vous sûre qu’il ne vous aime plus, votre amant ?

Et, dans l’ombre longtemps, longtemps, le jeune homme, qui pleurait lui-même par moments, s’efforça de consoler la désespérée que le hasard venait de lui faire rencontrer.

5 – UNE ARRESTATION

– As-tu entendu ?

– On a frappé, je crois ?

– Je ne crois pas, moi. J’en suis sûr !

Deux coups discrets venaient en effet de retentir à la porte de la chambre à coucher des époux Ricard.

Alice et Fernand s’étaient couchés fort tard, la veille.

Ils dormaient profondément l’un et l’autre, lorsque ces coups avaient été frappés à leur porte et, en ouvrant les yeux, les époux constatèrent qu’il faisait grand jour.

Quelle heure pouvait-il bien être ? Neuf heures du matin, dix heures peut-être ?

Ils se regardèrent interloqués, légèrement inquiets. Fernand s’était dressé, prêt à bondir de son lit. Quant à Alice, elle se pelotonnait sous les couvertures, s’efforçant de rester éveillée, et luttant avec peine contre le sommeil qui s’appesantissait sur ses paupières.

Enfin, Fernand Ricard se décida à répondre à l’appel qui se poursuivait discret, peu bruyant, mais tenace et continu.

– Qu’est-ce qu’il y a ? Que veut-on ? demanda-t-il.

La voix de la petite bonne que les époux Ricard avaient à leur service se fit entendre.

– C’est une visite, fit-elle. Quelqu’un qui attend au salon et demande à voir monsieur et madame.

Ricard tressaillit, il secoua sa femme qui commençait à se rendormir.

– Réveille-toi donc, fit-il, il se passe quelque chose d’étrange. Qui donc peut venir nous voir ainsi ?

Et Fernand Ricard pâlissait, cependant que sa femme ouvrait de grands yeux effarés.

– Est-ce que l’on saurait déjà ? dit Alice.

Mais Fernand s’était levé, il se rapprocha de la porte, et sans l’ouvrir, demanda à la bonne :

– Qui est là ? Savez-vous le nom de cette personne qui attend ?

– Mais oui, monsieur, répondit la servante, c’est M e Gauvin, le notaire.

– Ah, fit Fernand, qui respira profondément. J’aime mieux ça.

Il cria à la bonne :

– Est-ce que c’est bien urgent ? M e Gauvin a-t-il besoin de nous voir tout de suite ?

– Je vais lui demander, dit la bonne.

Et l’on entendit son pas lourd et rapide dans l’escalier. La domestique remontait quelques instants après :

– Il paraît, cria-t-elle à travers la porte, que c’est très important et très pressé. Si monsieur et madame ne sont pas prêts, M e Gauvin attendra.

– Quelle drôle d’histoire !

– Eh oui, je comprends bien, dit Alice, répondant à l’interrogation muette de son mari, on aurait bien dormi deux heures de plus, mais on ne peut pas refuser de recevoir M e Gauvin.

Elle esquissa un sourire cynique et ajouta :

– C’est peut-être au sujet de l’héritage de notre oncle, qu’il vient nous voir.

Fernand haussa les épaules. Il retourna du côté de la porte, cria à la bonne :

– Priez M e Gauvin d’attendre, nous allons descendre dès que nous serons prêts.

Les deux époux se livrèrent à une toilette sommaire.

– Qu’est-ce qu’il peut bien nous vouloir ? se demandait Alice qui, pour dissimuler sur son visage les traces laissées par la fatigue de la veille et la mauvaise nuit qu’elle avait passée, se couvrait outrageusement de poudre.

Plus calme, en apparence tout au moins, Fernand déclarait :

– Qu’est-ce que tu veux, nous allons le savoir. Attention à ne pas faire de gaffe, et à ne pas te montrer émue, quoi qu’il arrive. Nous ne pouvons nous tirer d’affaire qu’à la condition de maintenir formellement ce que nous avons décidé de raconter.

– Je n’ai pas peur, et tu n’as rien à craindre de moi. J’ai beau être une femme, j’ai du toupet.

Quelques instants après, dans le salon du rez-de-chaussée où M e Gauvin se promenait de long en large, troublé, semblait-il, les deux époux faisaient leur apparition.


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