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La collection Kledermann
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:49

Текст книги "La collection Kledermann"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Tante… Amélie ! souffla-t-il avec l’ombre d’un sourire.

– Chut !… Tu ne dois pas parler !

Elle aurait chanté de joie et, cette fois, prit sa main et y mit un baiser avant de la reposer. Le temps imparti était déjà écoulé et elle se leva, franchit la porte sans se rendre compte de ce que les larmes inondaient son visage.

– Nous pleurons ? gémit Marie-Angéline. C’est si désespéré ?

– Oh non ! C’est la joie sans doute : il m’a reconnue !

Déjà Adalbert l’avait remplacée. Deux minutes plus tard il revenait, offrant la mine rayonnante d’un élu qui a vu s’entrouvrir le ciel :

– Il m’a appelé « Vieille Branche ! », soupira-t-il extatique. Il est guéri !

– Pas encore ! rectifia le docteur Lhermitte qui venait d’arriver. Néanmoins je pense sincèrement que l’on peut augurer une remise en ordre totale. À condition toutefois de ne pas courir la poste ! Il lui faut du repos… mais pas dans une chaise longue à papoter de l’aube au crépuscule et davantage ! Alors pour commencer je le garde quinze jours ici. Ensuite il pourra rentrer à Paris en ambulance. Il habite Venise, ajouta-t-il rapidement en voyant Adalbert ouvrir la bouche, mais le voyage est trop long. En outre, à Paris, je souhaiterais un endroit aéré…

– Si le parc Monceau vous convient j’y habite un hôtel particulier ! dit Mme de Sommières. Il y est chez lui autant que moi. Mais pour en revenir à Venise, quand envisagez-vous…

– De le rapatrier ? Pas avant trois bons mois !… Je sais à quoi vous pensez, dit-il en voyant Adalbert se gratter le crâne : la police va vouloir l’interroger ?

– C’est vrai, j’y pensais !

– Je m’en suis expliqué avec le commissaire Desjardins, de Chinon. Comme il était prisonnier et ignorait où il se trouvait, sa déposition peut attendre quelques jours et soyez certain que je ne l’abandonnerai pas ! Enfin, aucun journaliste ne franchira le seuil de sa chambre. Elle va être gardée jour et nuit !

Ayant dit cela, il salua courtoisement les deux femmes, serra la main d’Adalbert et suivit l’interne qui venait réclamer sa présence.

– Eh bien, nous allons donc nous installer ici pour une quinzaine. Nous aurions pu tomber plus mal ! constata la marquise avec une certaine satisfaction. J’ai toujours aimé la Touraine !…

– Ce jardin des rois ! émit Marie-Angéline en écho.

– Allons, tant mieux ! repartit Adalbert. Pour l’instant je vous emmène à Chinon visiter…

– Les ruines du vieux château ? J’adore !… Et peut-être aussi ce qu’il reste de la Croix-Haute ?

– Pour l’instant on va surtout explorer le commissariat de police ! J’ai promis d’y passer aujourd’hui ! Des questions auxquelles il faudra répondre…

– Puisque vous étiez avec lui, ce vieux fou d’Hubert a dû se dépêcher de retracer votre aventure ? marmotta la marquise.

– Sans doute, mais Desjardins se doit de m’entendre aussi. Et puis je vous avoue que je ne serais pas fâché d’apprendre que l’on a réussi à récupérer les joyaux descendant de Borgia, vrais ou faux ! Il est impossible qu’ils aient disparu sans laisser de traces…

Le temps s’était soudain mis au beau et considérablement radouci. Adalbert rabattit la capote de la voiture afin que ses passagères pussent profiter pleinement d’une région où l’approche du printemps se faisait toujours sentir plus précocement qu’ailleurs… La promenade fut charmante mais l’état de grâce prit fin dès que l’on atteignit les locaux de la police où retentissaient les éclats de voix du professeur :

– Quand je vous certifie que ce coteau est troué comme un gruyère vous me répondez que je vois des souterrains partout ! D’abord j’en connais déjà pas mal mais je suis persuadé qu’il y en a d’autres. Sinon, expliquez-moi comment les vipères qui logeaient à la Croix-Haute ont-elles pu disparaître si facilement ?

