Текст книги "Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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Un éclat de rire retentissait, interrompant le récit de Fernand Ricard. C’était Fandor qui s’esclaffait. Le journaliste s’amusait prodigieusement.
– C’est un vrai roman, ne put-il s’empêcher de dire, et j’en ferai vingt mille lignes, quand j’aurai le temps.
Mais Juve, sévèrement, toisait Fandor :
– Tais-toi ! fit-il.
Et, se tournant vers Fernand Ricard, il l’invita à continuer :
– J’ai compris, fit le policier, arrivons-en à la mise en scène du crime.
Fernand Ricard rougit :
– Voilà, avoua-t-il, où l’histoire a commencé à devenir mauvaise pour nous. Nous avions tout combiné pour faire croire que l’oncle Baraban avait été assassiné chez lui, puis que son cadavre avait été emporté par les meurtriers. C’est pour cela que, dans l’après-midi, j’avais fait livrer une grande malle jaune, que nous avons démolie rue Richer et dont Alice avait emporté les morceaux dans sa valise.
« Il fallait innocenter Alice de tout soupçon et bien faire comprendre à la police que nous étions partis l’un et l’autre pour Vernon à onze heures quarante-cinq, alors que l’oncle Baraban ne pouvait avoir été assassiné qu’à partir de minuit, puisque la concierge avait affirmé qu’il était rentré chez lui à cette heure-là.
– Je sais ce que vous avez fait, interrompit Juve. En quittant la rue Richer à onze heures du soir, vous vous êtes servi d’un timbre et vous avez sonné les douze coups de minuit alors qu’il n’était en réalité que onze heures.
– C’est exact, fit Fernand Ricard. Mais comment le savez-vous ?
– Peu importe. Et les taches de sang de l’appartement ?
– C’est de mon sang à moi, déclara Fernand Ricard qui ajouta : Si ces menottes ne m’interdisaient pas tout mouvement, je retrousserais ma manche, et vous verriez que je porte au coude une cicatrice. Je me suis ouvert une veine exprès.
– Décidément, constata Juve ironiquement, vous avez pensé à tout.
– Ma foi, c’est vrai, reconnut naïvement Fernand Ricard. Vous savez, lorsque l’on combine quelque chose pendant trois ans, qu’on y pense sans interruption pour ainsi dire, il est bien rare qu’on laisse quelque chose au hasard.
– Cependant, intervint Fandor, qui se pinçait les mains pour ne pas applaudir à l’ingéniosité de cet escroc, cela ne vous a pas réussi ?
– Ah, fit Ricard, nous n’avons pas eu de chance. Des complications sont survenues que nous ne pouvions prévoir. D’abord, ça été la maladroite intervention de cet imbécile de Théodore Gauvin, qui s’est fait arrêter et inculper d’avoir assassiné l’oncle Baraban. Puis il y a eu autre chose.
Le visage de Fernand Ricard, soudain, devint grave, et Alice qui écoutait ce récit sans broncher, tressaillit dans son fauteuil.
– Et quoi donc ? interrogèrent Juve et Fandor.
D’une voix toute tremblante d’émotion, Fernand Ricard poursuivit :
– La malle verte et l’homme mystérieux.
– Fantômas, dit Juve.
Fernand Ricard eut pour le policier un long regard étonné.
– Ah ça, questionnait-il, vous savez donc tout ?
– Pas tout, fit Juve, certaines choses. Continuez.
– Oui, poursuivit le courtier en vins, Fantômas est intervenu dès lors dans nos affaires. Une première fois, il est venu nous rendre visite pour dire : « Part à deux, moitié, dans les cent mille francs de l’oncle. »
– Vous avez accepté ?
– Nous avons refusé, nous croyions que c’était quelqu’un de la police. Mais alors, Fantômas nous menace et nous dit : « Je vais vous perdre. » En effet, nous ne savons ni pourquoi, ni comment, tout d’un coup, la police arrive chez nous, on trouve dans la cheminée de la rue Richer du sable provenant de notre jardin et, dans ce sable, un mouchoir appartenant à Alice, rempli de sang. Tout cela avait été mis là par Fantômas qui voulait nous compromettre. Pour comble de malheur, M. Havard fait fouiller notre puits et il retrouve la serrure de la malle jaune que, par prudence, nous avions détruite et fait brûler dans notre fourneau. Quant à la malle verte, Fantômas nous l’a avoué, c’est lui qui l’a fait découvrir après l’avoir envoyée à Brigitte, alors qu’il avait dans l’idée de faire arrêter cette malheureuse. Nous sommes arrêtés nous-mêmes. Mais Fantômas se doute bien que nous pourrons nous innocenter, et alors, il nous compromet plus encore, en réapparaissant, déguisé en oncle Baraban. Nous sommes obligés de le reconnaître pour notre parent, et cette fois, il est certain que c’est lui qui va toucher, non pas l’assurance, puisque sa réapparition remet l’affaire en question, mais bien les deux cent mille francs gagnés par le billet de la loterie que j’avais pris sous le nom de l’oncle Baraban et confié au notaire Gauvin.
– Oui, fit Juve intervenant à son tour, je comprends maintenant pourquoi Fantômas a fait gagner le numéro 6 666 et pourquoi il a assassiné ensuite le notaire Gauvin.
Atterré, Fernand Ricard bredouilla :
– Est-il donc si épouvantable ?
Fandor, de son côté, s’exclamait :
– Qu’est-ce que vous dites, Juve ? Il a assassiné M e Gauvin ?
– Oui. Il est plus cruel encore que vous ne pouvez le croire, acheva-t-il, s’adressant à Fernand Ricard.
Le policier laissait souffler quelques instants le malheureux qu’il interrogeait depuis déjà près d’une heure. Puis, il reprit ses questions :
– Qu’est-il advenu ensuite ?
– Fantômas, déclara Ricard, est venu nous trouver, avant-hier exactement. Il ne pouvait plus tenir le personnage de Baraban, nous a-t-il dit et désormais, il fallait aviser, faire quelque chose de nouveau. Cet homme a une imagination terrifiante, il nous a dicté deux lettres.
– Je les connais, fit Juve, passez.
– Nous supposions ainsi, telle était du moins l’hypothèse de Fantômas, que l’on croirait à mon suicide, que je pourrais continuer à vivre avec Alice sous le nom de Baraban et qu’en fin de compte, on me verserait les deux cent mille francs de la loterie.
– Que Fantômas, interrompit Juve, a volé chez M e Gauvin, après l’avoir pendu.
– Hélas, fit Fernand Ricard, qui ajouta cependant : Mais comment nous avez-vous retrouvés, et qu’allez-vous faire de nous ?
– Comment nous vous avons retrouvés ? déclara Juve, cela nous regarde. Quant à savoir ce que nous allons faire de vous, c’est bien simple : vous conduire en prison.
Un cri s’échappa des lèvres d’Alice Ricard dont les yeux se révulsèrent. Cependant, Fernand Ricard s’était laissé tomber à genoux devant le policier :
– Grâce, grâce, monsieur, suppliait-il, nous sommes coupables sans doute, mais je vous assure que, depuis que nous sommes aux mains de Fantômas, nous sommes si malheureux, si terrifiés, qu’il ne faut pas ajouter ce châtiment à celui que nous subissons.
– Grâce, monsieur, suppliait aussi Alice Ricard, dont la poitrine était soulevée par de violents sanglots.
La scène était pathétique. Juve et Fandor se regardèrent interdits.
Soudain, on entendit frapper à la porte de la chambre voisine, celle retenue par Fandor. Le journaliste se précipita. Il revint un instant après avec un télégramme, dont il déchirait fiévreusement le pointillé.
Mais lorsqu’il eut parcouru la dépêche, Fandor devint blême, il la tendit à Juve. Le télégramme était ainsi conçu :
Fandor,
Itinéraire changé pour motifs graves, rejoignez-moi au Natal.