L’arrivée des nouveaux venus parut soulager Desjardins : il les accueillit avec un empressement révélateur. D’ailleurs son bourreau fut soudain tout sucre et tout miel :

– Je ne désespère pas de vous prouver que j’ai raison ! ne put-il s’empêcher d’assener, pensant ainsi avoir le dernier mot mais, occupé à souhaiter la bienvenue à ses visiteurs, surtout aux deux dames, Desjardins ne l’écoutait plus.

Il se montra soulagé des nouvelles encourageantes qu’on lui apportait :

– Une victime de moins, c’est appréciable, vous savez ? En particulier avec cette sorte de gens ! Songez que l’on a retrouvé dans les gravats le corps du vieux Catannei presque intact… à ceci près qu’on lui avait tiré une balle dans la tête !

– Curieux ! remarqua Adalbert. Selon Mr. Wishbone on avait annoncé sa mort la veille de l’incendie !

– Le légiste, lui, pense différemment. Guère soucieux de s’encombrer d’un malade, ses enfants, ou je ne sais trop ce qu’ils étaient pour lui, l’ont abattu avant de s’enfuir, comptant sans doute sur le feu et les charges d’explosifs disposées ici ou là pour le faire disparaître définitivement. Or, en s’écroulant, le plafond de sa chambre est tombé de telle façon que deux poutres protégeaient le corps…

– C’est une chance – si l’on peut dire ! – qu’il ait été si vite repéré ! Que reste-t-il du château ?

– Un énorme tas de décombres que les gens de la ville, maire en tête, fouillent farouchement. Il ne faut pas oublier qu’ils en étaient propriétaires. Et qu’ils y tenaient !

– L’assurance les consolera ! fit Adalbert.

– Je ne suis pas certain qu’il en existe une. Depuis la mort de M. Van Tilden ils ne s’en sont pas souciés, faisant confiance à des locataires particulièrement généreux ! Monsieur Vidal-Pellicorne, puis-je vous poser quelques questions ?… Ne fût-ce que pour confirmer la déposition du professeur !

– Est-ce que, par hasard, vous mettriez ma parole en doute ? rugit celui-ci.

– Du tout… si ce n’est votre talent de conteur ! Vous aimez tellement les histoires que, sans vous en rendre compte, vous leur donnez facilement un tour poétique dont s’accommodent mal les dures réalités d’une déposition.

– Dans ce cas, je m’en vais ! Adalbert, mon garçon, racontez-lui notre odyssée ! Pour rien au monde je ne voudrais que ma présence vous amène à fabuler aussi ! Venez donc prendre une tasse de thé chez moi, Amélie ! Et vous aussi, jeune fille !

La rancune que cette dernière gardait envers l’ex-beau-frère de la marquise ne résista pas à ces deux mots !

– Avec plaisir ! fit-elle en sautant sur ses pieds.

Naturellement, le récit de l’égyptologue fut en tous points semblable – le talent y compris ! – à celui de son ancien professeur au lycée Janson-de-Sailly mais vint ensuite la question qu’il redoutait et à laquelle Hubert de Combeau-Roquelaure n’avait apporté qu’une vague réponse : qu’était devenue l’épouse d’Aldo ?

– Si j’ai bien compris le professeur la voyait pour la première fois ?

– Absolument. Morosini lui-même ignorait ce cousin-là jusqu’à ce qu’il le rencontre dans ce bureau et vous le savez pertinemment !

– Certes. Il m’a seulement dit que c’était une fort belle femme et qu’elle semblait détester son mari ?

– Exact. Elle est ravissante. Quant à sa colère on peut la comprendre. Votre Borgia de pacotille l’avait sommée d’apporter un million de dollars si elle voulait revoir vivants non seulement son mari mais aussi la maîtresse dudit mari… Mais vous avez déjà dû entendre Mrs. Belmont ?

– Une très belle femme elle aussi ! Votre Morosini a de la chance !

– Si l’on veut ! Je vous rappelle qu’il a pris une balle dans le crâne ! Il est vrai qu’il devrait s’en sortir. Que vous a appris Pauline Belmont, si je peux me permettre ? C’est pour moi une amie chère !