Il n’y avait pas de signature, toutefois la dépêche était datée de Belgique.
– Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Juve.
Fandor chancelait, se comprimait les tempes.
– Juve, Juve, murmura-t-il, je ne sais pas. Mais j’ai peur, j’ai peur pour elle !
En s’exprimant ainsi, Fandor songeait à la noble et pure Hélène, à la tragique fille de Fantômas, qu’il aimait de toute son âme, et dont il n’avait point de nouvelles depuis une quinzaine de jours.
Alice Ricard et son mari avaient profité de l’inattention momentanée de Juve et de Fandor, pour se rapprocher l’un de l’autre, et tous deux, tendrement serrés l’un contre l’autre, pleuraient doucement. Ils étaient pitoyables et touchants, ces deux pauvres petits escrocs.
On sentait qu’ils étaient tordus désormais comme des arbrisseaux sous la tempête, et que quiconque s’intéresserait à eux, pourrait en faire ce qu’il voudrait.
Juve d’un coup d’œil l’avait compris. D’une voix qu’il voulait rendre dure et sévère, mais que trahissaient cependant, certaines intonations douces, il les interrogea :
– Madame Alice Ricard et vous monsieur Fernand Ricard, dites-moi la vérité : devez-vous jamais revoir Fantômas ?
– Hélas, balbutia Fernand, il nous a dit qu’ils nous retrouverait, et les promesses de Fantômas se réalisent toujours.
– Bien, déclara Juve, qui ajouta :
– Je vais vous laisser en liberté provisoire, mais à une condition : c’est que vous m’appartiendrez corps et âme et que vous serez des alliés toujours à mes ordres pour opérer la découverte et la capture de l’infâme bandit.
Alice et Fernand n’en croyaient pas leurs oreilles ! Ils se jetèrent aux pieds du policier :
– Merci, s’écrièrent-ils, merci ! Nous vous sommes dévoués pour toujours !
Cependant, Juve s’était tourné vers Fandor, il lui étreignait les mains. Et d’une voix qui vibrait d’une énergie soudaine, le grand policier articula :
– L’heure est proche, désormais, je le sens, où nous tiendrons Fantômas !
FIN
[1] – Voir L’Assassin de lady Beltham(Fantômas N° 18).
[2] – La Compagnie nationale de l’Ouest-État fut créée 18 novembre 1908, avec le matériel de l’ancienne Compagnie des chemins de fer de l’Ouest. Elle dura jusqu’à la création de la SNCF en 1938. Le mauvais état du matériel et du réseau et l’incompétence des dirigeants étaient cause de nombreux accidents et dysfonctionnements. Rémy de Gourmont écrivait en 1908 : Il y a quelque chose de pourri sur le réseau de l’Ouest. À chaque instant ce sont des collisions…. On chantait en 1911, sur l’air de Cadet Rousselle, une savoureuse chanson satirique : L’Ouest-État n’a qu’trois wagons / Trois vieux wagons qui puent l’goudron. / Un wagon d’queue qu’a pas d’portière, / Les autr’ qui font mal au derrière : / Tiens ! Assieds-toi là-dessus / Ça te rétam’ra l’cubitus. (…) Bref l’Ouest-État tue sans émoi / Un’ centain’ de personnes par mois. / Et on veut coffrer les apaches / Parc’ qu’ils ont crié « Mort aux vaches ! » / S’il faut user du fouet / C’est l’Ouest-État qu’il faut fouetter !
[3] – Une paille est défaut de liaison dans la fusion des métaux. Cette imperfection pouvait faire soupçonner une fausse pièce de monnaie.
[4] – Allusion au meurtre en 1889 de l’huissier de Justice Toussaint-Auguste Gouffé, dont le cadavre fut transporté dans une malle. L’affaire à rebondissements de la Malle sanglante de Millerypassionna longtemps l’opinion publique, et l’identification du corps par le professeur Lacassagne est considérée comme l’une des premières grandes victoires de la police scientifique, encore balbutiante à l’époque. L’assassin, Michel Eyraud, fut guillotiné le 3 février 1891. Sa complice, Gabrielle Bompart, fut condamnée à 20 ans de bagne, mais fut libérée au bout de huit ans.