– Elle m’a paru extrêmement malheureuse en dépit d’un comportement d’une grande… dignité ! Elle a volontiers admis qu’elle s’était sentie profondément humiliée, mais en dehors du fait qu’elles ont quitté le château en même temps ou presque, elle n’a pu me dire ce que la princesse était devenue. M’en direz-vous autant ?

– Un peu plus peut-être. Dès qu’elle a été hors du château, je l’ai vue partir en courant vers la lisière des bois.

– Vous n’avez pas essayé de la rattraper ?

– D’abord oui mais, peu après, le coup de feu qui a abattu Morosini a éclaté et je me suis précipité à son secours.

– D’où a-t-on tiré ?

– Difficile à préciser ! Le terrain est en pente et il a roulé sur lui-même. Naturellement je ne me suis pas soucié plus longtemps de Lisa… sa femme. Mais comme elle se dirigeait vers la ville, quelqu’un a bien dû la remarquer ? ajouta-t-il l’œil chargé d’innocence.

– La ville ? Elle était tout entière sur les lieux de l’incendie, à l’exception des impotents ! Ça les intéressait au premier chef comme vous pensez !

– Elle avait peut-être dans l’idée de faire de l’auto-stop ?

– Mais c’est idiot ! Il y avait un monde fou là-haut ! Elle pouvait demander de l’aide à n’importe qui ? À commencer par vous ?

– Vous avez entièrement raison… vu d’ici ! Mais je vous rappelle qu’elle vivait un cauchemar depuis plusieurs jours et qu’elle n’était plus elle-même. Dans son état on pouvait redouter le pire !

– À quoi pensez-vous ?… Un plongeon dans la Vienne ?

– Tout de même pas. Elle a trois enfants qu’elle adore au point de rendre parfois son mari jaloux. Non, avec une femme comme elle le suicide est exclu dans tous les cas ! Elle est suissesse, souvenez-vous, fille de banquier, elle a toujours eu les pieds sur terre et quand elle a épousé Aldo, elle n’ignorait rien de sa vie sentimentale passée. Elle le savait sujet à des poussées… de chaleur, dirais-je !

– Cette fois, cependant, il s’agissait d’un peu plus qu’une « poussée de chaleur », pour employer votre expression, mais bel et bien d’une maîtresse affirmée !

– Eh bien non, si étrange que cela puisse paraître ! Aldo ne nie pas que Pauline exerce sur lui un attrait puissant mais presque uniquement charnel.

– Difficile à admettre ! Elle est diablement séduisante !

– Oh, je vous l’accorde et d’ailleurs il lui voue une sorte de tendresse mais c’est sa femme qu’il aime !

– Pas très clair, tout de même !

– Ça le devient si j’ajoute que Pauline, elle, l’aime passionnément ! C’est elle qui a pris l’initiative de le rejoindre dans le Simplon-Orient-Express alors qu’il rentrait chez lui justement pour la fuir ! Tout le mal est venu de ce voyage en ce qui le concerne ! Là-dessus évidemment se sont greffées l’aide que Mr. Wishbone lui a demandée pour retrouver la Chimère des Borgia afin de l’offrir à la Torelli qui s’en prétend descendante… et la haine solide que celle-ci lui voue pour avoir refusé – et par deux fois –, alors qu’il est sans doute le plus grand expert européen en joyaux anciens, de s’intéresser à elle. Enfin, pour en finir avec la princesse Morosini, je pense qu’à l’heure présente elle a dû regagner Venise… d’où elle reviendra, j’espère, quand elle saura son mari gravement blessé ! Voilà, monsieur le commissaire, tout ce que je peux vous dire… Si vous avez encore besoin de moi vous n’aurez qu’à m’appeler ou en avertir mon vieux maître ! Je ne quitterai pas la Touraine tant que Morosini y sera…

– Aucun doute ! Vous avez menti effrontément à ce brave homme, décréta Mme de Sommières tandis que l’on revenait vers Tours. Et je pense que dans ce cas particulier vous avez bien fait de protéger Lisa mais vous avez couvert du même coup l’homme qui l’attendait et…

– Nous n’allons pas le lui reprocher ? coupa Marie-Angéline. Le seul à qui l’on peut dire la vérité dans cette histoire, c’est Langlois ! Et encore…

– Comment ça « Et encore » ? Il ne vous vient pas à l’idée, Plan-Crépin, que le tireur pourrait être cet homme ?…

– Lui, non ! émit l’égyptologue. Je suis formel. La voiture s’éloignait quand le coup a éclaté et je vois difficilement Lisa regardant sans broncher son « ami » tirer son mari comme un vulgaire lapin. Mais pour en revenir à Langlois et à la réflexion, je préfère éviter de lui en parler…

– Oh, je crois que je devine pourquoi ! fit Plan-Crépin avec un petit rire. Vous avez l’intention de régler ça tout seul, non ? Eh là ! Attention…

Adalbert, en effet, venait de donner un tour de volant imprévu afin d’éviter une poule qui sortait majestueusement d’une cour de ferme tentée par l’idée d’aller rejoindre son coq de l’autre côté de la route. Grâce à l’habileté du conducteur, la volaille put mener son projet à bonne fin avec un dédain absolu de la bordée d’injures un peu excessive peut-être mais qui fit un bien énorme à Adalbert en lui permettant de se défouler…

– Ça soulage, hein ? reprit Plan-Crépin en remettant son chapeau à sa place. À présent vous répondrez peut-être à ma question ? Vous vous réservez l’affaire Lisa et compagnie ?

– Naturellement ! Je considère ça comme un cas familial !

– Alors part à deux !… ou je mange le morceau !

– Plan-Crépin ! s’indigna la marquise. Voilà que vous pratiquez le chantage maintenant ? Et en quels termes ! Il est vrai qu’avec vous il faut s’attendre à tout !

– Nous devrions savoir que je suis capable de tout quand il s’agit de ceux que j’aime ! Et d’ailleurs est-ce que vous-même…

– Ne soyez pas insolente ! Depuis le temps vous devriez savoir que je déteste que l’on me dise mes vérités ! Conclusion, Adalbert ?

– On garde ça pour nous jusqu’à nouvel ordre ! Et il faut d’abord savoir où est passée Lisa !


2

Une nouvelle guerre des Deux-Roses ?

Décider de ce que l’on dirait ou qu’on ne dirait pas en roulant – même trop vite ! – sur une route de campagne et s’en tenir là quand la personne en question s’inscrit dans le paysage n’est pas du tout la même chose ! Adalbert allait en faire l’expérience dès le lendemain matin, en rencontrant ledit Langlois dans le hall de l’hôpital. Il s’y attendait si peu qu’il se sentit rougir comme s’il était coupable.

Pourtant, en le voyant venir, le visage cependant soucieux du policier s’éclaira :

– Content de vous voir, Vidal-Pellicorne ! Vous ne le savez peut-être pas, mais vous avez quelque chose de réconfortant ! Surtout pour moi qui ai toujours eu les hôpitaux en horreur.

– Vous avez dû pourtant en rencontrer quelques-uns… et ce n’est pas fini !… Mais c’est gentil d’être venu voir Morosini ! Il a dû être content ?

– Pas vraiment : il ne m’a pas reconnu !

– Quoi ? Pas reconnu ? Mais…

– Il paraît que ça va plus mal qu’hier. J’ai vu le chirurgien et il est un peu inquiet…

Adalbert ne l’écoutait déjà plus et fonçait vers la chambre d’Aldo dont Mme Vernon lui barra le passage :

– Où allez-vous ainsi ?

– On vient de me dire qu’il va mal, qu’il n’a pas reconnu…

– Ne dramatisez pas ! Il nous fait une montée de température et il est moins bien qu’hier mais ce sont des accidents qui se produisent. Cela ne signifie pas qu’il soit en train de mourir et nous sommes là pour le surveiller !

– Je peux le voir ?

– Pas pour le moment ! Voulez-vous une tasse de café ?

– Merci, non. Je dois rejoindre le commissaire principal !

– Et prévenir les dames ! Plus de visites aujourd’hui mais vous pouvez m’appeler ce soir. Je passe la nuit ici. Et ne vous tourmentez pas trop. Il est solide !

– Sauf des bronches ! Il a déjà eu des problèmes…

– Elles ne sont pas en cause !

Il retrouva Langlois qui faisait les cent pas dans le hall et vint vers lui aussitôt :

– Vous l’avez vu ?