[5] – Voir La guêpe rouge(Fantômas N° 19).
[6] – Cette règle avait été édictée par des arrêtés des 7 janvier 1830 et 8 avril 1845. Pour obtenir son inscription au barreau, l’avocat devait justifier qu’il était logé dans ses meubles et dans une maison convenable. On pouvait toutefois faire une exception à la règle si le postulant habitait chez ses père et mère, ou chez un proche parent, tel un oncle, ou même un ami de la famille. Le but de cette prescription était la nécessité d’apporter la garantie d’un domicile et d’une adresse certaine.
[7] – Abréviation du boulevard Saint-Michel, dans le Quartier Latin, quartier des étudiants, agrémenté d’innombrables cafés et fréquenté, de jour comme de nuits, par de turbulents jeunes gens et d’innombrables jolies filles plus ou moins farouches.
[8] – Il s’agit certainement de l’ Abbaye de Thélème, restaurant chic situé au 1, place Pigalle. C’était le rendez-vous nocturne de toutes les poules, cocottes, demi-mondaines, peu farouches avec les jeunes gens à la moustache naissante ou vieux messieurs très décorés. À l’Abbaye de Thélème, on dit la messe d’amour toute la nuit. L’Abbaye ne chaume jamais. (Guide des plaisirs à Paris, 1908).
[9] – Les cartes des inspecteurs de la préfecture de police étaient ovales, affectant la forme d’un œil, symbole de la police.
[10] – Voir La main coupée(Fantômas N° 10)
[11] – Nom donné au Dépôt du parquetoù les prévenus attendaient un interrogatoire ou une comparution. L’endroit n’avait rien de confortable : Des cellules extrêmement étroites, qui ne sont éclairées et n’ont de jour que par les petits carreaux opaques de la porte et d’air que par un seul de ces trente-six carreaux ouvert. À l’intérieur, une fosse d’aisances pestilentielle. Et c’est tout. Laisser des gens toute la journée dans ces boîtes, en proie à l’anxiété d’un interrogatoire ou d’un jugement, c’est une torture répréhensible et inutile. ( Le Palais de Justice de Paris, 1892, préfacé par Alexandre Dumas.)
[12] – Union illégitime de vieille date. ( Dictionnaire du jargon parisien, 1878).
[13] – La basoche était le nom d’une très ancienne cour de justice qui réglait les différends entre les clercs. À l’époque moderne, le mot a pris un sens plus général pour désigner la communauté des gens de loi.
[14] – Dans les communes rurales, les cabines téléphoniques publiques étaient fermées les dimanches et jours fériés à partir de 10 ou 11 heures selon la saison. Fandor s’illusionnait peut-être sur la situation en Angleterre, pays protestant qui appliquait des règles particulièrement strictes quant au congé dominical.
[15] – Petite astuce pour se faire de la publicité, le numéro de téléphone 436 00 correspondait au siège de la revue Le Poids Lourd, revue mensuelle de la locomotion industrielle et des transports en commun, qui se trouvait au 1, rue Tardieu, publication que Pierre Souvestre avait créée en 1906 et qu’il dirigea jusqu’à sa mort en 1914. C’est donc son propre numéro de téléphone, professionnel tout au moins, que Souvestre avait attribué à son héros Juve. Et l’adresse du policier était très proche aussi des locaux du journaliste, puisque Juve demeurait au 3 ter, rue Tardieu (numéro qui, d’ailleurs, n’existe pas).
[16] – Propriété de la Compagnie des Wagons-Lits, le train de luxe Sud-Express fut mis en service le 5 novembre 1887. Il permettait de relier Londres à Lisbonne, en passant par Paris et Madrid, en 52 heures, au lieu de 72 heures précédemment.