– Non ! Plus de visites aujourd’hui mais je peux appeler ce soir. Venons-en à vous…

– Vous allez me demander ce que je fais là ? fit Langlois avec l’esquisse d’un sourire. D’habitude c’est plutôt moi qui pose les questions, non ?… Vous devez bien penser que l’affaire déborde largement la région de Touraine ? Je suis venu m’entretenir avec le préfet et le sous-préfet de Chinon pour leur donner les informations qui nous sont parvenues. On sait maintenant comment les coupables ont pu fuir.

– Vous savez où ils sont ?

– Là nous n’en sommes qu’aux suppositions, en Italie sans doute. Quant aux moyens de quitter la Croix-Haute, ils devaient être prévus depuis longtemps, ce genre d’organisation ne laissait rien au hasard ! Ils sont partis en bateau mais au lieu de se laisser glisser jusqu’à la Loire, ils ont remonté la Vienne jusqu’à un petit aérodrome plus ou moins abandonné près de L’île-Bouchard où ils ont laissé le bateau…

– Comment avez-vous pu le savoir ?

– Un coup de chance, je vous l’accorde : le père d’un de mes inspecteurs, ancien policier lui-même et pêcheur impénitent, habite sur la rive gauche de la Vienne et tout près dudit terrain d’envol. Il s’était levé très tôt pour poser des appâts. Il a vu arriver l’embarcation qui est repartie après avoir déposé ses passagers. L’avion est venu atterrir un quart d’heure plus tard, et n’est resté que quelques minutes avant de décoller. Direction plein sud ! Là-dessus notre pécheur a appelé son fils qui m’a prévenu… Et me voilà !… Vous êtes à l’hôtel de l’Univers je suppose ?

– Vous supposez bien. C’est là que vous descendez ?

– Non. J’ai les honneurs de la préfecture… et cela me fait penser que je dois envoyer des fleurs à la préfète. En revanche, vous trouverez à votre hôtel Mr. John-Augustus Belmont qui est venu s’occuper de sa sœur qu’il souhaite ramener en Amérique au plus vite ainsi que sa femme de chambre Helen Adler qui va beaucoup mieux.

– Vous n’avez plus besoin de leurs témoignages ?

– Mrs. Belmont et miss Adler ont dit, je crois, tout ce qu’on pouvait en attendre et il n’y aucune raison de les retenir davantage. L’une comme l’autre ont le plus urgent besoin de se retrouver dans leur cadre familier.

– Je m’en doute mais si vous arriviez à capturer toute la bande cela donnerait lieu à un procès, vous les convoqueriez ?

– Pour ne pas leur faire courir de risque, elles pourraient être entendues, à l’ambassade de France, par deux magistrats commis à cet effet, assistés de Phil Anderson, patron de la police métropolitaine de New York. En outre, je vous rappelle que – du moins en ce qui concerne Mrs. Belmont ! – une traversée de l’Atlantique supplémentaire ne représenterait pas un obstacle. Elle prend plus facilement le paquebot que le métro new-yorkais. De toute façon, le procès ne s’inscrit pas dans l’horizon immédiat. Je suis persuadé que nous avons en face de nous une branche de la Mafia…

– Autrement dit, le procès est du domaine du rêve ?

– Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! J’espère fermement avoir leur peau un jour ou l’autre et Gordon Warren, à Scotland Yard, n’est pas près de lâcher prise. Nous allons obtenir de la Cour de La Haye un mandat d’arrêt international contre Lucrezia Torelli et Ottavio Fanchetti…

– S’ils s’appellent vraiment comme ça ! En outre, je ne suis pas certain que l’Italie de Mussolini soit disposée à vous aider !

Brusquement, l’élégant commissaire principal Langlois, que l’on pourrait appeler le dandy du Quai des Orfèvres, vira au rouge vif :

– Dites-moi, Vidal-Pellicorne, vous en avez encore pour longtemps à vous faire l’avocat du diable ? Vous commencez à m’agacer singulièrement !

– Ce n’est pas mon propos et je vous offre mes excuses ! Au vrai c’est que je me tourmente…

– Pour Morosini ? Vous croyez que je l’ignore ? Il est même le tout premier de mes soucis !

– Moi c’est son ménage qui arrive en première ligne ! Cette histoire délirante l’a mis en morceaux !

– Ce n’est pas une nouveauté ! Dois-je vous rappeler l’affaire de la « Régente » où, se croyant trompée, Dame Morosini lui a imposé une pénitence de plusieurs mois alors qu’il était aussi innocent que vous et moi, sans compter un état physique déplorable ? De toute façon, j’ai l’intention de l’interroger. Où qu’elle soit ! Si une convocation officielle ne lui suffit pas, j’irai jusqu’à Venise !

– Mais… pourquoi ?

– Pour qu’elle me parle de l’homme qui, ayant réussi l’exploit de suivre la voiture de ses ravisseurs, l’attendait à l’entrée du bois de la Croix-Haute… et en compagnie de qui elle est partie après l’avoir embrassé. Comme par hasard, le coup de feu qui a abattu Morosini est venu de ce coin-là… Approximativement, certes, mais suffisamment pour m’intéresser !

Si Langlois avait rougi, Adalbert, lui, devint blême :

– Comment le savez-vous ?

– Pas grâce à vous, en tout cas !… Alors que vous étiez parfaitement au courant ! Vous noterez que je ne vous demande pas pourquoi vous m’avez caché ce… détail parce que je le sais…

– Ah oui ? réussit à prononcer Adalbert qui se sentait flotter.

Il semblait même tellement désemparé que Langlois ne put s’empêcher de rire :

– C’est l’évidence même pour qui vous connaît un tant soit peu, vous… et la descendante des Croisés : affaire de famille donc chasse gardée ! Eh bien, j’ai l’intention de m’en mêler aussi… avec précaution, évidemment ! En attendant, ne faites pas cette tête-là et rentrez sagement à votre hôtel où vous retrouverez les Belmont ! Nous avons peut-être perdu une bataille mais la guerre ne fait que commencer !

Soulagé malgré tout, Adalbert avait, cependant, une dernière question à poser et rattrapa par la manche le policier qui s’apprêtait à rejoindre la voiture officielle stationnée devant la porte de l’hôpital :

– Excusez-moi… mais encore un mot ! Wishbone, qu’est-ce que le commissaire Desjardins en a fait ? Il n’est tout de même pas en prison ?

– Mais non, voyons ! Dans l’affaire, lui aussi est une victime même si c’est seulement de l’argent qu’il a perdu ! Au reste, il n’a pas la moindre envie de retraverser l’Atlantique.

– Je croyais que Pauline Belmont lui avait fait forte impression ?

– C’est très possible mais ce qui est certain c’est qu’il se reproche d’avoir entraîné Morosini aux portes de la mort… et qu’il compte fermement se joindre à votre joyeuse bande… si vous y consentez !

– Je ne vois pas pourquoi on n’y consentirait pas : même quand nous étions rivaux il trouvait le moyen de m’être sympathique ! Morosini, on n’en parle pas : c’est lui qui nous l’a amené. Enfin, nos dames l’apprécient et le trouvent amusant…

– Si vous voulez mon avis, je crois que c’est le point important pour lui : il est le dévot inconditionnel de la marquise ! Elle le fascine !

– Vous n’allez pas prétendre qu’il en est amoureux ?

– On a déjà vu pire !… Et j’ai dit : dévot ! Je ne devrais pas avoir à vous expliquer la différence. Vous êtes de l’Institut oui ou non ?

– Je le suis, mais quand il s’agit de gens que j’aime j’aurais assez tendance à dérailler !

– Tout à fait normal. Cela dit, vous ne verrez pas d’inconvénient, j’espère, à ce que je convoque la princesse Morosini par télégramme, elle a pas mal de choses à m’apprendre !

– Mettez-y les formes tout de même ! Elle doit être loin de nager dans le bonheur…

– Un, je ne suis pas une brute, et deux, il serait temps que quelqu’un lui apprenne… officiellement l’état de son mari !… En admettant qu’elle ne soit pas déjà au courant !

– Vous ne le pensez pas vraiment ?

– Dans une affaire de meurtre, j’ai l’habitude de faire mon devoir jusqu’au bout et si désagréable qu’il soit ! Et je pense qu’il est grand temps qu’on la voie au chevet de Morosini !

En rentrant à l’hôtel, Adalbert voulut monte chez Mme de Sommières mais trouva Marie Angéline qui, bras croisés, arpentait le palier de long en large dans une agitation croissante.

– Qu’est-ce que vous faites-là ? On vous a mis en pénitence ?

– Quasiment ! Notre marquise reçoit Paulin Belmont qui a demandé à lui parler seule à seule.

– Ce n’est pas une raison pour faire l’ourse en cage dans celle de l’escalier. Je suppose qu’elles sont dans le petit salon qui sépare vos deux chambres ? Vous devriez être dans la vôtre !

– « On » me connaît trop bien ! « On » sait que j’adore écouter aux portes alors « on » m’envoyée chez le pharmacien acheter des pastilles Vichy !

– Et vous y êtes allée ?

– Vous vous payez ma tête ? Je m’y précipiterai quand cette femme sortira ! D’ailleurs « on » n’a aucun besoin de ces pastilles : « on » a un foie en ciment armé.

– Savez-vous que c’est de la rébellion ouverte Allez acheter ce qu’on vous a demandé ! Je monterai la garde à votre place ! Et puis ça vous calmera !

Après une ultime hésitation, elle se décida et, sans appeler l’ascenseur, dégringola les marches. Adalbert alla s’asseoir dans l’un des deux fauteuils qui, près d’une table égayée par un vase d’anémones, meublait le large escalier. Il n’attendit pas longtemps. Pas plus de cinq minutes en tout cas avant que la porte ne s’ouvre devant la visiteuse que Mme de Sommières raccompagnait. Toutes deux semblaient très émues et Adalbert s’aplatit dans son fauteuil.

– Partez tranquille, ma chère ! Vous avez bien fait de venir me parler avec tant de franchise et vous pouvez emporter la certitude que je ferai tout mon possible pour que les traces de ce drame s’effacent… peut-être à la longue mais définitivement.

– Vous me donnerez des nouvelles ?

– Je vous le promets. Comptez-vous rester quelques jours à Paris ?

– J’aurais désiré attendre… qu’il entre en convalescence, mais mon frère estime qu’il est préférable de rentrer le plus rapidement possible…

– Il sait ce qui s’est passé entre vous ?

– Bien sûr. Nous sommes de vieux complices et, en conseillant un prompt retour chez nous, c’est à moi qu’il pense. Et il a raison : je n’ai été exposée que trop longtemps à la curiosité publique. Aussi ne ferons-nous que toucher terre à Paris pour reprendre les bagages restés au Ritz. Dans trois jours nous serons en mer… Ensuite ce sera New York… et surtout ma maison de Washington Square et mon atelier !

– Vous ne craignez pas d’y être assiégée par la presse ?

– Mes serviteurs en font un véritable havre de paix ! En outre, si le besoin s’en faisait sentir, je pourrais toujours chercher refuge dans l’une des nombreuses propriétés familiales… et vous pouvez faire confiance à John-Augustus pour veiller à ma tranquillité ! Il me reste à vous dire adieu…

– Ce n’est pas un mot que j’aime ! Surtout à mon âge ! Je lui préfère de beaucoup « au revoir » mais il en sera ce que le destin voudra ! Laissez-moi vous embrasser !

Les deux femmes s’étreignirent. Pauline disparut dans le couloir menant à sa chambre mais Mme de Sommières resta au seuil de la sienne jusqu’à ce qu’elle eût entendu la porte se refermer puis elle s’avança de deux pas :

– Sortez de votre poste d’écoute, Adalbert !

– Vous saviez que j’étais là ?

– Ce siège est vaste mais vous êtes trop grand pour qu’il n’y ait pas un morceau de votre carcasse qui ne dépasse ! Vous n’avez pas vu Plan-Crépin ?

– Si ! Elle m’a dit que vous receviez Pauline après quoi elle est partie chez le pharmacien !

– Étrange ! J’aurais cru que rien ne pourrait l’éloigner de cette porte ! Il est vrai qu’elle a dû compter sur vous pour lui faire un rapport et je suppose que vous avez entendu ? Mais entrez donc !

– J’ai seulement entendu ce que vous vous êtes dit sur le palier ! Elle est venue vous faire ses adieux ?

– Oui ! Pauvre femme ! Elle est ravagée d’angoisse par l’état d’Aldo et donnerait n’importe quoi pour avoir le droit de rester auprès de lui à attendre qu’il ouvre les yeux et lui sourie. Pourtant elle va interposer entre eux un océan !

– Elle ne peut guère agir autrement ! Imaginez ce que cela donnerait si elle et Lisa se retrouvaient face à face ?

– Elle le sait et se reproche cruellement d’avoir rejoint Aldo dans son train. C’est, je pense, ce qu’elle explique dans la lettre que voici, dit Mme de Sommières en prenant sur un petit secrétaire une longue enveloppe bleue. Elle m’a demandé de la remettre à Lisa !

– Qui la déchirera sans la lire !

– Non, parce que je serai là ! C’est pourquoi elle me l’a remise à moi au lieu de la poster. Je sais ce qu’elle contient et je peux vous jurer que Lisa en prendra connaissance, dussé-je la lui lire ! Oh, pendant que j’y pense…

Elle alla chercher son écritoire de voyage en maroquin bleu, glissa l’enveloppe dans l’un des compartiments, referma la patte de cuir à l’aide de la minuscule clef qu’elle mit dans une poche de sa robe.

– Voilà ! fit-elle enfin avec satisfaction. La meilleure façon d’éviter les tentations est encore de ne pas les susciter !

– Vous craignez Marie-Angéline à ce point ? sourit Adalbert amusé.

– Je crains surtout son habileté manuelle : elle est très capable d’en prendre connaissance sans laisser la moindre trace. Et elle déteste trop Pauline pour réagir autrement qu’en s’en moquant ! Or, cette lettre – particulièrement émouvante ! – ne mérite pas un tel sort !

– Si elle réussissait à la lire, elle n’aurait sûrement pas l’idée de vous en faire la critique !…

– N’en soyez pas si persuadé ! Quand elle prend feu, aucun raisonnement ne peut contenir l’éruption ! Mieux vaut ne pas prendre de risques !

Un instant, Adalbert observa la vieille dame en silence. Elle réagit aussitôt :

– Pourquoi me regardez-vous ainsi ? À quoi pensez-vous ?

– À Pauline Belmont ! J’ai dans l’idée que vous l’aimez bien en dépit des dégâts qu’elle a occasionnés ?

– C’est exact ! Elle est une femme selon mon cœur et ce n’est pas sa faute si elle est profondément amoureuse d’Aldo ! Cela ne veut pas dire que je n’aime plus Lisa. Je sais parfaitement ce que son mari lui a fait endurer. Simplement je voudrais qu’elle soit moins tranchante dans ses jugements, qu’elle essaie d’admettre parfois le point de vue de l’autre et qu’elle nous fasse un peu confiance à Plan-Crépin et à moi quand nous plaidons pour son mari !

– Oh, je suis logé à la même enseigne ! Dieu sait pourtant que je n’ai jamais mâché mes paroles quand j’ai quelque chose à lui reprocher !… Il m’arrive même de dépasser les bornes !

– Bah ! Entre vous deux cela fait partie du jeu ! Et l’existence s’en trouve pimentée. En tout cas je peux jurer sur ce qu’elle voudra : la tête de son époux, l’Évangile ou le salut de mon âme que lors de l’affaire du train, Aldo l’a pris justement pour fuir Pauline. Si elle n’avait pas eu la malencontreuse idée de le rejoindre, tout ce gâchis aurait été évité !… Malheureusement elle est très belle et Aldo a le sang chaud !

– En toute honnêteté, je me demande si, à sa place, j’aurais pu conserver le mien au frais ! N’importe comment, il va tout de même falloir que Lisa donne quelques explications sur son départ de la Croix-Haute…

– Et pour cela la faire revenir ? Il est temps, je crois, de lui apprendre qu’elle a failli devenir veuve… et que le risque perdure !

Quand, après avoir erré interminablement dans des abîmes ténébreux, douloureux aussi par instants, peuplés des formes obscures des cauchemars, traversés par la lumière des visages familiers, Aldo émergea enfin à la clarté d’une vie normale, il sentit que quelqu’un lui tenait le poignet et vit, penché sur lui, le regard attentif d’un homme en blanc coiffé d’un bonnet :


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